30 minutes pour demain - La smart city : quarantaine ordinaire pour les futurs urbains ? Raphaël Languillon (La Fabrique de la Cité)

La smart city : quarantaine ordinaire
pour les futurs urbains ?
Léonard, 30 minutes pour demain
24 avril 2020
Raphaël Languillon-Aussel (Dr.)
Chargé d’études senior, La Fabrique de la Cité
Enseignant et chercheur, Université de Genève

@LanguillonR
Introduction – L’immunité de la smart city ?
« La smart city et les régimes de présence du futur dans le projet urbain » – François Ménard, PUCA
Utopies et imaginaires de la ville intelligente, IMU alpha, 2016
http://www.jamjapan.jp/e/?tag=toshiba

@LanguillonR

@LanguillonR
Plan
1. La smart city au défi de ses définitions
2. La smart city dans l’histoire longue de l’urbain
3. Les acteurs de la smart city et leurs business models
4. Les smart cities en Asie : fer de lance de politiques industrielles
5. Smart city et COVID-19 : dystopie illibérale sans citoyens ?

@LanguillonR
1.1 La terminologie universelle du smart ?
• Inde : smart city
• Japon : smart community
• Corée du Sud : U-City puis smart city
• Chine continentale : zhìhuì chéngshì
• Hong Kong : wize city
• Singapour : Smart Nation

@LanguillonR
1.2 La smart city est-elle une ville intelligente ?
- De l’intelligence humaine à l’intelligence
infrastructurelle et urbaine ?
- L’anglicisme qui règle tous les problèmes ?

@LanguillonR
1.3 De l’apparition urbanistique du terme
“smart”…

@LanguillonR
“smart”…
… à celle de la “smart city”…
- Révolution urbaine
- Révolution numérique

@LanguillonR
“smart”…
… à celle de la “smart city”…
… puis du projet IBM de “smarter city”
• Externalisation du numérique (technologie + services)
• « Technologisation » de l'urbain accroît la génération de
données massives (big data)
• Big data non utilisées = données mortes

@LanguillonR
1.4 De multiples approches de la smart city
- Approche technique : conçoit la smart city comme un moyen de rationalisation
de l’urbain et de sa gestion.
- Approche en sociologie des sciences : mouvement de complexification de la
gouvernance des villes née des effets non maîtrisés de la diffusion du numérique
et de ses usages.
- Approche habitante : renouvellement de la démocratie. Objectif affiché des
« civic tech » de renforcer le lien démocratique entre habitants et pouvoirs publics
+ dispositifs participatifs.
- Approche critique : replace la smart city dans les dynamiques de l’économie
mondiale et la stabilité des logiques capitalistes de croissance (nouveaux
marchés).

@LanguillonR
 Pour une définition restreinte et techniciste de la smart city
Espaces urbains de taille diverse structurés tout ou partie pour la
production, la collecte et l'analyse de données générées en masse (big
data) par des capteurs connectés disséminés dans les infrastructures et
les bâtiments, et parmi les populations elles-mêmes via les
technologies "smart" (dont les smartphones).
Languillon R., Les « smart » communities japonaises : quel
projet sociétal en Asie ?, in Desponds D. et Nappi-Choulet I.
(dir.), Territoire intelligent, un modèle si smart ?, Paris, Editions
de l'Aube, pp. 49-60.

@LanguillonR
2.1 L’haussmannisation – Paris : capitale de la modernité – stade Paris
Fin 18ème/début 19ème siècle : 1ère RI
1848 : crise due à un double excédent
1853 : Napoléon III appelle Haussmann
Résout le pb de l’écoulement des excédents du capital par une politique keynésienne
centrée sur les infrastructures urbaines financée par la dette
-> Mutation urbaine : les percées et les grandes avenues + les systèmes techniques
-> Changement d’échelle : la grande ville moderne
-> Nouveaux styles de vie : la classe urbaine bourgeoise
1868 : spéculation et crise

@LanguillonR
2.2 La suburbanisation : les paradigmes fondés sur le fordisme
urbain – stade New-York puis Los Angeles
Début 20ème siècle : 2ème RI + crise de 1929
1942 : Robert Moses reprend Haussmann pour New York
-> Mutation urbaine : la suburb
-> Changement d’échelle : de la grande ville à la region urbaine
-> Nouveau style de vie :
• Société de grande consommation
• « Automobilité »
Tournant des 1970s : crise urbaine et fin du modèle (1975 : faillite de NYC)

@LanguillonR
2.3 La ville verticale et le retour au centre des investissements et des
ressources – stade Dubaï
1980s : néo-libéralisation : revolution industrielle de la finance
-> Mutation urbaine : la ville vertical
-> Nouveau changement d’échelle :
• Globalisation de la circulation des capitaux
• Verticalisation des espaces urbains (deux vagues)
• Avènement des métropoles
=> Nouveaux modes de vie : gentrification et « boboïsation »

@LanguillonR
2.4 La smart city et le déploiement urbain du numérique – Stade
Singapour ?
1990/début 2000 : 3ème RI (numérique et NTIC)
2008 : crise des suburbs et ralentissement de la renaissance des centres
+ tournant majeur :
• la population urbaine mondiale dépasse la population rurale
• le nombre d'objets connectés dépasse celui des êtres humains
• le nombre de lignes à haut débit sur mobile excède celui des lignes fixes
• les premiers iPhone d'Apple font leur apparition sur le marché encore récent des
smartphones
-> Mutation urbaine : la smart city/ville intelligente
-> Changement d’échelle : de la 2D à la 3D puis la 4D
-> Nouveau style de vie : “l’urbanaute”, nouveaux styles de vie et leur commercialisation

@LanguillonR
2.5 Les constantes
- Crise initiale -> crise terminale = cycle de 30 ans
- Révolution industrielle ou mutation économique majeure
(macro)
- Mutation urbaine majeure, et nouvelle dimension de l’urbain,
résultant de la solidarité entre circuit primaire et circuit
secondaire du capital
- Changement d’échelle de l’urbain, mais aussi de la quantité
de capitaux comme de l’échelle de circulation des capitaux
- Nouveaux styles de vie

@LanguillonR
3.1 Les acteurs non homogènes du numérique
- les industriels du numérique (type IBM, Toshiba) ;
- les géants de l'Internet, souvent symbolisés par
les acronymes « GAFAM » (Google, Apple,
Facebook, Amazon, Microsoft) et « BATX » (Baidu,
Alibaba, Tencent et Xiaomi) ;
- les plateformes numériques, comme Airbnb et
Uber.
-> Conçoivent l’urbain comme un système de systems
rationalisable et profitable
-> Rôle d’intégrateurs urbains : remontent
progressivement la chaîne de valeur à partir de la
production de données et de logiciels d’exploitation.
Approche de la ville informationnelle et aménagiste.
-> Investissent le champ des services urbains :
transforment la régulation des activités économiques,
en s’appuyant la plupart du temps sur des vides ou des
incohérences juridiques au sein de secteurs d’activités
réglementés voire protégés. Approche de la ville
servicielle et juridico-économique.

@LanguillonR
3.2 Les acteurs encore moins homogènes du
monde pré-numérique
- Puissance publique ;
- Les entreprises privées multiples ;
L’arrivée de nouveaux acteurs de la fabrique de l’urbain en plusieurs
vagues. Inspiré des travaux d’Isabelle Baraud-Serfaty

@LanguillonR
3.2 Les acteurs encore moins homogènes du
monde pré-numérique
- Puissance publique ;
- Les entreprises privées multiples ;
- Les habitants et la société civile.

@LanguillonR
3.3 Vers un urbanisme algorithmique ?
-> Renouveau de la planification rationnelle et de la cybernétique
• Approche top-down et techniciste
• Comprehensive planning de l’école de Chicago
• Figure de l’expert
• Espace privilégié de la “control room” (panopticon)
-> Gouvernement par les données :
(1) recours à des traitements statistiques complexes, adossés
à des prétraitements algorithmiques de l’information et
des modélisations numériques du fonctionnement urbain ;
(2) tendance à la bureaucratisation de la planification et de la
gestion de l’urbain, fondée sur la figure de l’expert (data
scientist) ;
(3) focale portée non pas sur les sujets et les événements
mais sur leurs interactions et leurs relations.

@LanguillonR
3.4 Vers la ville “désintermédiée” des plateformes ?
- Nexus entre offre et démande hétérogènes préexistantes
- Greffe opportuniste (parasitaire ?) sur un
dysfonctionnement et un flou juridique + approche
solutionniste (fermeture du problème)
- Renouvellent l’acte commercial : création de valeur avec
apport minimal en capital et investissement ; clé de
l’algorithme
- Principe de la transaction directe (désintermédiation) :
transforment la relation prestataire-client en jouant le rôle
de tiers du confiance
- Effet club (économie d’agglomération virtuelle)
-> Récupération des fonctions d’intermédiation. La
désintermédiation conduit donc, de fait, à produire des
positions monopolistiques d’un genre nouveau
-> Implications politiques, juridiques et urbaines ; négociations
bilatérales privilégiées.

@LanguillonR
4. Les smart cities en Asie : fer de lance de
politiques industrielles
-> Pour une anthropologie culturelle de la smart
city

@LanguillonR
4.1 La smart community japonaise, et le
surgissement de la catastrophe de Fukushima
- Programme gouvernemental (2010-2015)
- Démonstrateurs industriels expérimentaux
- Expérimentations internationales
complémentaires (ex. : Lyon smart community)
- Rôle du gouvernement, des agences
gouvernementales, des territoires et des
conglomérats (keiretsu)

@LanguillonR
4.1 La smart community japonaise, et le
surgissement de la catastrophe de Fukushima

@LanguillonR
4.2 La politique coréenne : de la U-city à la smart
city
- 2008 : les U-cities
- 2017 : les smart cities
-> rôle du gouvernement central et des chaebols
Songdo

@LanguillonR
4.3 La stratégie singapourienne : la Smart Nation
2014 : lancement du programme Smart Nation par le
1er minister Lee Hsien Loong
• GovTech
• Mobilité
• Data center et data trust
• Optimisation des ressources et des systems
-> Transformation numérique de la Cité-Etat guidée
par le gouvernement central.
Punggol Digital District

@LanguillonR
4.4 Les constantes des stratégies asiatiques
1/ L’impulsion d’un programme politique d’envergure nationale porté par les
gouvernements centraux ;
2/ Un enracinement dans le temps long des politiques industrielles des NTIC
depuis au moins les années 1970, reprises ensuite par la révolution industrielle
du numérique ;
3/ La nécessité de trouver des débouchés urbains aux investissements
industriels du numérique afin de dépasser le plafond de verre à la croissance
de secteurs arrivés rapidement à maturité.
4/ Enfin, l’enracinement local de grands champions nationaux qui aménagent
chacun un ou plusieurs démonstrateurs industriels de smart city, dans le cadre
de relations privilégiées avec les gouvernements locaux et nationaux

@LanguillonR
5. Smart city et COVID-19 : dystopie illibérale
sans citoyens ?
5.1 Les smart cities et la crise sanitaire
- Un traitement plus analogique que numérique
- Pas de miracle numérique des « coronoptiques »
• Quantification et mesure (Alain Desrosières)
• Dépister
• Compter
• Traquer
• Surveiller et confiner
• Punir
- Retrait des villes, implication des Etats
https://www.spaceout.gov.sg/
https://safedistparks.nparks.gov.sg/

@LanguillonR
sans citoyens ?
5.2 Le retour en force des Etats autoritaires et la
question des cadres légaux
- Innovations numériques et éthique
(reconnaissance faciale, crédit social, traçage
numérique…)
- La question de la surveillance numérique et des
données personnelles biométriques et sanitaires
(infection, respect des quarantaines, accès aux
espaces…)
- Les applications de déconfinement (StopCovid,
TraceTogether…)

@LanguillonR
sans citoyens ?
5.3 Une question plus citoyenne qu’urbaine ?
- Le volontariat, une constante
- La vigilance et la créativité citoyenne
- La responsabilité municipale et urbaine de la
smart city VS l’engagement politique des Etats

@LanguillonR
Conclusion – De la technologie au politique
• La smart city est d’abord un construit politique et culturel
avant d’être un produit technologique.
• Elle est à la fois diverse, humaine, et résolument faillible.
• En tant qu’acte d’aménagement, la smart city est une arène de
négociations sur les futurs possibles et désirables, dont les
termes restent spécifiques aux contextes locaux de chaque
territoire.
-> Quarantaine ordinaire d’un modèle faussement futuristique.

Merci
6 place du Colonel Bourgoin 75012 Paris, France
www.lafabriquedelacite.com
Et bonne (fin) de quarantaine
raphael.languillon-ext@lafabriquedelacite.com
@LanguillonR

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