- Sujet: le Processus de conception Architecturale en maquette
- Problématique: Quelles sont les valeurs ajoutées par l'utilisation de la maquette dans la conception Architecturale du projet?
[lecture] Faut-il mesurer la bande passante du design ?
Mémoire - DELERUE Victor
1. LE PROCESSUS DE CONCEPTION
ARCHITECTURALE EN MAQUETTE
DELERUE Victor
2.
3. UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
FACULTÉ D’ARCHITECTURE, D’INGÉNIERIE ARCHITECTURALE, D’URBANISME
LOCI
SAINT LUC TOURNAI
LE PROCESSUS DE CONCEPTION
ARCHITECTURALE EN MAQUETTE
DELERUE Victor
Année académique 2014 / 2015
4.
5. Promoteur :
M. Veauvy Lydéric
Lecteur :
M. Accarain Pierre
Mémoire présenté par Victor Delerue
en vue de l’obtention du diplôme
d’architecte.
6.
7. Tout d’abord, je remercie Messieurs Veauvy Lydéric et Accarain
Pierre d’avoir acceptés d’être respectivement promoteur et lecteur
de mon mémoire.
Je remercie tout particulièrement mes deux parents pour m’avoir
accompagné durant l’intégralité de mes études, malgré les embûches.
Un grand merci également à Valérie et à Sophie pour la pertinence
de leurs remarques et la précision de leur relecture.
REMERCIEMENTS
8.
9. 9
- INTRODUCTION - 11
- PARTIE I - L’usage de la maquette dans le temps 15
1_ La valeur symbolique à l’Antiquité 15
2_ La valeur d’exécution au Moyen Âge 27
3_ La valeur de mémoire chez les Incas 35
4_ La valeur de résolution à la Renaissance 38
5_ La valeur de vérification au Baroque 46
6_ La maquette aux Temps Modernes 51
- PARTIE II - La place de la maquette dans le projet 53
1_ Différentes typologies de maquettes 54
2_ L’expression de la structure 69
3_ La réflexion de la façade 82
4_ La répétition de la forme 86
5_ L’assemblage du programme 91
6_ L’aboutissement de la technique 99
7_ L’atmosphère de la matière 103
- CONCLUSION - 117
- ANNEXES - 121
1_ Table des matières 123
2_ Table des illustrations 127
3_ Bibliographie 139
SOMMAIRE
11. 11
- INTRODUCTION -
Tout au long de la concep-
tion architecturale d’un projet,
un Architecte dispose de diffé-
rents outils nécessaires à sa
représentation. Chacun de ces
modes de représentations possède
des caractéristiques propres.
Les dessins en deux dimensions,
tel que le plan ou la coupe,
possèdent certaines limites
contraignantes dans le processus
de conception. La dimension spa-
tiale est éludée, le regard fran-
chit les murs et cloisons sans
obstacles. Les perspectives et
autres dessins en trois dimen-
sions permettent quant à eux de
rendre compte de la profondeur
spatiale présente dans un pro-
jet, mais elles offrent néanmoins
un point de vue défini et figé.
C’est à partir de ce postulat
que les Architectes se mirent à
utiliser la maquette, seul outil
de conception capable de conser-
ver la dimension spatiale dans
sa globalité tout au long du dé-
veloppement du projet. Celle-
ci permet à son observateur de
choisir son angle de vision afin
d’avoir une lecture spatiale im-
médiate en trois dimensions.
C’est aussi un outil de travail
pour l’Architecte en recherche
de proportions et de formes pour
son projet. Par l’expérimenta-
tion en maquette, il peut ainsi
projeter son idée directement en
volume, et développer ainsi ses
qualités spatiales, formelles et
matérielles. Cette liberté de
manipulation fait de cet instru-
ment l’un des atout majeur dans
le processus de conception ar-
chitecturale.
J’ai choisi de développer ce su-
jet dans le cadre du travail de
mémoire de Master car c’est un
domaine de l’enseignement ar-
chitectural qui m’a intéressé
dés la première année. Ce mode
de représentation apporte à mon
sens un regard très prononcé
sur l’architecture que l’on es-
saye de mettre en place en tant
12. 12
qu’étudiant. Comme on peut le
voir durant nos études, il suf-
fit parfois de «deux ou trois
bouts de carton» pour créer de
la sensibilité et exprimer les
idées fondatrices d’un projet.
Cet état de fait m’a été claire-
ment révélé lors d’un projet ré-
alisé en atelier de 2ème année.
Les objectifs impliquaient de
passer durant tout le développe-
ment du projet, ainsi que pour
la soutenance finale, uniquement
au moyen de maquettes. Aucune
représentation papier n’était
souhaitée. Ce projet a attisé ma
curiosité par le fait de nous de-
mander d’expliquer nos idées et
nos résolutions architecturales
sans autre mode de représenta-
tion. J’ai tenté de répondre à
ces exigences lors de ce projet
et c’est tout naturellement que
je me suis orienté vers ce sujet
au moment de faire un choix de
sujet.
Tout au long de ce mémoire, nous
chercherons à définir les diffé-
rentes motivations qui amenèrent
au fil du temps les architectes
à utiliser la maquette dans la
conception de leur projet archi-
tectural. En premier lieu, nous
commencerons tout d’abord par
présenter le thème ici abordé en
replaçant l’usage de la maquette
dans son contexte historique.
Nous verrons que l’évolution de
son usage dans le temps a per-
mis d’identifier des périodes
bien distinctes. De l’Antiqui-
té à nos jours, les maquettes
n’ont pas traversé les époques
en ayant une fonction unique.
D’autres champs d’application se
sont offerts à elle que celui de
la simple représentation archi-
tecturale. Mais quelles étaient
ces fonctions? Au départ, elle
était utilisée principalement au
service d’un but empreint d’une
profonde symbolique funéraire et
religieuse. A partir du Moyen-
âge, la maquette prend sa place
en tant qu’outil d’exécution ar-
chitectural, comme support de
dialogue entre l’Architecte et
ses interlocuteurs afin d’en fa-
ciliter la compréhension. Par
la suite elle devint un outil
de vérification architecturale,
mais aussi de représentation fi-
nale d’un projet, à l’image de
13. 13
la «Grande maquette» de l’époque
Renaissance, en Italie. A par-
tir de là, l’utilisation de la
maquette architecturale affirme
son potentiel à traduire les
idées et les espaces imaginés
par les Architectes.
En second lieu, nous verrons pour
quelles raisons et de quelles
façons l’usage de la maquette a
évolué pour ne plus être seule-
ment qu’un outil de rendu final,
mais pour réellement conduire le
processus de recherche d’un pro-
jet quel qu’il soit. L’utilisa-
tion de cet outil pris tout son
sens dans le cas de structures
complexes par sa capacité à pou-
voir retranscrire à échelle ré-
duite le système statique d’une
architecture. Le travail d’Anto-
ni Gaudi à Barcelone en est le
parfait exemple. Nous analyse-
rons une sélection de quelques
architectes qui considèrent ce
mode opératoire par la maquette
comme primordial dans leur ré-
flexion architecturale. Dans les
cas que nous évoquerons, cet ou-
til était nécessaire à l’appré-
hension d’une forme, d’un pro-
gramme ou encore d’une façon de
faire résonner la dimension ma-
térielle d’un projet. Nous ten-
terons ici de mieux comprendre ce
que l’utilisation de la maquette
leur apporte lors du processus
de conception, et pour quelles
raisons il est indispensable
pour eux de passer par celle-ci
pour résoudre leur Architecture.
Quelles sont les valeurs ajoutées par l’utilisation de la ma-
quette dans la conception architecturale du projet?
15. 15
- PARTIE I -
L’USAGE DE LA MAQUETTE DANS LE TEMPS
« A différentes étapes du projet sont développées différentes ma-
quettes. Tout est signifiant dans ces objets : leur échelle, leurs
matériaux, leur mode de représentation […] Leur pouvoir de sé-
duction, enfin, est sans doute une caractéristique essentielle à
prendre en compte dans toute étude historique »1
1- Colloque international La maquette, un outil au service du projet architectural, p4
Les plus anciennes ma-
quettes recensées à notre époque
proviennent de la culture Gumel-
nita1
. En effet, des modèles en
céramique ou en argile ont été
retrouvés sur le site de la né-
cropole de Varna, en Bulgarie.
Ces modèles représentaient gé-
néralement des maisons ou des
sanctuaires de façon abstraite
[1,2].
1_ La valeur symbolique à l’Antiquité
Le modèle social bulgare
[1-2] En haut: modèle de sanctuaire en ar-
gile , Gumelnita ; En bas: modèle d’habita-
tion, argile , Gumelnitaa.
1- La culture gumelnita date de la seconde
moitié du Veme siècle av. JC.
16. 16
Les fouilles effectuées dans les
tombes [3] font état de la pré-
sence de ces modèles. Ceux-ci
sont utilisés à cette époque
comme outils de symbolique funé-
raire en rapport direct avec la
structure sociale de cette civi-
lisation. L’étude de la nécro-
pole de Varna a permis d’iden-
tifier l’usage de ces offrandes
funéraires selon trois catégo-
ries de rituels. Le type de ri-
tuel funéraire choisi révèle la
catégorie sociale de l’individu
enterré. Les tombes présentant
de nombreuses richesses, telles
que des modèles en argile, du mo-
bilier en or ou en cuivre [4,5]
ou encore des os indiquent la
présence d’individus puissants
de leur vivant. A l’inverse,
les tombes ne présentant pas ou
peu de richesses indiquent que
le défunt n’était pas considéré
comme quelqu’un de puissant. A
cette période de l’histoire être
enterré avec de nombreux objets
rituels, dont le modèle archi-
tectural fait partie, atteste
d’une position hiérarchique im-
portante dans la ville.[3] Tombe à inhumation contenant des objets
funéraires , Gumelnita.
[4-5] A gauche: idole en or destinée aux
rites funéraires , Gumelnita ; A droite:
idole en bois gumelnita.
17. 17
Les éléments retrouvés de
cette époque nous indiquent que
les architectes de l’Égypte An-
tique concevaient leurs bâtiments
sur base de dessins. Ceux-ci font
la mention de côtes afin d’indi-
quer les principales dimensions.
Malgré cela, il est établi que le
modèle en trois dimensions pos-
sède une place très importante
dans la culture religieuse et
funéraire de cette civilisation.
Pour les Égyptiens, le culte fu-
néraire est le moyen d’assurer
la continuité de la vie du dé-
funt dans l’au delà. Cette sur-
vie dépend des offrandes qui lui
seront faites et qui permettront
de nourrir son ka1
. La croyance
égyptienne veut que le ka ait
besoin d’un support afin de re-
cueillir ces dons spirituels.
Ces offrandes funéraires symbo-
lisent l’énergie vitale accordée
au ka du défunt par les dieux.
Ces modèles révèlent divers ni-
veaux d’abstraction. Dans un but
essentiellement religieux, cer-
tains modèles réduits simpli-
fiés symbolisent généralement
des maisons, des temples ou par-
fois des tombeaux. Ces modèles
s’inspirent de l’architecture de
l’habitat ou de l’architecture
sacrée, dans l’idée de donner au
défunt une demeure adéquate pour
son passage de la vie à la mort.
Le modèle funéraire égyptien
On a retrouvé des modèles en terre
cuite dans des tombes royales da-
tant de l’époque thinite2
. Ceux
-là ont l’apparence de silos à
grains [6]. Leur signification
est spirituelle: approvisionner
de façon constante le ka du dé-
funt. Même si ces objets gardent
[6] Modèle funéraire de silos à grains en
terre cuite, 15cm.
1- Le ka est la force vitale de tout être humain.
2- L’époque thinite s’étend de -3100 à -2700 av. JC.
18. 18
leur valeur de figuration d’une
architecture, on remarque néan-
moins une certaine capacité à
évoquer une volumétrie. Ici,
quatre silos cylindriques à dôme
sont disposés sur une base com-
mune carrée. Une cour à ciel ou-
vert se dégage en négatif des
volumes pleins. Les ouvertures
sommitales, dont la fonction
première est l’approvisionnement
en grain sont creusées dans la
matière.
Dans d’autres tombes royales à
Gizeh et à Saqqarah datant de
l’Ancien Empire1
, des chercheurs
retrouvèrent des figurines en
calcaire présentant des personnes
en train d’effectuer des actions
du quotidien. Ces figurines ont
pour fonction d’améliorer le sé-
jour du défunt dans l’au-delà.
Tandis que certains lui donnent
du confort à celui-ci, d’autres
sont en lien avec son alimenta-
tion ou son divertissement [7].
D’une façon générale, deux caté-
gories d’artefacts apparaissent.
La première catégorie correspond
aux modèles en bois et aux mai-
sons d’âmes utilisées dans le
cadre de cérémonies rituelles.
En ce sens, on retrouve aussi
des objets à forte valeur symbo-
lique, généralement sacrés (vo-
tifs) ou sépulcraux (urnes, sar-
cophages).La seconde catégorie
se rapproche plus des véritables
maquettes architecturales. Ces
dernières sont souvent en cal-
caire et servent à représenter
des détails tels que des co-
lonnes, des chapiteaux, des gar-
gouilles, des marches, etc…
Selon la façon d’interpréter la
taille d’un «modèle architec-
tural», une troisième catégorie
1- L’Ancien empire s’étend de -2700 à -2200 av. JC.
[7] Figurine en calcaire représentant une
boulangère au travail, 40cm.
19. 19
mérite d’être souligné. C’est
celle du modèle réduit à échelle
humaine, animée d’une forte sym-
bolique. On peut en voir l’exemple
au sein du complexe funéraire de
Djoser à Saqqarah, en Egypte.
Cette réalisation est l’œuvre
du premier architecte connu de
tout les temps: Imhotep. Ce com-
plexe donne la sensation d’être
la réplique d’une cité réelle à
échelle réduite, pétrifiée par
le temps. On se retrouve avec
une espèce de décor de théâtre
grandeur nature et surtout, à
échelle humaine. Le premier tom-
beau du pharaon se trouve dans
la pyramide, mais il existe un
second tombeau dans le complexe.
On trouve dans celui-ci des ma-
gasins contenant de nombreux ob-
jets destinés au séjour du pha-
raon dans l’au delà, tels que des
vivres, vaisselles et vêtements.
On y trouve aussi une grande
quantité de représentation or-
nementale réalisée pour que le
pharaon se sente comme chez lui
après la mort: des façades de
chapelle symbolisant la stabili-
té de l’univers, des bas reliefs
à l’image de fenêtre ainsi qu’un
mur simulant la façade du palais
royal et ses portes ouvertes.
Par ailleurs, sur le coté de la
pyramide de Djoser, on peut re-
marquer un champ de ruines com-
posé d’une multitude de morceaux
de pierres taillées [8,9]. A la
manière d’un laboratoire expéri-
mental, on a cherché ici à ex-
périmenter de nouvelles formes.
On peut y voir les premières
ébauches de la recherche par
l’objet.
[8-9] Champ de pierres taillées, pyramide
de Saqqarah, Egypte.
20. 20
Ces modèles sont fortement
présents de la fin de l’Ancien
Empire à la fin du Moyen Empire1
.
Ce sont des plateaux d’offrandes
funéraires en terre cuite. Il
s’agit d’ersatz2
des modèles en
bois ou en pierre utilisés pour
les rites funéraires des couches
sociales plus aisées. Les ver-
sions les plus rudimentaires re-
présentent assez grossièrement
la table d’offrande [10]. Cer-
tains modèles en revanche sont
plus détaillés [11], et laissent
apparaître des espaces à por-
tiques, des étages structurés,
des escaliers et parfois même
des répétitions de toits ter-
rasse. Les donateurs déposent
sur le plateau leurs offrandes.
On peut observer un canal à la
fin du plateau. Celui-ci servant
à faire couler les liquides of-
ferts en libation par le biais
du conduit et leur permettre
d’atterrir à l’intérieur de la
chambre funéraire. Pour Petrie3
,
Les modèles de maisons d’âmes égyptiennes
1- Le moyen empire s’étend de -2040 à -1710 av. JC.
2- Un ersatz est un substitut de moindre valeur.
3- Flinders Petrie est un professeur d’égyptologie anglais né en 1853 et mort en 1942.
[10] Modèle rudimentaire de maison d’âme
égyptienne, terre cuite.
[11] Modèle détaillé de maison d’âme égyp-
tienne, terre cuite.
21. 21
ces modèles sont à considérer
comme des équivalents de maison
terrestre destinée à accueillir
l’âme du défunt, à défaut d’avoir
un véritable complexe funéraire.
Les égyptiens ont la conviction
que le modèle funéraire a les
mêmes propriétés spirituelles
que le complexe funéraire. Mal-
gré le fait qu’elles s’en ins-
pirent par certains aspects,
ce ne sont donc pas des re-
productions à échelle réduite
des maisons terrestres, car
elles incarnent de façon ab-
solue ces dernières.
Les modèles égyptiens en bois peint
C’est durant les périodes
de la Première Période Intermé-
diaire1
et du Moyen Empire que
l’on trouve la majeure partie de
ce type de modèles. Ceux-ci sont
également destinés à accompa-
gner les personnes défuntes dans
leur autre vie. Mais à l’inverse
des maisons d’âmes que l’on re-
trouvent dans les tombes d’indi-
vidus plus modestes, les modèles
en bois sont généralement dans
les tombes d’individus plus ai-
sés. Ici, on cherche générale-
ment à symboliser une scène mon-
trant des personnages en train
de faire une activité commune,
souvent alimentaire ou artisa-
nale [1]. La tombe de Meketrê2
en est l’exemple le plus par-
lant. Vingt quatre de ces mo-
dèles y étaient présent, mettant
en scène de multiples activités
telles qu’entre autres une bras-
serie, une boucherie ou encore
une étable.
[12] Modèle en bois, comptage de grains
sous l’œil d’un contremaître, tombe de
Gemniemhat, Saqqarah.
1- La Première Période Intermédiaire (PPI) s’étend de -2200 à -2040 av. JC.
2- Meketrê est chancelier sous le règne de Mentouhotep II durant la PPI.
22. 22
Peu de ces modèles sont parve-
nus jusqu’à nous. L’un d’entre
eux représente un jardin à cour
fermée ponctué d’arbres, avec un
bassin rectangulaire au centre
[13]. Un espace couvert à double
colonnades est présent. Tout est
réfléchi pour le défunt soit
installé le mieux possible après
sa mort. Les combinaisons sont
multiples, et chaque modèle a un
rôle et une signification symbo-
lique bien précise. Alors qu’un
modèle de bateau symbolisera le
pèlerinage posthume du défunt à
Abydos1
, un modèle de troupe de
soldats lui permettra de se dé-
fendre dans l’au delà contre le
chaos régnant à une époque im-
prégnée de nombreux combats ci-
vils.
«Les représentations figurées
des éléments qui composent le
monde [...] sont chargées d’un
pouvoir divin qui les rendent
magiquement vivantes, actives,
efficaces»2
Dans la culture égyptienne le
temple n’est pas qu’un lieu de
prière, il incarne la demeure
terrestre du dieu. Il est lo-
gique de constater la présence
de modèles en bois de temples
égyptiens dans certaines tombes
[14,15]. On y dénombre généra-
lement plusieurs encoches avec
le bord arrondi à l’arrière, ré-
parties de part et d’autre d’un
escalier sur le devant de la
façade du temple. Ces encoches
[1] Modèle en bois de jardin, tombe de
Meketrê.
1- Abydos est une ancienne ville sainte d’Égypte vouée au culte du dieu Osiris.
2- Lengrand (Juliette), Modèles réduits ou maquettes des tombes de l’Égypte ancienne, Es-
sai, 2010, p. 1.
23. 23
permettent d’y insérer divers
éléments comme les sphinx sur le
devant, les obélisques ou encore
le temple en lui-même. On ne
peut pas vraiment s’établir sur
le fait que ces modèles aient
été réalisés en tant qu’avant
projet, mais plus probablement
en tant qu’objet de culte funé-
raire. Les modèles de ce genre
étaient destinés à établir pour
l’éternité un culte aux dieux
afin d’assurer la survie du pha-
raon défunt dans l’au delà.
Le test de la pyramide de Khéops
A notre connaissance, il
existe un exemple de maquette
ayant aidé à l’exécution d’une
architecture égyptienne. Cette
excavation taillée à même la
roche du désert de Gizeh se
trouve non loin de la pyramide de
Khéops. Ce que les archéologues
ont pris au départ pour une tombe
ou un ancien passage rejoignant
la pyramide se révèle en réalité
être une maquette souterraine à
échelle réelle plongeant jusqu’à
dix mètres au-dessous du niveau
du sol. Petrie parle de cette
maquette comme d’un test ayant
servi à confirmer le dimension-
nement des galeries de la pyra-
mide de Khéops construite ulté-
rieurement. Cette maquette fait
preuve d’une très grande préci-
sion d’exécution. Il était né-
[14-15] En bas: socle d’un modèle de par-
vis de temple égyptien au 1/21, bois Tell
el-Yahudiya; A droite: le même socle, avec
les éléments replacés.
24. 24
cessaire que cette maquette test
soit la plus fidèle possible de
la construction finale, pour en
vérifier tous les aspects. La
comparaison des coupes respec-
tives de la pyramide et de cette
maquette rend compte d’un grand
nombre de similitudes [16,17].
Les largeurs de passage, les
hauteurs, les angles sont exac-
tement retranscrits et reflètent
parfaitement le système de pas-
sages retrouvés dans la grande
pyramide. On peut noter toute-
fois quelques différences entre
les deux ensembles. En effet,
les galeries de la maquette sont
moins longues que celles de la
[16-17] En haut: coupe des galeries de la pyramide de Khéops, 1903; En bas: coupe schéma-
tique de la maquette, Flinders Petrie, 1909.
25. 25
pyramide. Ce n’était pas néces-
saire car l’intérêt principal de
cette maquette était de donner
les mesures exactes aux appa-
reilleurs de pierre pour la ré-
alisation finale. D’autre part,
on retrouve dans la maquette un
conduit vertical qui n’a pas été
réalisé par la suite. Ce conduit
servait vraisemblablement à éva-
cuer les déblais à fur et à me-
sure du creusement dans la roche.
Pour finir, une différence mar-
quante apparaît dans le procé-
dé constructif, dans le sens ou
la maquette a été construite par
soustraction de matière dans la
masse du sol. Alors que la py-
ramide pour sa majeure partie a
été construite par addition de
pierres taillées. Une grande
proportion de ses galeries se
trouve au dessus du niveau du
sol.
En définitive, mis à part
quelques légères exceptions, on
ne peut pas vraiment considé-
rer que l’architecture antique
se soit servit de la maquette
comme un outil au service de son
processus de conception. Une des
raisons principales vient de la
façon dont les civilisations de
l’époque appréhendent ce qui sé-
pare le réel de l’irréel. Les
mots factices, simulacre, dé-
cor,..., n’ont pas de signifi-
cation pour les égyptiens, de la
même façon que la frontière entre
ce qui est de l’ordre du réel
et de sa représentation n’existe
Constat
dans leurs codes culturels. Pour
eux, lorsqu’ils confectionnent
un modèle de maison d’âme, ce
modèle ne représente une mai-
son, elle est réellement l’in-
carnation de l’habitat où va sé-
journer l’âme d’un défunt pour
l’éternité. La quasi totalité
des égyptiens n’étant pas al-
phabétisée, on comprend la né-
cessité d’une communication fi-
gurative au moyen de symboles
forts, tels que l’expriment par
exemple les Hiéroglyphe1 ou les
modèles funéraires. Dans le cas
des modèles en bois, il n’y a
aucune volonté de frontalité ou
26. 26
tue l’une de ces valeurs fortes.
C’est d’ailleurs, encore actuel-
lement, une des motivation pous-
sant l’Architecte à utiliser la
maquette. Le caractère sacré de
ces modèles indiquent une si-
gnification profonde, comme le
souligne le degré d’abstrac-
tion élevé des proportions. Nous
sommes ici plus proche de l’ar-
chétype architectural que de la
forme réaliste.
de symétrie. Les proportions de
l’échelle humaine ne sont pas
respectées. Le rapport à l’es-
pace ne prend sa valeur que dans
l’expression d’une symbolique
spirituelle. C’est l’évocation
du mouvement qui prime ici, et
c’est pour cela que ces modèles
sont fait pour être opérant à
partir de multiples points de
vue. Cette dynamique exprimée
dans l’usage du modèle consti-
1- Les hiéroglyphes sont un mode d’écriture figurative en relief par idéogramme.
27. 27
Ces modèles sont la repré-
sentation miniature et conven-
tionnelle de certains édifices.
On cherche ici à offrir l’image
générique et symbolique d’un
bâtiment. Cette image prend sa
source des attributs iconogra-
phiques de l’église catholique.
Mais on y retrouve aussi des
images plus ajustées à la réa-
lité constructive, souvent assi-
milée à la représentation d’un
donateur présentant l’objet de
sa donation. La statue de Tis-
sandier1 est très illustrative
à ce niveau [18]. Celle-ci il-
lustre l’œuvre d’un bâtiment non
réalisé mais reste néanmoins
très précise dans ce qu’elle dé-
voile. Elle présente un niveau
de détails avancé tel que les
contreforts et les arcs bou-
tants constituant la structure
en façade. Des éléments que l’on
3_ La valeur d’exécution au Moyen Âge
Les modèles à caractère commémoratifs
[18-19] En bas: statue de Jean Tissandier
présentant une maquette de la chapelle de
Rieux, 1324-1348; A droite: Peinture de
Fernàndez de Santaella en donateur, Sé-
ville, Chapelle de Santa marie de Jesus,
Alejo Fernàndez, 1520.
1- Jean Tissandier était un prélat français du XIVéme siècle.
28. 28
peut retrouver dans d’autres ré-
alisations par la suite, comme
l’église Jacobins de Toulouse.
D’autres sont la représentation
d’une architecture existante.
Celles là sont concrètes et
précises, comme la peinture de
Fernàndez présentant la maquette
de la chapelle de Santa Maria
[19].
Les modèles de présentation et d’exécution
Ce sont des modèles à ca-
ractère instrumentaux dont l’in-
tention consiste à exposer ou à
démontrer un projet de construc-
tion. Le modèle n’a pas la même
fonction selon l’interlocuteur
auquel il est destiné. Il sera
perçu comme maquette de présen-
tation si l’architecte s’en sert
pour prouver sa réalisation au
commanditaire, qu’il soit de na-
ture privé, institutionnel ou
encore ecclésiastique. Dans ce
cas de figure, les maquettes
ont d’ailleurs tendance à être
conservées. C’est ce qu’il s’est
passé pour le modèle de flèche
au couronnement de la cathé-
drale de Valence [20], réalisé
à l’origine afin d’obtenir les
fonds pour sa restauration, et
conservé encore maintenant au
musée de Valence. Cependant, si[20] Modèle de flèche pour la cathédrale de
Valence, bois doré, musée municipal.
29. 29
le modèle est réalisé pour des
artisans désignés à matérialiser
le projet, il prend un caractère
plus opératif. Il sert surtout
durant le processus de construc-
tion du bâtiment, et perd son
utilité principale une fois ce-
lui-ci construit. A ce titre, ces
modèles n’étaient généralement
pas conservés par la suite, ce
qui explique le peu de documents
visuels parvenus jusqu’à nous.
Malgré cela, nous pouvons quand
même évoquer l’existence d’un
modèle réduit en argile [21].
Celui là permettait d’envisa-
ger une proposition de traceries
percées d’une fenêtre gothique
à la manière de celles réali-
sées par la technique du plâtre
structurel en Aragon1 entre XI-
Véme et XVéme siècle [22].
1- La communauté autonome d’Aragon est localisée dans le nord de l’Espagne.
[21-22] En haut: Modèle de traceries d’une
fenêtre gothique, argile; En bas: Fenêtre
gothique en Aragon, XVéme siècle.
30. 30
Les moles
encombrants. Par exemple, dans
le cas de la cathédrale Notre-
Dame de Chartres1, six gabarits
de moles ont suffit à réaliser
les soixante-douze pierres tail-
lées constituant la rosace pla-
cée sur le portail royal [23].
Par ailleurs, les moles d’élé-
ments de représentation plus
sculpturales, comme des statues
ou des gargouilles, montraient
plutôt un aspect général. Ceci
pour laisser au sculpteur un mi-
nimum de liberté d’expression.
Ces modèles grandeur na-
ture étaient réalisés dans le
but de servir de base de réfé-
rence pour la réalisation d’un
édifice. Représentant générale-
ment de petits éléments d’une
construction, ils permettaient
à l’architecte de communiquer
visuellement aux ouvriers ce
qu’ils devaient retranscrire.
C’était un moyen efficace d’évi-
ter de possibles erreurs d’exé-
cution. En fonction de ce qu’ils
devaient représenter, ces moles
étaient réalisés en bois ou en
pierre, et parfois en métal. Leur
utilisation est le plus souvent
visée pour des éléments revenant
de façon récurrente dans un édi-
fice, à la manière d’un assem-
blage en pierre taillée pour un
mur ou une voûte. Quand un Ar-
chitecte était amené à produire
un mole pour un édifice, il
s’arrangeait pour que sa forme
soit reproduite un maximum de
fois dans le projet car ceux-
ci étaient généralement chers et
[23] Rosace du portail royal de la cathé-
drale Notre-Dame de Chartres, 1224-1227.
1- La Cathédrale de Chartres a été construite vers la fin du XIIème siècle.
31. 31
Ce type de modèles
concernent surtout ce que Fernàn-
dez1
appelle tabernacles, autre-
ment nommés dais architecturaux.
Ce sont des ouvrages d’architec-
ture réalisés en pierre, en bois
sculpté ou parfois même en métal.
Ils sont le plus souvent utili-
sés pour couvrir une statue, un
autel, une chaire ou une tombe.
L’intérêt de ces modèles est de
traduire en trois dimensions le
projet au commanditaire, ainsi
que de démontrer aux entrepre-
neurs sa viabilité. Il est fré-
quent de conserver ces modèles
en relation dans les construc-
tions menées à terme. C’est le
cas du tabernacle protégeant la
vierge à l’enfant à l’épiphanie
dans la cathédrale de Pampelune
[24]. On envisagea grâce à ce
modèle la voûte à treize clés
que l’on retrouve au sein de la
salle capitulaire de la même
cathédrale [25]. Pour commen-
cer, la proposition architectu-
rale fut présentée à l’évêque au
moyen du tabernacle qui décida
par la suite de faire exécuter
réellement cette voûte.
Les modèles à caractère de permanence
1- Dans le colloque «Microarchitecture et figures du bâti : l’échelle à l’épreuve de la
matière» 1/5».
[24-25] En haut: tabernacle protégeant la
vierge à l’enfant, cathédrale de Pampelune;
En bas: voûte à treize clés, salle capitu-
laire, cathédrale de Pampelune.
32. 32
Cette catégorie concerne
des modèles se rapportant à
d’autres images religieuses,
ceci incluant des bâtiments ec-
clésiastiques construits. C’est
le cas du tabernacle coiffant la
statue de la vierge qui préside
le tympan1
du portail de la ca-
thédrale de Huesca2
[26], datant
du XIIéme
. Ce projet architecto-
nique est lié à Guillermo In-
glés3
. Ce tabernacle semble di-
rectement inspiré du chevet de la
cathédrale anglicane Saint-André
de Wells4
[27]. On y retrouve des
caractéristiques communes telles
que des chapelles à base car-
rée culminant en chapelle hexa-
gonales en partie haute, ainsi
que d’autre part des arcs-bou-
tants doublés rappelant notam-
ment ceux employés dans la ca-
thédrale de Bordeaux. Ces deux
cathédrales, à Wells et à Bor-
deaux, ont été visitées par le
maître Inglés durant son voyage
vers la péninsule ibérique. La
solution du tabernacle est com-
plètement différente que celle
de la résolution du plan de la
cathédrale elle-même [28]. On ne
peut qu’en déduire que cette so-
lution a été réalisée en aval
de la construction de la cathé-
drale, en étroite relation avec
la symbolique de l’image mariale
qu’elle a pour fonction de pro-
téger.
Les modèles à caractère iconographique
1- Le tympan est la surface d’un fronton de portail située entre le linteau et l’arc.
2- Huesca est la capitale de la province espagnole du même nom, en Aragon.
3- Guillermo Inglés est un architecte anglais mort en 1214.
4- Wells est une ville anglaise du district de Mendip dans le Somerset.
[26-27-28] A gauche: tabernacle de la cathédrale, Huesca; Au milieu: plan de la cathédrale
de Wells; A droite: plan de la cathédrale de Huesca.
33. 33
Nous savons qu’à de rares
exceptions certains Architectes
eurent recours à l’utilisation
de la maquette pour la conception
de leurs projets, principalement
dans le cas d’étude de charges.
Malheureusement, ces maquettes
n’ont pas été conservées. Pour
la basilique San Petronio, ré-
alisée par Antonio di Vincenzo1
en 1390 à Bologne, une maquette
de l’entièreté de l’édifice fut
utilisée pour étudier la sta-
tique du projet. Cette maquette
est l’une des premières à inclure
la notion d’échelle réduite de
façon quantifiable. En effet,
elle a été conçue à l’échelle
1:12éme
, ce qui lui donne des di-
mensions impressionnantes: trois
mètres cinquante de hauteur de
voûtes pour une longueur de plus
de quinze mètres. D’autre part,
elle est caractéristique par
les matériaux employés: De la
pierre maçonnée avec du mortier,
le tout recouvert de plâtre,
comme pourrait l’être un véri-
table édifice. Des fondations
ont même été réalisées sous la
maquette pour simuler le plus
véritablement les répercussions
des charges. Dans son ouvrage2
,
Picard parle d’une maquette de
cire des cryptes de l’abbaye de
Saint Germain d’Auxerre évoquée
par Heric d’Auxerre3
. Celle-ci
aurait été nécessaire à cause
des difficultés de réalisation
des cryptes dues à la forte dé-
clivité du terrain. De plus, ce
grand monument était très com-
plexe à appréhender spatiale-
ment sur seule base de plans. La
vérification par la maquette a
ainsi permis de juger de l’orga-
nisation générale des masses sur
le sol. Il devenait plus simple
ainsi de voir de quelle façon
les charges se répartiraient
entre elles.
Les modèles d’étude statique
1- Antonio di Vincenzo est un architecte italien né en 1350 et mort en 1401.
2- PICARD (Jean-charles), Évêques, saints et cités en Italie et en Gaule. Études d’archéo-
logie et d’histoire, Publication de l’Ecole française de Rome n°242, 1998, pp 321-333.
3- Heiric d’Auxerre est un moine bénédictin né en 841 et mort vers 876, dans son ouvrage
Miracula sancti germani.
34. 34
Durant cette époque,
l’usage du modèle garde la va-
leur de symbolique qu’il avait
acquise à l’Antiquité, comme no-
tamment le phénomène de sacra-
lisation par l’image du modèle
égyptien. On parlera à cette
époque du modèle comme une mi-
cro Architecture: des objets ou
images représentant à échelle
réduite des parties complètes
d’une construction. L’abstrac-
tion diminue vers une représen-
tation toujours plus précise des
monuments. Les architectes com-
mencent à percevoir la capaci-
té communicative qu’apporte le
modèle. Le modèle prend prin-
cipalement une valeur d’outil
d’exécution, à la manière des
moles et de leur première ten-
tative de systématisation d’un
principe constructif. Le modèle
ici ne rentre pas vraiment dans
le processus de conception ar-
chitectural, mais plutôt dans le
processus de construction d’une
architecture. Et ceci dans le
sens ou, pour les moles et les
tabernacles , le processus de ré-
flexion architecturale est déjà
terminée quand ils sont réali-
sés. Ce sont des objets finis.
Néanmoins, quelques exceptions
commencent à faire apparaître la
maquette en tant qu’élément de
conception du projet architec-
tural. Avec les maquettes res-
pectives de la basilique de San
Petronio et des cryptes de l’ab-
baye Saint Germain, on assiste
au début du principe de réduc-
tion à échelle concrète. Les
questionnements statiques que
posaient ces deux projets furent
résolus par l’utilisation de la
maquette dans leur processus de
réflexion.
Constat
35. 35
Le culte des divinités na-
turelles a une place prépondé-
rante dans la civilisation inca.
Il était fréquent de leur faire
des offrandes et sacrifices afin
de s’attribuer leurs faveurs.
Les incas construisaient des
lieux de cultes en signe de vé-
nération à ces divinités. L’une
d’elles, Viracocha, est associée
à l’aménagement du sol. Quand on
connaît l’importance de l’agri-
culture et des techniques d’ir-
rigation pour les incas, il est
logique de retrouver l’image de
cette pratique dans les lieux de
culte. Ces derniers étaient ha-
bités par des prêtres et ves-
tales dont la fonction était de
procéder aux rituels d’offrandes
pour les dieux. Il apparaît que
les incas se servaient réguliè-
rement de dessins ainsi que de
modèles divers avant de commen-
cer la construction de leurs
villes et de leurs temples. Par-
mi les vestiges archéologiques
incas remarquables retrouvés à
3_ La valeur de mémoire chez les Incas
La pierre de Saywite
[29] Pierre sculptée représentant le complexe cérémonial de Saywite, complexe archéolo-
gique de Curuhuasi, Pérou.
36. 36
ce jour, on peut noter l’exis-
tence de la pierre de Saywite
[29], actuellement observable
dans le complexe archéologique
de Curahuasi, au Pérou. Cette
pierre sculptée représente un
territoire, l’ensemble des trois
régions1 bordant le centre céré-
monial de Saywite. Cette pierre
est un autel ayant un rôle à
assurer dans les cérémonies et
rites incas liés au culte de
l’eau. Aux dimensions exception-
nelles, ce gros bloc de granit
est ornementé en partie supé-
rieure par une série de formes
mystérieuses et complexes. Plus
de deux cent figures zoomorphes,
anthropomorphes et géométriques
y sont représentées. Les figures
zoomorphes ont l’aspect de to-
tems sacrés d’espèces animales
présentes dans ces régions,
telles que le puma, le singe ou
le serpent. Les figures anthro-
pomorphes rappellent par leur
morphologie les fameuses idoles
représentant des divinités pour
leur culte. Les figures géomé-
triques évoquent l’architecture
globale du complexe, dont le ni-
veau de détails va jusqu’à la
représentation des routes, des
pistes et des formes d’escaliers
[30]. Par ailleurs, cette pierre
serait aussi une sorte de plan en
trois dimensions du centre mémo-
rial réalisé par les architectes
incas afin de garder une trace
des travaux hydrauliques qu’ils
réalisaient. De nombreux canaux,
1- Région côtière, région montagneuse et région forestière.
2- Onze mètres de circonférence, quatre mètres de diamètre, deux mètres cinquante de haut.
[31] Dispositif d’écoulement des eaux,
centre cérémonial de Saywite, Pérou.
[30] Détails d’escaliers et de terrasses
successives, pierre de Saywite, Pérou.
37. 37
étangs ainsi que la présence de
petits trous tout autour du bloc
semble mettre en place un sys-
tème d’évacuation des eaux et
donc confirmer cette théorie. On
peut d’ailleurs encore observer
de nos jours dans le site actuel
cette disposition en terrasses
successives pour faire descendre
l’eau [31].
On retrouve dans l’utili-
sation de cette pierre inca une
forte connotation symbolique re-
ligieuse. Ceci dans le but de
rendre hommage aux divinités et
d’attirer leurs faveurs, à la
manière des modèles funéraires
de l’Égypte Antique. On repré-
sente sur ce modèle les arché-
types spirituelles du culte par
la représentation des divinités
et figures animales importantes.
Elle sert aussi à représenter les
paramètres topographiques parti-
culiers du site dans le but de
vérifier le bon fonctionnement
d’un système utilitaire. Dans
le cas présent, le contrôle d’un
ouvrage hydraulique. Ce modèle
n’a pas aidé à la conception ar-
chitecturale du complexe cérémo-
nial dans le sens ou il a surtout
été employé à pouvoir garder une
trace des travaux effectués à
cet endroit. Le modèle amorce
ici son rôle en tant qu’objet
de sauvegarde architecturale et
culturelle.
Constat
38. 38
Dans certains cas, la ma-
quette se veut être à vocation
touristique, car elle permet à
des clients européens fortunés
d’avoir un souvenir du voyage
qu’ils ont effectués en Italie.
L’origine de la maquette en liège
est napolitaine. Ce matériau a
un intérêt quant à leur trans-
port, celui-ci étant moins lourd
que le bois et moins fragile que
le plâtre. De plus, le liège,
par son aspect poreux, a cette
capacité à rappeler la surface
du travertin et du tuf. Sa tex-
ture et ses couleurs sont très
adaptés à la représentation de
ruines. Le liège est donc uti-
lisé pour représenter l’état ac-
tuel d’un édifice, mais c’est le
bois ou le plâtre dont on se sert
pour restituer l’aspect origi-
nal du bâtiment. Parfois même,
la combinaison des ces trois ma-
tériaux s’avère très efficace.
Certaines maquettes réalisées en
liège auront une structure bois
et des décorations (frises, cha-
piteaux, reliefs) en plâtre ou
en terre cuite.
Peu de maquettes du XVIe
siècle nous sont parvenues en
bon état jusqu’à aujourd’hui.
Certaines permettent néanmoins
de retracer l’histoire d’un pro-
jet comme dans le cas de Filippo
Brunelleschi, et ses maquettes
réalisées lors de l’élaboration
du dôme de la cathédrale Santa
del Fiore à Florence à l’époque
fin XV – début XVI. On pouvait
observer dans le travail de Bru-
nelleschi tout le processus de
finalisation du tambour par deux
éléments de réponse : une ma-
quette en bois de la coupole avec
les éléments de l’abside [32]
ainsi que neuf autres maquettes
4_ La valeur de résolution à la Renaissance
Les maquettes en liège
Brunelleschi
39. 39
de la coupole surmontée de la
lanterne. Puis afin de tester la
structure du dôme, il réalise une
maquette [33] dont il pousse le
soin du détail jusqu’à restituer
avec exactitude les ornements
de chapiteaux et de balustres.
La maquette devient un outil au
service de la résolution archi-
tecturale. Le profil géométrique
de la coupole du dôme indique
les relations entre les angles
et la partie centrale du sommet
de la structure. La création d’un
modèle physique est primordiale
pour Brunelleschi pour guider
facilement les artisans dans
la réalisation de l’édifice. Le
problème de la hauteur du chan-
tier oblige Brunelleschi à ima-
giner un échafaudage en bois re-
posant seulement sur le tambour
de la coupole [34]. Il en des-
sine également tous les détails,
jusqu’au calcul de l’inclinaison
des chevrons.
[32-33] En haut: maquettes en bois de la
coupole de la cathédrale Santa del Fiore;
A droite: maquette de la structure de la
coupole.
[34] Dessin de l’échafaudage dessiné par
Brunelleschi pour la coupole de la cathé-
drale Santa del Fiore.
40. 40
La maquette architectu-
rale, par sa matérialisation
physique du projet, permet à
l’observateur néophyte de sai-
sir au premier coup d’oeil les
qualités du projet, quand bien
même il ne sache pas lire les
projections orthogonales d’un
plan. De nos jours, ce type de
maquette s’apparenterait à la
maquette de présentation de ren-
du final. Le terme « modèle » est
employé jusqu’à XVIIIeme siècle.
Dans certains cas, l’utilisation
du modèle architectural devient
un fort moyen de communication
clair et accessible pour un pu-
blic dit profane. Pour exemple,
la restructuration de l’église
San-Lorenzo, à Florence. Le pape
Léon X décide de faire embel-
lir la façade en marbre de cette
église. Pour cela, il oppose Ja-
copo Sasovino1
à Michel-Ange2
.
Les deux architectes firent ré-
aliser chacun un modèle en bois
de leurs propositions respec-
tives de façades. Michel-Ange
fait plusieurs esquisses prépa-
ratoires sur papier [35], dans
le but de pouvoir réaliser un
premier modèle en argile. Ce-
lui-ci a disparu par la suite.
Après ses premiers tests, il ré-
Michel-ange
[35] Esquisse préparatoire de la restructu-
ration de l’église San-Lorenzo, Florence,
Michel-Ange.
[36] Modèle de façade, Michel-Ange bois,
église San-Lorenzo, Florence.
1- Jacopo Sasovino est un architecte sculpteur, italien né en 1486, mort en 1570.
2- Michel-ange est un architecte, sculpteur, peintre de la Haute renaissance, né en 1475
et mort en 1564.
41. 41
alise un modèle en bois [36] en
vue de le présenter au pape Leon
X. Cela permit à celui-ci de se
faire une idée par comparaison
des intentions architecturales
des deux artistes. Dans ce cas
de figure, l’utilisation de la
maquette aida le commanditaire à
percevoir la qualité de l’ordre
établi en façade, ainsi que l’ar-
ticulation des différents prin-
cipes structurels et décoratifs
(soubassement, colonnade, ar-
chitrave, frise, fronton,etc…).
D’autres architectes en firent
également usage. Nous pouvons
évoquer Antonio da Sangallo et
la maquette de sa proposition
pour l’agrandissement l’église
Saint Pierre de Rome [37]. Ce
projet ne fut pas concrétisé et
c’est encore à Michel-Ange que
revient la tâche. Ce dernier ne
tient pas compte du projet de
Sangallo, qu’il considère trop
sombre, trop grand et non fonc-
tionnel. C’est principalement la
coupole de la cathédrale qui re-
tient la majeure partie de son
attention. Il s’inspire d’ail-
leurs de la coupole faite par
Brunelleschi à Florence. Après
être passé par des esquisses [38]
pour la recherche de ses formes,
il réalise un modèle en bois
[39] afin d’en percevoir toute
la complexité, tant au niveau
des détails structurels que dé-
coratifs. Une gravure d’Étienne
[37] Projet de Sangallo pour Saint Pierre
de Rome, gravure.
[38] Esquisse préparatoire pour la coupole
de Saint Pierre de Rome, Michel-Ange.
42. 42
« Bel objet, effet irrésistible et de sa puissance formelle, de son
intelligibilité pour un public non spécialisé et de son efficacité
cognitive comme porteur de multiples données »2
[39-40] En haut: maquette du dôme de Saint
Pierre de Rome, Michel-Ange, gravure; En
bas: Projet de Michel-Ange pour Saint
Pierre de Rome, gravure d’Étienne Dupérac.
1- Andrea Palladio est architecte de la Renaissance, né en 1508 et mort en 1580.
2- CITE DE L’ARCHITECTURE & DU PATRIMOINE, La maquette, un outil au service du projet ar-
chitectural Colloque international, Paris, Mai 2011, p 2.
[41-42] En haut: maquette du Redentore,
bois, Andrea Palladio; En bas: Maquette de
l’hotel de ville de Vicence, bois, Andrea
Palladio.
43. 43
Dupérac, réalisée à partir d’un
modèle en bois de Michel-Ange
non parvenu jusqu’à nous, nous
donne l’aspect général de la ca-
thédrale telle que le maître l’a
imaginé [40]. Nous pouvons aus-
si évoquer Andrea Palladio1
. En
effet, même s’il n’en fit pas
un usage véritable pour ses nom-
breux palais et villas, la ques-
tion de l’utilité du modèle ar-
chitectural dans sa conception
se pose. Son travail évoque une
variété de maquettes. L’impor-
tance du modèle chez celui-ci
se démarque des maquettes plus
conventionnelles du Redentore
[41], ou de la maquette en bois
[42] qu’il a réalisé de l’hôtel
de ville de Vicence afin d’ap-
puyer les arbitrages financiers
sur le projet en est la preuve.
Les traités d’architec-
ture de cette époque expriment
eux aussi l’importance de l’uti-
lisation de la maquette dans le
processus constructif d’une ar-
chitecture. Dans son ouvrage,
Wotton1
indique que l’Architecte
ne doit pas élaborer une in-
tention architecturale au seul
moyen d’un dessin sur papier ou
d’un tracé en perspective, aussi
exactes que puissent être leurs
mesures. Pour lui, la maquette
a l’intérêt de pouvoir résoudre
les erreurs de proportions et de
La maquette dans les écrits anglais
conception, mais aussi d’endi-
guer les éventuelles difficultés
pouvant survenir à la construc-
tion du bâtiment. En cela, il
rejoint la position d’Alberti2
.
Un autre texte mérite d’être
mentionné. Ce sont les écrits de
Roger Pratt3
ou ce dernier nous
apporte une nouvelle caracté-
ristique de la valeur de la ma-
quette dans le projet. Il nous
la désigne comme faisant partie
intégrante du contrat engageant
l’Architecte, le client et les
différents artisans.
1- Henry wotton est un diplomate anglais né en 1568 et mort en 1639, dans son traité The
elements of architecture, collected by Henry Wotton Knight, from the best author and exa-
mples, Londres, imprimé par Iohn Bill, 1624.
2- Leon Battista Alberti est un architecte, peintre italien né en 1404 et mort en 1472.
3- Sir Roger Pratt est architecte anglais né en 1620 et mort en 1684.
44. 44
C’est en Italie que l’uti-
lisation de la maquette dans le
projet d’Architecture connait
son essor le plus significatif.
En effet, sans se substituer aux
plans des maîtres d’œuvres, elle
sert véritablement la représen-
tation architecturale quand il
s’agit de faire apparaître les
idées et détails d’un projet.
Sur ce point, on peut d’ailleurs
noter un approfondissement des
valeurs du modèle au Moyen-Age
évoquées précédemment. A par-
tir de la Renaissance, la ma-
quette devient un outil au ser-
vice du projet, autant dans son
processus de conception que de
communication. L’objet facilite
l’explication de l’intention ar-
chitecturale de l’architecte à
son commanditaire. A ce titre,
Constat
les architectes attendent géné-
ralement le dernier moment avant
de dévoiler leur maquette, ceci
pour ne pas déflorer leur projet
et en conserver tout le mystère
et la substance. Mais la valeur
de résolution architecturale
qu’apporte la maquette prend
une importance considérable dans
le processus de conception d’un
projet à partir de cette époque.
Pour Brunelleschi par exemple,
la maquette a d’abord une fi-
nalité interne au chantier, car
elle permet la visualisation gé-
nérale du volume à construire.
Mais elle lui a permis par ail-
leurs de résoudre un question-
nement structurel en la maté-
rialisant en trois dimensions.
Brunelleschi, pourtant précur-
seur de la perspective, voyait
«...elle ne préviendra pas seulement toute future altération dans
le chantier... mais évitera aussi toute réclamation du maître et
abus de l’entrepreneur, puisqu’elle restera toujours une justifi-
cation de l’invention de l’un et une preuve patente du consentement
de l’autre»1
1- R.T. Gunther, The Architecture of Sir Roger Pratt, Oxford, 1928, p.22.
45. 45
dans la maquette la représenta-
tion tridimensionnelle adéquate
pour résoudre son projet. En-
fin, la maquette devient aussi
un outil permettant de calculer
avec précision le coût global
d’un projet. Par sa qualité à
restituer parfaitement les di-
mensions, les notaires pouvaient
s’en servir comme base de calcul
d’échelles et établir des devis
estimatifs.
… Elle est utilisée par les architectes pour déterminer les lon-
gueurs, largeurs, hauteurs et épaisseurs, ainsi que le nombre, les
dimensions, la nature et la qualité de tous les éléments[...]. Elle
sert également à prodiguer conseils et directives aux différents
corps de métiers impliqués dans les travaux de construction. Elle
permet enfin d’évaluer les coûts à prévoir. »1
1- ECOLE DE CHAILLOT, Les Maquettes d’architecture, Paris, Novembre 2009.
46. 46
Dans le cas du projet du
nouveau Louvre de Louis XIV,
Le Bernin1
fabriqua 2 maquettes
non conservées, d’échelles dif-
férentes. L’une d’elle fut fa-
briquée en stuc et l’autre en
bois, comme le montre la seule
trace visible à ce jour à sa-
voir les dessins réalisés par
Francart en 1695 [43]. On peut
y voir les efforts du Bernin à
définir une volonté architec-
turale en adéquation avec son
époque, celle du palais pour «
un roi d’aujourd’hui » (l’ex-
pression de l’idée nouvelle du
pouvoir absolu). Le Bernin fit
face à des nombreuses critiques
dans les détails de son projet,
tant au niveau des formes et di-
mensions qu’à l’utilisation des
ordres mis en place. Le recours
du Bernin à des maquettes d’ar-
chitecture en toile, bois et
stuc lui permettait de véhiculer
plus efficacement la force de
ses idées, jugées parfois diffi-
ciles par rapport aux typologies
architecturales traditionnelles
de l’époque. Les informations à
notre disposition au travers des
ces dessins nous indiquent que
Le Bernin ne se contente pas de
représenter en maquette l’exacte
organisation de sa recherche en
dessin. On remarque que les ma-
quettes laissent apparaître des
modifications judicieuses du
projet par rapport aux gravures.
Malgré l’échec provoqué par le
refus du roi et les critiques
soulevées, ce projet est à sou-
ligner comme le point de réfé-
rence de nombreux projets fran-
çais réalisés par la suite. Ces
derniers suivirent la tendance
exprimée par ces deux maquettes
refusées.
5_ La valeur de vérification au Baroque
Le Bernin
1- Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, est un architecte, sculpteur, et peintre né en
1598 et mort en 1680.
47. 47
[43] Évolution des maquettes du Bernin pour le projet du Louvre, gravures de Francar,
1695.
48. 48
alise des maquettes de travail
de différentes échelles en lam-
bris, bois, plâtre ou encore en
petites pierres. Ces maquettes
étaient réalisées pour résoudre
des éléments complexes à appré-
hender d’une autre façon tels
que les tours, les escaliers,
la coupole ou encore des détails
particuliers. Selon ce qu’elles
représentaient, elles étaient
réalisées par des maçons ou
des menuiseries. Certaines ont
des similitudes avec les cro-
quis de Nicholas Hawksmoor2
, et
nous indiquent que ces dessins
Christopher Wren
Dans le cas de la cathé-
drale Saint-Paul de Londres, ré-
alisée par Christopher Wren1
, on
retrouve l’idée de la fameuse
« grande maquette » [44] des-
tinée à attirer les donations
de riches investisseurs pour la
construction du projet. Le but
est de valoriser la générosité
des donateurs et leur aide fi-
nancière à la construction d’un
édifice aux yeux du grand pu-
blic. Mais son utilisation de la
maquette dans l’élaboration de
son édifice ne se limite pas à
ceci. Après une phase prépara-
toire en croquis [45], Wren ré-
1- Christopher Wren est architecte anglais né en 1632 et mort en 1723.
2- Nicholas Hawksmoor est un architecte britannique, élève de Christopher Wren. Il est né
en 1661 et mort en 1736.
[44] Maquette de la cathédrale Saint-Paul
de Londres, Christopher Wren.
[45] Croquis préparatoire de la coupole de
la cathédrale, Christopher Wren.
49. 49
étaient réfléchis parallèle-
ment aux tests effectués sur ma-
quettes durant le chantier. Par-
fois, elles sont réalisées après
la construction d’une partie de
l’édifice, comme c’est le cas de
deux maquettes de la toiture de
l’aile ouest. Après observation
de l’ensemble de la charpente,
il s’avère que d’autres parties
plus récentes du toit sont simi-
laires à l’aile ouest. On peut
donc penser que ces maquettes
ont été fabriquées à partir de
la toiture déjà construite afin
de servir de modèle à suivre pour
les artisans quand ils construi-
raient les toitures suivantes.
On trouve dans son utilisation
de la maquette un certain nombre
de cas ou celle-ci se concentre
sur la résolution de problèmes
structurels. C’est le cas pour
deux projets élaborés par l’Ar-
chitecte. La première est la ma-
quette de la chapelle du Collège
de Pembroke, à Cambridge [46].
Ici, ce sont les détails de
structure de la toiture qui sont
étudiés. La deuxième concerne la
proposition pour régler la mau-
vaise stabilité de la croisée du
transept de l’abbaye de West-
minster. La maquette offre une
solution consistant à restaurer
les piliers endommagés [47].
[46-47] En haut: maquette de la chapelle
du College de Pembrooke; En bas: maquette
de la croisée du transept de l’abbaye de
Westminster.
50. 50
On retrouve à cette époque
une utilisation de la maquette
explorée aux périodes précé-
dentes, c’est celle qui carac-
térise le mole du Moyen-âge.
Cette valeur d’outil d’exécu-
tion perpétuée à la Renaissance
s’est transmise aux architectes
de l’époque Baroque. Le proces-
sus de conception met en paral-
lèle l’utilisation du dessin et
de la maquette. L’intention ar-
chitecturale est réfléchie grâce
au dessin en deux dimensions,
et la maquette permet de véri-
fier l’idée couchée sur le pa-
pier. Elle a valeur d’outil de
vérification. Au-delà de l’as-
pect financier qu’impliquait la
«grande maquette», son intérêt
avait de multiples applications.
D’une part, elle servait de base
contractuelle pour les artisans,
qui pouvaient l’utiliser comme
le moyen de connaitre précisé-
ment le travail faisant l’objet
de leur contrat. D’autre part,
elle était utilisée comme modèle
d’étude en vue de résoudre des
problèmes structurels complexes,
ou encore l’exécution d’éléments
compliqués à appréhender spatia-
lement. A cette époque donnée,
l’utilisation de la maquette de
façon itérative se fait de plus
en plus fréquente. Elle est tou-
jours plus grande et plus variée.
A partir de ce moment de l’his-
toire, la maquette marque sa va-
leur en tant qu’objet d’exemple
pour l’avenir et de sauvegarde
architecturale.
«Wren considérait les maquettes comme des instruments beaucoup plus
polyvalents: maquettes de présentation, maquettes de conception
pour l’étude de problèmes formels, maquettes technique pour trouver
des solutions à des problèmes de construction, maquettes de réfé-
rence future [...] maquettes-documents contractuels»1
Constat
1- CITE DE L’ARCHITECTURE & DU PATRIMOINE, La maquette, un outil au service du projet ar-
chitectural Colloque international.
51. 51
Comme nous l’avons vu
dans cette partie, La maquette
au fil de son histoire a ac-
quis un ensemble de valeurs la
différenciant des autres mo-
des de représentation. Toutes
ces valeurs font désormais
partie intégrante du langage
architectural. De nos jours,
l’outil marque son importance
dans le processus d’expéri-
mentation architectural. Par
ce biais, de multiples formes
nouvelles d’architecture ap-
paraissent, en relation avec
l’essor industriel. Depuis la
période avant-gardiste du XXe
siècle, les architectes et
artistes s’orientent vers la
maquette pour en faire un ou-
til de recherche artistique en
soi. Malevitch1
s’en sert pour
en faire des objets spatiaux
autonomes, sans échelle, sans
mesure. De la même façon, à
partir de cette époque, la
maquette devient la meilleure
manière de développer l’uto-
pie architecturale ou urbaine.
L’utilisation de la maquette
par les avant-gardistes marque
un tournant dans son évolu-
tion dans les années 1930. La
relation entre architecture
et sculpture a parfois porté
à confusion, comme on peut le
voir dans les premières ex-
positions visant à mettre en
avant l’architecture moderne.
Ce tournant marque le passage
de l’instrument artistique à
un outil professionnel.
6_ La maquette aux Temps modernes
1- Malevitch : dessinateur, peintre, sculpteur russe né en 1878 et mort en 1935.
53. 53
La première étape de
tout projet d’architecture est
le concept architectural. Cela
passe par l’intuition de l’ar-
chitecte, ce qui l’amène par la
suite à devoir développer de fa-
çon concrète cette pensée, en
la matérialisant de quelque fa-
çon que ce soit. Le processus
de conception en maquette met en
relation deux phases : la pen-
sée architecturale et l’acte de
la matérialiser. Ces deux phases
s’alimentent l’une l’autre.
L’architecte, en concrétisant sa
pensée, se rend compte de pro-
blèmes auxquels il n’avait pas
réfléchi parce qu’il était foca-
lisé sur le concept pur imagi-
né. Cela l’amène donc à repen-
ser cette idée en résolvant son
projet au fur et à mesure qu’il
concrétise ses pensées succes-
sives. Ce phénomène cyclique se
déroule d’autant mieux que la
maquette, à contrario des repré-
sentations en deux dimensions,
permet la vision globale spatia-
lisée de l’idée architecturale.
C’est la théorie de l’accident
évoquée par le principe de la
sérendipité. Cela consiste en la
découverte d’un principe à la
suite d’une succession de hasard
fortuit. La manipulation par la
maquette permet de trouver une
chose différente de ce que l’on
cherchait à l’origine.
- PARTIE II -
LA PLACE DE LA MAQUETTE DANS LE PROJET
« Fabriquer une maquette est un acte conscient: Je fais ce que je
dis et je dis ce que je fais »1
[1] Ci contre: Schémas du processus de conception en maquette, Ibid.
1- LARRERE (Vanessa), La maquette comme outil de conception architecturale, Mémoire de
quatrième année, Ecole d’architecture de Toulouse, 2006.
54. 54
Depuis très longtemps, les
architectes sont conscients du
pouvoir de séduction que repré-
sente la maquette dans la pré-
sentation d’un projet. L’étude
du projet par la maquette permet
à l’architecte de visualiser de
façon concrète l’idée première
qu’il a pu avoir, afin d’en ju-
ger les qualités et défauts. Il
en évalue la pertinence pour
pouvoir, par la manipulation,
la modifier et l’améliorer. Les
champs d’investigation de cet ou-
til sont multiples : recherches
de formes, études de détails
constructifs, essais d’implanta-
tion in situ, résolutions tech-
niques, principes fonctionnels ou
matériels. L’architecte montre
ce qu’il veut sur sa maquette.
Sa représentation est totalement
arbitraire et laissée à la libre
appréciation personnelle de ce
dernier. En ce sens, les choix
de l’échelle, du cadrage ainsi
que des matériaux ou de l’esthé-
tique générale sont très révé-
lateurs de la volonté de commu-
nication d’un projet. Certains
chercheront à atteindre un cer-
tain degré de réalisme, tandis
que d’autres feront abstraction
en mettant l’accent sur l’idée
forte du concept. Les typologies
exposées par la suite n’ont pas
la prétention d’en fournir une
liste exhaustive. Nous cherche-
rons à voir de quelles façons
les valeurs acquises par la ma-
quette au fil des siècles se sont
transmises aux Architectes pour
servir leur processus de concep-
tion architectural.
1_ Différentes typologies de maquettes
55. 55
Son but est essentielle-
ment de montrer de quelle façon
le projet vient se placer dans
son site. Elle montre la rela-
tion au contexte à l’échelle du
quartier, de la ville ou même
du territoire. Cette maquette
n’a pas pour volonté d’expri-
mer l’organisation intérieure
du projet, qu’elle soit fonc-
tionnelle ou spatiale. Elle in-
dique comment l’implantation du
projet modifie, ou alimente, la
situation du site existant. Se-
lon l’échelle choisie, le degré
d’abstraction des volumes sera
plus ou moins important.
L’exposition à Lisbonne1
dédiée à
Peter Zumthor nous donne un aper-
çu très intéressant du travail
de l’architecte par la maquette.
L’une d’elles représente un vil-
lage implanté dans une topogra-
phie très prononcée. L’ensemble
de cette maquette [2] est trai-
té au moyen du béton cellulaire.
Les maisons, la végétation, ain-
si que les routes sont représen-
tées par ce seul matériau. Ce
dernier est traité d’une façon
particulière selon ce qu’il re-
présente. Alors que les maisons
sont sculptées précisément, les
végétations le sont grossière-
/La maquette d’urbanisme et paysage
[2] Maquette paysage, béton cellulaire, Peter Zumthor, Buildings and Projects 1986-2007.
1- Peter Zumthor - Buildings and Projects 1986-2007, Experimentadesign Lisbon, 2009.
56. 56
ment [3]. Les routes [4] quant
à elles sont mentionnées par des
rainures dans la matière. Mal-
gré tout, une véritable unité
visuelle est ainsi mise en place
par le matériau utilisé. Zumthor
a cherché à indiquer la dominante
naturelle du site, et c’est ce
que l’on ressent par cette ma-
quette. Celle-ci nous évoque un
paysage brut, naturel et massif.
Ce travail de creusement dans
la matière nous rappelle celui
de la pierre inca représentant
[3-4] En haut: les maisons sont taillées avec précision (avant-plan), la végétation est
taillée grossièrement (arrière plan); En bas: rainures dans le sol et les routes.
57. 57
le centre cérémonial de Saywite
[5]. Ces deux modèles ont été
réalisés avec l’intention de re-
présenter une portion de ter-
ritoire. Pour l’un comme pour
l’autre, le degré d’abstraction
varie selon l’élément représen-
té. Pour la pierre de Saywite, le
niveau de détails est plus élevé
pour les formes architecturales,
les routes et les escaliers [6].
En revanche les régions natu-
relles sont taillées plus gros-
sièrement dans la pierre.
[5-6] En haut: pierre représentant le complexe mémorial de Saywite; En bas: on observe la
précision du détail des formes géométriques, des routes et escaliers.
58. 58
Son but est d’exprimer le
principe structurel du projet.
Par la manipulation, on peut
facilement comprendre comment
fonctionne une structure pour
intégrer ces données lors de la
conception du projet. Cet outil
n’exprime en aucun cas l’implan-
tation, la fonctionnalité. Sui-
vant le concept du projet, elle
peut intégrer l’idée de spatia-
lité et de matérialité. A l’ins-
tar de Gaudi, de nombreux archi-
tectes tel que Pier Luigi Nervi
(maquette en résine, étude du
comportement statique du bâti-
ment) , Laurent Ney (maquette
intuitive pour la statique de
sa passerelle à Courtrai) ou en-
core Kenzo Tange (maquette en
béton pour le Yoyogi National
Gymnasium à Tokyo) se servirent
de la maquette structure. Dans
le cas de son projet de l’école
Leutschenbach à Zurich, Chris-
tian Kerez partit de la ma-
quette structure pour exprimer
son concept statique construc-
tif. L’architecte théâtralise la
structure. Celle-ci consiste en
une structure métallique de 5
étages reposant sur 6 trépieds.
Des poutres treillis se posi-
tionnent de façon transversale,
longitudinale ou périphérique
selon les étages. La maquette
[7] réalisée par Kerez exprime
le rapport entre structure et
espace. En faisant celle-ci à
grande échelle, il peut ainsi
percevoir en trois dimensions
comment les articulations entre
ses différentes poutres treillis
doivent se mettre en rapport afin
d’obtenir la sensation d’équi-
libre instable imaginée dans le
bâtiment final [8]. Comme nous
l’avons vu dans la première par-
tie, les architectes se servent
depuis des siècles de l’apport
de la maquette afin de résoudre
une réflexion structurelle.
/La maquette structure
1- Pier Luigi Nervi est un ingénieur italien né en 1891 et mort en 1979.
2- Laurent Ney est un ingénieur luxembourgeois né en 1964.
3- Kenzo Tange est un architecte, urbaniste japonais né en 1913 et mort en 2005.
4- Christian Kerez est un architecte suisse né en 1962.
59. 59
[7-8] En haut: maquette de la structure de l’école Leutschenbach, Christian Kerez; En bas:
projet réalisé, Zurich.
60. 60
Otto Frei1
a concentré une grande
partie de sa vie à faire coïnci-
der former et structure. L’éla-
boration de ses structures mi-
nimales s’inspirent des formes
organiques présentes dans la na-
ture. L’un de ces modèles d’étude
[9] est constitué d’un fin cadre
métallique rectangulaire ainsi
que de deux cercles métallique
placés à différentes hauteur.
Un film de savon est posé sur
ces éléments et vient former une
pellicule courbée.
[9] Modèle de surface minimale réalisée avec un film de savon , Otto Frei.
1- Frei Otto est un architecte allemand né en 1925 et mort en 2015.
61. 61
Son but est de mettre en
place les articulations fonc-
tionnelles du programme mis à
disposition. Les différentes
fonctions sont symbolisées par
une volumétrie simple et un
code couleur, permettant ain-
si d’appréhender rapidement
les interactions entre les
différents éléments à faire
dialoguer ensemble au sein
d’un même programme. L’impor-
tant ici n’est pas d’expri-
mer la forme, mais de trouver
le jeu de composition adé-
quat selon le concept du pro-
jet. A l’échelle du bâtiment,
cette maquette permet de mon-
trer la logique fonctionnelle
mise en place. Rem Koolhaas1
,
dans le projet qu’il propose
pour les halles de Paris, ré-
alise une maquette programme
[10]. Elle lui permet de com-
prendre comment viennent se
superposer les nombreuses
couches programmatiques. Son
projet se développant sur de
nombreux niveaux, il obtient
une compréhension spatiale
générale, allant des sous-
sol aux sommets de ses tours.
La maquette programme
[10] maquette programme du projet des Halles, Paris, Rem Koolhaas.
1- Rem Koolhaas est un architecte , théoricien, et urbaniste néerlandais né en 1944.
62. 62
Son but est généralement
d’établir un support privilé-
gié pour le dialogue entre in-
génieurs et architectes. Cette
maquette est destinée au calcul
(thermique, acoustique,…) ou au
contrôle des structures. Il y
a une réelle nécessité de ré-
alisme, autant au niveau for-
mel que matériel. L’idée est de
reproduire dans cette maquette
le plus fidèlement possible les
conditions du bâtiment qui sera
construit, afin d’arriver à des
résultats les plus proches de la
réalité projetée. Ce type de ma-
quette peut être amené à subir
des tests de résistance au vent
(effectué en soufflerie, simu-
lant toutes directions et types
de vent), d’isolation au son,
à l’air, à l’eau,… ou même de
tests physiques de résistance
structurelle. Pour son projet de
l’opéra de Sydney, Jøhn Utzon1
passe par la maquette technique
[11] pour en confirmer la forme.
De par la morphologie en coque
de cette réalisation, la pous-
sée des forces latérales sera
très importante. Il réalise une
maquette de test en soufflerie,
afin de voir comment son bâti-
ment va réagir à l’impact de la
distribution des vents sur sa
structure et sur ses toits. Si
on compare la maquette technique
réalisée avec le projet construit
[12], on remarque qu’il y a eu
des modifications effectuées au
niveau de la courbure et des di-
mensions des coques.
/La maquette d’étude technique
1- Jørn Utzon est un architecte danois né en 1918 et mort en 2008.
63. 63
[11-12] En haut: maquette technique de l’opéra de Sydney, Jørn Utzon; En bas: projet réa-
lisé, Sydney.
64. 64
Son but est de juger l’ef-
fet général et les proportions
à taille réelle. On cherche à
mettre en place un extrait du
projet avec le degré de réalisme
le plus poussé, à la taille défi-
nitive prochainement construite.
Cette maquette peut-être utili-
sée en vue de tester un prin-
cipe structurel en condition
réelle. Elle introduit la notion
de l’échelle du corps humain et
permet d’appréhender un rapport
direct aux proportions. Cela peut
permettre aussi des tests de ma-
térialité du projet, pour com-
prendre la façon dont le matériau
est ressenti par l’oeil humain,
et de quelles manières sa tex-
ture vient réagir à la lumière.
C’est une maquette qui peut in-
tervenir vers la fin du processus
de conception architectural pour
valider certains choix géomé-
triques et plastiques. Pour son
bâtiment du Johnson Wax Building
en 1939, Wright1
fut contraint de
fabriquer l’une de ses colonne
en grandeur nature pour montrer
aux commissions de contrôle la
viabilité de son principe struc-
turel. En effet, ses colonnes
/La maquette prototype
1- Frank Lloyd Wright est un architecte, concepteur américain né en 1867 et mort en 1959.
[13] Colonnes structurelles, Johnson Wax Building, Frank Lloyd Wright.
65. 65
[13] en forme très effilées de
champignon ont des proportions
particulières. Wright fait donc
fabriquer une maquette proto-
type [14] à taille réelle, dans
l’idée de la charger et de pou-
voir montrer à tous qu’elle peut
parfaitement supporter la charge
minimale requise. Cette charge
est de six Tonnes, mais par sé-
curité on teste jusque douze
Tonnes. Le test de charge est ef-
fectué et on constate que cette
colonne porte sans problèmes la
charge maximale requise. Mais
Wright, irrité par le manque
de confiance des techniciens et
chargés de contrôle, ordonne de
continuer à charger la colonne.
La corolle de la colonne portera
jusqu’à soixante Tonnes avant de
s’écrouler. Cet exemple rappelle
la valeur d’outil d’exécution
représentée par les moles au
Moyen-age. Ces modèles grandeur
nature étaient réalisés dans le
but de servir de base de réfé-
rence pour la réalisation d’un
édifice. Dans le cas de Wright,
cette maquette prototype est un
moyen de confirmer la viabili-
té de son principe structurel.
En réalisant une de ces colonne
comme référence, il montre que
toutes les autres peuvent être
construites.
1- Six mètres cinquante de haut pour un diamètres au sol de vingt deux centimètres.
[14] Test de charge effectué sur la maquette prototype d’une colonne, Racine, 1939.
66. 66
Son but est de trans-
mettre une intention. Elle n’a
pas d’échelle proprement dite et
peut avoir de multiples aspects,
textures, tailles, formes. L’ar-
chitecte exprime dans cette ma-
quette l’idée génératrice de son
projet. Cette dernière réfère
généralement à la composition
formelle du projet, mais en per-
met aussi l’expression sensible.
Dans cette optique de véhiculer
une idée, la maquette concept
symbolise le projet, sans le
représenter au « sens propre »
: elle ne montre pas la forme
exacte du projet. Cet outil sert
de fil conducteur à l’évolution
du projet et au développement
des volumes dans leur globalité.
Elle représente la forme du pro-
jet sans en pousser le détail,
et s’apparente parfois à l’idée
d’objet-sculpture. Elle rend
compte d’un niveau d’abstraction
poussé par rapport à la réali-
té. Cet outil véhicule l’idée
principale du projet, mais avec
l’avantage de pouvoir prendre
des libertés.
/La maquette concept
[15] maquette du concept structurel de l’opéra de Sydney, Jørn Utzon.
67. 67
La construction de l’opéra
de Sydney aurait pu ne pas être
réalisée, ceci dû à la complexi-
té de son concept structurel,
jugé défectueux et très compli-
qué à réaliser. Dans le but de
prouver que sa structure était
réalisable, Utzon confectionne
un modèle en bois [15] des co-
quilles formant la toiture de son
projet. Cette maquette montre le
processus de réflexion d’Utzon.
On part d’une demi sphère (donc
structurellement opérante) que
l’on vient évider progressi-
vement pour arriver aux formes
constituant le projet.
Calatrava1
a la conviction
que art et Architecture ne font
qu’un. Nombreuses de ces ma-
quettes concept évoquent d’ail-
leurs autant l’idée de sculpture
que de concept architecturale.
On peut mettre en parallèle ici
une sculpture [16] réalisée par
l’architecte en 2005 pour la
Turning Torse de Malmö. Calatra-
va prend son inspiration dans la
morphologie du corps humain [17]
pour imaginer sa tour d’apparte-
ments [18] comme une sculpture
isolée. Sa maquette concept ex-
prime cette volonté de torsion
et d’élancement.
[16-17] A gauche: croquis d’inspiration
pour la Turning Torse, Malmö, Calatrava; En
bas: maquette concept du projet, Calatrava.
1- Santiago Calatrava Valls est un architecte, artiste et ingénieur espagnol, né en 1928.
68. 68
On peut observer la capa-
cité de la maquette à symboliser
l’essence d’un projet architec-
tural. Le concept est suggéré
par le fort degré d’abstraction.
Il est possible de mettre en re-
lation la maquette concept et
les modèles égyptiens [19] par
la notion de symbolique qu’elle
implique. Dans les deux cas,
l’objet a un fort degré d’abs-
traction. On exprime l’essence
d’une réalité parallèle. Cette
dernière évoque une pensée; la
pensée architecturale pour la
maquette concept, la pensée fu-
néraire pour les modèles de mai-
sons d’âmes.
[18-19] A gauche: Turning Torse, Malmö,
Suède, Santiago Calatrava. En bas: Modèle
funéraire de silos à grains en terre cuite,
15cm.
69. 69
Au fur et à mesure de son
évolution dans le temps, les
architectes se servirent de la
maquette comme outil d’explora-
tion de nouvelles techniques de
construction. En cette matière,
le travail d’Antonio Gaudi consti-
tue l’une des figure majeure au
développement de l’architecture
et de l’approfondissement de ses
techniques constructives par la
manipulation de la maquette. Les
principes constructifs mis en
place par Gaudi restèrent pen-
dant longtemps mystérieux. Per-
sonne n’arrivait à comprendre à
partir de quel raisonnement pro-
venaient ces formes architectu-
rales peu utilisées jusqu’à son
époque. C’est d’ailleurs pour
cela que les critiques d’Archi-
tecture de l’époque voyaient la
crypte de la colonie Guell comme
«grotesque, folle , sauvage».
Mais nous sommes maintenant à
même de comprendre le mode opé-
ratoire mis en place par ce der-
nier tout au long de sa vie. Gau-
di n’était pas un improvisateur,
toute conception architecturale
juste et subtile provenant géné-
ralement d’un processus de ré-
flexion profond. C’est de cette
manière qu’il arriva rapidement
à l’utilisation de la maquette,
et non par caprice d’architecte.
Pour lui les maquettes étaient
avant tout un moyen d’étudier
l’architecture qu’il imagi-
nait, pour la bonne raison que
les problèmes s’appliquant à ces
modèles sont sensiblement les
mêmes que ceux rencontrés pour
l’édifice construit.
2_ L’expression de la structure
/Antoni Gaudi
1- Gaudi est un architecte catalan né en 1852, mort en 1926.
70. 70
La Sagrada Familla repré-
sente sans nul doute la syn-
thèse de l’ensemble des préoc-
cupations de Gaudi, la question
structurelle restant la prin-
cipale. Pour cela, il eut re-
court à l’idée de l’arc caté-
naire, jusqu’alors peu employé
dans l’architecture occidentale
traditionnelle, mis à part en
ingénierie dans les ponts sus-
pendus. Cette forme géométrique
courbe permet la redistribution
uniforme du poids qu’elle sup-
porte, le matériau ne subissant
par ce moyen qu’une descente de
charges en Compression. C’est le
procédé de la ligne de chaine
inversée, occasionnellement uti-
lisée depuis le 17éme siècle. En
laissant pendre une chaînette
fixée à ses deux extrémités, on
obtient une forme bien spéciale
[20] qui se crée naturellement
dans l’espace sous son propre
poids: un arc soumis uniquement
à des forces en Traction [21]. Si
l’on retourne le système, on se
retrouve avec un arc soumis uni-
quement à des forces en Compres-
sion, sans cisaillement. C’est
la «voûte parfaite». Ce schéma
fonctionne dans l’hypothèse ou
le poids propre de la chaînette
est la seule charge appliquée à
celle-ci. L’application se com-
plexifie dans le cas pratique
ou l’on rajoute l’impact d’une
charge structurelle par-dessus,
L’arc caténaire - principes généraux
[21] Résultantes des forces exercées sur la
chaînette sans poids appliqué.
[20] Forme naturelle de l’arc caténaire
soumis à son propre poids.
71. 71
ou dans le cas d’un ouvrage de
surface porteuse plus complexe
(ex: voûte d’arêtes). On se re-
trouve assez vite avec un im-
mense enchevêtrement de forces
s’influençant mutuellement [22].
l’utilisation de demi-cercles,
faciles à tracer afin de les
combiner en voûtes et intersec-
tions, néanmoins plutôt éloignés
de la forme de chaînette opti-
male. Par la suite, avec l’Ar-
chitecture Gothique apparurent
les voûtes en arc brisé, consti-
tuées de deux arcs de cercle.
Cette époque, comme on peut le
constater, est plus proche de
l’arc caténaire original que la
précédente [23].
L’arc caténaire - exemples de réalisations
Dans l’histoire de l’Ar-
chitecture, il est possible de
recenser de nombreuses construc-
tions ayant eu recourt aux pro-
priétés structurelles de l’arc
caténaire. Pour exemple, les ar-
chitectes romans et gothiques
s’approchaient de la forme en
chaînette dans les édifices re-
ligieux, et précisément dans
le cas des voûtes. L’Architec-
ture Romane, déjà, se basait sur
Arc Roman
Arc Gothique
Arc Parabolique
Arc Caténaire
[23] Schémas des différents types d’arcs.
[22] Maquettes de structure funiculaire,
Gaudi.
72. 72
Quelques autres exemples de réa-
lisations architecturales au fil
du temps utilisant le principe
de la chaînette:
-L’arc de Ctésiphon, Palais Taq-
e-Kisra, Irak, 540 [24].
-Le dôme de la cathédrale Santa
Maria del Fiore, Florence, Fi-
lippo Brunelleshi, 1420 [25].
-La Gateway Arch du Jefferson Na-
tional Expansion Memorial, Saint
Louis, Eero Saarinen, 1963 [26].
-La coupole du dôme du Panthéon
de Paris, Jacques-Germain Souf-
flot, 1758 [27].
[25]
[27] [26]
[24]
73. 73
Gaudi applique les pro-
priétés mathématiques et phy-
siques de l’arc caténaire (dé-
couvertes empiriquement pour sa
part) par des tests en maquette
afin de déterminer le calcul de
structures. Pour l’élaboration
de l’église de la Colonie Güell,
il construisit une maquette [28]
à grande échelle de l’édifice
(au 1:10éme
) de six mètres par
quatre mètres de haut, sur la-
quelle il travaille pendant plus
de dix ans. Pour son époque,
c’est une maquette unique en son
genre. Grâce à un montage de fi-
celles lestées par des poids cor-
respondant, suivant le rapport
d’échelle, à ceux que devront
supporter les divers éléments
structurels. Gaudi comprend que
ces ficelles, attachées à leurs
deux extrémités et en étant
chargées de poids réguliers,
donneront une forme de d’arc ca-
ténaire, le fil se modelant de
Élaboration d’une structure par la maquette
[28] Reconstitution du modèle de Gaudi pour la colonie Güell, musée de la Sagrada Familia.
74. 74
façon à résister le plus effica-
cement possible en traction à la
charge imposée. Par conséquent,
il est essentiel d’observer une
rigueur extrême dans le contrôle
de la masse des différents poids
[29], leur position spatiale ain-
si que leurs rapports de force
respectifs. Ceci est le pré-re-
quis nécessaire afin de refléter
le plus adéquatement possible la
réalité dans laquelle va se com-
porter l’édifice construit. Afin
de faciliter la lecture des es-
paces et des surfaces générées
par son projet, Gaudi choisit de
fixer des papiers ou des tissus
à ses ficelles [30]. Une fois
la spatialité appréhendée dans
sa globalité, le stade suivant
consiste à retourner la struc-
ture mise en place. En inversant
la forme par l’astuce du miroir,
Gaudi obtient ainsi la morpholo-
gie que devait adopter ses voûtes
structurelles. Par extension, on
perçoit l’apparence finale, le
dynamisme de la structure, la
traduction des charges imposées
par la construction. Les lignes
constitutives principales de
l’édifice apparaissent.
[29] Poids de lestage pour la maquette
funiculaire de la Colonie Güell.
[30] Maquette funiculaire recouverte de pa-
pier de la Colonie Güell, Photo d’époque.
75. 75
Gaudi fait des photogra-
phies de ces modèles funicu-
laires, pour garder une trace
et parfois pour re-dessiner par
dessus [31]. Une fois ces formes
réalisées et abouties, elles de-
viennent une base de travail à
la réalisation de maquettes en
plâtre utilisées pour de premiers
tests ou calculs. Le processus
de conception était assez long,
Gaudi travaillant sa réflexion
par itérations successives. Dans
cette idée, il confectionne des
maquettes en plâtre [32] lui
permettant de représenter un ni-
veau de détails allant du global
(structure, forme) à celui de
l’échelle de l’ornement (cale-
pinage, raccord, modénature, dé-
tails esthétiques). Sa recherche
en maquette trouve son sens éga-
lement dans le développement
Maquettes en filets et en plâtre
[31] Dessin de la Sagrada Familia sur base
d’une photo de la maquette funiculaire,
Gaudi, musée de la Sagrada Familia.
[32] Maquette représentant la façade de la
gloire de la basilique, plâtre Photo, Gau-
di, Musée de la Sagrada Familia.
76. 76
de ses colonnes hélicoïdales.
Celles-ci sont la synthèse de
toutes les colonnes déjà conçues
par le passé. Leur morphologie
s’inspire des colonnes à base
carrée ainsi que des colonnes
baroques salomoniques hélicoï-
dales. Le mélange des deux amène
à une colonne à base carré se
développant en double spirale
inversée qui évolue progressi-
vement en octogone, puis poly-
gone à 16, 32, 64,..., côtés.
Gaudi invente par ce procédé les
premières paraboloïdes hyperbo-
liques de l’histoire de l’archi-
tecture. Le travail de Gaudi se
caractérise par l’union de la
gravité et de la lumière. Pour
lui, l’art gothique est un art
industriel, caractérisé par la
répétition successive d’éléments
sans aucun respect des propor-
tions. Selon lui, l’ornement n’y
est, présent que dans l’unique
but de dissimuler l’erreur
structurelle, à la manière d’un
bossu mettant de beaux habits
pour cacher sa bosse. Il compare
ainsi les contreforts gothiques
à des béquilles réalisées sans
imagination. Un des principe ma-
jeur de l’architecture Gaudienne
apparait alors. Il fait l’ana-
logie du promeneur aidé d’une
canne. Cette dernière est tou-
jours penchée afin d’assurer un
[34] Reconstitution de la maquette de la
nef de la basilique avec les colonnes ar-
borescentes, plâtre, Musée.
[33] Colonnes de soutien inclinées, parc
Güell, Gaudi.
77. 77
meilleur appui. Cette idée va le
pousser à incliner ses colonnes,
comme on peut le voir dans le
parc Güell [33]. Le principe est
similaire dans le cas de la Sa-
grada Familia. Les colonnes de
soutien se développent en forme
de minces troncs en partie haute
[34], permettant ainsi une équi-
librage parfait car la charge
se trouve concentrée en partie
haute des colonnes. Afin d’al-
léger les voûtes, les espaces
entre chaque branche ne sont
pas remplis. Cette particularité
a également pour effet de per-
mettre à la lumière de filtrer,
au moyen de lucarnes et claire-
voies inclinées, à l’image des
rayons du soleil. La Sagrada Fa-
milia est une architecture plu-
tôt paradoxale car elle forme un
ensemble harmonieux, néanmoins
constitué d’une série d’élé-
ments tous différents les uns
des autres, ainsi que de struc-
tures uniques. En définitive,
l’église de la Colonia Güell est
le point de départ permettant à
Gaudi de développer l’ensemble
de sa conception architecturale
à la Sagrada Familia. Elle est
le laboratoire d’expérimentation
d’une majeure partie des prin-
cipes révolutionnaires présent
dans la basilique.
/Le Modellstatik
Ce type de maquette funi-
culaire imaginé par Gaudi, com-
posé d’éléments linéaires, pré-
sente un inconvénient. Elle ne
fait ressortir que les lignes
directrices structurelles. Dés
lors, les surfaces n’étaient en
aucune façon représentées. Cela
pose un problème par la suite
à tous ceux qui tentèrent de
reproduire ce mode opératoire
,tel que Frei Otto1
, ou encore
Heinz Isler2
. Gaudi résolut cela
en partant de la structure même
de sa maquette, par le biais de
surfaces incurvées.
1- Frei Otto est un architecte allemand né en 1925 et mort en 2015.
2- Heinz Isler est un ingénieur suisse né en 1926 et mort en 2009.
78. 78
Par la suite, le prin-
cipe fut repris et amélioré sui-
vant les techniques modernes,
comme par exemple le Modellsta-
tik. Cette technique consiste à
l’usage de la maquette à échelle
réduite dans le but d’étudier la
structure d’une construction et
de pouvoir ainsi la dimension-
ner. Au début des années 1940,
aucun calcul n’existait pour
évaluer le comportement sta-
tique de structures difficiles
à réaliser. L’utilisation du Mo-
dellstatik fut exploitée notam-
ment pour la coupole de la nou-
velle gare de Munich, ou encore
pour les ponts suspendus de Ro-
denkirchen et de Hamburg. Pour
cela, des maquettes techniques
furent fabriquées au 1:100éme
et
1:125éme
afin de les soumettre à
plusieurs scénarios mécano-sta-
tiques. Dans les années 1960,
l’usage des maquettes fut effec-
tué pour faire des études sta-
tiques de structures légères, à
l’image de Frei Otto pour son pa-
villon allemand de l’exposition
universelle [35,36,37]. Pour ce
projet des maquettes à échelles
variables furent soumises à de
multiples tests structuraux par
photoélasticimétrie [38].
Procédé de base
[35-36] A gauche: Maquette structure en toile tendue, pavillon allemand, Frei Otto; A
droite: reproduction d’une œuvre de Frei Otto à l’Université de Stuttgart, représentant un
seul des 8 mâts de son Pavillon Allemand afin d’en expliciter le fonctionnement.
79. 79
[37-38] En haut: maquette technique pour les tests mécano-statiques du pavillon allemand,
1:75, Frei Otto , Institut für Leichte Flächentragwerke Stuttgart; En bas: Schéma du prin-
cipe de La photo-élasticimétrie.
80. 80
La photoélasticimétrie est
une méthode d’expérimentation
d’un solide par sa photo-élasti-
cité dans le but d’en évaluer les
contraintes physiques. Ce prin-
cipe utilise un procédé optique
se basant sur l’effet de biré-
fringence dont fait l’objet un
matériau soumis à une contrainte
spécifique. L’idée est de di-
riger une source lumineuse sur
le matériau étudié pour ensuite
analyser la lumière renvoyée par
ce dernier à différentes charges
appliquées. Cette ancienne tech-
nique photomécanique est très
utilisée au XXéme siècle pour
concevoir des structures méca-
niques complexes dans de multi-
ples domaines. Elle connaît son
déclin avec l’apparition des mo-
dèles de calculs informatisés
dans les années 1970, dont elle
est le point de départ.
Le Form Finding est l’évo-
lution technologique du principe
inventé par Antoni GAUDI. Ce pro-
cédé combine l’utilisation d’un
modèle funiculaire avec une ana-
lyse informatique du comporte-
ment statique de ce dernier. Ici,
l’expérience consiste à utiliser
un maillage composé de multiples
fibres élastiques, d’en fixer un
point au sol pour ensuite exer-
cer une traction de cette struc-
ture [39], afin d’en observer la
réaction physique. La deuxième
expérience reprend le maillage
élastique, mais cette fois cette
structure se trouve fixée au
sol par trois points [40]. Les
différentes déformations de la
grille maillée et de sa surface
sont enregistrées à partir de
plusieurs points de vue. A par-
tir de là, il est possible d’en-
trer les données récoltées sur
un programme informatique pour
créer un modèle numérique [41].
La photo-élasticimétrie
/Le Form Finding
Tests physiques, systèmes de recherches
82. 82
L’Architecture mise en
place par Mies van der Rohe2
au
fil de ses constructions, a fini
par tendre vers deux caractéris-
tiques principales, à savoir la
transparence et la matérialité.
Ces deux intentions, pourtant
hétérogènes au sein d’une seule
et même réalisation architectu-
rale, furent mise en exergue de
la façon la plus sublime dans son
traitement du verre. Il cherche
à modifier la perception vi-
suelle du verre sous l’action de
la lumière, pour ne plus le voir
uniquement comme une surface ré-
fléchissante. Cette dernière de-
vient alors pure transparence.
Dans certains projets, il étudie
la relation entre une structure
et une enveloppe vitrée. Peter
Carter3
écrit à ce sujet que «La
structure et son remplissage de
verre entrent en fusion, chacun
perdant une part de son iden-
tité propre en créant une nou-
velle réalité architecturale»4
.
On se retrouve d’un coté avec la
formule chère à Mies, celle du
beinahe nichts (la révélation du
rien). De l’autre se retranscrit
un évident besoin de support.
3_ La réflexion de la façade
« Les solutions consistant à dessiner le plan en fonction de l’ombre
et de la lumière se sont avérées en maquette fondamentalement ina-
daptées à des façades vitrées »1
/Mies van der Rohe
1- Mies van der Rohe dans FRAMPTON (Kenneth), L’Architecture moderne une histoire cri-
tique, Paris, ed. Thames & Hudson, 2006, p. 162.
2- Ludwig Mies van Der Rohe est un architecte allemand né en 1886, mort en 1969.
3- Peter James Carter est un architecte, étudiant et collaborateur de Ludwig Mies van der
Rohe né en 1927.
4- Ibid à 1, p. 254.
83. 83
Le processus de concep-
tion architectural de Mies re-
pose principalement par un tra-
vail sur maquettes d’étude à des
échelles très diverses, allant
de celle d’un bâtiment dans son
entièreté jusqu’à celle d’un
prototype à taille réelle d’un
détail particulier. Mies van der
Rohe voit ses projets comme des
objets construits, ce qui ex-
plique la place de la maquette
dans sa réflexion. Comme on peut
le constater dans les dessins
transmis par Mies van der Rohe,
ceux-ci ne lui servait qu’à si-
tuer le projet dans son contexte
[42]. Dans le cadre d’un concours
à Berlin en 1921, Mies van der
Rohe élabore un projet pour la
Friedrichstrasse, dans l’image
du gratte-ciel cristallin à fa-
cettes. La lumière prend une
dimension nouvelle en donnant
au verre l’aspect d’une sur-
face réfléchissante en mouvement
constant. La forme prismatique
de ce projet s’est imposée d’elle
même au vu de l’aspect triangu-
laire [43] du terrain concerné
pour le concours. Ensuite, il
fragmente les façades au moyen
Élaboration d’une façade par la maquette
[42-43] En bas: perspective du projet pour
le concours de la Friedrichstrasse, Mies
van der Rohe, Berlin, 1921; A droite: plan
du projet contextualisé.
84. 84
de lignes biaises afin d’éviter
toute monotonie visuelle, im-
pression très fréquente dans de
grandes surfaces vitrées. Il se
retrouve vite limité par les re-
présentations en deux dimensions
(schéma, plan, coupe,etc...) au
moment d’exprimer le travail du
verre qu’il imagine: La façade
alterne entre réfléchissant,
transparent et rétractant selon
l’endroit ou l’on se positionne.
C’est à ce moment qu’intervient
pour lui la nécessité d’effec-
tuer une recherche en maquette,
afin de pouvoir appréhender le
plus correctement possible les
jeux de reflets souhaités.
« Mes recherches sur une maquette en verre m’ont montré le chemin
et j’ai très vite compris que lorsqu’on utilise le verre, ce ne
sont pas les effets d’ombre et de lumière qui comptent mais le jeu
des reflets»1
[44-45] En haut: maquette d’un gratte-ciel
en verre sur un site non identifié, Mies
van der Rohe, Berlin, 1921; En bas: Dessin
de façade, maison de campagne en Béton,
Mies van der Rohe.
1- Mies van der Rohe dans FRAMPTON (Kenneth), L’Architecture moderne une histoire cri-
tique, Paris, ed. Thames & Hudson, 2006, p. 162w.
85. 85
Des documents d’archives,
des photographies d’époque, ali-
mentent l’idée que les illusions
de perception des surfaces vou-
lues par Mies sont la raison
principale de la déformation des
volumes dans son Architecture.
Un autre projet de Mies van der
Rohe peut être mis en parallèle à
celui de la Friedrichstrasse par
son traitement du verre grâce à
la maquette. Il s’agit d’un se-
cond projet de gratte-ciel aux
façades vitrées dont le site ne
nous est pas connu. Au premier
regard, le tracé du plan peut
sembler arbitraire. Pourtant il
provient du processus de concep-
tion de Mies par la maquette
[44]. Les courbes du plan sont
influencées par l’exposition so-
laire des pièces, l’influence
du contexte sur le projet ain-
si que les jeux de reflets qui
peuvent opérer sur la façade.
L’utilisation de la maquette
permet également à Mies d’étu-
dier les formes et articulations
entre les différents éléments de
ses projets; des notions diffi-
cilement appréhendables en deux
dimensions [45]. La maquette de
sa maison de campagne en Béton
[46] exprime cette recherche
d’une masse et d’une matériali-
té. On y retrouve les caracté-
ristiques de son architecture:
un jeu de volumes aux faces
lisses et uniformes, composées
de larges bandes de verres.
Contre la spéculation formelle
[46] Maquette de la maison de campagne en Béton, Mies van der Rohe.
1- Mies van der Rohe dans FRAMPTON (Kenneth), L’Architecture moderne une histoire cri-
tique, Paris, ed. Thames & Hudson, 2006, p. 162 .
86. 86
Herzog & de Meuron est une
agence d’architecture suisse si-
tuée à Bâle. Depuis l’ouverture
de leur cabinet en 1978, Jacques
Herzog et Pierre de Meuron réus-
sissent à faire de leur style
architectural une référence en
termeS d’expérimentation spa-
tiale, artistique et matérielle
par la maquette. Une de leur
priorité consiste à mettre en
place une architecture qui évo-
lue avec son temps, de façon à
s’adapter à un mode en change-
ment constant et plus précisé-
ment à l’idée de ville qui se
développe tant morphologique-
ment qu’ économiquement, socia-
lement ou culturellement. Malgré
cela, leur méthode de conception
n’a pas toujours été celle que
nous connaissons actuellement. A
leurs débuts, Celui-ci se résu-
mait à un mot fédérateur : In-
tuition. C’est entre autre de
cette façon qu’ils réalisèrent
la galerie Tate à Londres en
1995 [47]. Il y avait là quelque
chose de très hermétique et dé-
fensif dans ce mode de réflexion
acquis durant leurs études, à
savoir penser aux faits certains
et non aux variations possibles.
Au fur et à mesure de leurs pro-
jets, Herzog & de Meuron uti-
lisent de moins en moins ce
mode de conception. Ce dernier
ne permettait en réalité aucune
4_ La répétition de la forme
« C’est dans la complexité, la diversité et la permanente remise en
question que l’on arrive à de bons projets »1
/Herzog & de Meuron
1- Jacques Herzog, interview de H. Adam, J. Himmelreich, C. Bürkle, Bâle, 2010.
[47] Maquette de la galerie Tate modern,
Herzog & de Meuron, 1995.
87. 87
objection dans cette radicalité
architecturale proposée. Par la
suite, ils apprennent à travail-
ler par maquette itératives [48]
dés le début de la conception de
leur projet, en proposant de nom-
breuses idées potentielles afin
de les examiner toutes en paral-
lèles. L’idée est d’arriver à la
meilleure solution possible par
l’observation et la manipulation
de ce mélange d’idées. Même si
chacune de ces propositions du
même concept architectural ont
généralement toutes des qualités
affichées, elles possèdent aussi
des défauts tout aussi assumés.
Les bons projets sont ceux qui
sont assez complexes pour pou-
voir être remis en question. Par
la manipulation, on arrive à une
solution pas nécessairement en-
visagée à la base et qui pose de
nouveaux questionnements. Cette
méthode évite la standardisation
architecturale. Tous les projets
d’Herzog & Meuron sont très dif-
férents et sont des solutions
uniques. Ce cabinet ne peut pas
être catalogué dans un genre ar-
chitectural particulier. A l’in-
verse de Frank Gehry1
par exemple,
dont l’architecture aux formes
tordues est très reconnaissable.
Le processus de conception de
Herzog & Meuron cherche le re-
nouvellement constant de leurs
formes architeturales.
1- Frank Gehry est un architecte américano-canadien né en 1929.
[48] Maquettes itératives en série de deux concepts différents, Herzog & de Meuron.