Grands projets numériques et défis écologiques : contradictoires, ou nécessaires ?
Good in Tech - Futurs Pluriels #1
Par la chaire Good in Tech, portée par l’EMI de Sciences Po et l’Institut Mines Telecom Business School et le Réseau Université de la Pluralité
2. La 5G et le droit à
innover… comme tout le
monde !
• Innover est-ce faire la même
chose que tout le monde ?
• Innover est-ce plus exactement se
retrouver forcé à faire la même
chose que tout le monde ?
• In fine, qu’y a-t-il, au juste,
d’innovant là-dedans ?
3. Le point de vue d’un capitaliste
Posons la question à un capitaliste ayant fait fortune dans le numérique, Peter Thiel (de surcroît,
c’est loin d’être un gauchiste)
4. Innovation ou… Imitation ?
• Inspiré par les travaux de l’anthropologue René Girard, auprès duquel étudia, Thiel se
méfie comme de la peste des mécanismes mimétiques (désir, violence, etc.).
• Pour Thiel, l'imitation engendre une course qui conduit à l’appauvrissement, la
concurrence parfaite signifiant le tarissement des profits. Ceci, à la différence de
l’innovation véritable.
• Premier constat : il vaudrait mieux parler ici « d’imitation », ce qui décrit parfait le cadre
posé par le président de la république.
5. Innovation ou… Imitation ?
• L’imitation débouche sur la concurrence (et le conflit) alors que l’innovation véritable aboutit
une forme de différentiation, une finalité que toute entreprise doit viser.
• Autrement, les entreprises créent certes de la valeur mais n’en captent qu’une petite partie.
Même les très grandes entreprises dans des secteur comme les télécoms peuvent s’avérer non
rentables. Surtout sur un marché européen hyperconcurrentiel qui compte une foultitude
d’acteurs…
• Deuxième constat : dans l’hypothèse d’un marché parfaitement concurrentiel, des entreprises
indifférenciées vendent des produits ou des services parfaitement homogènes et substituables.
Elle ne contrôlent donc pas leur marché et, selon Thiel, les prix ne sont plus déterminés que par la
loi d’airain de l'offre et de la demande (ce dernier point étant le plus discutable).
6. Dissent at Heart of Telecom Industry Undermines
France’s 5G Push
• https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-09-18/dissent-at-heart-of-telecom-
industry-undermines-france-s-5g-push
• Outre les enjeux environnementaux, la rentabilité est d’ailleurs questionnée en
interne au sein d’un opérateur comme Orange, ce dont la presse s’est fait
l’écho récemment.
• “Orange will bear all the heavy investments (licenses, equipment, rollout) that
will benefit other companies at the bottom of the food chain and possibly the
state,” the authors wrote.” (in Sans 5G : Orange dans le monde du futur).
7. Rentabilité ?
• Pour pallier ce problème, les opérateurs comptent sur le « network slicing » afin de faire
émerger de nouveaux modèles économiques « verticaux » qui leur permettront enfin de
capter de la valeur.
A ce sujet, voir l’annexe à la fin de la présentation
8. Rentabilité ou fin de la neutralité
du net ?
En résumé :
• Soit les opérateurs consentiront à de lourds investissements pour faire comme tout le
monde, dans une démarche d’imitation et non d’innovation, sur des marchés
condamnés à une très faible rentabilité…
• Soit ils pousseront pour faire émerger de nouveaux business models autour du network
slicing et de la virtualisation des réseaux, menaçant potentiellement la neutralité du Net
(même si l’UE tente de trouver une position conciliatrice).
9. Rentabilité et explosion des
usages
Par ailleurs, ce modèle économique, comme l’écrit un expert en faveur de la 5G, doit croître, à plus forte raison avec le 6G à venir
(toujours dans la logique mimétique) :
« L'antenne ne sera là que pour transmettre le signal. Cela permettra ensuite du network slicing : dans les centres de
données, il sera possible de créer des réseaux spécifiques pour différents usages, par exemple l'un pour connecter les
machines-outils de l'industrie 4.0. et l'autre pour regarder du football, ou conduire les voitures autonomes. Et chaque
tranche virtuelle aura les protocoles adaptés. Bientôt ce sera un réseau par personne... C'est ce qui est prévu! A long-
terme, la 6G travaille sur le développement de cette technologie de network slicing pour avoir non plus une
vingtaine de réseaux pour autant de grands services, mais bien davantage. L'idée est de créer le réseau quand le
client se connecte. Mais c'est encore très discuté, car il faudrait des milliards de réseaux. On ne sait pas encore
bien comment contrôler tout cela [je souligne]. »
https://www.usinenouvelle.com/editorial/la-vraie-revolution-de-la-5g-vient-de-l-usage-de-datacenters-estime-guy-pujolle-
professeur-a-sorbonne-universite.N1007319
10. Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets
dont ils chérissent les causes (Bossuet)
« Pour résumer, la 5G va dans trois directions : l’Internet massif des objets; le très haut débit en mobilité
(par exemple pour regarder des vidéos en haute-définition dans un train) ; les missions critiques. »
« Dans mon livre, j'estime que la consommation devrait être à peu près constante, mais il est vrai qu'elle
pourrait augmenter si les usages explosent. »
https://www.usinenouvelle.com/editorial/la-vraie-revolution-de-la-5g-vient-de-l-usage-de-datacenters-
estime-guy-pujolle-professeur-a-sorbonne-universite.N1007319
Constat de Guillaume Mandil (Inria STEEP) : d’un côté on promet un succès économique à base
d’explosion des usages, de l’autre on table sur la capacité à endiguer ces mêmes usages…
11. Ceci s’accorde d’ailleurs très bien avec le modèle
de la gouvernance climatique…
« Ce modèle repose sur des mesures dites « en fin de tuyau », c'est-à-dire
qu’on va tenter de réguler les outputs, et donc les émissions de gaz à effet
de serre. Les négociations internationales concerneront donc
principalement la répartition de l’effort global de réduction des émissions.
On ne s’attaquera pas, en revanche, à la question des inputs, c’est-à-dire
aux processus qui déterminent l’évolution des émissions, comme la
production énergétique, les modèles de développement industriel ou le
fonctionnement de l’économie mondiale. »
• Aykut, Stefan, 2020, Climatiser le monde. Quae.
12. La 5G et les communs négatifs
• Un commun (ici une technologie issue de travaux scientifiques, accessible via des
standards) qui s’impose par la pression mimétique (ne parlons pas de désir), est-il encore
un commun « positif » ?
• Au regard des problèmes considérés (environnementaux, potentiellement sanitaires,
énergétiques, économiques, démocratiques, etc.), ne peut-on parler de commun
« négatif » ?
13. Communs négatifs ?
« Les communs négatifs désignent des “ressources”, matérielles ou immatérielles, « négatives » tels que les déchets, les centrales nucléaires, les sols pollués ou encore
certains héritages culturels (le droit d’un colonisateur, etc.). Tout l’enjeu étant d’en prendre soin collectivement (commoning) à défaut de pouvoir faire table rase de ces
réalités. Aussi s’agit-il d’un élargissement de la théorie classique des communs, notamment par rapport à l”approche « positive » des Commons Pool Resources
proposée par Elinor Ostrom, qualifiée parfois de bucolique par Alexandre Monnin. L’approche par les communs négatifs tourne autour de deux axes majeurs a) le fait
d’accorder une valeur négative à des réalités souvent jugées positives – les réserves d’énergie fossile, le numérique, etc. (ce que l’on pourrait qualifier de lutte pour
la reconnaissance en considérant que tout commun est d’abord un incommun chargé d’une conflictualité) et b) le fait de bâtir de nouvelles institutions
susceptibles de permettre à des collectifs de se réapproprier démocratiquement des sujets qui leur échappaient jusqu’à présent, en particulier la co-existence avec
les communs négatifs, plus ou moins mis à distance (on peut songer aux récentes mesures prises par des maires au sujet des pesticides mais aussi au numérique
demain, sur le même modèle). [je souligne] Cette réappropriation par le détour de nouvelles institutions pose de nombreuses questions : d’échelles, de compétences,
de subsidiarité, de droit ascendant, etc.
Par ailleurs, les communs négatifs peuvent induire l’idée de communautés de non-usage, autrement dit, de collectifs cherchant à ne plus utiliser certaines entités
autrefois qualifiées de ressources (à l’opposé, cette qualification constituait clairement une désinhibition facilitant et légitimant les démarches extractivistes). »
« Commun négatif », in Glossaire des communs, Alexandre Monnin et Lionel Maurel, https://politiquesdescommuns.cc/glossaire?#communnegatif,
14. Communs négatifs
Quelle valence pour le commun ? Négative ou positive ?
Nécessite de procéder à de « enquêtes de valuation » (importance de l’enquête pour la
démocratie, à l’instar des proposition du philosophe John Dewey).
Comprendre les attachements aux technologies, aux perspectives annoncées (emploi,
croissance, etc.) et la viabilité de ces attachements au regard d’autres trajectoires :
climatiques, énergétiques, extractivistes, démocratiques, etc.
La première lutte est une lutte pour la reconnaissance de la valence (+ ou -) du
commun.
15. Inventer en fermant un projet ?
• S’agit-il pour autant de « tout arrêter » comme le craint le président Macron ?
17. Inventer en fermant un projet ?
• Au contraire, la réelle invention en la matière n’est pas l’imitation itérative à
laquelle on cède sous la pression de ses concurrents mais l’action stratégique.
• Comme le demande les salariés d’Orange opposés à la 5G : « instruisons
ensemble, à la place du projet de la 5G et en réutilisant les moyens qui lui sont
alloués, des scénarios alternatifs ».
18. Faire et ne pas faire (et faire autre chose)
• Faire nous exposera très certainement à violer les engagements de la
France en matière de budget carbone. Il y a sans doute matière à 1)
valoriser le respect de ces engagement, 2) investir dans d’autres
projets et modèles économiques, sans doute moins destructeurs de
pure valeurs & n’accélérant pas le péril auquel s’exposent nos territoire
(en terme de co-viabilité).
• Plus vraisemblablement, si rupture de nos engagements en matière
d’émission il y a, elle ne sera que temporaires, car nous serons obligés
de faire machine arrière sous la pression de facteurs physiques et
législatifs qui ne manqueront pas de faire irruption.
• Autrement dit, le 5G n’est qu’une parenthèse qui sera démantelée plus
tard, à grands frais, ou maintenant, au profit d’une stratégie à la fois
plus inventive et plus réaliste. Il faut combattre la mauvaise fiction
qui continue à se faire passer pour une forme de réalisme.
19. Comment ?
Ce sont ces stratégies que nous mettons en
place au moyen de protocoles d’arbitrages
démocratiques en accompagnants des
municipalités ou des collectifs dans le cadre
de l’initiative Closing Worlds.
20.
21. Conclusion
• La 5G n’est qu’un avatar de nos « futurs
obsolètes », selon une expression que
j’affectionne.
• Comme l’écrivait Yves Stourdzé en 1978 (!) :
« nous nous promenons aujourd’hui dans les
ruines de notre avenir ».
• Il nous faut bâtir de nouvelles institutions pour
désaffecter et réaffecter des projets condamnés
avant de subir l’ensemble de leurs effets.
• La lutte n’oppose d’ailleurs plus des acteurs para-
institutionnels aux acteurs institutionnels, et ce à
l’image des mesures prises par certains maires
contre les pesticides. C’est une lutte qui traverse
les institutions (communes/préfectures), les
formes de légitimités (directe ou indirecte), les
échelles (locales/nationales), etc.
23. Le network slicing et la neutralité du Net
• Le point de vue d'Ericsson : “If not done carefully net neutrality
regulation risks hindering innovation in networks, like network slicing
- a key 5G fundament; and threatening the viability of IoT. Modern
infrastructure for a smart society will require the flexibility to create
network services that appropriately handle unique requirements.”,
https://www.ericsson.com/en/public-policy-and-government-
affairs/net-neutrality
24. Le network slicing et la neutralité du Net
“In the past months, the European net neutrality debate has often revolved around the introduction of
the next generation of mobile phone networks, 5G. This is because 5G specifies new ways in which
operators can treat traffic that is transmitted over their networks in a differentiated way. In particular it
ecompasses a technology called "network slicing", where multiple virtual networks with different
quality of service characteristics are provided over the same infrastructure. A network slice could for
example be optimised for very low latency, or guarantee a minimum bandwidth, or allow
communications with particularly low energy requirements on the mobile device.
Equipment manufacturers such as Ericsson and Nokia have been marketing these new features of 5G
to network operators by arguing that they allow operators to create new products addressing
"verticals", meaning they could form partnerships with providers of specific applications and develop a
bundled product aimed at a specific customer base. For example, network operators could partner
with a weather sensor manufacturer and sell sensors, monitoring software, and the required network
service as a bundle to large farming operations wishing to better monitor the environment their crops
grow in.
The Regulation allows for "specialised services" that are treated distinctly from internet access
services (IAS) and thus are not subject to the regular net neutrality rules. However, what services can
be deployed under what conditions is crucial, so these exceptions cannot be used to circumvent the
net neutrality protections that the Regulation otherwise establishes. The Regulation requires that
deploying an application as a specialised service is actually necessary (it cannot be provided over the
regular internet instead) and that specialised services are not detrimental to the general quality of the
IAS.”
https://en.epicenter.works/content/the-new-eu-net-neutrality-guidelines-berec-responds-to-criticism
25. Le network slicing et la neutralité du Net
“Here’s how GSMA — representative of mobile operators worldwide and the
association behind MWC — sees the business opportunities of network
slicing:
“Just as digitisation has opened up the consumer market to a previously
unimaginable array of experiences (most from outside the mobile
ecosystem), we believe that slicing, and the adaption capabilities within, will
be a similar catalyst for business customers, enabling them to facilitate their
activities in ways we may struggle to even imagine today.”
Translating that to human speak: telecoms are extremely excited about the
possibilities of network slicing as it would allow them to stop selling complete
packages (or “one-size-fits-all sales models” as they like to call it) and
instead sell more specialized packages — e.g. specify whether a customer
gets ultra-high-bandwidth communication or extremely low latency.
Telecoms argue this would benefit everyone and help with the adoption of
5G.”
https://thenextweb.com/eu/2019/02/28/5g-is-a-threat-to-europes-absolute-net-
neutrality/
26. Le network slicing et la neutralité du Net
“To sell slices separately, 5G would likely need to be classified as
‘specialized services’ under EU law, which are exempt from net
neutrality. Specialized services are basically “something other than the
internet” and often use the same protocols or the same infrastructure
as internet-connected devices, but are separate from the open
internet, e.g. television or telephony voice over LTE.
“Specialized services is the biggest weak point we have right now.
Weakening that would allow 5G to basically circumvent net neutrality
completely,” says Lohninger. For him, it’s worrying that the ISP would
act as a de facto gatekeeper, deciding which slice is most suitable for
which application and charging accordingly. In extreme cases, it could
result in users having to pay for each service they’d like to use.”
https://thenextweb.com/eu/2019/02/28/5g-is-a-threat-to-europes-
absolute-net-neutrality/
27. Le network slicing et la neutralité du Net
“Network slicing is not just relevant for specialised services: it also allows operators
to create new IAS products where one subscription provides access to the internet
using multiple slices with different quality of service characteristics in a way that
had not been implemented on mobile devices before. We have always argued that
such products are allowed under the Regulation if the subscriber is in full control
over which application makes use of which slice. In the new Guidelines, BEREC
has added language that reflects this: the Guidelines state that such products must
handle the different quality of service levels in an application-agnostic way and
clearly defines that this means independent of application (and not grouping similar
applications together).
By adopting this guidance, BEREC is the first major regulatory body to make it
clear that net neutrality regulation and 5G are compatible. The particular solution
gives users control over how they want to use their internet access service.”
https://en.epicenter.works/content/the-new-eu-net-neutrality-guidelines-berec-responds-
to-criticism