Billet d'humeur dans le magazine Start : « Fais pas ci, fais pas ça, Viens ici, mets-toi là, Attention, prends pas froid, Ou sinon gare à toi, Mange ta soupe, allez, brosse toi les dents, Touche pas ça, fais dodo, Dis papa, dis maman, Fais pas ci fais pas ça » Qui aurait pu croire que l’injonction de Jacques Dutronc deviendrait le slogan de notre société déboussolée du début du 21 e siècle ? Les hérauts de l’interdiction, les chantres de la
réglementation, les régulateurs de la vie humaine ont pris le pouvoir...
Article "La tyrannie du risque zéro" dans le magazine Start
1. st a r t A im e
L E S O P I N I O N S
82 START MAGAZINE
Q
ui aurait pu croire que l’injonction
de Jacques Dutronc deviendrait le
slogan de notre société
déboussolée du début du 21e
siècle ? Les
hérauts de l’interdiction, les chantres de la
réglementation, les régulateurs de la vie
humaine ont pris le pouvoir. Ou comment
nos dirigeants publics sont passés en
quelques années du « je dépense donc je
suis » au « j’interdis donc je suis ». Spéciale
dédicace à toutes celles, tous ceux qui ont
vécus un Noël et un Réveillon tronqué (6
maximum !) émaillés de controverses et
engueulades familiales ou amicales sur la
situation présente (et pesante).
La crise du COVID19 ou les polémiques au-
tour de la 5G sont des exemples flagrants
de l’aversion au risque qui mine notre pré-
sent. Nous vivons, sans toujours le soupçon-
ner, un glissement insidieux vers l’idée d’une
société idéale où le danger n’existerait plus
et où la sécurité serait totale. Le principe de
précaution est devenu roi et depuis 2004 en
France, « lorsque la réalisation d’un dom-
mage, bien qu’incertaine en l’état des
connaissances scientifiques, pourrait affec-
ter de manière grave et irréversible l’environ-
nement, les autorités publiques veillent, par
application du principe de précaution et
dansleursdomainesd’attributions,àlamise
en œuvre de procédures d’évaluation des
risques et à l’adoption de mesures provi-
soires et proportionnées afin de parer à la
réalisation d’un dommage ». Sous couvert
des meilleures intentions du monde, la dic-
tature du principe de précaution est deve-
nue la norme en matière d’environnement
et de santé publique, se transformant peu à
peu en principe d’interdiction.
Comprenons-nous bien : il n’est pas ques-
tion danscet article de remettre en question
la réalité de la pandémie et sa gravité, ni de
remettre en cause l’utilité des gestes bar-
rièresetdetouteslesmesuresvisantàéviter
une explosion de notre système de santé ;
notre propos n’est pas non plus de nier l’ur-
gence ni la gravité des atteintes environne-
mentales. Mais il s’agirait plutôt de
comprendre pourquoi la France, pays des
lumières et des encyclopédistes, patrie de
Pasteur et de moult éminents scientifiques,
se retrouve à être un des seuls pays d’Eu-
rope où nous avons besoin d’une attesta-
tion dérogatoire pour sortir de chez nous (le
mot des parents à la maîtresse d’école ?) et
l’un des pays du monde où la population est
là moins encline à se faire vacciner... Les
deux seraient-ils liés ? Entre des Français qui
demandent tout à l’état, même l’impossible,
qui contestent toutes les décisions du
même état, qui recherchent systématique-
ment des coupables et des responsables si
celanesepassepascommeprévu;unead-
La tyrannie
du risque zéro
DE PASCAL FLAMAND
« Fais pas ci, fais pas ça
Viens ici, mets-toi là
Attention, prends pas froid
Ou sinon gare à toi
Mange ta soupe, allez, brosse toi les dents
Touche pas ça, fais dodo
Dis papa, dis maman
Fais pas ci fais pas ça »
2. st ar t Ai me
L E S O P I N I O N S
START MAGAZINE 83
ministration qui tergiverse, réglemente, dé-
crète et en réalité ne cherche qu’à se proté-
ger; un gouvernement qui communique,
interdit mais ne sait pas délivrer et donner
un cap, l’auteur à l’impression qu’une rela-
tion mortifère parents/adolescents voire
enfants s’est petit à petit créée au sein de
notre pays, le risque majeur étant à terme
l’instauration d’un « totalitarisme » normatif
doux et convenable mâtiné d’un immobi-
lisme total de notre société.
L’inquiétude,lapeuretl’angoissepa-
ralysentnotresociété
Les média amplifient la phobie de la popu-
lationendonnantauxévènementslointains
plus de consistance et d’importance que la
réalité quotidienne vécue par la majorité
d’entre nous. L’aversion au risque, la re-
cherche d’une communauté idéale où le
danger n’existerait plus et où la sécurité se-
rait totale sont les nouvelles tendances do-
minantes d’une société de consommation
en perte de repères. La mort semble être
devenue un phénomène de plus en plus
inacceptable comme le démontre le dé-
compte anxiogène journalier des victimes
de la pandémie !
Un autre exemple flagrant (et plus léger, je
vous l’accorde) est celui du touriste
moderne : on ne voyage plus pour rencon-
trer l’autre, découvrir une culture étrangère ;
mais on y regarde à deux fois avant de par-
tir dans un pays où l’insécurité est bien
moindre que chez nous, on s’enferme dans
un club ou hôtel ultra sécurisés et comble
de la déliquescence de notre goût pour
l’aventure, d’aucuns souscrivent une assu-
rance contre les aléas divers et variés ou de-
mandent le remboursement de leur séjour
en cas de mauvais temps ! L’impondérable,
la sérendipité, l’imprévu sont devenus la
hantise de notre société, le principe de pré-
caution et la prévention des risques s’étant
peu à peu transformés en culture du risque
zéro !
Lerisquezéropeut-il,doit-ilêtreun
objectifdesantépubliqueoudepoli-
tiqueenvironnementale?
Depuis le début de la crise pandémique,
cette logique sanitariste a été amplifiée.
Nous n’acceptons pas que le virus circule de
façon minime et calculée pour préserver un
minimum de liberté individuelle (et de re-
venu pour certaines entreprises..). Compre-
nons-nous bien : le confinement était
nécessaire pour éviter la saturation des hô-
pitaux, et les gestes barrière s’imposaient. Il
ne s’agit pas de remettre cela en question.
Mais vient un moment où la vie doit repren-
dre, où nous devons pouvoir avoir des des-
transformer l’humanité en inhumanité ? La
mort biologique prévaut-elle sur la mort
communautaire, sociétale, sur une privation
certaine de liberté et une disparition du libre
arbitre ? Notre société progressera et survi-
vra grâce à la prise de risque !
Refuser la prise de risque reviendrait à
condamner notre société, au mieux à l’im-
mobilisme, au pire à sa décadence. À la fin
du Moyen-Age, le continent européen était
en mauvaise posture, ravagé par plusieurs
épidémies (et oui, nos ancêtres ont connu
entre 1347 et 1352 cinq années de pandé-
mie de la peste noire qui a tuée entre 30%
et 50% de la population européenne..) et
plusieurs siècles de guerres. Malgré tout, de
grandes expéditions d’exploration décidè-
rent de naviguer vers l’inconnu et ont per-
mis à l’Europe de connaître une renaissance
artistique et culturelle, un âge d’or et un dé-
veloppement majeur.
L’innovation est systématiquement le pro-
duit d’une prise de risque, l’échec cuisant
peut en être le résultat, mais l’innovation
peut aussi produire de grandes avancées
technologiques, sociétales et humaines.
Plutôt que de vouloir supprimer tout risque
au nom d’une sécurité illusoire, peut-être
faudrait-il encourager la témérité et l’action,
Il n’est pas question de minimiser ou de nier
les risques sanitaires ou environnementaux
mais plutôt d’analyser sereinement et col-
lectivement les situations pour une prise de
risque mesurée et assumée. Le hasard, la
chance ou la malchance sont des phéno-
mènes naturels ayant existé depuis l’aube
de l’humanité, vouloir les supprimer ou les
obérer 83serait totalement utopique (et ir-
responsable). Il serait sans doute plus avisé
de tirer avantage des incertitudes et de l’in-
connu qui sont le lot commun de toutes les
périodes historiques pour les transformer en
opportunité de réussites collectives et de
progrès partagé.
Georges Bernanos ne disait-il pas « l’espé-
rance est un risque à courir » et René Char
« Impose ta chance, serre ton bonheur et va
vers ton risque. A te regarder, ils s'habitue-
ront. »
seins futurs et nous projeter vers l’avenir. De-
vrons-nous rester sur un choix binaire et
simpliste, écouter ceux qui crient le plus fort
dans les médias et sur les réseaux sociaux,
les ayatollah hygiénistes (ou écologistes
pour revenir à la 5G) contre les irresponsa-
bleségoïstesetindividualistes ?N’existerait-
il pas une voie médiane, un bon sens
collectif, profitants à toutes et tous ? Une
idée partagée par le plus grand nombre du
progrès et du bien commun ?
Vivreensociétécomportedes
risques(vivretoutsimplement
aussi)!
Notre statut de mortel n’est-il pas ce qui
donne tout son sel et toute sa beauté à la
vie ? Les philosophes se sont exprimés sur
le sujet depuis des temps immémoriaux.
Vladimir Jankélévitch écrit en 1963 dans
« L’aventure, l’ennui, le sérieux » que « La vie
est l'ensemble des chances qui nous sous-
traient journellement à la mort. » et Maurice
Maerterlinck en 1934 : « Que serait la vie s'il
n'y avait pas la mort ? Qui oserait la vivre ?
Car seule la peur, d'ailleurs absurde, de la
mort, nous aide à prolonger la vie jusqu'aux
déserts de la vieillesse. ». Science sans limite,
égalitarisme, risque zéro… La tentation de
l’homme-dieu revient sur le devant de la
scène avec le mouvement trans-huma-
niste qui promet d’en finir avec la mort :
l’homme en sera-t-il plus libre, sera-t-il plus
vivant, sera-t-il plus heureux parce que le
monde de demain sera celui du risque
zéro ? Hors du risque de mort, pas d’huma-
nité !
La situation actuelle nous fait courir un
autre risque: celui d’un effondrement de la
collectivité a moyen terme, faute de sens et
de projets partagés. Sans perspective ni
consensus social qui guident les choix, cette
société du risque zéro est l’illustration de
cette aseptisation bactériologique et so-
ciale qui se déploie dans la gestion de la
pandémie actuelle. Ne plus risquer, c’est une
illusion de consensus, mais c’est surtout
l’immobilisme et le début de la décadence.
On pourrait se réjouir de la prise de pouvoir
des experts dans la prise de décision des
politiques mais en réalité ils ne prennent en
compte que le risque sanitaire et nullement
le risque sociétal et humain. De surcroît,
cette parole d’expert est très pratique pour
occulter l’absence de consensus sur le ni-
veau de risque que nous serions prêts à ac-
cepter collectivement. Cet acharnement
hygiéniste, cette doxa du risque zéro per-
mettent certes de réduire le risque de mort
biologique ou virale, mais ne conduisent-ils
pas finalement à la possibilité mortifère de
«IMPOSETACHANCE,
SERRETONBONHEUR
ETVAVERSTON
RISQUE.ATE
REGARDER,ILS
S'HABITUERONT»