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LA PRESSE NOUVELLE
Magazine
Progressiste
Juif
PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de
racisme, ouvertes ou sournoises. PNM se prononce pour une paix juste au Moyen-Orient, sur la base du droit de l'Etat d'Israël à la sécurité, et sur la reconnaissance du droit à un Etat du peuple palestinien.
R N° 243 - FÉVIER 2007 - 25e A N NÉE
MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.
L e N° 5 , 5 0 €
Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide
Hommage
aux grands
poètes de la tradition
Yiddish
A vos agendas !
Assemblée Générale de l’UJRE
Samedi 24 mars à 15 h.
Verre de l’amitié à 17h.
et à Moshe
Schulstein
par le
Groupe Théâtral
Abi gezint
traduits par
Charles Dobzynski
lus - en français - par
qui interprètera
- en français puis en yiddish la suite de 10 poèmes
Kikh parad
(Parade de cuisine)
traduite par
Jacques Lerman
Serge Mairet
Samedi 10 mars à 15 h.
Mort de Papon
On apprend en dernière minute la mort, à 96 ans, de
Maurice Papon, condamné à 10 ans d'emprisonnement pour son
rôle dans la déportation de plusieurs centaines de Juifs de
Bordeaux. Nous y reviendrons, bien entendu, plus en détail.
Rappelons toutefois, avant qu'on ne l'oublie, la solidarité de caste
dont Papon a bénéficié tout au long de cette affaire : depuis ses
anciens “collègues” au sein du gouvernement Raymond Barre,
en passant par d'éminents résistants appartenant à sa propre
caste, puis à des hommes politiques socialistes brusquement sensibles à l'âge du criminel, voire aux divergences au sein même
des avocats des parties civiles.
Pour notre part, nous aurions préféré qu'on lui applique le châtiment biblique : Ymakh chemo vezikrono - Que son nom et son
souvenir soient à jamais effacés !
Verre de l’amitié à 18 h. (voir p. 7)
Balkans
A nouveau la tourmente
Histoire
Un faux qui a la vie dure
Société
Le grand air de la calomnie
Tauba Staroswiecki
L
es lecteurs de la PNM en se réunissant en
assemblée ce 3 février ont renoué avec une
excellente tradition. Cette réunion, ouverte par
Lucien Steinberg, directeur de la publication,
Marianne Wolff, présidente de RPJ, Roland Wlos,
Claudie Bassi-Lederman et Nicole Mokobodzki,
leur aura permis de nouer des liens directs avec
l’équipe de rédaction, de prolonger cette rencontre par un échange chaleureux, riche de suggestions, et de fêter ensemble le 25ème anniversaire
de la Presse Nouvelle.
Notre magazine perpétue ainsi l’héritage de la
“Naïe Presse”, née en 1934 quand des immigrés
d’Europe centrale et orientale, souvent nos proches, publièrent un quotidien en yiddish, animé par
une équipe de rédacteurs dont Mounia Nadler.
Clandestin pendant la guerre, Naïe Presse reprend
sa publication à la Libération, animé par Marceau
Vilner, Kenig, Jacobi Hirsch... et devient rapidement le journal yiddish le plus lu en Europe.
L’audience yiddi-shophone diminuant, sa “page en
français” assure l’évolution vers un journal de lan-
R. Joseph p.3
Paroles
p.3
Mémoire
J. George p.6
A. Spire p.8
L’hommage aux Justes de France
Jacques Rawine - Fondateur de l’UJRE
Culture -
André Schwartz-Bart - Roland Topor
H. Levart p.4
A. Rayski p.5
p.7
PNM - Pour un nouvel élan
gue française, la PNH (Presse Nouvelle
Hebdomadaire) dont la PNM assure la continuité.
Originalité : aussi présents, les lecteurs de la “Lettre
d'information” de Rencontre Progressiste Juive*
étaient invités à mieux connaître la “Presse
Nouvelle Magazine” traitant de thèmes proches
des leurs*.
Une Presse Nouvelle, en effet, de tous les combats
progressistes, qui soutint notamment après guerre
les avancées sociales conquises sur la base du programme du CNR**, qui lutte toujours résolument
contre les guerres coloniales, l’armement atomique, le racisme, l’antisémitisme, le négationnisme, la xénophobie, le repli communautaire, et la
droite qui veut revenir sur la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, banalise le discours
anti-immigrés, et dont le groupe extrême au parlement européen est plus que préoccupant !
Une Presse Nouvelle qui se prononce pour une
paix équitable au Proche Orient sur la base des
résolutions de l’ONU, qui mette fin à l’occupation, la spoliation, l’humiliation des territoires
occupés, et reconnaisse le droit du peuple palestinien à un Etat, sur la base du droit de l'état
d'Israël à la sécurité.
Une Presse Nouvelle ancrée à gauche, qui analyse
les inégalités d’où qu’elles viennent, contre l’argent-roi, la compétition, le libéralisme, pour la justice sociale et le respect humain.
Pour s’adresser et être au coeur du monde juif d’aujourd’hui, l’assemblée aura conclu à la nécessité
d’établir des liens plus étroits entre des lecteurs parrains du journal - et une rédaction bénévole
élargie, ouverte, qui développe les coopérations
avec les mouvements progressistes juifs du monde
entier.
Gageons que ce soit un nouvel élan pour la PNM ■
* Le bureau de RPJ a dû récemment décider l’arrêt de sa
publication, largement diffusée, face à ses difficultés croissantes à la faire paraître. RPJ, fondée en 1988, a contribué par
ses actions à l’établissement d’une paix juste au Proche
Orient, à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, le communautarisme et toute forme d’exclusion, et participé activement aux actions de mémoire.
** Conseil National de la Résistance
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Notre amie Paulette Kwater
a 100 ans !!!
Décès
Le Président du Secours Populaire Français
a le regret de vous faire part du décès de
Judith WINOGRADZKI, née WITTENBERG
survenu le 28 novembre 2006 à l'âge de 90 ans
Son incinération a eu lieu le 22 janvier 2007 à Egly (Essonne)
Scientifique et universitaire,
elle fut Professeur de Physique Théorique à la faculté de Rouen
Le Secours Populaire Français chargé d'exécuter ses décisions testamentaires
partage la peine de ceux qui l'ont connue et les invite,
s'ils le souhaitent, à lui adresser tous messages ou documents
qui permettraient d'en perpétuer la mémoire.
Secours Populaire Français
9/11 rue Froissart
75140 Paris cedex 03
01-44-78-21-40
A LA MÉMOIRE D’
A RMAND -A BRAHAM D IMET
AVOCAT HONORAIRE
Officier de l’Ordre national du Mérite
ancien secrétaire général
du mouvement des Cadets auprès de l’UJRE
décédé le 26 février 1997
Son épouse Madeleine, Josée
Ses enfants Yves et Jacques
Ses belles-filles Véronique et Sylvie
Ses petits-enfants Robin, Yoann, Colombe, Anouk et Juliette
Sa famille, ses amis
Le 3 Mars 1990 est décédé
C HARLES (C HAÏM ) G OLGEVIT
Dans l'inconsolable tristesse
nous rappelons sa mémoire
Son épouse Eva
ses enfants, petits-enfants
et toute la famille
Pour célébrer le yahrzeit de
JACQUES GROBER
chanteur et poète yiddish décédé le 26 mars 2006
une plaque à sa mémoire sera posée
à la synagogue du MJLF 11, rue Gaston de Caillavet
le 16 mars à 17h45
et une prière sera dite pour Jacques le 19 mars 2007
par le Rabbin Daniel Fahri
Rendez-vous au Cimetière Parisien de Bagneux,
entrée principale
le 19 mars 2007 à 12h30
de la part de la famille de Jacques
SOUSCRIPTION n°37
arrêtée au 15 février 2007
L
e docteur Serge Alperin et sa
famille sont heureux de pouvoir
féliciter Madame Paulette Kwater
pour son 100ème anniversaire, et lui
témoignent toute leur affection.
Je la remercie sincèrement pour les
messages de vie et de courage qu’elle
me transmet spontanément depuis plus
de 20 ans; en effet, malgré toutes les
épreuves difficiles qu’elle a traversées,
elle garde toujours une force de vie
exemplaire, avec une élégance et une
coquetterie remarquables.
Pour moi, c’est toujours un grand plaisir renouvelé de la visiter, et comme on
dit chez nous “bis under und zwanzig
your”.
N
sémitisme, fidèle lectrice de la
Presse Nouvelle Magazine, elle a tenu
à embrasser “l'animateur de PNM”,
Lucien Steinberg, venu la complimenter au nom de l’UJRE .
Se sont succédés pour la féliciter le
délégué de la municipalité du 19°
arrondissement, les représentants de
la FNDIRP et de l'ARAC ainsi que
Jean Vuillermoz, responsable du Pcf
pour le 19° arondissement
La belle chorale animée par notre
amie Jacinta a été chaleureusement
accueillie.
Rappelons le voeu traditonnel juif :
Bis under und zwanzig your - Ad mea
esrim chana - jusqu'à 120 ans.
Paulette Kwater est Chevalier de la
Légion d'Honneur.
PNM
otre amie PAULETTE KWATER est
devenue centenaire, née en
février 1907 dans sa lointaine
Pologne. Son anniversaire a été célébré dans la salle des fêtes de la Mairie
du 19° arrondissement de Paris, à l'invitation de la Munipalité du 19°, de
l'ANACR et de la FNDIRP de l'arrondissement.
Devant une salle comble, plusieurs
personnalités ont évoqué le rôle de
Paulette dans le mouvement progressiste juif d'avant 1939, puis sa participation à la Résistance qui lui a valu
d'être arrêtée par la police de Vichy,
avant d'être déportée à Auschwitz.
Cette femme s'est engagée dans le
noyau de juives résistantes, aux côtés,
en particulier, d’Eva Golgevit.
Libérée en mai 1945 et rapatriée sur
Paris, elle a repris ses activités politiques et sociales - entre autres à la
FNDIRP, l’ARAC et à l'UJRE.
Femme généreuse dévouée à la lutte
contre le nazisme, le racisme et l'anti-
Démarche
d’indemnisation
COMMUNIQUÉ
DU
CRIF
JUSQU’AU 31 MARS 2007
si vous, ou vos ascendants, avez
contracté une police d’assurance
avant ou pendant la seconde guerre
mondiale, et si vous relevez de l’une
des trois catégories ci-dessous, vous
êtes encouragés à adresser à la compagnie GENERALI une demande d’indemnisation, en leur adressant le formulaire à vous procurer :
- soit au CASIP-COJASOR - Service
pour les survivants de la shoah et les
ayants-droit (01 49 23 71 44)
- soit via Internet :
www.nazierainsurancesettlement.com
Catégories :
(1) vous-même ou certains de vos
ascendants avez, durant la période de
l’Holocauste, été victimes de la part
des nazis ou de leurs alliés
(2) entre 1920 et 1945, vous-même ou
certains de vos ascendants étiez assurés par Generali ou l’une de ses filiales, ou bénéficiaires d’une police
d’assurance émise par l’une ou l’autre d’entre elles
(3) la police était en vigueur avant les
persécutions;
et si :
(4) aucun paiement n’a été effectué,
au titre de la police, au bénéfice de
l’assuré ou du bénéficiaire.
Sincères félicitations.
Docteur Serge Alperin.
Courrier
des lecteurs
Henri Wilkowski Bonne année à toute
l'équipe et pleine réussite dans vos projets. Ma souscription de novembre 2006
ne figure pas dans la liste du n° 241. Estce un oubli ou est-ce prévu dans une prochaine parution ? Amicalement
Dont acte, c’est un oubli réparé dans ce
numéro, avec toutes nos excuses ! PNM
Informations publicitaires et
de soutien à la PNM
Contact journal mèl : ujre@wanadoo.fr
Tél 01 47 70 62 16 Fax 01 45 23 00 96
ECRIS,
PAPA, ÉCRIS
La souscription est
ouverte !
E l i e
Rozencwajg
naît pendant l’hiver
rigoureux de 1888
dans “un village de
près de cinquante foyers
du canton de Kielce en Pologne”.
Emigré
à
Bruxelles,
Elie
Rozencwajg rédige ses mémoires en
yiddish, de 1942 à la Libération.
Son manuscrit sauvegardé est édité
en 2006 à compte d’auteur pour un
usage familial. Devant l’intérêt que
suscitent ses mémoires, les Editions
de la Presse Nouvelle décident d’en
rééditer une édition complétée, traduite par Batia Baum. Vous pouvez
d’ores et déjà la réserver, en y souscrivant au tarif de pré-vente de 20 €
(tarif à parution fin 2007 : 25 €) Contact journal par mèl
ujre@wanadoo.fr ou Tél 01 47 70 62 16
ou Fax 01 45 23 00 96
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P.N.M. FÉVRIER 2007
Balkans
3
Iran
A nouveau la tourmente ?
Robert Joseph
L
e représentant de l'ONU,
Martti Ahtisaari devrait rendre son devoir sur l'avenir de
cette province serbe qu'est le
Kosovo, vers fin mars devant le
Conseil de sécurité de l'ONU. Quelle
que soit la conclusion, la tourmente
risque de souffler fort sur les
Balkans.
Le 24 mars, ce sera le septième anniversaire du pied-de-nez de l'OTAN à
l'ONU : sans l'avis de l'organisation
mondiale, l'Alliance atlantique mettait son aviation au service
d'Albanais du Kosovo, les rebellesindépendantistes de l'UCK, et bombardait la Serbie.
Depuis 1999, les dirigeants occidentaux ont eu sept années pour préparer l'avenir, tenter de réduire les
conflits interethniques et stabiliser la
région. Sept ans pour éviter de s'empêtrer une nouvelle fois dans une
situation absurde et pleine de dangers. Après avoir chaudement
congratulé les leaders Albanais,
aujourd'hui dépassés semble-t-il
(l'Américaine Madeleine Albright
les embrassant et le Français
Bernard Kouchner leur donnant l'accolade), ils les ont laissés développer misère, maffias et corruption.
Le plan Ahtisaari prévoit l'indépendance du Kosovo.
Reconnaître à la province le droit
d'adhérer aux institutions internationales et de signer des accords internationaux, lui octroie un statut d'Etat
indépendant.
L'hypocrisie affichée ne change rien
au fond.
A Belgrade, le nouveau parlement
qui ne se différencie guère du précédent, a réaffirmé l'attitude largement
consensuelle consistant à rejeter
toute indépendance du Kosovo. On
demande l'application des règles
internationales et des résolutions de
l'ONU prévoyant une “autonomie
substantielle” pour la province et,
pour la république, la souveraineté et
l'intégrité territoriale.
Pendant la campagne électorale, un
seul leader politique, Cedomir
Jovanovic du Parti libéral démocratique, a déclaré admettre l'indépendance du Kosovo, et a recueilli 5,3%
des suffrages. Par son refus, la Serbie
se voit accusée d'être toujours la
“source d'instabilité” des Balkans.
La stabilisation du Kosovo est, en
2007, une “priorité de la diplomatie
européenne” assure l'inénarrable
Javier Solana de passage à
Belgrade. Les Occidentaux ne
savent plus comment se sortir de
cette mauvaise passe. Ils multiplient
les pressions sur la Serbie pour que
ses dirigeants donnent le feu vert à
leur projet. Certains parlent même d'
“oublier” l'arrestation du général
Mladic, la cause de sanctions depuis
une année.
Leur opération soulève de vives
inquiétudes. Des milliers de Serbes
du Kosovo manifestaient le 9 février
contre le plan à Kosovska-Mitrovica.
Le gouvernement de Pristina s'indigne de l'aide secrète de Belgrade à
des groupes armés, et a renforcé ses
effectifs policiers dans le nord, à la
limite de la Serbie, pour empêcher
que les Serbes n'en fassent une
région autonome.
Le lendemain, le 10 février, des
milliers d'Albanais, à Pristina la
capitale, criaient aussi leur opposition à ce plan, dénonçaient leurs dirigeants albanais qui négocient, et
l'administration de l'ONU (la
Minuk). Ils répondaient à l'appel de
l'organisation
“Vetëvendosja”
(Autodétermination) qui exige l'indépendance immédiate.
La répression, par des forces albanaises aidées de policiers roumains
de l'ONU, a fait deux morts, très vite
honorés au cours de nombreuses
veillées funèbres, et le ministre de
l'Intérieur a dû démissionner.
Réputés pour leur inefficacité dans
les fonctions dont ils ont la charge,
les dirigeants Albanais ont laissé le
pays sombrer dans la misère, malgré
les milliards apportés par l'Occident.
Ils ont misé sur l'indépendance
comme solution miracle et maintenant ils craignent une vaste révolte
sociale. Ils disent “oui” au plan, tout
en sachant qu'ils resteront sous tutelle administrative, financière et militaire, et que la dite décentralisation
pour assurer le caractère “multiethnique”, avec un découpage envisagé
pour des “communes autonomes serbes”, va soulever de douloureuses
questions.
L'opposition albanaise à ce projet
enfle, dénonçant la misère et la corruption; de nouvelles formations
clandestines apparaissent comme l'
“Armée nationale albanaise” dont
des dépôts d'armes ont été saisis et
des responsables arrêtés jusque dans
les sphères du gouvernement.
Le vieux leader Adem Demaci, militant pour l'indépendance du Kosovo
depuis les années soixante, après
avoir soutenu l'UCK, apporte son
soutien à cette nouvelle rébellion.
Nul ne peut prévoir jusqu'où peut
résonner l'onde de choc de la politique occidentale. En Serbie même,
l'indépendance du Kosovo ne va-t-
elle pas renforcer des idées de scission
émises en Voïvodine, autre région
autonome ? Comment vont réagir les
Albanais de la Serbie du Sud, proches
voisins très attentifs du Kosovo, déjà
en froid avec Belgrade ? Pourquoi ne
lui seraient-ils pas rattachés ?
Si la province peut être séparée de la
Serbie, pourquoi la Republika srpska
ne pourrait-elle l'être de la BosnieHerzégovine, montrant ainsi le chemin à l'autonomiste croate de cet
Etat ? Au Monténégro où Serbes et
Albanais sont en nombre, un vif
débat est ouvert. Le premier ministre
kosovar, l'ex-général rebelle Agim
Ceku, y a été reçu officiellement. La
tendance serait favorable à l'indépendance du Kosovo mais il y a de
vives oppositions.
En Macédoine, fin janvier, les partis
albanais ont retiré leurs députés du
parlement, élu l'été dernier, pour entrer en opposition. La population
albanaise, le quart des deux millions
d'habitants, s'interroge : pourquoi ne
pourrait-elle pas être rattachée au
Kosovo ? Autre inquiétude pour les
autorités, voir des groupes du
Kosovo établir des bases en
Macédoine et l'entrainer dans la
guerre, comme l'UCK en 2001.
Bien d'autres minorités nationales,
en Europe, pourraient revendiquer
les mêmes droits que les Albanais du
Kosovo, aggravant l'instabilité dans
divers pays. Et Moscou attire l'attention sur les conséquences que pourrait avoir la solution préconisée, sur
des Etats du Caucase.
Pour sa part, la Russie qui risque d'être confrontée au même phénomène,
assure jusque-là, ne soutenir aucune
solution sur le Kosovo qui ne serait
pas acceptée par les Serbes et les
Albanais. Cela risque de prendre du
temps si les Occidentaux ne remettent
pas un peu d'ordre, mais qui peut se
plaindre de la durée des négociations si
elles permettent d'éviter des drames ?
A l'évidence, lorsque les dirigeants
occidentaux prennent leurs propres
résolutions à contre-pied pour créer
de “nouveaux droits”, comme ils le
font dans les Balkans depuis 1991,
les populations concernées savent
qu'elles auront à en souffrir. Pour le
moment, les dirigeants occidentaux
pourraient mettre le plan Ahtisaari
entre parenthèses, faire très vite le
nécessaire pour que les populations
retrouvent quelques perspectives
économiques dégagées du crime
organisé et de la corruption, et faire
preuve de fermeté à l'égard des dirigeants albanais. Leur laisser-aller au
Kosovo à assez fait de dégâts. ■
Brèves
L
ors d'un grand meeting à Paris, le
Crif (Comité Représentatif des
Institutions Juives de France) a dénoncé ce 13 février la politique et les
risques entraînés par les prises de position du Président de l'Iran, Mahmoud
Ahmadinejad. Les menaces de ce personnage à l'encontre de l'Etat d'Israël,
jointes aux efforts iraniens de se doter
de la production d'énergie atomique
font courir des menaces au monde
entier, ont dénoncé la quasi-totalité
des candidats aux élections de la
Présidence de la République. La salle
de la Mutualité, quasi comble, a
accueilli positivement leurs interventions. Il y eut, néanmoins, un incident
fâcheux. Madame Nicole Borvo
Cohen-Séat, Présidente du groupe
communiste, républicain et citoyen au
Sénat, qui représentait la candidate
Marie-George Buffet au meeting du
Crif, tout en condamnant sévèrement
“les actes, déclarations antisémites ...
et discours atterrants du Président
Ahmadinejad”, a rappelé les droits du
peuple palestinien. Une grande partie
de la salle, manquant de courtoisie, a
alors interrompu l'orateur par des sifflets mal venus. Il y eut, cependant,
quelques applaudissements. Madame
Borvo s'est retirée, après avoir reçu les
excuses du Président Cukierman.
PNM regrette qu’elle n’ait pu ainsi
aborder le respect du Traité de non-prolifération de l’arme atomique [voir sur le
site Internet de l’UJRE son allocution transmise par Pascal Lederer d’UAVJ].
Paroles
L ES
FEMMES
À L’ ARRIÈRE
S
aviez-vous que la compagnie
d'autobus EGGED, principal
transporteur de passagers en
Israël, a décidé de créer des places
“réservées aux femmes”, à l'arrière
des lignes traversant des zones
“religieuses” ?
C'est pourtant le cas. Et si une femme
ose s'asseoir au-devant de l'autobus, de
“vrais croyants” le lui font sentir, par
des injures et même des voies de fait.
Les chauffeurs ont pour consigne de
ne pas intervenir. Ces incidents ne
sont pas rares, loin de là.
Il me souvient qu'il y a trente ans
environ, une femme de couleur avait
pris place à l'avant d'un autocar, dans
la ville de Selma, aux Etats-Unis.
Elle ne s'est pas laissée intimider.
Il s'en est suivi un mouvement de
masse, qui a abouti à l'interdiction de
ces discriminations.
Les israéliennes, quelle que soit la
couleur de leur peau, vont-elles
accepter encore longtemps ces discriminations ?
Un autobus est un moyen de transport
public, ce n'est pas une synagogue, où
les dames doivent s'asseoir dans la
galerie, ou à l'arrière !
Dalia Maayan
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4
Mémoire
Les débats de l’UJRE
Samedi 21 octobre 2006
Les élites françaises dans les années 1930
A
nnie Lacroix-Riz nous a fait
l'amitié de venir présenter, au
14 rue de Paradis, son dernier
livre: "Le choix de la défaite". Les
lecteurs de la PNM la connaissent
bien : leur journal a été l’un des
rares à appeler à signer une pétition en faveur de cette historienne
harcelée
par
un
groupe
d'Ukrainiens. Faut-il rappeler que
l'Ukraine a émis, en 2004, un timbre à l'effigie de son “héros”, le
pogromiste: Petlioura ?
Preuves à l'appui, cette chercheuse a démonté, c'est en quoi elle
gêne, la "filière française" du
Zyklon B. Elle a dirigé, entre autres, le travail de maîtrise
d'Alexandre Doulut, prix Marcel
Paul en 2003, pour La spoliation
des biens juifs en Lot-et-Garonne
(1941-1944).
Elle se bat pour l'indépendance de
la recherche, notamment historique, puisqu'elle est historienne.
Elle publie. Honneur aux éditeurs
qui en prennent le risque ! Si vous
êtes à court de temps, commencez
par “L'histoire française sous
influence”. Et faites connaître ce
petit livre sympathique. Simone
Veil disait, lors du cinquantième
anniversaire de la libération du
camp d’Auschwitz que “la prévention, c’est l’enseignement”.
"Le choix de la défaite" démontre
(oui, je sais, c'est une manie :
ALR trouve et produit des preuves) comment le capital français ce qu'on appelait autrefois le
Comité des Forges, les 200
familles - a sciemment choisi et
organisé la défaite de juin 40.
Rien de bien neuf pour ceux qui
se rappellent le slogan: "Plutôt
Hitler que le Front populaire".
Au lieu de résumer son livre, elle
nous a retracé, encore émerveillée, les étapes des cinq années
de travail dont il est l’aboutissement. Curiosité. Découvertes. Le
plaisir est vif qu'elle a pris à
étayer une thèse, dont j’ose à
peine dire qu’elle illustre la formule de Marx: “Le capital n'a
pas de patrie”. ■
NM
A
nnie Lacroix-Riz s ai t à
bon escient émailler
so n p ro p o s d e ci t at i o n s . . .
Celle
de
Lady
Vi o l e t
Milner, rédactrice de la
National
Review
de
Lo n d res , q u i rap p o rt ai t l e 2
janv i er 1 9 3 9 * d es co n v ers ations parisiennes, illustre
on n e p eu t m i eu x l a t h ès e
du “C h o i x d e l a d éf a i t e”.
Ju g ez-en p l u t ô t :
“Les gens riches que j’ai eu
l ’ o c c a s i o n d e re n c o n t re r
[NDLR: à Paris] se sont
p re s q u e t o u s r é j o u i s d e
l’acco rd d e M u n i ch.
Po u r eu x l ’en n emi es t l e j u i f
et “son allié” le Russe...
Les Français de la bonne
société que j’ai entendus
m’ o n t d i t q u e t o u s ceu x q u i
é t a i e n t “ c o n t re M u n i c h ”
éta i en t p a yés p a r l es j u i f s . . .
Be a u co u p d e g en s p r éf érerai en t vo i r Hitler ven i r en
F r a n c e p o u r “ re s t a u re r ”
l ’ o rd re q u e d e l a i s s e r l e s
ch o s es en l ’ét a t . C es g en s
de l a b o n n e s o ci ét é ét a i en t
tou s co n t re l a g u er re a vec
l ’ A l l e m a g n e e t s e p ro n o n çaient en faveur de toute
concession pour l’éviter.
M o n i m p re s s i o n d o m i n a n t e
est qu’est en train de se forme r en E u ro p e u n e n o u vel l e
“ i n t er n a t i o n a l e” – cel l e d es
riches, car j’ai entendu
exactement les mêmes arguments à Paris qu’à Londres,
prô n a n t d e d o n n er ce q u ’i l
ve u t à Hitler, dans l’intérêt
de l a p a i x “ ca r Hitler représente l’ordre”.
La différence entre Paris et
Lon d res co n s i s t e en ce q u e
Paris s’exprime avec une
plu s g r a n d e véh émen ce. ” ■
TRS
* Lady Violet Milner
Compte rendu de conversations
à
Paris,
2 janvier 1939, C792/15/18,
NAUK FO 371 22961
L'hommage aux Justes de France
Les exclus de la mémoire
Henri Levart
L
a cérémonie du Panthéon présidée par le chef de l'Etat a été
relayée par l'ensemble des
médias. Que la nation honore ces gens
de cœur, je m'en réjouis. Au péril de
leurs vies, ils ont soustrait des milliers
de juifs de la déportation. J'ai moimême eu la vie sauve grâce à un brave
curé berrichon et je me souviens des
jeunes israélites et des enfants de résistants hébergés dans son presbytère. Il
m'est néanmoins difficile de ne pas
éprouver un certain malaise. D'autant
plus avivé à la lecture d'un quotidien de
province relatant l'héroïsme d'une montalbanaise, Marie-Rose Gineste, qui
recopia au carbone la lettre pastorale de
son évêque, Mgr. Theas, invitant ses
fidèles à faire preuve d'humanité. Puis,
enfourchant sa bicyclette, elle alla distribuer la recommandation dans toutes
les paroisses du département. De tels
actes de solidarité permirent à bon
nombre de nos compatriotes d'échapper
à la mort. L'éloge de leurs auteurs est
amplement justifié.
Par contre, dans ce déluge de superlatifs, aucune chronique de presse n'a
loué ces foyers modestes qui ont
accueilli des parachutistes, des déserteurs de la Wermacht, des prisonniers
soviétiques évadés, des républicains
espagnols, des réfractaires du STO.
Aucun n'a salué les mérites d'un
homme d'exception : notre ancien président Charles Lederman. Il a pourtant
joué un rôle déterminant dans le sauvetage des enfants. PNM, dans le numéro
de décembre 2006, relate son action.
Relevons simplement ce fait historique.
Après une rencontre avec un jésuite, le
père de Lubac, il put en été 1942 décrire à Mgr. Saliège, archevêque de
Toulouse, les sévices subis par les juifs
en France. A la suite de cet entretien, le
prélat publia une lettre pastorale lue
dans les églises du diocèse. Puis l'évêque de Montauban en fit de même.
La nonciature fut amenée à informer le
Vatican que des militants communistes
distribuaient des tracts reproduisant ces
prêches.
Mais qui le saura aujourd'hui ?
L'étrange amnésie s'étend à la
Résistance même. J'ai sous les yeux un
recueil édité en 1950 par le Centre de
documentation de l'UJRE : “La presse
antiraciste sous l'occupation hitlérienne”. On peut y prendre connaissance
des textes d'une centaine de journaux et
tracts des différentes régions du pays
émanant de l'UJRE, des femmes et jeunes juifs résistants, du Mouvement
national contre le racisme (qui donna
naissance au MRAP), dénonçant les
persécutions, exhortant à la lutte, y
compris armée. L'ouvrage publie des
appels du Parti communiste français
fustigeant les mesures antisémites prises par Vichy ; stigmatisant les crimes
des envahisseurs et de la milice ; reprenant les adresses des deux dignitaires
catholiques et celles des institutions
protestantes ; révélant la vérité sur le
camp de Drancy et l'existence de
chambres à gaz ; signalant l'ignominie
du procès du groupe Manouchian et
faisant état, pour la première fois, de la
fameuse Affiche rouge.
Dans son message au récent colloque
sur la Résistance juive, Marie-George
Buffet a rappelé, entre autres, qu'au tout
début de la présence des troupes allemandes sur notre sol, le Comité central
du PCF, en pleine clandestinité, prit l'initiative d'une brochure argumentée
réfutant les thèses racistes de Goebbels;
qu'il s'adressa au Conseil National de la
Résistance afin de le presser d'intensifier sa riposte aux campagnes xénophobes des pétainistes. Mais qui le saura
aujourd'hui ? Silence et bouche cousue
! Par ce déni de mémoire, il faut cacher
aux générations montantes le souvenir
d'une générosité accomplie dans les
pires conditions de la traque menée par
la Gestapo et ses sbires collaborationnistes.
Ne sommes-nous pas en droit de nous
poser certaines questions ? Est-il raisonnable de glorifier les Justes et de se
mettre au service d'un homme clamant
sa volonté de nettoyer nos banlieues au
Karcher, de se ranger à ses côtés alors
que se multiplie l'expulsion des sanspapiers ?
Est-il raisonnable de glorifier les Justes
et de s'acharner à poursuivre la SNCF,
jetant ainsi l'opprobre sur le patriotisme
des cheminots ?
Est-il raisonnable de glorifier les Justes
sans mener la lutte contre les humiliations, la famine et les maladies dont
sont victimes des populations entières ?
Levinas, le vieux sage aux idées neuves
n'a pas craint de s'exprimer ainsi : “Les
Justes avant tous les autres sont
responsables du mal. Ils le sont de ne
pas avoir été assez justes pour faire
rayonner leur justice et supprimer l'injustice. C'est le fiasco des meilleurs qui
laisse le champ libre aux pires”.
Fidèles au message universel des Justes
de France, nous identifiant à leurs
valeurs humanistes, à l'espérance d'une
société meilleure, agissons pour la
défense des opprimés, travaillons à l'avènement d'un monde fraternel. ■
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P.N.M. FÉVRIER 2007
Mémoire
5
Jacques RAWINE - fondateur de l’UJRE
Adam Rayski
En brossant le panorama de la résistance juive, à l’ouverture du Colloque “Les juifs ont résisté en France” du 15 décembre 2006 à l’Hôtel de Ville de Paris,
Lucien Steinberg, Président de l’UJRE, évoquait le rôle de Jacques Rawine (voir encadré) dans les tentatives d’unification de la résistance juive. Nous revenons sur cette figure, importante pour l’UJRE, de la M.O.I. Pour ce faire, remercions Adam Rayski, responsable des organisations juives de la M.O.I. et de leur presse, de 1940 à 1944, d’avoir
choisi pour les lecteurs de PNM, de larges extraits de son ouvrage : “Le choix des juifs sous Vichy - entre soumission et résistance” *.
L
a “section juive” de la M.O.I.
cse réorganise
Au cours d’une réunion de la direction
nationale de la “section juive”, le 21
mai 1943, à Paris**, il a été décidé, à
l’initiative de Jacques Rawine, responsable de la zone Sud, de regrouper
dans une seule organisation les différentes branches de la “section juive”
telles que Solidarité, Union des
Femmes, groupes syndicaux de la
CGT notamment. La nouvelle organisation s’appellera “Union des Juifs
pour la Résistance et l’Entraide”
(UJRE).
L’aspect politique de cette restructuration est de loin le plus important. A
Lyon et à Grenoble, se nouaient déjà
les premiers contacts avec les autres
courants politiques, sionistes et socialistes (Bund), groupés autour de la
FSJF [NDLR: Fédération des Sociétés
Juives de France créée en 1936], avec pour
objectif de reconstituer l’unité du
judaïsme de l’Europe de l’Est. [Cette
fracture s’était ensuite aggravée du fait de la
séparation géographique : les courants non
communistes s’étaient regroupés en “zone
libre”, les communistes étant restés à Paris].
En y reprenant leur place, sous la forme
d’une organisation juive et pratiquement autonome, les communistes
visaient à normaliser leur situation par
rapport aux autres groupements. Mais,
plus au fond, la création de l’UJRE traduisait une volonté - et sa déclaration
de principe l’atteste - de devenir un lieu
de rassemblement de tous les hommes
et femmes entrant dans la Résistance
sans autre mobile idéologique. Elle
souligne avec force l’unité de destin de
tous les Juifs car “aucune distinction
n’est faite... français ou étrangers,
ouvriers, bourgeois, sionistes ou communistes, athées ou croyants, ils ne
sont que des Juifs tout court”, c’est-àdire tous des gens condamnés à l’extermination.
Depuis la descente des hommes de
Barbie dans les locaux de la FSJF en
février 1943, la tendance dans ce
milieu à passer dans la clandestinité
s’est accentuée. Jacques Rawine
obtient le feu vert de Paris pour approcher les hommes de la FSJF. Il prend
contact avec Faïvel Schrager, dirigeant
du Bund qu’il connaissait du temps où
celui-ci, militant communiste, était l’un
des dirigeants les plus en vue des organisations juives de la M.O.I.
[F.Schrager avait rompu avec le PC à
l’été 1938 et avait adhéré au Bund].
Les premières propositions communistes d’un pacte d’unité reçoivent une
réponse négative et unanime de la part
de tous les membres du Comité de
coordination constitué autour de la
FSJF. L’attitude se modifia au début de
l’été 1943. Dans ses mémoires***,
F.Schrager attribue au soulèvement
du ghetto de Varsovie un rôle déterminant pour l’unification du judaïsme immigré.
Les négociations reprennent : l’UJRE y
est représentée par Jacques Rawine et
Adamicz; le Comité de coordination,
par son secrétaire général, Léo
Glaeser; Faïvel Schrager, Joseph
Fridman pour la gauche sioniste, et
Ruwen Grinberg, président de la FSJF,
après le départ de Marc Jarblum en
Suisse. L’accord se fait, début juin, sur
un “programme d’union” autour de
trois objectifs:
- organiser la défense de la population
juive
- assurer une aide matérielle aux nécessiteux
- établir des relations avec les forces
résistantes du pays contre l’ennemi
commun.
groupes de combat, qui compteront un mois
après leur création près d’une centaine de
membres, [figurent] : Charles Krzentowski,
Albert Goldman, Georges Goutchat, Léon
Habif, Maurice Benadon, Charles Jacobson,
Léon Centner, Kutas, pour n’en citer que
quelques-uns, des hommes venus d’horizons
les plus divers et, la plupart, apolitiques].
Le Comité de coordination s’appellera
désormais Comité Général de Défense
[CGD] et se réunira soit à Grenoble
soit à Lyon. [Le communiqué est publié et
[Témoignage de Fernand Kohn, octobre
1991].
commenté dans les numéros de Unzer Wort
du 15 août et de septembre 1943, ainsi que
dans Notre Voix du 1er septembre. Le CGD
éditera son propre journal en yiddich, Unzer
Kampf (“Notre combat”), qui sera suivi de
nombreuses autres publications, pour la plupart en français].
Par la constitution de comités départementaux dans des villes comme Lyon,
Toulouse, Marseille et Nice, le CGD
peut, malgré la clandestinité, se rapprocher de la “base” et atténuer, dans la
mesure du possible, les conséquences
de la dispersion et de l’émiettement de
la population juive immigrée.
La fondation du CGD est signalée par
le préfet du Rhône, disant qu’il est surtout composé de Juifs polonais, hongrois, etc., réfugiés en France, d’opinions diverses, unis par la volonté de
défendre leurs droits. Le préfet précise
que cela s’était produit à l’initiative des
communistes après de nombreuses difficultés [AN, F. IA-3754, note n°4054,
s.d.].
[...]
D
’où est venue l’idée de créer, en
été 1943, des groupes de combat
auprès de l’UJRE ?
Le responsable pour la zone Sud,
Jacques Rawine, l’explique par la forte
demande, parmi les jeunes, d’engagement dans l’action directe [A la tête des
Or, si les détachements FTP-MOI
étaient déjà aguerris depuis plus d’un
an, un temps de préparation s’est révélé nécessaire pour les nouvelles
recrues. Ils le feront dans les groupes
de combat qui auront des objectifs
moins militaires, encore qu’il leur sera
parfois demandé de prêter leur
concours aux FTP. Il est néanmoins
probable que l’initiative de création
des groupes de combat visait également à doter l’UJRE d’une branche de
lutte armée sous son contrôle direct :
“Entrer dans un groupe de combat
n’était pas seulement l’expression de
notre douleur et notre colère mais nous
offrait la possibilité de retrouver une
famille pour ne pas être condamnés à
une solitude insupportable”.
De la liste de leurs innombrables
actions, mentionnons celle de l’exécution, à Lyon, du chef milicien et ancien
directeur régional du Commissariat
aux questions juives, Carrel-Bellard
(mai 1944) ; une action de sauvetage
de six enfants juifs qui étaient sous la
garde de l’UGIF à l’hôpital de
l’Antiquaille (juin 1944). En janvier
1944, un détachement armé a pénétré
dans les bureaux de l’UGIF, situés
Montée des Carmélites. ■
* Adam Rayski Le choix des juifs sous Vichy
entre soumission et résistance, préface de
François Bédarida, Paris, Ed. La Découverte,
1992, 391 p.
** Il ressort d’un rapport de la brigade spéciale de la Préfecture de police que ses
inspecteurs ont “filé” jusqu’au lieu de la
réunion, au 32 rue Guyot (aujourd’hui rue
Médéric), Edouard Kowalski, Jacques
Rawine, Idel Barszczewski, Teshka
Tenenbaum Forszteter et Adam Rayski.
Respectant les règles techniques de filature
auxquelles il ne peut être mis fin sans décision supérieure, les policiers ne sont pas
intervenus (Archives nationales Z6
196/2427: aussi dans Stéphane Courtois,
Denis Peschanski et Adam Rayski, Le sang
de l’étranger, Fayard, Paris, 1989, p. 251).
*** F.Schrager, Un militant juif, préface de
D.Mayer, Paris, Les Editions Polyglottes,
1979, pp.130-138]
REPERES
Jacques Rawine:
In gerangl kegn nazischn sojne,
Paris, Ed. Oyfsnay, 1970
La Résistance organisée des
Juifs en France (1940-1944),
préface de Vladimir Pozner,
Paris, Ed. Julliard, 1973, 316 p.
TÉMOIGNAGE
J
'ai fait la connaissance de
Jacques Rawine en 1970, lors de
la parution de mon propre livre “La
révolte des justes”.
L'UJRE avait organisé une soirée
de présentation de mon livre, soirée
à laquelle Jacques Rawine participait. Je ne me souviens pas de la
date exacte - fin 1970 sans doute mais je me souviens de la salle, rue
Yves Toudic.
Jacques a relevé quelques insuffisances dans ma présentation des
communistes juifs, actifs à
Grenoble.
Il s'attendait manifestement à des
objections de ma part. Il n'y en a pas
eu - j'ai admis qu'il avait raison ! Du
coup, il n'y eut pas de polémique !
Je pense toujours qu'il aurait préféré la contradiction.
Nous sommes restés bons amis jusqu'à sa disparition.
Lucien Steinberg
LA PRESSE NOUVELLE
Magazine Progressiste Juif
édité par l’U.J.R.E.
Comité de rédaction :
Lucien Steinberg, Jacques Dimet,
Bernard Frédérick,
Nicole Mokobodzki,
Tauba-Raymonde Staroswiecki
Roland Wlos
N° paritaire 64825
(en cours de renouvellement)
C.C.P. Paris 5 701 33 R
Directeur de la Publication :
Lucien STEINBERG
Rédaction - Administration :
14, rue de Paradis
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Tel. : 01 47 70 62 16
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C
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L
T
U
R
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6C
mars à 18 h - Elisabeth de
Fontenay avec ANIMA & CIE
André Schwarz-Bart
ELAN COMME UN NOM
SHIBBOLETH
Monique Kreps
J
e ne puis m'empêcher de penser qu'Ernie Levy, mort six
millions de fois est encore
vivant, quelque part, je ne sais où.
Ainsi se termine Le dernier des justes, livre pour
lequel André SchwarzBart reçut le prix
Goncourt en 1959.
L'écrivain est mort fin
septembre à Pointe-àPitre et a été enterré en
Guadeloupe.
Ainsi près de cinquante ans se sont
écoulés depuis la publication de ce
livre qui en quelques semaines
connut un écho inouï en France et
dans le monde (Pologne, Allemagne,
Tchécoslovaquie, URSS, Israël où il
fut traduit en yiddish).
Le livre retrace la persécution
d'une famille juive de justes, du
temps des croisades jusqu'au génocide de la seconde guerre, avec des
témoignages bouleversants des rescapés des camps. Salué comme un
chef-d'œuvre par la critique, marquant un jalon essentiel dans l'établissement d'une “mémoire de la
Shoah”, aujourd'hui, les jeunes
générations connaissent à peine
son nom et les adolescents d'aprèsguerre se souviennent de lui
comme de l'homme d'un seul livre.
Les temps sont sans doute mûrs
pour une relecture de cet ouvrage
exceptionnel
comme
l'était
d'ailleurs son auteur*.
André Schwarz-Bart, issu d'une
famille polonaise de langue yiddish, naît le 23 mai 1928 à Metz.
Son père avait commencé des études pour être rabbin puis avait
exercé le métier de marchand
forain. En 1941, la famille trouve
refuge près d'Angoulême. Ses
parents et deux de ses frères y sont
arrêtés fin 1942 et disparaissent à
Auschwitz. Il apprend alors le
métier d'ajusteur à Sillac, puis
s'engage dans la Résistance. Après
la guerre, il découvre l'ethnologie
et la philosophie après sa journée
d'ajusteur. Il est aussi moniteur à la
maison d’enfants de Montmorency** où il souhaite révéler aux
jeunes orphelins l'éminente dignité
du peuple juif, à qui il souhaite
offrir l'hommage d'un roman en
guise d'oraison funèbre. Une bourse d'ancien combattant lui permet
d'obtenir son bac en 1948 et de
s'inscrire à la Sorbonne. Membre
des Jeunesses communistes jusqu'en 1951, Schwarz-Bart s'est
engagé très tôt pour la défense du
peuple juif mais aussi pour les
droits de l'homme.
Âgé à l'époque de 31 ans, il n'est
pas préparé à ce succès et doit faire
face à des réserves de certains chrétiens, et même de juifs, résistants et
communistes, qui rejettent la
conception de son héros considéré
trop fataliste. Si les accusations
portées contre lui sont vite invalidées, et s'il reçoit le soutien de personnalités, notamment du communiste Pierre Daix, blessé il préfère
fuir cette notoriété subite. On le
retrouve en Guadeloupe où il se
marie avec Simone, une jeune étudiante guadeloupéenne avec qui il
écrira La mulâtresse Solitude et
dont il aura un fils Jacques, aujourd'hui célèbre jazzman, alliant la
musique gwoka de la Guadeloupe et
le jazz. Son père avait choisi délibérément de partager l'existence du peuple noir et mulâtre, son expérience de
la persécution l'ayant ouvert à celles
des esclaves noirs déportés d'Afrique. ■
10 ans déjà...
* André Schwartz-bart,
Le dernier des Justes
Coll. Points - n°217 - 7,50€
Un plat de porc aux bananes vertes
(avec Simone Schwarz-Bart)
Coll. Points - n°P314
La mulâtresse Solitude
Coll.Points, p. 302
Hommage à la femme noire
(essai: 6 tomes, avec S. Schwarz-Bart)
Éd. Consulaires, 1989
** Ce foyer de Renouveau, mouvement né
dans la mouvance progressiste du
Mouvement national contre le racisme
(MNCR), accueille tout “enfant inadapté”, soit à l’époque des enfants de déportés juifs. “Madame François” (Claude
François Unger), résistante, écrivain et
pédagogue hors du commun saura y
insuffler l’esprit des Républiques d’enfants chères à Janusz Korczak.
En savoir plus :
Francine Kaufmann : Les enjeux de la
polémique autour du premier best-seller
français de la littérature de la Shoah,
Revue d'Histoire de la Shoah, n°176, 0912/2002
à propos du livre
LE SCHIBBOLETH pour
Paul Celan de J. Derrida
monotypes et lithographies
de MICHÈLE KATZ
Conférence et projection commentée de
ses œuvres à l’Espace Reuilly - 21 rue
Hénard Paris 12° (Métro Montgallet) Verre de l’amitié - P.A.F : 10 €
6
mars à 19 h - Guy Konopnicki
dédicacera son livre
LES CAHIERS DE PRAGUE
à l’UEVACJEA - 26 rue du Renard Paris 4°
(Métro Rambutteau) - 01 42 77 73 32
8
mars de 18 h 30 à 20 h 30,
Conférence de Batia Baum
La poésie Yiddish de la destruction
(Katznelson et Sutzkever) au Collège
international de Philosophie dans
le cadre d'un séminaire sur le
témoignagne à l’ Amphi Stourdzé,
Carré
des
Sciences
1 rue Descartes, Paris 5° - Entrée au 25, rue
de la Mtgne Ste Geneviève M° Cardinal
Lemoine ou Maubert Mutualité ou RER B
Luxembourg
9
mars à 16 h, l’UJRE vous invite à
Roland Topor
R
oland Topor nous quitte en
avril 1997 à 59 ans. Parmi
son oeuvre foisonnante, le
Centre Rachi nous présente un choix
d’oeuvres gravées provenant de la
collection particulière de l’Atelier de
gravure Clot avec lequel Topor avait
noué de solides liens d’amitié (voir
cité
du
m o n d e .
“Beaucoup
de Français
sont
des
Allemands
qui parlent
français …”
dans l’Agenda ci-contre, le vernissage de
cette exposition, le 13 mars).
A la Libération,
l'école, puis
les
BeauxArts, et les
premiers suc- Roland Topor (1938-1997)
cès. Travail,
fêtes, amitiés, amours, ce farouche
libertaire n'obéit qu'à une seule règle :
le plaisir. Sternberg, Pauvert,
Losfeld, Panique, Derrida, HaraKiri… Topor travaille avec tous,
mais refusera toujours de se laisser
enfermer dans une image. Tous les
excès sont permis. La gloire ne
contrariera pas sa bonne humeur et
sa créativité. Hélas, elle n'apaisera
jamais son angoisse de la mort. Car
c'est bien d'elle dont il s'agit chaque
jour et qui est la source constante de
son œuvre.
Cette première biographie de
Roland Topor à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort. est le
portrait d'une époque qui nous paraît
déjà lointaine, et d'un artiste dont les
obsessions restent universelles. ■
Mais qui était vraiment cet “acrobate
de l'imaginaire” ? Un dessinateur,
peintre, romancier, scénariste, acteur,
jouissant d'une réputation internationale, souvent sulfureuse, selon la biographie* Roland Topor ou le rire
étranglé à paraître le 8 mars.
L’auteur, Frantz Vaillant, a rencontré
la sœur de Topor, son fils, les
témoins de sa vie, et a eu accès à des
documents inédits. Il remonte le
cours du destin hors normes de
l’homme, en débutant par l'arrivée
en France d'Abram, père de Topor,
artiste juif originaire de Pologne.
Son rêve : devenir sculpteur, célèbre,
quand il débarque à la gare de l'Est
en 1930. L’Histoire en décidera
autrement. La vie du jeune Roland
commence huit ans plus tard, dans
les prémices d'une guerre qui saignera bientôt le monde. Début d'une
partie de cache-cache avec la mort :
la famille Topor échappera tour à
tour à la rafle du Vel d'Hiv, à la milice de Klaus Barbie et trouvera refuge en Savoie. Roland, d'une sensibilité extrême, comprend tôt la féro-
* Frantz Vaillant Roland Topor ou le rire
étranglé, Ed. Buchet-Chastel, Paris - 324 p. hors-texte iconographique de 16 pages, 23€
la première séance de son cours de
YIDDISH musical qui vous permettra de
(ré-)apprendre le yiddish de manière
ludique, en vue de l’écrire, de le parler,
tout en apprenant, comprenant et chantant les chansons du répertoire yiddish.
RDV donc à cette séance gratuite de présentation au 14 rue de Paradis, Escalier C - 1er
étage - M° Gare de l’Est
9
mars à 20 h 30, les Amis de la CCE
vous invitent à la conférence de
l’historienne Annie Lacroix-Riz : Le
choix de la défaite, les élites françaises dans les années 1930 au 14 rue de
Paradis, Escalier C - 1er étage - M° Gare
de l’Est
10
mars à 15 h, l’UJRE vous invite à porter la POÉSIE et le
THÉÂTRE Yiddish à
l’honneur
pour
cette
9ème édition
du
PRINTEMPS DES POÈTES qui se
déroulera au 14 rue de Paradis, Escalier
C - 1er étage - M° Gare de l’Est - Poèmes
traduits par Charles Dobzynski
(Anthologie de la poésie yiddish, Ed.
Poésie/Gallimard 2001) et Kikh Parad
par le groupe théâtral Abi gezint.
13
mars à 18 h, Vernissage de
l’exposition Roland TOPOR
(19 février au 30 avril) - voir aussi
l’article ci-contre - au Centre Rachi
39 rue Broca Paris 5° - 01 42 17 10 38
19
mars à 20 h, l’UEJF et
SOS-RACISME avec Michel
Boujenah,
Smaïn,
Anne
Roumanoff, Arthur et tant d’autres
...vous invitent à la 4ème édition de
RIRE CONTRE LE RACISME qui se
déroulera au Palais des Sports de
Paris. Places à 50, 35, 20€ à retenir
auprès de l’UEJF, de SOS-Racisme, en
Fnac, Carrefour, Auchan ou via
Ticketnet.fr
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8
Société
T
heodor Adorno, l'un des philosophes fondateurs de l'école dite de
Francfort, est connu pour avoir
pensé le premier, comme ineffaçable,
la douloureuse cicatrice laissée dans
l'histoire de l'humanité par le génocide
dont Auschwitz fut l'un des symboles.
Il y a un “avant l'extermination” et un
“après” fait de culpabilité et de mauvaise conscience. Ce fut aussi une terrible expérience philosophique. “C'est
pourquoi, écrit Adorno dans la
Dialectique négative, il pourrait bien
avoir été faux d'affirmer qu'après
Auschwitz il n'est plus possible d'écrire
des poèmes”. La découverte, l'invention et la création continuent” 1.
Depuis, le sens du qualificatif “antisémite” s'est focalisé dans le langage courant sur toute attitude de discrimination,
forcément criminogène, envers les
Juifs. Le Petit Robert a beau indiquer
que les Arabes sont des Sémites (Sem
est l'un des fils de Noë), ce cousinage est
massivement ignoré. Reprocher
aujourd'hui à quelqu'un son antisémitisme, c'est le mettre au ban de
l'humanité civilisée, de la volonté de
paix et voir en lui un criminel potentiel ordinaire.
Toute critique
est-elle antisémite ?
C'est paradoxalement ce qui vient d'arriver à Pierre Bourdieu décédé il y a
quatre ans (2002). Le sociologue,
ancien militant de gauche et professeur
au Collège de France - savant engagé
s'il en fut - a été étiqueté “antisémite”
par son collègue le linguiste JeanClaude Milner, au cours de Répliques,
émission hebdomadaire de FranceCulture animée par Alain Finkelkraut,
le 13 janvier, sans qu'aucun des participants, ni l'animateur, ni la co-invitée, ne se risquent à demander une
explication ou à nier cette affirmation diffamatoire.
Une mésaventure identique était arrivée à l'anthropologue Edgar Morin qui
n'a pourtant jamais caché sa propre origine sépharade judéo-espagnole (marrane). Excédé par cette insulte, Edgar
Morin s'est attelé à traiter, dans la collection Non-conforme, alibi des éditions du Seuil, la question de “l'apport
juif à la construction du monde moderne”2. Peut-on aujourd'hui en France
désapprouver la politique coloniale de
l'Etat israélien vis-à-vis du monde
arabe sans être épinglé comme antisémite ? C'est devenu quasiment impossible tant la confusion entre l'antisémitisme et l'antisionisme (on peut pourtant être d'origine juive et ne pas vouloir confisquer plus longtemps leurs
terres aux Palestiniens) est entrée dans
les moeurs. De même, sont confondus
islam et islamisme pour le plus grand
préjudice des Arabes.
Le progrès social
est-il juif ?
L'accusation de dérive “prosémite
excessive” a même été indirectement
Le grand air de la calomnie
portée contre l'œuvre d'Emile
Durkheim (fils de rabbin) lors de la
fondation de la sociologie, contre celle
de Sigmund Freud, père de la psychanalyse et même contre l'œuvre de Karl
Marx3 et les marxistes : toutes qualifiées de sciences ou pensées “juives” !
Les “procureurs” modernes les plus
conservateurs entendaient ainsi régler
leurs comptes aux disciplines dont le
développement sous-tend la lutte pour
le progrès social et la démocratie. Si
bien qu'on peut se demander, après
l'insulte faite à Pierre Bourdieu, de
quel penseur ce sera demain le tour ?
Ce que Jean-Claude Milner a très
exactement dit mérite d'être cité :
“J'ai ma thèse sur ce que veut dire
“Les Héritiers” chez Bourdieu. Les
Héritiers c'est les Juifs (…). Je crois
que c'est un livre antisémite.” Ne
serait le contexte géopolitique
actuel, on croirait cauchemarder.
S'il y a des exceptions, “tout permet de
penser, écrit Bourdieu, qu'on les trouverait dans les singularités du milieu
familial (…). Les chances objectives
d'accéder à l'enseignement supérieur
sont quarante fois plus fortes pour un
fils de cadre supérieur que pour un fils
d'ouvriers. (…) pendant que les étudiants originaires des couches défavorisées ne varient que du simple au quadruple”. Aujourd'hui, un demi-siècle
après ces déclarations incitatives à rétablir plus de justice, le nombre de fils
d'ouvriers accédant à l'enseignement
supérieur n'excède toujours pas 4 % !
Qu'à l'occasion de la “chance de
renouveau” offerte par les élections
présidentielles, des points sensibles qui
marquent la constance des effets
engendrés par la domination de l'ordre
bourgeois et impérial sur le monde
reviennent sur le devant de la scène, n'a
pas de quoi étonner.
Des Cassandres entrées par effraction
Chaque fois qu'en Occident, une théodans l'intelligentsia du XXIème siècle
rie porte une contradiction
proposent même de retourfondamentale au pouvoir
ner comme un gant l'affirmaintellectuel et pourtant subtil
tion de Jean-Paul Sartre,
de la bourgeoisie, on tente de
philosophe existentialiste
la disqualifier auprès de l'odans sa Critique de la raison
pinion publique, en lui cherdialectique 5 : “Le marxisme
chant dans la tête d'imaginaiest l'horizon indépassable de
res “poux antisémites”. Très
notre temps parce que les
curieusement d'ailleurs, les
circonstances qui l'ont
intellectuels que le philosoengendré ne sont pas encore
phe Jacques Bouveresse
dépassées”. Pour ces auguregroupe sous l'adjectif de
res, ce serait le capitalisme,
“déférents” - c'est-à-dire
Pierre Bourdieu
et non la pensée de Marx, qui
ceux qui sont d'accord avec
1930-2002
serait devenu l'horizon indétous les pouvoirs quels qu'ils
passable de notre temps !
soient - ne s'élèvent que rarement contSelon Jean-Claude Milner, auteur du
re les crimes et discriminations dont
Juif de savoir 6, la langue française
sont victimes ces autres Sémites que
véhiculerait de plus en plus la “haine
sont les Arabes. Ce silence unilatéral
du juif”. Il n'y aurait plus beaucoup de
est-il en passe de devenir un élément
“possibilité d'articuler le nom juif, non
de la propagande guerrière vis-à-vis de
seulement en Europe, non seulement
la civilisation orientale ? La quatrième
en France, non seulement dans ce
guerre mondiale que l'on connaît sous
Proche et Moyen Orient où la langue
l'expression de Samuel Huntington :
arabe, la langue musulmane en géné“Le choc des civilisations” est-elle en
ral, s'attache à expulser chaque jour
préparation du côté occidental ?
davantage la possibilité de prononcer
La langue française a, comme n'imporle nom juif autrement que comme un
te quelle langue, une histoire. Le péché
nom à détruire (…). Si nous ne mesud'antisémitisme est passé, avec la
rons pas l'intensité de cet instant, alors
Shoah, à juste titre, de l'ordre “véniel”
effectivement (…) les étoiles poursuià celui de faute “capitale”. Le plus
vront leur cours, la terre continuera de
paradoxal est sans doute d'avoir choisi
tourner et les choses deviendront ce
cette arme de mauvaise foi contre l'œuqu'elles doivent devenir…” : Un quavre originelle de Pierre Bourdieu et
trième conflit mondial. Pour le lind’André Passeron, qui avec Les
guiste, la “solution finale du problè4
Héritiers , montre en 1964 en quoi l'éme juif” organisée par les nazis a
cole républicaine avec ses classements,
“blessé à jamais la démocratie euroet l'université française avec ses
péenne” et altéré pêle-mêle l'intelliconcours, sont des instruments camougence mythique du judaïsme, du
flés de domination du groupe dirigeant
peuple juif, de la nation juive, de
en France, la bourgeoisie au sens écol'Etat d'Israël et son gouvernement.
nomique et social, sur les groupes
sociaux dominés (le prolétariat et, au“L'université reste en France
delà, les classes populaires, petite bourune machine à ségréguer”
geoisie comprise). Certes, l'analyse critique de “l'idéologie du don” a perdu
Dans Les Héritiers, Pierre Bourdieu et
de sa vigueur. La critique bourdieuson coauteur Jean-Claude Passeron livsienne n'est que mollement reprise
rent les résultats d'une enquête statispar de nombreux intellectuels qui,
tique consacrée à la composition sociasans elle, verraient toute transmisle des étudiants et donc à la “reproducsion de leur savoir opacifiée par l'ition des élites”. Les enfants des classes
négalité sociale originelle.
défavorisées sont purement et simple-
Arnaud Spire
ment é-li-mi-nés. Selon la métaphore
bourdieusienne de “l'héritier” qui peut
être issu de groupes qui n'ont aucun
héritage, les enfants issus des classes
populaires et/ou immigrées étaient
d'emblée écartés de l'université. Quant
à la question de savoir s'il y a des
exceptions à ce “système” de domination, elle n'a rien de xénophobe, ni
même de raciste, elle constate simplement la profondeur des inégalités françaises : le livre s'achève par des
tableaux qui disent en clair : malheur à
la jeune fille issue d'un milieu rural
d'extrême droite qui se destine à l'enseignement supérieur ! Ses chances
d'aboutir sont statistiquement quasi
nulles !
Aujourd'hui encore.
A propos des immigrés, on retrouve
chez Jean-Claude Milner, l'esprit de
l'anecdote rapportée par Jean-Paul
Sartre dans Réflexions sur la question
juive7 : “Un jeune “français de souche”
qui vient de rater l'agrégation s'étonne
qu'un dénommé Bloch soit, lui, arrivé
premier”. L'insulteur Jean-Claude
Milner qui marie volontiers le “schématisme” au pessimisme, entend cet
étonnement comme si Bourdieu disait
que le collège visait à ce que plus
jamais un “Bloch” ne puisse arriver le
premier à l'agrégation.
“De tous les facteurs de différenciation, écrit Pierre Bourdieu, l'origine
sociale est sans doute celle dont l'influence s'exerce le plus fortement sur le
milieu étudiant, plus fortement en tout
cas que le sexe et l'âge et surtout plus
que tel ou tel facteur clairement aperçu, l'affiliation religieuse par exemple
" (Les Héritiers, p.24). On ne saurait
faire dire à l'auteur le contraire de ce
qu'il avance à propos des religions, si
l'on maintient comme Jean-Claude
Milner à propos des “héritiers”, que ce
sont “les Juifs”.
L'université reste en France une
machine à ségréguer. De même que
le conflit entre les impérialismes
israéliens et états-uniens d'une part,
et le peuple palestinien de l'autre, a
dépassé sa soixantième année sans
qu'aucune solution “juste” ne se dessine à l'horizon. ■
1) Theodor W. Adorno, Dialectique négative,
traduction Payot, 1978
2) Edgar Morin, Le monde moderne et la
question juive, coll. “non-conforme”,
Ed. Seuil, octobre 2006
3) Karl Marx, La question juive, Aubier,
1971
4) Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron,
Les Héritiers, les étudiants et la culture,
Ed. de Minuit, octobre 1964
5) Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, nrf Gallimard, 1961
6) Jean-Claude Milner, Juif de savoir
Grasset, octobre 2006
7) Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, coll. Poche Idées nrf, 1961