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Université Lumière Lyon 2
École doctorale : Lettres, langues, linguistique, arts
Équipe de recherche : Interactions, corpus, apprentissage, représentations
Argumentation et didactique du Français
langue étrangère pour un public
vietnamien
par Thi Thu Ha NGO
Thèse de doctorat en Sciences du Langage
Sous la direction de Christian PLANTIN et The Hung TRAN
présentée et soutenue publiquement le 30 juin 2011
Membres du jury : Christian PLANTIN, Directeur de recherche, Université Lyon 2 Sabine BASTIAN,
Professeur d’université, Universität Leipzig The Hung TRAN, Professeur d’université, Université
Nationale de Hanoi Christine DEVELOTTE, Professeur des universités, École normale supérieure de
Lyon Marianne DOURY, Chargée de recherche, C.N.R.S. Chantal PARPETTE, Maître de conférences,
Université Lyon 2
Table des matières
Contrat de diffusion . . 7
Remerciements . . 8
Avant-propos . . 9
Introduction . . 11
Problématique . . 11
Questions et hypothèses de recherche . . 11
Structure et objectifs de la thèse . . 12
Première Partie Théorie de l’argumentation . . 14
Chapitre 1 : Approche théorique . . 14
1. Différentes approches théoriques . . 14
2. Synthèse : Cadre théorique de l’argumentation . . 18
Récapitulation . . 23
Chapitre 2 : Types d’arguments . . 23
1. Argumentation et causalité . . 23
2. Argumentation et analogie . . 24
3. Argumentation sur la nature des choses et leur définition . . 25
4. Les ressources de la langue . . 25
5. Désignation et prise de position . . 26
6. Argumentation dans la langue . . 26
7. Argumentation par la force . . 27
8. Argumentation par l’ignorance . . 28
9. Argumentation sur la personne . . 28
10. L’argumentation d’autorité . . 29
Récapitulation . . 30
Chapitre 3 : Les stratégies d’argumentation . . 32
1. La justification . . 32
2. La réfutation . . 34
3. Contre-argumentation . . 37
4. La concession, un procédé rhétorique très utilisé de la contre-
argumentation . . 41
Récapitulation . . 43
Deuxième Partie Le langage argumentatif : essai d’étude contrastive français-vietnamien
. . 45
Chapitre 1 : Le lexique de l’argumentation . . 45
1. Argument, argumenter / luận cứ, lập luận . . 46
2. Arguer / argutie . . 52
3. Persuader / convaincre (thuyết phục) . . 53
4. Polémique, controverse, débat, discussion (cuộc luận chiến, cuộc tranh
cãi, cuộc tranh luận, cuộc thảo luận) . . 55
5. Objecter et réfuter (bắt bẻ và bác bỏ) . . 57
6. Concéder (nhượng bộ) . . 58
7. Contredire et démentir (nói trái lại - bác bỏ et phủ nhận - đính chính) . . 59
8. Objectivité / Parti pris (Thái độ khách quan / Quyết định dứt khoát) . . 61
9. Sophisme et paralogisme (ngụy biện et ngộ biện) . . 63
10. Remarque : l’effet de métaphore dans l’argumentation . . 65
Récapitulation . . 69
Chapitre 2 : Connecteurs argumentatifs . . 69
1. Connecteurs : diversité terminologique . . 69
2. Opérateur argumentatif et connecteur argumentatif . . 72
3. Description de quelques connecteurs argumentatifs : étude contrastive . . 75
4. Les verbes connecteurs . . 94
Récapitulation . . 102
Troisième Partie Argument d’autorité : analyse en contexte vietnamien . . 103
Chapitre 1 : Études lexicales du mot Autorité . . 103
1. Étude dérivationnelle du mot Autorité . . 103
2. Étude du champ sémantique : autorité et notions voisines . . 105
3. Vocabulaire critique de l’Autorité : Cratopathie . . 106
Récapitulation . . 107
Chapitre 2 : Problème de définition . . 108
1. Qu’est-ce que l’autorité ? . . 108
2. L’autorité dans le milieu scolaire vietnamien . . 113
3. Autorité dans l’interaction . . 119
Chapitre 3 : Autorité et argumentation . . 128
1. Définition de l’argument d’autorité . . 128
2. Autorité montrée, autorité citée . . 129
3. Mécanisme de fonctionnement de l’argument d’autorité . . 129
4. Formes d’argumentation d’autorité . . 130
5. Réfutation des argumentations d’autorité . . 131
Récapitulation . . 133
Chapitre 4 : La culture vietnamienne et son influence sur le comportement verbal
ainsi que sur les pratiques argumentatives . . 133
1. Qu’est-ce que la culture ? . . 133
2. Le rapport entre la culture, la langue et le comportement humain . . 134
3. Les caractéristiques de la culture vietnamienne . . 134
4. L’acculturation . . 140
5. La culture communicative des Vietnamiens . . 145
6. La notion de « face » dans la culture vietnamienne . . 149
7. L’habitude argumentative des Vietnamiens . . 153
Récapitulation . . 160
Chapitre 5 : Étude de cas . . 161
1. Problématique . . 161
2. Constitution du corpus . . 162
3. Analyse du corpus . . 163
4. Mise en pratique : Quelques propositions d’exercices d’analyse
d’arguments d’autorité . . 178
Récapitulation . . 182
Quatrième Partie Pour une amélioration de la didactique de l’argumentation au Vietnam
. . 183
Chapitre 1 : L’enseignement du français langue étrangère au niveau universitaire au
Vietnam – le public visé . . 183
1. L’enseignement du français langue étrangère au niveau universitaire au
Vietnam
28
. . 183
2. Le public visé . . 186
Chapitre 2 : La maitrise de l’argumentation des élèves de classe du FLE au Vietnam :
Analyse des productions orales et écrites réalisées par des étudiants . . 189
1. Les comportements langagiers dans les classes de langues . . 189
2. Etude des productions des étudiants . . 192
Chapitre 3 : L’argumentation dans les manuels de Français langue étrangère . . 202
1. Les manuels pris en compte . . 203
2. L’argumentation dans les manuels de FLE . . 206
3. Comment l’argumentation est-elle enseignée ? . . 210
4. Méthode Rond-Point . . 223
5. Quelques propositions didactiques . . 234
Récapitulation . . 236
Chapitre 4 : Pour une amélioration de la didactique de l’argumentation dans les
classes de français au Vietnam . . 239
1. Les principes d’élaboration des unités didactiques . . 239
2. Elaboration des unités didactiques : « On en discute » . . 250
UNITE 1 Introduction au débat français . . 251
UNITÉ 2 Caméra de surveillance – On en discute ! . . 268
UNITÉ 3 La croissance économique – On en discute ! . . 292
UNITÉ 4 Clonage humain – On en discute ! . . 308
Conclusion Générale . . 360
Les premiers résultats de la recherche . . 360
Les limites de notre recherche . . 362
Les perspectives de notre recherche . . 363
Bibliographie . . 365
Annexes . . 372
Annexe 1 : Extraits de films et dialogue reconstruit . . 372
1. Interaction 1 . . 372
2. Interaction 2 . . 375
3. Interaction 3 . . 377
4. Interaction 4 . . 379
Annexe 2 : Exemple 11 (partie 3- chapitre 4) . . 380
Annexe 3 : L’exploitation de la bauxite au Vietnam . . 381
1. Document 1 : « L'aménagement de l'exploitation de la bauxite » . . 382
2. Document 2 : « Bauxite : pas de souci pour le problème environnemental »
. . 384
3. Document 3 : « L’importance culturelle et sociale du projet d’exploitation
minière dans les Hauts Plateaux du Centre » . . 385
4. Document 4 : Lettre de Ngo Bao Chau . . 389
5. Document 5 : Discours de M. Duong Trung Quoc . . 394
6. Document 6 : Discours de M. Nguyen Minh Thuyet . . 397
7. Document 7 : Discours du représentant de la province de Lam Dong . . 400
8. Document 8 : Discours du représentant de la province de Dak Nong . . 401
Annexes 4 : Productions orales et écrites des étudiants vietnamiens . . 403
1. Transcription des productions orales . . 403
2. Productions écrites des étudiants . . 407
Annexe 5 : Documents de travail des manuels FLE . . 414
1. Textes de compréhension écrite tirés des manuels de FLE . . 414
2. Transcription des documents oraux utilisés dans les manuels de FLE . . 417
Annexe 6 : Extrait d’un débat vietnamien . . 421
Annexe 7 : Documents de travail : Unité 6 (Rond-Point 2) . . 422
Annexe 8 : Documents de travail : Articles . . 430
1. Article 1 : « Cratopathie précoce, cratopathie sénile » (Jean-Noel Cuénod)
. . 430
2. Article 2 : « Pour ou contre la gratuité ? » (Michel Soudais) . . 431
3. Article 3 : « La tarification, enjeu électoral » (Clémentine Cirillo-Allahsa) . . 432
4. Article 4 : « Faut-il se méfier des caméras de surveillance ? » . . 434
5. Article 5 : « Faut-il plus de croissance ? » . . 436
[Résumés] . . 439
Contrat de diffusion
7
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Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/
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Contrat de diffusion
Ce document est diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation
commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le
communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier,
le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales.
Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien
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Remerciements
Une thèse de doctorat est, comme le souligne un collègue au laboratoire « Interaction, Corpus,
Apprentissage, Représentation », « le fruit d’un long travail personnel » mais sa réalisation a été
dépendante de certaines personnes que je ne remercie jamais assez…
Je tiens à exprimer ici ma profonde reconnaissance :
∙ à Monsieur Christian PLANTIN, mon directeur de thèse, sans qui ce travail n’aurait
pu être réalisé. Je le remercie tout spécialement de ses encouragements, de
ses conseils précieux, de ses critiques sévères et aussi de ses questionnements
pertinents qui m’ont beaucoup orientée dans la recherche. Il a aussi effectué des
démarches pour améliorer ma situation administrative.
∙ à Monsieur TRẦN Thế Hùng, mon premier professeur en sciences du langage et co-
directeur de recherche, qui m’a accompagnée de son soutien au fil des années.
∙ à Madame Catherine KERBRAT-ORECCHIONI pour son aide précieuse et ses
nombreux conseils.
∙ à Madame Chantal PARPETTE pour sa présence tout au long du chemin, ses
conseils, ses suggestions, sa disponibilité, son soutien et beaucoup de choses
encore…
∙ à Monsieur André DUPONT qui a bien voulu relire à plusieurs reprises mon travail.
Ses relectures minutieuses, ses corrections et ses remarques ont enrichi cette thèse.
Je remercie également :
∙ Véronique Laurens pour les échanges d’idées et les suggestions concernant
l’élaboration des unités didactiques.
∙ Daniel Valero pour son aide précieuse lors des enregistrements des données.
∙ Tous les enseignants et tous les étudiants du département de langue et de culture
françaises de l’Université Nationale de Hanoï qui m’ont aidée à établir le corpus de la
thèse.
Pour conclure, je tiens à remercier mes parents, mon mari et mes enfants pour leur soutien
indéfectible, leur présence réconfortante, leur confiance et leur patience durant ces longues années
d’étude.
Pour tout ce qu’on a partagé et qu’on partagera, je vous exprime ma profonde gratitude !
Avant-propos
9
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Avant-propos
L’origine de ce travail de thèse remonte à un séminaire de 13 heures, intitulé « L’argumentation
dans la langue, dans le discours, dans les interactions », animé par Christian Plantin dans le cadre
de la formation continue des enseignants de français langue étrangère à l’Université Nationale de
Hanoï en 1998. Dès le début de son exposé, il réussit à captiver son auditoire, et en particulier
mon attention, par un discours vivant, imprégné de la passion d’un expert de recherches dans le
domaine de l’argumentation.
Il faut avouer qu’à ce moment-là, bien que très intéressée par ses cours, j’avais du mal à
comprendre tout ce qu’il a expliqué. Cela n’est pas surprenant car nous n’avions eu, à l’époque,
tout au long de notre cursus universitaire, aucune formation préalable portant sur l’argumentation.
C’est sans doute ce handicap qui m’a poussée à me préoccuper de ce domaine d’étude pour que,
7 ans après, en 2005, frustrée de ne pas avoir davantage d’éléments pour satisfaire ma curiosité,
j’aie décidé de communiquer à Christian Plantin mon intérêt pour ce vaste terrain de recherche.
Le temps passait, je croyais qu’il me faudrait changer de domaine d’étude car la rentrée arriverait
sous peu. Mais tout d’un coup, un jour de septembre, un courrier m’est arrivé à l’improviste : « Je
vous donne très volontiers mon accord de principe. Il faut maintenant discuter de la mise en place
de votre projet. Vous pensez vous inscrire à Lyon ? ». Inutile de dire combien j’ai été heureuse !
C’est ainsi que je me suis lancée dans l’argumentation et ai démarré ma thèse.
Les années suivantes de préparation de ma thèse ont été remplies d’émotions variées : joies,
tristesses, contentement, découragements, remontées du moral, déceptions, gratitudes, embarras,
doutes, incertitudes… En fait, n’ayant pas une appropriation solide de la méthodologie de travail,
ni une bonne acquisition des connaissances minimales de l’argumentation, j’ai eu de nombreuses
difficultés tout au long de la réalisation de la thèse. A tous ces moments de hauts et surtout de
bas, Christian Plantin a été à mon écoute, il m’a beaucoup appris en me donnant des conseils
pertinents et aussi en faisant des critiques sévères. Avoir l’occasion d’acquérir ses méthodes
et de travailler auprès de lui, chercheur d’une grande expérience et source intarissable d’idées
nouvelles et originales, constitue, pour moi, une opportunité inhabituelle. Je ne peux pas réciter
ici toutes les discussions entre nous, tous les encouragements et toutes les gronderies qu’il m’a
réservés ; je ne peux que dire que j’ai appris énormément de choses et que j’ai beaucoup « grandi »
intellectuellement après 6 ans de travail sous la direction de Christian Plantin. Il a vraiment tout
à fait raison de me rappeler en plaisantant qu’il était directeur, et non pas co-auteur de la thèse.
Oui ! Parce qu’accepter de diriger mes travaux de recherche, c’est assurer une lourde tâche de
direction, non seulement sur le plan scientifique et méthodologique mais aussi sur le plan de la
distance géographique.
En effet, n’ayant pas bénéficié d’une bourse doctorale pour pouvoir rester travailler sur place
pendant plusieurs années consécutives, j’ai dû effectuer une fois par an des va-et-vient entre Lyon et
Leipzig et chaque séjour n’a pas pu durer plus de deux mois et demi. Une telle fréquence d’assiduité
serait difficilement acceptée par d’autres directeurs de recherche. Mais Christian Plantin, jamais
avare de son précieux temps, m’a donc proposé de multiples séances de travail par skype, c’est
pourquoi il a constamment eu un œil bienveillant et critique sur le déroulement de mes travaux.
Ayant aussi compris mes difficultés de temps et de finance, il a effectué toutes les démarches
nécessaires pour que je puisse obtenir 6 mois de bourse de mobilité de la région Rhône-Alpes, cette
précieuse « récompense » en 2008-2009 m’a aidée énormément dans l’avancement de la thèse.
Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien
10
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Pour finir, je me rappelle ce que Christian Plantin m’a dit lors d’une discussion entre
nous : « J’aimerais que vous continuiez à faire quelque chose après la thèse au lieu de mettre
solennellement votre diplôme sur l’autel des ancêtres. Pensez à écrire des articles ou à établir,
à diriger, pourquoi pas, une petite équipe de recherche sur l’adaptation de l’argumentation au
contexte vietnamien. Vous êtes tout à fait capable de le faire. Croyez-moi ! Dans 10 ans, je serai
beaucoup plus vieux mais je serai content de lire votre travail ». Oui, Monsieur le Professeur !
Si, pour une raison personnelle je restais là, en Europe, je penserai à continuer ma carrière dans
le domaine de l’argumentation pour ne pas gaspiller nos années de travail ensemble où j’ai acquis
un « trésor » de connaissances et d’expériences.
Introduction
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Introduction
Problématique
Au Vietnam, depuis la mise en œuvre de la politique d’ouverture du pays, la société s’est
transformée en un « univers communicationnel », l'argumentation apparaît donc de plus
en plus comme une pratique sociale critique indispensable au développement et elle est
devenue un objet d’étude prioritaire.
Mais cette question reste encore nouvelle pour beaucoup de professeurs et d'étudiants.
Actuellement, aucun cours d’argumentation, pratique ou théorique, n’est dispensé en liaison
avec l’enseignement du français, au niveau du lycée. Il n’existe aucun ouvrage théorique
sur les procédures argumentatives en vietnamien. Les documents sur l’argumentation, s’il
y en a, sont plutôt des traductions.
On part de la constatation que beaucoup d'enseignants de français se contentent
de corriger les élèves au niveau de la langue, sans se préoccuper de la structure du
discours. Certains refusent même l’organisation de débats en classe sous prétexte que
les apprenants ne savent pas prendre la parole et refusent de proposer des points de vue
différents, entre eux et à fortiori vis à vis de leur professeur, même si celui-ci les y invite.
Face à un sujet d’expression à l’écrit, et plus encore à l’oral, soit ils n’ont pas d’arguments
précis à proposer immédiatement pour engager une discussion, soit les arguments exposés
restent superficiels et ne sont pas appuyés sur des données. Ils ne maîtrisent pas les actes
argumentatifs fondamentaux ; ils ne savent pas poser un problème, prendre une position,
donner un exemple, refuser un contenu, tenir compte des avis des autres, donner une
conclusion… Ils ont vraiment beaucoup de difficultés dans la maîtrise de l’argumentation.
Cette attitude contraste fortement avec celle des étudiants français, très actifs, ayant
l’habitude de se couper la parole, n'hésitant pas à contredire et à réfuter.
Cette opposition, sans le vouloir, entraîne le préjugé selon lequel les élèves français
argumentent bien alors que les apprenants vietnamiens argumentent mal. A notre avis, cette
constatation est erronée, ce n’est pas parce qu’en France les étudiants parlent beaucoup
et se coupent la parole qu’ils argumentent bien. Réciproquement, ce n’est pas parce que
les étudiants vietnamiens en particulier et les Vietnamiens en général prennent des formes
pour contredire en ménageant la face de leur interlocuteur qu’ils argumentent mal.
Questions et hypothèses de recherche
En tant que formateur des enseignants de français langue étrangère, nous nous sommes
demandé pourquoi les Vietnamiens sont considérés comme étant moins intéressés par la
polémique que les Français. Comment faut-il comprendre le refus du débat par les étudiants
vietnamiens, leur fuite devant l'échange polémique ? Est-ce qu’ils fuient devant l’échange
argumentatif ou devant l’échange polémique violent ?
Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien
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A notre avis, refuser de se disputer n’est pas refuser d’argumenter. Dans notre pratique,
nous avons fait l’hypothèse que les étudiants participaient à une culture où l’autorité est très
importante et qu’il fallait, par conséquent, mettre le problème de la relation des étudiants
avec l’autorité à la base de leurs difficultés à entrer dans des discussions argumentatives.
Dans cette perspective, parler, manifester son désaccord, traiter un désaccord dans une
relation d’autorité et, surtout, dans une société marquée par l’autorité et le consensus n’est
pas quelque chose d’évident. De même, savoir utiliser et critiquer l’argument d’autorité dans
un échange argumentatif est censé être difficile.
En réalité, nous constatons que les Vietnamiens cherchent toujours à éviter d’entrer en
confrontation avec l’interlocuteur ; s’ils doivent justifier ce qu’ils disent, ils se contentent de
faire appel à l’autorité. Les autres questions sont donc posées : Quelles sont leurs formes
préférées de raisonnement par autorité ? L’autorité bloque-t-elle l’accès à l’argumentation ?
Comment l’argument d’autorité est-il utilisé en vietnamien ? Quelle est la place de
l’argumentation dans la didactique de langue ? Comment l’argumentation est-elle enseignée
dans les manuels du Français langue étrangère ? Dans le contexte vietnamien, comment
amorcer l’enseignement/apprentissage de l’argumentation en français ? Que faut-il faire
pour que les étudiants parviennent à argumenter, en face à face, de façon structurée et
constructive ? Enfin, comment se pose la question de la formation en argumentation des
enseignants ?
Voilà les premières questions qui nous ont fait débuter notre recherche. Dans le cadre
de ce travail, nous allons essayer d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions.
Au fond, le pari est le suivant : apprendre à argumenter, c’est apprendre à gérer des
situations marquées, pour longtemps encore, par l’autorité et la recherche du consensus.
Notre but consiste à faire comprendre aux étudiants que le consensus a priori n’a pas à
être survalorisé, d’une part ; et qu’argumenter peut permettre d’atteindre un consensus plus
solide, mieux fondé, d’autre part.
Structure et objectifs de la thèse
Notre travail va se présenter de la façon suivante :
La première partie a pour objectif de parvenir à un choix motivé d'un modèle cohérent
de l'argumentation, compatible avec les objectifs pédagogiques concrets poursuivis. La
structure de cette partie repose sur le principe méthodologique selon lequel travailler
l’argumentation en français langue étrangère suppose qu’on travaille aussi, en parallèle, la
capacité d’argumenter comme capacité linguistique générale et la capacité d’argumenter
dans sa propre langue, le vietnamien. Ainsi, le premier chapitre sera consacré à un travail
de synthèse de différentes approches théoriques, qui sont respectivement la théorie de
Perelman, de Toulmin, de Ducrot et d’Anscombre. Il permettra de décrire l’état de la question
sur les études de l’argumentation. Le deuxième chapitre de cette partie, ayant comme point
de départ la classification de Plantin, appuyée sur l’analyse des arguments en fonction
des paramètres d’objets, de langage et d’interaction, nous offrira une vision parfaitement
claire et détaillée sur les différents types d’argumentation. Dans le troisième chapitre, nous
regarderons quelles sont les stratégies de l’argumentation.
L’objectif de la seconde partie est d’étudier le langage argumentatif dans une
perspective contrastive français-vietnamien. Dans le premier chapitre, il s’agit d’un travail
Introduction
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comparatif du vocabulaire de l’argumentation. Nous tenterons de traduire en vietnamien des
termes et des expressions qui sont, à notre avis, des notions de base mais susceptibles
de poser à nos étudiants des difficultés de compréhension. Le deuxième chapitre qui suit
concerne des connecteurs argumentatifs. Une étude contrastive entre les deux langues,
français et vietnamien, occupe toujours une place importante tout au long de ce chapitre.
La troisième partie sera réservée à l’étude d’un type d’argumentation, le raisonnement
par autorité, qui joue un rôle déterminant dans la façon d'argumenter des Vietnamiens.
L'analyse repose sur un corpus constitué d'extraits de journaux et de films télévisés
vietnamiens. Elle jettera les bases d'une étude contrastive du fonctionnement de l'autorité
discursive. Le premier chapitre concerne l’étude lexicale du mot Autorité. Le deuxième
chapitre vise à étudier les différentes définitions de ce terme sous l’angle sociologique
et à décrire son fonctionnement dans le milieu scolaire vietnamien et sa relation avec
l’interaction. Le troisième chapitre s’attache à étudier l’argumentation d’autorité : son
mécanisme de fonctionnement, ses formes et la réfutation de ce type d’argument. L’objectif
du quatrième chapitre est de chercher à savoir comment la culture vietnamienne influence
le comportement verbal des Vietnamiens, en particulier leurs habitudes argumentatives.
Nous essaierons d’expliquer pourquoi les Vietnamiens sont « sages » en interaction.
Nous tenterons de rendre compte de la prégnance de la « préférence pour l'accord »
en vietnamien, ce qui se manifeste clairement à travers des proverbes et des locutions
traditionnelles, et de montrer comment cette tendance s'articule avec une pratique
« dialectique » du langage, qui pèse toujours le pour et le contre et qui refuse la polémicité.
Enfin, le cinquième chapitre, à partir de l’analyse de différentes positions autour de la
question de la bauxite au Vietnam, a un double objectif : il vise d’une part à illustrer la
maîtrise de l’argumentation des Vietnamiens, d’autre part sert de fil de conducteur pour la
partie qui suit.
Cette dernière partie sera consacrée à la recherche de propositions en vue d’une
amélioration de la didactique de l’argumentation dans les classes de français langue
étrangère au Vietnam. Nous commencerons par faire, dans le premier chapitre, une brève
présentation de l’enseignement du français au Vietnam, en particulier dans le cadre du
cursus universitaire. Puis, dans le deuxième chapitre, nous tenterons d’étudier le modèle
d’élèves vietnamiens ainsi que la relation enseignant-apprenant en classe de langue.
Le chapitre qui suit proposera l’analyse d’une dizaine de méthodes du Français langue
étrangère les plus utilisées actuellement dans les classes de langue dont celles du Vietnam.
Le but est de procéder à une analyse critique des activités d’argumentation proposées
par ces manuels. Rond-Point, la méthode qui nous semble la seule à proposer une
progression raisonnable, en partant de l’expression des points de vue opposés, de la façon
de les défendre par des arguments pour/contre pour arriver à la pratique du débat, sera
choisie en vue d’une analyse détaillée. Cette-ci, de caractère théorique, est complétée par
l’analyse des productions orales et écrites des étudiants vietnamiens lors du chapitre deux.
Elles nous permettront de proposer une démarche pour l’enseignement/apprentissage de
l’argumentation que nous croyons adaptée à nos étudiants, en tenant compte bien sûr de
leurs caractéristiques, des difficultés rencontrées et en déterminant la tâche ciblée que
l’enseignant et des étudiants ont à accomplir : développer leur capacité à argumenter.
C’est tout ce travail qui va nous intéresser dans le quatrième chapitre. Ce dernier sera
réservé à l’élaboration des unités didactiques, notre but étant de proposer une nouvelle
démarche d’enseignement/apprentissage en vue d’une amélioration de la didactique de
l’argumentation dans les classes de français langue étrangère au Vietnam.
Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien
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Première Partie Théorie de
l’argumentation
Chapitre 1 : Approche théorique
1. Différentes approches théoriques
1.1. Traité de l’argumentation de C.Perelman et L.Olbrechts-Tyteca
Le « Traité de l’argumentation » a vu le jour en 1958.
L’intérêt majeur de cet ouvrage est d’avoir fondé l’étude de l’argumentation sur celle
des « techniques argumentatives ». L’objet de la théorie de l’argumentation est défini, selon
C.Perelman et L.Olbrechts-Tyteca, comme :
« l’étude des techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître
l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment » (1958 :5).
Le Traité s’occupe particulièrement des moyens discursifs employés dans le but de
persuader et de convaincre l’auditoire. Une argumentation considérée comme efficace doit
être celle
« qui réussit à accroître cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez
les auditeurs l’action envisagée (action positive ou abstention), ou du moins
à créer, chez eux, une disposition à l’action, qui se manifestera au moment
opportun » (1958 :59).
Il est important de préciser que « l’adhésion des esprits » est comprise dans cette
perspective comme l’accord des esprits sur la volonté de débattre, de dialoguer ensemble
sur une question déterminée ainsi que sur les croyances partagées, les valeurs admises,
les hiérarchies…L’idée d’adhésion permet de définir l’importance de la notion d’auditoire.
Elle implique également l’idée de conviction et aussi celle de persuasion, parce que tout
discours s’adresse éventuellement à un auditoire, et pour pouvoir emporter son adhésion,
l’orateur se trouve sans aucun doute dans l’obligation de s’adapter à ce public. En d’autres
termes, toute argumentation se développe en fonction d’un auditoire et exerce sur lui une
action par le discours. Tel est aussi le second principe fondamental posé par les auteurs
de cet ouvrage.
Malgré la prise de conscience qu’il existe une variété d’auditoires particuliers entraînant
par conséquent une diversité de l’argumentation, Perelman et Olbrechts-Tyteca introduisent
la notion d’« auditoire universel » comprise comme une représentation de l’humanité entière.
Toujours selon eux :
« L’auditoire universel est constitué par chacun à partir de ce qu’il sait de
ses semblables, de manière à transcender les quelques oppositions dont il a
conscience. Ainsi chaque culture, chaque individu a sa propre conception de
l’auditoire universel, et l’étude de ces variations serait fort instructive, car elle
Première Partie Théorie de l’argumentation
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nous ferait connaître ce que les hommes ont considéré, au cours de l’histoire,
comme réel, vrai et objectivement valable » (1958 : 43).
Il est bien clair qu’en insistant sur la notion d’auditoire, le Traité a étudié l’argumentation
dans la perspective d'une communication avec un auditoire. Il s’agit là d’un autre mérite de
la théorie perelmanienne.
Dans cet ouvrage, les auteurs abordent également la notion de « dissociation ». Selon
leur définition :
« la dissociation présuppose l’unité primitive des éléments confondus au
sein d’une même conception, désignés par une même notion. La dissociation
des notions détermine un remaniement plus ou moins profond des données
conceptuelles qui servent de fondement à l’argumentation : il ne s’agit plus ,
dans ce cas, de rompre les fils qui rattachent des éléments isolés, mais de
modifier la structure même de ceux-ci » (1958 :551).
Dans cette perspective, Perelman affirme que la dissociation d’une notion est une des
techniques les plus efficaces pour « lever une incompatibilité » (1958 : 552). Cela revient à
dire qu’il n’est pas facile de réfuter un argument fondé sur la dissociation. Ainsi, lors du débat
relatif à la peine de mort, par exemple, les trajets argumentatifs partent bien de la notion de
droit à la vie, mais face à un conflit de règle, opèrent une dissociation de cette notion.
Un dernier apport essentiel de cet ouvrage est la construction d’un répertoire des
arguments que les auteurs classent en fonction des types de raisonnement variant selon
3 entrées :
a. Les arguments quasi logiques :
Les arguments quasi logiques sont compris comme des arguments proches des
raisonnements formels. Ce qui les caractérise, c’est donc leur caractère non-formel qui
ouvre la possibilité de controverses. Sont classés dans ce type d’arguments notamment les
arguments de réciprocité, les arguments de transitivité, les arguments de comparaison et
les arguments fondés sur la définition.
b. Les arguments basés sur la structure du réel :
Les arguments basés sur la structure du réel regroupent les argumentations sur la cause,
la personne, et celles qui reposent sur des liens symboliques.
c. Les liaisons qui fondent la structure du réel :
Sous cette appellation, on trouve l'argumentation par l'exemple, l'argumentation par
l'illustration, par le modèle et par l’analogie dont la métaphore est un cas particulier.
En résumé, avec le « Traité de l’argumentation », Perelman, tout en se situant dans la
lignée d’Aristote, a réussi à bien distinguer l’argumentation de la rhétorique, science globale
du discours persuasif. L’argumentation a été dotée d’un statut autonome et étudiée dans la
perspective d’une communication avec un auditoire.
1.2. Les usages de l’argumentation de S.E.Toulmin
La même année que le « Traité de l’argumentation », en 1958, est paru l’ouvrage intitulé
« Les usages de l’argumentation » de S.E.Toulmin.
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L’apport de cet ouvrage consiste dans la proposition d’un schéma représentant
le modèle de l’argumentation monologale. Ce schéma permet de traiter le discours
argumentatif comme une « cellule argumentative » (Plantin, 1996 : 23) composée de 6
éléments :
Une conclusion (5) est affirmée sur la base d’une donnée (1)
Une loi de passage (2) apporte à la donnée le sens argumentatif qu’elle n’avait pas
auparavant. Elle sert de règle, de principe pour passer de l’énoncé argument à l’énoncé
conclusion.
En général, la loi de passage et les données ne permettent pas d’inférer la conclusion
avec un degré absolu de certitude. C’est pourquoi, pour atteindre la conclusion, ce pas
argumentatif doit être appuyé sur un support (3) et également nuancé par l’intermédiaire
d’un modalisateur (4) qui peut être développé en une restriction (6).
L’exemple suivant va éclairer le schéma :
Il fait sa thèse à Lyon 2 ; or toutes les thèses réalisées à Lyon 2 sont en
général bien appréciées, en vertu de l’exigence des directeurs de thèses et des
règlements bien stricts concernant la rédaction des thèses ; donc probablement
sa thèse sera bien appréciée ; à moins qu’il n’y investisse pas suffisamment de
temps et d’énergie, ou qu’il se contente de faire des recopiages par-ci par-là.
Donnée : « Il fait sa thèse à Lyon 2 » Loi de passage : « toutes les thèses
réalisées à Lyon 2 sont en général bien appréciées » Conclusion : « sa thèse
sera bien appréciée » Support : « en vertu de l’exigence des directeurs de
thèses et des règlements bien stricts concernant la rédaction des thèses »
Modalisateur : l’adverbe modal « probablement » Restriction, réfutation : « à
moins qu’il n’y investisse pas suffisamment de temps et d’énergie, ou qu’il se
contente de faire des recopiages par-ci par-là »
Le modèle de Toulmin s’applique au discours continu, au monologue et donne au discours
une forme de rationalité. Un discours rationnel, selon la définition de Plantin, est « un
discours fortement connecté, s’appuyant sur une hiérarchie de principes d’une généralité
croissante, et faisant une certaine place à la réfutation » (2005 : 24). L’intégration dans le
raisonnement argumentatif de la notion de « loi de passage » correspondant à la notion
traditionnelle de « topos » est une redécouverte de Toulmin. C’est grâce à ce chaînon que le
lien argumentation-conclusion, autrement dit la cohérence argumentative, est implicitement
assuré : l’enchaînement « il est paresseux, il va échouer à son examen » est appuyé sur le
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topos « s’il est paresseux, il a de mauvais résultats ». Ce topos est un topos à la Ducrot inscrit
dans la structure sémantique des mots : « moins on travaille, moins on réussit ».
1.3. La théorie de l’argumentation de Ducrot et Anscombre
Selon la théorie de l’argumentation de Ducrot et Anscombre, l'argumentation revient à
exercer une certaine influence sur autrui tout en demeurant à l’intérieur du discours. Une
argumentation a lieu quand le locuteur L1 présente un énoncé E1 ou un ensemble d’énoncés
dans le but de faire admettre par un locuteur L2 un autre énoncé E2 (ou une classe
d'énoncés). E1 est l’argument, E2 est la conclusion.
D’une façon générale, tout énoncé est considéré comme contenant un aspect
argumentatif et en particulier une orientation argumentative et un aspect thématique.
L’aspect thématique peut être compris comme la valeur informative ou le sens lexical de
l’énoncé.
L’orientation argumentative, quant à elle, est une « classe de conclusions suggérées
au destinataire : celle que l’énoncé présente comme une des visées de l’énonciation »
(Anscombre et Ducrot, 1983 : 150).
Dire par exemple à quelqu’un : « C’est un bon film », c’est d’abord faire une assertion
sur l’objet film présenté comme ayant pour qualités : « il est intéressant », « les acteurs
jouent bien », « les scènes sont belles »…, puis orienter le destinataire vers la conclusion
argumentative : « Je te recommande de voir ce film ».
On voit bien, à travers cet exemple, que l’énoncé accomplit un acte qui n’est pas
simplement celui d’asserter ou d’informer mais aussi un acte d’argumenter, basé sur
une vision favorable ou défavorable de l’objet en question. En d’autres termes, toute
une classe d’énoncés évaluatifs ou appréciatifs, qui sont apparemment informatifs, sont
fondamentalement argumentatifs, « l’informatif étant un dérivé délocutif de l’argumentatif »
(Anscombre et Ducrot, 1983 : 174). Pour ce type d’énoncés, l’argumentativité est plus
importante que l’informativité.
Revenons à la notion d’orientation argumentative. L’orientation argumentative
détermine la valeur argumentative de l’énoncé. Deux énoncés sont coorientés lorsqu’ils
s’orientent vers une conclusion commune, et anti-orientés lorsqu’ils sont destinés à servir
des conclusions opposées.
Si on dit par exemple : « Je suis fatigué mais j’ai un rendez-vous important ». L’énoncé
se compose donc de deux propositions dont « je suis fatigué » est p et « j’ai un rendez-
vous important » est q. On peut dire que p s’oriente vers la conclusion r « je ne vais
pas sortir » alors que q sert la conclusion non-r « je vais sortir ». Par contre, les deux
propositions dans l’énoncé « je suis fatigué, d’ailleurs je n’ai pas de cours aujourd’hui » sont
argumentativement orientées vers la même conclusion « je ne vais pas sortir ».
Travailler sur l’argumentation, c’est aussi décrire les différents moyens dont dispose le
locuteur pour orienter son discours, pour mettre en relation des arguments,…Dans ce sens,
Ducrot et ses collaborateurs portent particulièrement leur attention sur un certain nombre
de mots qu’ils appellent des mots du discours ou encore connecteurs argumentatifs. Ces
outils de la langue donnent au discours son orientation argumentative. Ils possèdent une
double fonction : ils lient deux unités sémantiques et confèrent un rôle argumentatif aux
unités qu’ils mettent en relation. Nous en parlerons plus en détails dans la partie portant
sur les connecteurs.
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Dans cette théorie de l’argumentation, Anscombre et Ducrot font aussi la distinction
entre argumentation et acte d’argumenter.
Parler de l’argumentation, c’est parler des discours comportant au moins deux énoncés
E1 et E2, dont l’un est donné pour autoriser, justifier ou imposer l’autre. L’énoncé « Il est
malade, il reste donc à la maison » par exemple a pour E1 : « Il est malade » et E2 : « Il
reste à la maison ».
L’acte d’argumenter, comme tous les actes illocutoires, se réalise dans et par un
énoncé unique. En d’autres termes, nous pouvons dire que tout énoncé est l’objet
d’un acte d’argumenter. Des conclusions explicites ou implicites sont tirées de l’énoncé
discursivement employé. Lorsqu’un énonciateur dit « Il est minuit ! », il conduit le destinataire
de l’énoncé vers la conclusion implicite : « Il est tard », « Il faut aller se coucher ».
L’analyse de la polyphonie énonciative constitue un point privilégié de Ducrot dans sa
réflexion sur l’argumentation. Ducrot introduit ce concept dans « Esquisse d’une théorie
polyphonique de l’énonciation » (1984 : 171-233) et précise explicitement qu’il emprunte ce
concept à Bakhtine.
Son apport est de montrer qu’un discours argumentatif met généralement en scène
plusieurs voix : la voix de l’opinion commune, celle de contradicteurs potentiels, celle de
l’argumentateur. Il propose donc de distinguer l’auteur, le locuteur et l’énonciateur tout en
faisant la comparaison avec le théâtre et le roman :
∙ L’auteur est défini comme le producteur réel du discours.
∙ Le locuteur dont l’équivalent littéraire est le narrateur, est celui qui dit « je » et prend
la responsabilité de l’acte de parole.
∙ Les énonciateurs sont ceux auxquels le locuteur donne existence et dont il organise
les points de vue. Ils correspondent aux personnages.
Le discours argumentatif est assumé par un seul locuteur qui intègre dans son
argumentation (c’est-à-dire dans son énonciation dominante) les arguments ou les points
de vue (c’est-à-dire des énonciations prêtées à d’autres) qui, non seulement ne sont pas
tous identifiés au locuteur mais sont plus ou moins en accord ou en désaccord avec son
point de vue pour les intégrer, les mettre à distance et les réduire. Dans cette perspective, la
polyphonie permet donc au discours argumentatif de recourir à des stratégies pour mettre
en scène un débat ou un ensemble de points de vue au sein d’un discours unique.
2. Synthèse : Cadre théorique de l’argumentation
Dans cette partie, nous essaierons d’établir un cadre théorique de l’argumentation. Notre
travail s’inspire largement des travaux de Plantin. A noter aussi que nous nous intéressons
essentiellement à des notions de base de l’argumentation, étant donné qu’elles sont
d’une grande importance pour attaquer les parties suivantes portant sur l’enseignement/
apprentissage de l’argumentation dans les manuels FLE et sur l’analyse des arguments
d’autorité en contexte vietnamien.
2.1. La notion d’argumentation
Il est tout d’abord important de souligner qu’« argumenter » n’est pas synonyme de
« prouver » ni de « déduire ». Selon la définition de Moeschler, argumenter, ce n’est pas
« démontrer la vérité d’une assertion » ni « indiquer le caractère logiquement valide d’un
raisonnement », mais plutôt « revient à donner des raisons pour telle ou telle conclusion »
Première Partie Théorie de l’argumentation
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(1985 : 46). Les raisons, une fois énoncées, constituent des arguments. Il existe donc
une forte relation entre un ou des arguments et une conclusion, ce qui est la principale
caractéristique d’une argumentation.
Pour éclairer la notion d’argumentation et d’argumenter, nous prenons la définition de
Plantin :
« L’argumentation est ainsi une opération qui prend appui sur un énoncé assuré
(accepté), l’argument, pour atteindre un énoncé moins assuré (moins acceptable),
la conclusion. Argumenter c’est adresser à un interlocuteur un argument, c’est-à-
dire une bonne raison pour lui faire admettre une conclusion et l’inciter à adopter
les comportements adéquats » (1996 : 24).
Selon cette définition, l’argumentation est un processus composé de deux éléments de
base :
Nous voyons que l’argument et la conclusion ont des statuts bien distincts. L’argument
ayant, selon l’expression de Plantin (1989, fiche 2), « le statut d’une croyance partagée,
d’une donnée factuelle incontestable», amène l’interlocuteur à la conclusion. L’interlocuteur
peut évidemment refuser d’admettre cette donnée, mais dans ce cas il devra justifier son
refus.
Quant à la conclusion, en argumentation, ce mot porte un sens spécifique. Il est donc
nécessaire ici de distinguer entre la conclusion d’un texte et la conclusion soutenue par un
texte. La première se trouve mécaniquement en fin du texte alors que la deuxième peut très
bien venir en première place et précéder les arguments. C’est souvent le cas des articles
journalistiques.
Pour pouvoir passer de l’argument à la conclusion, il faut avoir recours à des principes,
des conventions généralement admises qui sont des « lois de passage ». Ces « lois de
passage » sont également appelées « lieux communs » ou « topoï » selon l’ancienne
rhétorique. Ils ont été définis par Aristote, et, avec un autre sens, par Ducrot et Anscombre.
La loi de passage est alors considérée comme jouant le rôle fondamental dans les
opérations argumentatives. En apportant à la donnée le sens argumentatif, elle contribue à
assurer l’enchaînement discursif argument - conclusion.
Pourtant, il arrive aussi que les lois de passage soient mises en question, ce qui
correspond à un mode de réfutation. En d’autres termes, on peut dire qu’il y a réfutation
lorsque le destinataire de l’argumentation trouve les arguments non pertinents ou faiblement
pertinents par rapport à la conclusion orientée.
2.2. La situation d’argumentation
L’argumentation est une conduite humaine parfaitement banale de la vie quotidienne. Elle
peut se décrire en terme de situation de communication.
Pour qu’il y ait situation d’argumentation, il faut satisfaire les conditions suivantes :
∙ Participants : normalement, il faut la présence d’au moins deux participants : un
argumentateur et un destinataire, c’est-à-dire le destinataire de l’argumentation.
Pourtant, il arrive aussi des cas où le locuteur argumente avec lui-même.
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∙ Visée argumentative : ces deux participants vont exprimer des opinions divergentes
à propos d’un sujet qui les concerne. Ils essaient de défendre leur point de vue,
d’emporter les convictions d’autrui voire de modifier son comportement.
∙ Moyens pour convaincre : ils mettent en œuvre des moyens discursifs, ou plus
précisément des arguments (y compris arguments pour, arguments contre, contre-
arguments) destinés à modifier les convictions initiales du destinataire.
Pour résumer, nous prenons la définition de Plantin :
« La situation d’argumentation est une situation de confrontation discursive,
où un « Proposant » rencontre un « Opposant » sur une « Question » qui
les divise et à laquelle ils construisent, par l’argumentation, des réponses
antagonistes » (1994 : 77).
2.3. Les acteurs de l’argumentation
L’argumentateur est le locuteur qui argumente.
Les acteurs de la situation argumentative reçoivent traditionnellement différentes
désignations.
∙ Les énoncés utilisés dans une argumentation sont linguistiquement analysés comme
produits par un locuteur pour un interlocuteur. Si on met l’accent sur le contenu et sur
les actes, on parle d’énonciateur et de destinataire.
∙ En rhétorique, on emploie le terme d’orateur, qui s’adresse à un groupe de personnes
relativement important, son auditoire ou son public.
∙ Lorsqu’on décrit les échanges argumentatifs organisés en débat, on distingue parmi
les argumentateurs le Proposant et l’Opposant. Le Proposant tient le discours,
et l’Opposant soutient le contre-discours. On appelle Tiers tous les membres du
public témoin intéressés par l’échange mais qui n'ont pas encore pris position sur la
question.
2.4. Thèse, argument, contre-argument
∙ On appelle thèse le point de vue général défendu par un argumentateur sur le
problème posé.
∙ L’argument est la raison qu’on présente pour ou contre une thèse. Un argument est
toujours orienté vers une conclusion. Or, les thèses sont antagonistes. On a alors
recours à des arguments pour et à des arguments contre.
Ainsi :
∙ si on est favorable au tabac, on utilise des arguments pour : Le tabac permet
d’endurer les misères de la vie
∙ si on est défavorable au tabac, on utilise des arguments contre : Le tabac est nuisible
à la santé
Dans ces deux cas, les arguments servent à justifier des points de vue opposés.
∙ Le contre-argument : l’interlocuteur met en doute l’argument avancé par le Proposant
et lui propose donc un contre-argument. Dans ce sens, le contre-argument a le
caractère réfutatif.
Prenons comme exemple le dialogue suivant :
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A : Vous êtes seul, vous n’êtes pas malheureux ? B : Mais je ne suis pas seul.
J’ai mes chats, mes livres. Je suis tranquille, je suis heureux.
L’énoncé « vous êtes seul » est présenté comme l’argument pour la conclusion « vous êtes
malheureux ». Pourtant, le locuteur B a contesté la vérité de cet argument en utilisant des
contre-arguments « Je ne suis pas seul. J’ai mes chats, mes livres. Je suis tranquille ». Ces
arguments s’orientent vers la conclusion inverse « je suis heureux ». Nous en parlerons
plus en détails dans les lignes qui suivent.
2.5. Réfutation
Sur ce point, nous nous basons sur la théorie de Moeschler. Pourtant, nous allons
commencer par analyser les définitions proposées par les dictionnaires qui sont
respectivement le Trésor de la langue française et Le Petit Robert.
Selon le Trésor de la langue française, réfuter c’est « repousser ce qui est affirmé
par une démonstration argumentée qui en établit la fausseté » (article Réfuter). Et Le
Petit Robert définit la réfutation comme « démontrer la fausseté d’une opinion, d’une
proposition ».
A partir de ces deux définitions nous retenons les points suivants :
∙ la réfutation présuppose l’existence antérieure d’un acte d’assertion (ce qui est
affirmé).
∙ elle traduit le désaccord de l’interlocuteur vis-à-vis de cette assertion, et fonctionne
par conséquent comme un acte réactif (repousser ce qui est affirmé).
∙ l’interlocuteur, c’est-à-dire le destinataire du premier énoncé, essaie de convaincre de
l’invalidité de l’assertion en question (démontrer la fausseté)
∙ la réfutation a un caractère argumentatif (démonstration argumentée).
La réfutation est donc une forme particulière de l’argumentation. Elle implique, selon
l’expression de Moeschler, la présence d'une relation d'ordre argumentatif : « Une réfutation
est ainsi un acte complexe ou macro-acte de langage caractérisé par l’existence d’une
relation d’ordre argumentatif entre ses constituants » (1982 : 123). C’est une démarche
qui consiste à intégrer, autrement dit à « rentrer dans » le raisonnement de l’autre pour en
déceler les incohérences ou les contradictions sur lesquelles reposent ses arguments afin
de le discréditer.
Ainsi, dans l’exemple suivant
1
:
A : Le foot est un sport d’équipe. B : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec
toi. Si on parle d’un sport d’équipe on parle de la bonne entente à l’intérieur de
l’équipe. C’est sans doute cette entente qui donne la victoire. Or, au foot, chaque
footballeur est obsédé par l’argent et par son image de marque. C’est pourquoi
chacun joue pour soi.
L’intervention de A est un acte initiatif d’assertion et l’intervention de B un acte réactif
de réfutation. Dans son intervention, B cherche à démontrer la fausseté de la proposition
énoncée par A en donnant des arguments « chaque footballeur est obsédé par l’argent et
par son image de marque » et « chacun joue pour soi » pour la conclusion anti-orientée « le
foot n’est pas un sport d’équipe ». On appelle l’énoncé de B l’énoncé réfutatif. Un énoncé
réfutatif est donc un mouvement contre-orienté. Que signifie alors le terme « contre » ?
Dans le cas de cet exemple, « contre » consiste à montrer que les arguments sur lesquels
1
La production de cet exemple se base sur l’exercice 2, Café Crème 3, p.124
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repose la conclusion « Le foot est un sport d’équipe » sont intenables. Et une fois que les
arguments sont intenables, la conclusion, à son tour, est invalidée. En un mot, on peut dire
que la réfutation constitue un processus d’invalidation qui consiste à produire des raisons en
faveur d’une conclusion différente et incompatible, autrement dit, il s’agit simplement d’un
processus de justification. C’est le cas de l’exemple ci-dessous
2
:
A : Le foot, c’est un sport d’équipe. B : Tu as tort d’y croire. Au foot, chacun joue
pour soi, c’est-à-dire contre tous. Le footballeur est un égoïste qui ne pense qu’à
soi. Ils se prennent tous pour des vedettes au lieu de jouer en équipe.
Depuis Aristote, on distingue deux manières de rejeter une conclusion / une argumentation :
la réfutation et l’objection. Une réfutation est considérée comme quelque chose de plus
puissant qu’une objection. On dit généralement que la réfutation est l’argumentation qui
contredit la conclusion de l’adversaire alors que l’objection est l’expression d’une opposition
argumentative par le biais d’un argument faible. On peut aussi remarquer que la première
tend à clore le dialogue alors que la deuxième appelle une réponse, donc maintient le
dialogue.
2.6. Valeur et effet de l’argumentation
Comme nous l’avons dit plus haut, l’argumentation est un processus qui se compose de
deux éléments essentiels : l’argument et la conclusion. Un argument est un moyen qui
nous oriente vers une conclusion. Et lorsque l’argumentateur impose cette conclusion au
destinataire de son argumentation, il nourrit évidemment l’idée de lui faire adopter un certain
comportement qui convienne à cette croyance.
C’est le cas de l’exemple suivant :
Le père s’adresse à son fils : Assieds-toi un peu plus loin de la télévision ! Sinon
tu auras des problèmes avec tes yeux.
Ici, le père, à travers cet enchaînement argumentatif, veut voir son fils changer de place,
s’asseoir loin du petit écran. Il cherche donc à influencer le comportement de son fils.
Pourtant, il est à noter également que l’argumentateur ne vise pas uniquement à
imposer telle croyance ou telle attitude à son destinataire. Il essaie aussi, par son discours
argumentatif, de faire croire à l’interlocuteur qu’il est tout à fait logique, raisonnable en
adoptant cette croyance ou cette attitude.
Bien sûr, l’argument est soit accepté soit repoussé par celui-ci. S’il s’agit du deuxième
cas, c’est-à-dire que l’argument n’est pas admis ou est jugé moins bon, moins pertinent,
l’interlocuteur recourt à la réfutation.
Etudions les deux énoncés suivants :
(1) « Arrête de manger trop de graisse, tu risques de prendre des kilos » (2)
« Pierre ne viendra pas nous voir ce week-end, il est parti ce matin pour Paris »
Dans le 1
er
énoncé, « manger trop de graisse » est un bon argument pour la conclusion « tu
prendras des kilos », mais dans le 2
e
énoncé, l’argument « il est parti ce matin pour Paris »
n’est pas considéré comme persuasif pour aller vers la conclusion « Pierre ne viendra pas
nous voir ce week-end ». C’est pourquoi, l’interlocuteur peut très bien réfuter en disant « Si,
car il reviendra vendredi après-midi ».
2
Idem.
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Récapitulation
Nous venons de faire une synthèse des différentes approches théoriques qui sont
respectivement celle de Perelman, de Toulmin, de Ducrot et d’Anscombre. Ce travail vise
à décrire l’état de la question sur les études de l’argumentation. Les notions de base de
l’argumentation ont été également présentées dans le but de construire un modèle cohérent
d’argumentation, compatible avec les objectifs pédagogiques concrets poursuivis que nous
allons préciser dans les parties à venir.
Chapitre 2 : Types d’arguments
Dans ce chapitre, nous nous basons essentiellement sur la classification de Plantin qui
classe les argumentations en fonction « des paramètres d’objet, de langage, d’interaction »
(1996 : 39).
La première catégorie d’argumentation manipulant des objets et des relations entre
objets regroupe :
∙ Argumentation et causalité
∙ Argumentation et analogie
∙ Argumentation sur la nature des choses et leur définition
La deuxième catégorie est l’argumentation qui subit les contraintes du langage :
∙ Les ressources de la langue
∙ Désignations et prises de position
∙ L’argumentation dans la langue
La troisième catégorie comprend les argumentations présentées comme un processus
interactif :
∙ L’argumentation par la force
∙ L’argumentation par l’ignorance
∙ L’argumentation sur la personne
∙ L’argumentation d’autorité
1. Argumentation et causalité
Il s’agit de bien distinguer entre les argumentations qui établissent une relation causale et
les argumentations exploitant cette relation.
1.1. Argumentation établissant une relation causale : argumentation causale
L’argumentation causale vise à expliquer un phénomène quelconque en cherchant à le
rattacher à une cause. Autrement dit, ce mode d’argumentation sert à établir un lien causal
entre deux événements. Selon l’expression de Plantin, « dans ces argumentations, la
relation de causalité a donc le statut de thèse, à confirmer ou à infirmer » (1990 : 217). Il
précise aussi des démarches à suivre pour une argumentation de ce type : formulation des
hypothèses, mise au point d’expériences cruciales permettant de rejeter certaines de ces
hypothèses, confirmation de l’hypothèse qui prend le statut de « cause ».
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1.2. Argumentation exploitant une relation causale
1.2.1. Argumentation par la cause
Dans cette argumentation, la relation causale n’a plus le statut de conclusion mais le statut
d’argument. Elle met l’affirmation causale au service d’une conclusion pratique.
Soit l’exemple ci-dessous :
Ne viens plus chez elle ! Chaque fois que tu la vois, tu as des histoires avec elle !
La conclusion « Ne viens plus chez elle » est justifiée par l’argument « Chaque fois que tu
la vois, tu as des histoires avec elle ».
De cet argument, on peut tirer des présupposés :
« Tu viens chez elle » (E1) « Tu as des histoires avec elle » (E2)
On peut dire par conséquent que la formulation de cet argument repose sur une affirmation
de causalité : E1 est la cause de E2.
Cet argument est donc appelé « argument par la cause ».
En second lieu, l’énoncé ci-dessus présuppose un jugement de valeur sur l’effet E2
« Avoir des histoires avec elle provoque un mauvais état psychologique »
et conclut donc que E2 doit être éliminé, d’où la conclusion « Ne viens plus chez elle ! »
1.2.2. Argumentation par l’effet
Dans l’exemple :
S’il n’est pas malade, c’est qu’il a été vacciné
l’argument « il a été vacciné » est la cause et la conclusion « il n’est pas malade » peut être
considérée comme l’effet, donc vice versa, si l’effet est constaté, on peut affirmer la cause.
1.2.3. Argumentation par les conséquences
Ce mode d’argumentation se rencontre bien fréquemment dans la vie courante.
L’argumentation pragmatique donnée par le Proposant est réfutée par l’Opposant. Ce
dernier, étant l’adversaire de la mesure en question, refuse le raisonnement du partisan en
exploitant des effets pervers de la mesure. C’est le cas de l’exemple suivant :
Question : Faut-il enseigner une langue étrangère aux enfants de 3 ans ?
Proposant : Oui, l’enseignement précoce des langues étrangères contribuera
à développer l’esprit logique des enfants (argumentation pragmatique : bonne
conséquence) Opposant : Non, au contraire, les enfants auront du mal à
maîtriser et la langue maternelle et la langue étrangère (réfutation par effets
pervers : mauvaise conséquence)
2. Argumentation et analogie
L’argumentation par analogie joue le rôle prépondérant dans la production et la justification
des propositions malgré l’incertitude de sa valeur explicative.
Nous trouvons ci-dessous la forme schématique de l’argumentation par analogie
présentée par Plantin :
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L’objet P a les propriétés A1, A2,…, An, An+1 L’objet P’ a les propriétés A1, A2,
…, An Par analogie, l’objet P’ a aussi la propriété An+1
De ce schéma, nous pouvons dire que tout argument par analogie comporte la comparaison
d’objets non identiques ; il y a donc toujours des dissimilarités. La force des arguments par
analogie réside dans le nombre de similarités pertinentes pour l’argument, et sa faiblesse
dans le nombre de dissimilarités pertinentes pour l’argument. Ainsi, on peut comprendre
pourquoi un expérimentateur a considéré le rat comme un « bon » animal de laboratoire
pour l’évaluation d’effets possibles sur les humains. Il s’agit sans doute du processus de
l’argumentation par analogie.
Il est aussi à noter que la métaphore est un cas particulier de l’argumentation par
analogie comme dans l’énoncé suivant :
Il faut équiper tous les avions d’un radar, puisque le radar est à l’avion ce que
l’oeil est au chasseur.
Ici, le locuteur établit une similitude de rapport entre deux couples de termes « le radar est
à l’avion » et « l’œil est au chasseur ». Si on admet « l’œil est au chasseur », on admet
aussi « le radar est à l’avion ».
3. Argumentation sur la nature des choses et leur définition
L’argumentation par la définition consiste dans l’explication d’un terme de façon détaillée
en privilégiant les traits essentiels. Une définition bien établie peut servir de bon fondement
à des argumentations par la définition. Si elle s’oriente dans le sens d’une thèse
qu’on soutient, elle devient elle-même argumentative. En d’autres termes, une définition
argumentative en définissant un terme exprime aussi une prise de position qui peut être
favorable ou défavorable vis-à-vis de l’objet défini.
Question : Avez-vous passé de bonnes vacances en Thaïlande ? Définition
argumentative : J’appelle ça un triste souvenir. J’ai donné de l’argent pour
acheter de la fatigue, voire de l’angoisse.
Cette définition inclut le trait négatif « un triste souvenir ». Ce « triste souvenir » est
justifié encore une fois par l’énoncé qui suit. On dira alors que l’interlocuteur redéfinit
argumentativement l’expression « vacances en Thaïlande ». Cette définition laisse entendre
la conclusion : « Les vacances en Thaïlande se sont mal passées »
4. Les ressources de la langue
La première remarque consiste à dire que la langue contient en elle une « logique
linguistique » (Plantin, 1996 : 56) qui règle certains enchaînements argument - conclusion.
Cette montre est suisse, et les montres suisses sont de bonne qualité. Donc,
cette montre est de bonne qualité.
Dans cet exemple, de 2 arguments on déduit la conclusion. C’est le cas du syllogisme (un
discours composé de 3 énoncés simples : une conclusion inférée de 2 prémisses).
L’argumentation est, en second lieu, présentée comme une transformation d’énoncés.
On a recours à une « paraphrase argumentative » (Plantin, 1996 : 57), c’est-à-dire qu’on
essaie de reformuler ou de paraphraser la conclusion pour donner un argument pour cette
conclusion.
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Ainsi, l’énoncé :
Les étudiants de moins de 28 ans ont droit à un abonnement mensuel de 31
euros parce que c’est leur droit.
se compose de deux énoncés : l’énoncé conclusion « Les étudiants de moins de 28 ans ont
droit à un abonnement mensuel de 31 euros » et l’énoncé argument « parce que c’est leur
droit » dont l’énoncé conclusion est une paraphrase de l’énoncé argument.
Dans notre vie de tous les jours, nous entendons des énoncés comme suit :
Les salaires modestes doivent payer très peu d’impôts car ils ne permettent de
vivre que modestement ; par contre, les hauts salaires doivent être fortement
taxés car ils permettent de vivre luxueusement, donc de se priver du superflu.
Il s’agit ici de l’argumentation par les contraires. Cette argumentation est aussi un mode
d’argumentation par transformation d’énoncés. La transformation consiste au remplacement
du terme sujet par son contraire (salariés modestes / salariés bien payés) et du terme
prédicat par son contraire (payer très peu d’impôts / être fortement taxés). L’argumentateur
met aussi en contraste deux autres expressions : vivre modestement / vivre luxueusement.
L’argumentation par les contraires, selon Plantin (1996) prend la forme schématique
suivante :
a est P donc non-a est non-P
5. Désignation et prise de position
Plantin insiste sur la double fonction du mot qui est de désigner et d’orienter.
Nous examinons l’exemple suivant :
A : Comment trouves-tu Pierre ? B : C’est un gros menteur
Le groupe nominal « gros menteur » ne vise pas seulement à décrire le type de personne
auquel appartient Pierre (ceux qui mentent toujours, qui peuvent tromper quelqu’un, qui
sont assez dangereux…) mais aussi à orienter le discours. « C’est un gros menteur » peut
être considéré comme un argument conduisant l’interlocuteur vers la conclusion implicite
« J’aime pas ce genre de personnes » ou « Je ne l’apprécie pas ».
6. Argumentation dans la langue
6.1. Les topoï
Dans leur théorie de « l’argumentation dans la langue », Anscombre et Ducrot ont introduit le
concept de topoï (au singulier : topos), trajet que l’on doit obligatoirement emprunter en vue
d’atteindre une conclusion déterminée. Un topos est défini par Ducrot comme « le garant qui
autorise le passage de l’argument A à la conclusion C » (1995 : 85). D’après Plantin, il s’agit
d’« un instrument linguistique connectant certains mots, organisant les discours possibles
et définissant les discours « acceptables », cohérents dans cette communauté » (1996 :
66). Ainsi, en disant :
Ce manteau est trop cher. Ne l’achetez pas !
Cet enchaînement argumentatif s’appuie sur le topos « plus cher est le prix, moins on a la
possibilité d’acheter »
De même :
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(1) - Je n'ai plus de cigarettes. (2) - Tu sais, il y a un bureau de tabac au coin de la
rue.
(2) s’enchaîne à (1) de façon cohérente grâce à l'implication contextuelle : « On vend des
cigarettes dans le bureau de tabac ». Au contraire :
(1) - Je n'ai plus de cigarettes. (3) *- Tu sais, il y a une fromagerie au coin de la
rue.
Cet échange est agrammatical, puisqu'il n'y a aucun rapport entre cigarettes et fromagerie.
Les topoï fonctionnent comme les « lieux communs », ou vérités de bon sens sur
lesquelles se repose la pratique de l’argumentation.
6.2. Les connecteurs
Les connecteurs sont des mots ou des groupes de mots de nature très variée qui ont
pour fonction de relier des segments de texte et d’en assurer l’organisation en marquant
des relations logiques et sémantiques entre les propositions ou entre les séquences qui le
composent.
Sous l’angle argumentatif, les connecteurs sont définis par Plantin comme :
« mots de liaison et d’orientation qui articulent les informations et
l’argumentation d’un texte. Ils mettent notamment les informations contenues
dans un texte au service de l’intention argumentative globale de celui-
ci » (Plantin, 1989 : fiche 10)
Nous parlerons plus en détail des connecteurs dans une partie à part.
6.3. La notion de « sémantique intentionnelle »
Dans la théorie de « l’argumentation dans la langue », on parle d’un nouveau type de
sémantique que Plantin appelle « sémantique intentionnelle » (1996 : 70). Pour être plus
précis, nous disons que le sens d’un mot ne se trouve pas à l’intérieur du mot mais doit être
recherché dans un cadre discursif, cela veut dire également qu’un énoncé doit être analysé
en relation avec « la poursuite du discours » selon l’expression de Plantin (1996 : 70).
En effet, tout énoncé tend à orienter l’interlocuteur vers une certaine direction discursive.
Et un interlocuteur intelligent est celui qui comprend l’intention du locuteur ainsi que les
intentions linguistiquement exprimées dans l’énoncé. Bref, il est capable de prévoir la suite
de l’énoncé, en d’autres termes, la conclusion vers laquelle s’oriente cet énoncé.
Pour résumer, on dit que le sens de l’énoncé argument est déterminé par l’énoncé
conclusion, et cette dernière reflète fidèlement l’intention linguistique de l’argumentateur.
7. Argumentation par la force
L’argumentation par la force revient à présenter un argument à quelqu’un en vue de lui faire
admettre une proposition. Plantin a tracé la structure de cette argumentation comme suit :
∙ X n’a pas envie de faire A.
∙ Y a intérêt à ce que X fasse A.
∙ Y menace X et donne un moyen d’échapper à cette menace en faisant subir un
désagrément moindre.
∙ X fait face à un rapide calcul de ses intérêts, et décide d’accepter un mal moindre
pour éviter un mal plus grand.
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Ainsi, nous avons l’exemple suivant :
Si vous ne payez pas vos amendes, je suis obligé de faire venir un commissaire
de police.
L’interlocuteur se trouve devant un choix entre deux solutions : « payer des amendes » ou
« avoir des problèmes avec la police », la première est désagréable et la deuxième encore
plus. Autrement dit, l’interlocuteur envisage la situation où un petit inconvénient balance
un grand désavantage. Les caractéristiques de ce mode d’argumentation consistent
essentiellement dans l’appel à la force, au pouvoir ou à la volupté.
8. Argumentation par l’ignorance
On a recours à cette stratégie d’argumentation lorsqu’on veut que l’adversaire admette ce
qu’on lui présente comme preuve, ou bien qu’il fournisse un meilleur argument.
Exemple :
A : Trouves-tu une autre solution à cette situation ? B : ……. C : Puisque tu ne
trouves pas d’autre solution, fais comme je t’ai dit. C’est la meilleure solution
pour le moment.
9. Argumentation sur la personne
Ce mode d’argumentation tend à rendre non valable une autre argumentation en diminuant
le prestige de la personne qui la soutient. Il a donc le caractère réfutatif parce qu’on a souvent
affaire à une stratégie de rejet au lieu d’un processus argumentatif positif, au cours duquel
on essaie d’étayer une conclusion par un argument. Cette argumentation prend la forme
suivante :
∙ X avance une argumentation A
∙ Y rétorque en attaquant X
9.1. Mise en contradiction
La première manière d’argumenter sur la personne consiste à mettre cette personne en
contradiction avec elle-même. Il s’agit de « presser un homme par les conséquences qui
découlent de ses propres principes, ou de ce qu’il accorde lui-même » (définition de Locke
citée par Plantin, 1996 : 84). Cette tactique d’argumentation englobe :
∙ mise en contradiction des paroles
∙ mise en contradiction des paroles et des croyances
∙ mise en contradiction de paroles et d’actes
∙ mise en contradiction des prescriptions et des pratiques.
Nous examinons l’exemple ci-dessous :
A : Connais-tu quelqu’un à Lyon qui ait des chambres à louer ? B : Non. Moi, je
n’ai pas d’expérience en ce domaine. A : Eh ben, mais tu m’as dit, lors de notre
dernière conversation téléphonique, que tu me trouveras un logement quand je
viendrai à Lyon.
C’est le cas de la mise en contradiction des paroles où le locuteur A met en contradiction
les affirmations de l’interlocuteur B.
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Un autre exemple :
Vous voulez soutenir votre mémoire au mois de septembre et vous ne changez
pas votre rythme de travail.
L’énonciateur met en contradiction entre ce que son destinataire prétend faire et ce qu’il
réalise en réalité. Le « et » fonctionne dans l’exemple cité comme un marqueur d’opposition
argumentative. C’est le cas de mise en contradiction de paroles et d’actes.
Alors que dans le cas suivant :
Vous demandez à vos élèves d’écrire une belle lettre de motivation et vous êtes
incapable d’en écrire une vous-même.
La contradiction est relevée entre ce que le destinataire exige des autres et ce qu’il peut fait
réellement. On parle donc du quatrième cas de mise en contradiction.
9.2. Attaque personnelle contre l’adversaire
La deuxième manière d’argumenter sur la personne consiste en une attaque personnelle
contre l’adversaire.
A : Il paraît qu’à partir de l’année prochaine on va supprimer le concours d’entrée
à l’Université. B : T’es trop manipulé par les médias ! Arrête maintenant de dire
des bêtises !
L’Opposant B se montre opposé à l’intervention du Proposant A. Il attaque ce dernier en
parlant de lui en termes négatifs.
10. L’argumentation d’autorité
Il est à noter que nous allons accorder dans la troisième partie de la thèse une part
importante à la présentation détaillée de ce type d’argument. Nous nous contentons
d’aborder dans cette partie des questions concernant la définition de l’argument d’autorité.
L’argument d’autorité vise à rendre légitime une proposition en faisant appel à une
personne, une institution considérées comme dignes de foi. Ce mode d’argumentation
est largement influencé par le « prestige » qui est défini comme « la qualité de ceux qui
entraînent chez les autres la propension à les imiter » (définition de Dupréel citée par
Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958 : 407).
Plantin appelle l’argument d’autorité « argument de confirmation » (1996 : 88) qui
soutient une conclusion dans une argumentation. Cette argumentation prend la forme
suivante :
∙ Proposant : - P, car X dit que P, et X est une autorité en la matière
A partir de cette présentation, nous disons que le Proposant utilise l’argument d’autorité
lorsqu’il veut donner comme argument pour une affirmation P le fait que cette affirmation
a été énoncée ou admise par un locuteur X particulièrement autorisé, qui se prend pour le
garant de la justesse de P.
L’argument d’autorité apparaît dans les énoncés du type suivant :
X dit / soutient / affirme / pense que P, et il s'y connaît Pierre a dit qu’il ferait beau
demain, et c’est un météorologiste de première classe.
Tout le problème de l'argument d'autorité tourne autour de la crédibilité de l'expert cité et
de la pertinence de son savoir vis-à-vis du thème de la discussion. Cette « interaction
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autoritaire », selon l’expression de Plantin (1990 : 212), renvoie aux mécanismes de citation
et de polyphonie, à une structure de communication particulière où le discours donateur
d'autorité est transposé, vulgarisé, traduit. L'argumentation par autorité a donc un caractère
polyphonique évident dont nous parlerons ultérieurement.
Récapitulation
Cette classification de Plantin appuyée sur l’analyse des arguments en fonction des
paramètres d’objets, de langage et d’interaction nous offre une vision parfaitement claire
et détaillée sur les différents types d’argumentation. Ce serait l’idéal si nous insérions ce
classement dans un cours purement théorique sur l’argumentation, cours, bien sûr, réservé
uniquement aux enseignants et aux futurs enseignants de français langue étrangère.
L’explication est tellement simple : un enseignant ne peut pas apprendre à ses élèves à
argumenter quand il ne comprend pas à fond ce qu’est l’argumentation ou qu’il est incapable
d’argumenter lui-même. Ce cours, accompagné, bien entendu, d’autres cours portant sur
d’autres aspects de l’argumentation, a pour but d’apporter une formation complémentaire
sur l’argumentation, un domaine qui reste encore, pour les enseignants vietnamiens, plus
ou moins un terrain « inexploité ». Nous utilisons le terme « inexploité » parce que
nos enseignants de français, en ce qui concerne la linguistique, n’ont pas tellement de
difficultés car ils sont bien formés, mais en matière d’argumentation, il leur faut absolument
une formation afin de remplir leurs lacunes en cette discipline. D’ailleurs, grâce à leur
connaissance antérieure de la théorie de la langue, ils peuvent capter sans trop d’obstacles,
de nouvelles notions en argumentation.
Au contraire, en ce qui concerne nos apprenants de français, nous devrions prendre
des précautions. En fait, compte tenu de leur programme de formation, de leur expérience,
de leur personnalité, de leur état d’esprit, et notamment de leur niveau en français encore
très modeste, nous pensons que l’adoption d’une telle classification d’argumentations
constituera pour eux un enjeu extrêmement épineux.
C’est pourquoi, dans l’espoir de les aider à bien distinguer et à bien employer des
arguments, nous adoptons le classement de Mirabail(1994). Sa classification, que nous
jugeons plus simplifiée et accessible aux apprenants, prend comme point de départ la
question portant sur des procédés utilisés en vue de valider une prise de position ou plus
précisément encore, de développer un argument.
Avant de passer au classement des arguments, il nous paraît important d’éclairer le
terme « idée-prise de position » que l’auteur utilise fréquemment tout au long de son
ouvrage. Une « idée-prise de position » (IPP) contient toujours un mot-thème (ou une
expression) qui désigne ce dont on parle et un mot-thèse (ou une expression) qui indique
ce que l’on veut prouver. Ce mot-thèse détermine l’orientation argumentative des faits.
Selon son approche, les arguments sont classés en deux grandes catégories :
∙ Les arguments affirmatifs
Sont regroupés dans ce type d’arguments de simples confirmations de l’idée-prise de
position. Dans cette catégorie, le développement rend plus claire, plus familière, plus
concrète, plus explicite l’idée-prise de position. Il la renforce mais il n’apporte aucune preuve
de sa validité.
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∙ Soit on s’appuie sur des faits qui illustrent l’idée-prise de position. On a alors recours
à l’exemple, à des faits significatifs qui ont la force du concret. C’est le cas de
l’argument fondé sur le recours à l’exemple.
∙ Soit on s’appuie sur des valeurs. On fait alors référence :
– à l’autorité (grands acteurs, savants, hommes renommés,…)
– à l’opinion, à la tradition, à des valeurs consensuelles (proverbes,
dictons…)
On a donc affaire à des argumentations d’autorité.
∙ Soit on éclaire un argument :
– par une définition
– par l’explication
– par le symbole ou la métaphore
– par l’analogie
∙ Les arguments logiques
Lors d’une argumentation, les arguments s’enchaînent les uns aux autres par l’intermédiaire
des relations logiques. Il est donc important que l’enseignant fasse découvrir aux élèves
ces différentes relations. A chaque type de relation correspond un type d’argument.
Ces arguments se caractérisent par la présence des connecteurs à l’intérieur de leur
développement. Voici les raisonnements les plus couramment utilisés :
∙ La causalité
C’est un procédé qui consiste à étudier un phénomène par l’analyse de ses causes ou de
ses conséquences. Dans le langage courant, la cause est exprimée par « car, en effet, parce
que, sous prétexte que, puisque, comme…» ; et la conséquence est exprimée par « donc,
c’est pourquoi, d’où, de là, de telle sorte que, de sorte que, si bien que,… »
Ce type d’argument renvoie au mode d’argumentation par la cause proposé par Plantin.
∙ La déduction
A la différence des arguments qui utilisent l’exemple comme une simple illustration de l’idée-
prise de position, la déduction est un raisonnement qui vise à tirer, à partir des principes, une
conclusion nécessaire et logique. Le syllogisme est un cas typique de ce type d’argument.
∙ L’induction
L’induction est un mode de raisonnement qui permet de passer du particulier au général,
de l’individuel à l’universel, c’est-à-dire des faits aux lois. Ce procédé est souvent utilisé
dans l’argumentation car il permet de dégager, en se référant à la réalité concrète, une
règle générale grâce à l’observation et à la confrontation d’une série de faits. C’est une
généralisation qui peut conduire à une illustration grâce à des exemples.
Exemple :
Les jeunes ne respectent pas les personnes âgées. J’ai vu encore ce matin dans
le bus une vieille dame rester debout alors qu’un étudiant, assis tranquillement
sur un siège, continuait à lire son journal.
∙ La comparaison
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Ce mode de raisonnement consiste à mettre en relation deux termes dont on relève
rigoureusement les points de similitude, les différences, les oppositions par l’intermédiaire
de termes comme : comme, tel, ainsi que, de même que, plus que, moins que.
∙ La concession
Elle introduit la polyphonie dans une séquence (paragraphe à l’écrit). Ce procédé se
caractérise par la mise en présence de deux (ou plusieurs) thèse dont l’une est réfutée
ou nuancée avant que celle de l’idée-prise de position ne soit confirmée. La concession
est exprimée par « malgré, bien que, quoique, sans doute, certes… ». Le plus utilisé est
« mais ». L’auteur constate qu’il existe des faits ou des arguments qui s’opposent à sa thèse
mais il maintient son opinion et poursuit son raisonnement.
Bien que l’auteur ait fait une erreur en considérant la concession comme un type
d’argument, nous espérons que ce classement de catégories d’arguments, de caractère
plus ou moins sommaire, est plus accessible aux apprenants de français langue étrangère,
vu leur niveau de connaissance de langue, leur passion pour l’argumentation et aussi la
question de gestion de temps en classe. Les enseignants, quant à eux, ont la possibilité de
faire référence à notre travail de synthèse proposé auparavant, qui s’inspire largement des
travaux de Plantin pour acquérir une vision plus théorique, plus académique, plus détaillée
et aussi plus complexe en ce qui concerne les argumentations.
Nous avons abordé dans les deux chapitres précédents des conceptions de base de
l’argumentation et les différents types d’arguments. Le chapitre qui suit sera réservé à
l’exploitation des stratégies de l’argumentation.
Chapitre 3 : Les stratégies d’argumentation
Dans ce chapitre, nous allons parler, de façon détaillée, des opérations argumentatives qui
sont respectivement la justification, la réfutation, la contre-argumentation et la concession.
1. La justification
1.1. Définition
La justification d’un point de vue est l’opération de base de l’argumentation. Si le débat
et la délibération sont de nature prospective, la justification est au contraire de nature
rétrospective. La thèse est connue de l’argumentateur et ce dernier a à trouver des
arguments et à utiliser des moyens appropriés pour établir sa validité. Une justification est
acceptable lorsqu’elle remplit deux critères : critère d’efficacité et critère de clarté.
1.2. Critère d’efficacité
Pour être efficace, le discours doit être rigoureusement construit. L’argumentateur a recours
à plusieurs arguments. Ces arguments sont juxtaposés, hiérarchisés et construits en
faisceau. Nous empruntons le schéma proposé par Mirabail (1994 : 151) pour représenter
la construction des arguments :
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La validité de la thèse se justifie donc par un ensemble d’arguments co-orientés.
L’efficacité réside aussi dans la manifestation de la conviction personnelle. L’auteur peut
adopter un ton impersonnel ou un ton plus polémique. Dans le premier cas, l’énonciateur
s’efface et la conviction apparaît à travers d’autres indices tels que « il est certain »,
« évidemment », « efficacement », « on peut soutenir que »,… alors que dans le second
cas, il utilise des procédés de prise en charge personnelle comme « je pense », « je crois »,
« je suis convaincu », « de mon point de vue », « il m’apparaît »,…
1.3. Critère de clarté
Classer les arguments a pour finalité la clarté. Cela veut dire que dans un discours de
justification, les arguments doivent être classés en fonction de :
∙ leur domaine d’analyse (du point de vue psychologique, du point de vue langagier, sur
le plan familial, sur le plan social…)
∙ leur catégorie logique : situation – cause – conséquence – solution, cas particulier -
cas général, faits – lois…
∙ couple d’opposition : avantage / inconvénient, point positif / point négatif, apparence /
réalité, avant / après (en publicité)…
Il est tout à fait possible que ces classements soient combinés. Par exemple, quand on parle
de l’inondation de Hanoï en octobre 2008, on peut aborder les conséquences financières,
médicales, culturelles…
Un autre point non moins important auquel nous devons porter notre attention, c’est
l’orientation argumentative des arguments. Ceci est dit dans le schéma ci-dessus : les
arguments sont regroupés autour d’une thèse. Ils doivent être coorientés, c’est-à-dire
présentés comme destinés à servir une même thèse. L’argumentation ouvre jusque là
une autre exigence : celle de la hiérarchisation et de la gradation des arguments au nom
de l’efficacité. Nous touchons donc à la notion de « force argumentative » précisée par
Moeschler d’après Ducrot, comme suit :
« Les arguments appartenant à une même classe argumentative sont dans une
relation d’ordre : certains arguments sont plus forts, d’autres sont plus faibles.
Soient deux énoncés p et p’ appartenant à la même classe argumentative. On
dira que p’ est présenté par le locuteur comme un argument plus fort que p,
si la conclusion de p à r implique la conclusion de p’ à r, l’inverse n’étant pas
vrai » (1994 : 281)
Examinons l’exemple suivant :
La cellule familiale est encore un élément essentiel dans notre société : elle est
un refuge et même un milieu éducatif irremplaçable.
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Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/
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La thèse « La cellule familiale est encore un élément essentiel dans notre société » est
justifiée par deux arguments coorientés dont le premier « elle est un refuge » est considéré
comme moins fort que le second « même un milieu éducatif irremplaçable ». Ici, l’opérateur
argumentatif « même » a la fonction d’attribuer un statut argumentatif plus fort, voire décisif
au deuxième argument. Autrement dit, « même » a la propriété de décider de la force
argumentative de l’argument.
Bref, la justification d’une thèse consiste à valider cette thèse par un système
d’arguments ayant la même orientation argumentative qui sont classés et hiérarchisés en
fonction de leur force argumentative.
2. La réfutation
2.1. Définition
Nous reprenons la définition de la réfutation donnée dans la partie antérieure.
Réfuter, au sens propre du terme, consiste à produire des raisons contre une
conclusion. Du point de vue argumentatif, il s’agit donc d’un mouvement contre-orienté, ce
qui différencie « réfuter » de « justifier », puisque justifier, au contraire, revient à produire
des raisons en faveur d’une conclusion. L’important est de ne pas confondre entre la
réfutation et la défense de la thèse adverse. En effet, si la réfutation est une démarche qui
consiste à s’intégrer dans le raisonnement de l’autre pour en déceler les incohérences ou les
contradictions sur lesquelles reposent ses arguments afin de le discréditer, la défense de la
thèse adverse est simplement un processus de justification. Ainsi, dans l’échange suivant :
A : - La mode permet d’exprimer sa personnalité. B : - Non, la mode n’exprime
pas sa personnalité. Elle nous est plutôt imposée et détermine nos goûts
vestimentaires.
Réfuter c'est refuser une argumentation en prouvant sa fausseté. La réfutation est donc une
démarche négative, un processus d’invalidation.
2.2. Réfutation de l’argumentation
Il y a plusieurs types de réfutation. Moeschler distingue trois types de réfutation qui sont
respectivement les rectifications, la réfutation propositionnelle généralement suivie d’une
justification et la réfutation présuppositionnelle accompagnée nécessairement d’un acte
de justification. Maingueneau, quant à lui, propose aussi trois types : réfutation complète,
réfutation par dénégation et réfutation par retournement. Dans le cadre de notre travail, nous
nous intéressons particulièrement à la réfutation de l’argumentation. Alors, qu’est-ce que
c’est que la réfutation de l’argumentation ? Quelle composante du schéma argumentatif fait
l’objet de la réfutation ? Notre réponse est que toute composante fait l’objet de la réfutation y
compris l’argument, la conclusion et la loi de passage.
2.2.1. La réfutation de l’argument
Réfuter les arguments de l’interlocuteur constitue l’une des stratégies couramment utilisées
pour invalider son argumentation.
Examinons l’exemple suivant :
Première Partie Théorie de l’argumentation
35
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A : - On m’a dit que vous avez une résidence secondaire à la campagne. Alors,
vous y passez vos vacances d’été ? B : - Non, moi, je n’ai rien d’autre que mon
petit appartement au centre-ville.
Dans l’intervention de A, « vous avez une résidence secondaire à la campagne » est un
argument orienté vers la conclusion « Vous y passez alors vos vacances d’été ». B, en
déclarant faux l’argument formulé par A « je n’ai rien d’autre que mon petit appartement au
centre-ville », réfute justement cet argument.
Il arrive aussi des cas où l’argument n’est pas entièrement accepté. Il est atténué,
diminué ou infléchi :
A : - LCL est une banque de grande taille. Il vaut mieux y poser ta candidature
pour la demande de stage. B : - Elle n’est pas si grande que ça, je pense.
L’argument « LCL est une banque de grande taille » n’est pas considéré comme
suffisamment efficace pour en tirer la conclusion visée par A.
2.2.2. La réfutation du topos
Comme nous l’avons dit plus haut, la loi de passage peut être mise en question et cette
mise en question donne lieu à des possibilités de réfutation. Un topos peut être réfuté de
plusieurs manières :
∙ La non pertinence du topos
On a simplement à déclarer que le topos n’est pas pertinent. Soit le dialogue suivant :
A : - Pierre a beaucoup travaillé, il va réussir son examen. B : - Regarde Jean, il
n’a pas travaillé et il a quand même réussi.
C’est la validité du topos que A a réfutée. En rejetant l’idée que plus on travaille plus on
réussit, B cherche à démontrer que le travail ne mène pas forcément au succès.
∙ La négation du topos
Examinons l’exemple ci-dessous :
A : - Bientôt arrive l’été ! Tu vas passer tes vacances à la plage ? B : - Je n’aime
pas aller à la plage en été. Je préfère y aller en hiver.
B nie le topos selon lequel on va généralement à la plage en été. Son désaccord porte sur
l’orientation de l’argument. La conclusion formulée par A est par conséquent invalidée.
∙ Refuser l’application du topos tout en reconnaissant sa pertinence
A : - Paul est un père excellent. Il a cessé de fumer dès la naissance de son
bébé. B : - Lui c’est lui, moi je suis moi !
Dans ce dialogue, B reconnaît la pertinence du topos « le tabac est nuisible à la santé,
notamment à celle des nouveau-nés », pourtant il refuse de l’appliquer à son cas.
∙ Rejeter la conclusion en utilisant la gradualité du topos
A : - Il y a de la neige aujourd’hui. On va faire du ski ? B : - Au lieu de faire du
ski aujourd’hui, fais-en demain. La météo annonce qu’il y aura bien plus de neige.
D’ailleurs il fera aussi soleil, ce sera un temps idéal pour faire du ski.
L’interlocuteur B rejette la conclusion de A et joue sur le caractère graduel du topos « plus
il y a de neige, mieux on peut faire du ski ».
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  • 1. Université Lumière Lyon 2 École doctorale : Lettres, langues, linguistique, arts Équipe de recherche : Interactions, corpus, apprentissage, représentations Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien par Thi Thu Ha NGO Thèse de doctorat en Sciences du Langage Sous la direction de Christian PLANTIN et The Hung TRAN présentée et soutenue publiquement le 30 juin 2011 Membres du jury : Christian PLANTIN, Directeur de recherche, Université Lyon 2 Sabine BASTIAN, Professeur d’université, Universität Leipzig The Hung TRAN, Professeur d’université, Université Nationale de Hanoi Christine DEVELOTTE, Professeur des universités, École normale supérieure de Lyon Marianne DOURY, Chargée de recherche, C.N.R.S. Chantal PARPETTE, Maître de conférences, Université Lyon 2
  • 2.
  • 3. Table des matières Contrat de diffusion . . 7 Remerciements . . 8 Avant-propos . . 9 Introduction . . 11 Problématique . . 11 Questions et hypothèses de recherche . . 11 Structure et objectifs de la thèse . . 12 Première Partie Théorie de l’argumentation . . 14 Chapitre 1 : Approche théorique . . 14 1. Différentes approches théoriques . . 14 2. Synthèse : Cadre théorique de l’argumentation . . 18 Récapitulation . . 23 Chapitre 2 : Types d’arguments . . 23 1. Argumentation et causalité . . 23 2. Argumentation et analogie . . 24 3. Argumentation sur la nature des choses et leur définition . . 25 4. Les ressources de la langue . . 25 5. Désignation et prise de position . . 26 6. Argumentation dans la langue . . 26 7. Argumentation par la force . . 27 8. Argumentation par l’ignorance . . 28 9. Argumentation sur la personne . . 28 10. L’argumentation d’autorité . . 29 Récapitulation . . 30 Chapitre 3 : Les stratégies d’argumentation . . 32 1. La justification . . 32 2. La réfutation . . 34 3. Contre-argumentation . . 37 4. La concession, un procédé rhétorique très utilisé de la contre- argumentation . . 41 Récapitulation . . 43 Deuxième Partie Le langage argumentatif : essai d’étude contrastive français-vietnamien . . 45 Chapitre 1 : Le lexique de l’argumentation . . 45 1. Argument, argumenter / luận cứ, lập luận . . 46 2. Arguer / argutie . . 52 3. Persuader / convaincre (thuyết phục) . . 53 4. Polémique, controverse, débat, discussion (cuộc luận chiến, cuộc tranh cãi, cuộc tranh luận, cuộc thảo luận) . . 55 5. Objecter et réfuter (bắt bẻ và bác bỏ) . . 57 6. Concéder (nhượng bộ) . . 58
  • 4. 7. Contredire et démentir (nói trái lại - bác bỏ et phủ nhận - đính chính) . . 59 8. Objectivité / Parti pris (Thái độ khách quan / Quyết định dứt khoát) . . 61 9. Sophisme et paralogisme (ngụy biện et ngộ biện) . . 63 10. Remarque : l’effet de métaphore dans l’argumentation . . 65 Récapitulation . . 69 Chapitre 2 : Connecteurs argumentatifs . . 69 1. Connecteurs : diversité terminologique . . 69 2. Opérateur argumentatif et connecteur argumentatif . . 72 3. Description de quelques connecteurs argumentatifs : étude contrastive . . 75 4. Les verbes connecteurs . . 94 Récapitulation . . 102 Troisième Partie Argument d’autorité : analyse en contexte vietnamien . . 103 Chapitre 1 : Études lexicales du mot Autorité . . 103 1. Étude dérivationnelle du mot Autorité . . 103 2. Étude du champ sémantique : autorité et notions voisines . . 105 3. Vocabulaire critique de l’Autorité : Cratopathie . . 106 Récapitulation . . 107 Chapitre 2 : Problème de définition . . 108 1. Qu’est-ce que l’autorité ? . . 108 2. L’autorité dans le milieu scolaire vietnamien . . 113 3. Autorité dans l’interaction . . 119 Chapitre 3 : Autorité et argumentation . . 128 1. Définition de l’argument d’autorité . . 128 2. Autorité montrée, autorité citée . . 129 3. Mécanisme de fonctionnement de l’argument d’autorité . . 129 4. Formes d’argumentation d’autorité . . 130 5. Réfutation des argumentations d’autorité . . 131 Récapitulation . . 133 Chapitre 4 : La culture vietnamienne et son influence sur le comportement verbal ainsi que sur les pratiques argumentatives . . 133 1. Qu’est-ce que la culture ? . . 133 2. Le rapport entre la culture, la langue et le comportement humain . . 134 3. Les caractéristiques de la culture vietnamienne . . 134 4. L’acculturation . . 140 5. La culture communicative des Vietnamiens . . 145 6. La notion de « face » dans la culture vietnamienne . . 149 7. L’habitude argumentative des Vietnamiens . . 153 Récapitulation . . 160 Chapitre 5 : Étude de cas . . 161 1. Problématique . . 161 2. Constitution du corpus . . 162 3. Analyse du corpus . . 163
  • 5. 4. Mise en pratique : Quelques propositions d’exercices d’analyse d’arguments d’autorité . . 178 Récapitulation . . 182 Quatrième Partie Pour une amélioration de la didactique de l’argumentation au Vietnam . . 183 Chapitre 1 : L’enseignement du français langue étrangère au niveau universitaire au Vietnam – le public visé . . 183 1. L’enseignement du français langue étrangère au niveau universitaire au Vietnam 28 . . 183 2. Le public visé . . 186 Chapitre 2 : La maitrise de l’argumentation des élèves de classe du FLE au Vietnam : Analyse des productions orales et écrites réalisées par des étudiants . . 189 1. Les comportements langagiers dans les classes de langues . . 189 2. Etude des productions des étudiants . . 192 Chapitre 3 : L’argumentation dans les manuels de Français langue étrangère . . 202 1. Les manuels pris en compte . . 203 2. L’argumentation dans les manuels de FLE . . 206 3. Comment l’argumentation est-elle enseignée ? . . 210 4. Méthode Rond-Point . . 223 5. Quelques propositions didactiques . . 234 Récapitulation . . 236 Chapitre 4 : Pour une amélioration de la didactique de l’argumentation dans les classes de français au Vietnam . . 239 1. Les principes d’élaboration des unités didactiques . . 239 2. Elaboration des unités didactiques : « On en discute » . . 250 UNITE 1 Introduction au débat français . . 251 UNITÉ 2 Caméra de surveillance – On en discute ! . . 268 UNITÉ 3 La croissance économique – On en discute ! . . 292 UNITÉ 4 Clonage humain – On en discute ! . . 308 Conclusion Générale . . 360 Les premiers résultats de la recherche . . 360 Les limites de notre recherche . . 362 Les perspectives de notre recherche . . 363 Bibliographie . . 365 Annexes . . 372 Annexe 1 : Extraits de films et dialogue reconstruit . . 372 1. Interaction 1 . . 372 2. Interaction 2 . . 375 3. Interaction 3 . . 377 4. Interaction 4 . . 379 Annexe 2 : Exemple 11 (partie 3- chapitre 4) . . 380 Annexe 3 : L’exploitation de la bauxite au Vietnam . . 381 1. Document 1 : « L'aménagement de l'exploitation de la bauxite » . . 382
  • 6. 2. Document 2 : « Bauxite : pas de souci pour le problème environnemental » . . 384 3. Document 3 : « L’importance culturelle et sociale du projet d’exploitation minière dans les Hauts Plateaux du Centre » . . 385 4. Document 4 : Lettre de Ngo Bao Chau . . 389 5. Document 5 : Discours de M. Duong Trung Quoc . . 394 6. Document 6 : Discours de M. Nguyen Minh Thuyet . . 397 7. Document 7 : Discours du représentant de la province de Lam Dong . . 400 8. Document 8 : Discours du représentant de la province de Dak Nong . . 401 Annexes 4 : Productions orales et écrites des étudiants vietnamiens . . 403 1. Transcription des productions orales . . 403 2. Productions écrites des étudiants . . 407 Annexe 5 : Documents de travail des manuels FLE . . 414 1. Textes de compréhension écrite tirés des manuels de FLE . . 414 2. Transcription des documents oraux utilisés dans les manuels de FLE . . 417 Annexe 6 : Extrait d’un débat vietnamien . . 421 Annexe 7 : Documents de travail : Unité 6 (Rond-Point 2) . . 422 Annexe 8 : Documents de travail : Articles . . 430 1. Article 1 : « Cratopathie précoce, cratopathie sénile » (Jean-Noel Cuénod) . . 430 2. Article 2 : « Pour ou contre la gratuité ? » (Michel Soudais) . . 431 3. Article 3 : « La tarification, enjeu électoral » (Clémentine Cirillo-Allahsa) . . 432 4. Article 4 : « Faut-il se méfier des caméras de surveillance ? » . . 434 5. Article 5 : « Faut-il plus de croissance ? » . . 436 [Résumés] . . 439
  • 7. Contrat de diffusion 7 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Contrat de diffusion Ce document est diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales.
  • 8. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 8 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Remerciements Une thèse de doctorat est, comme le souligne un collègue au laboratoire « Interaction, Corpus, Apprentissage, Représentation », « le fruit d’un long travail personnel » mais sa réalisation a été dépendante de certaines personnes que je ne remercie jamais assez… Je tiens à exprimer ici ma profonde reconnaissance : ∙ à Monsieur Christian PLANTIN, mon directeur de thèse, sans qui ce travail n’aurait pu être réalisé. Je le remercie tout spécialement de ses encouragements, de ses conseils précieux, de ses critiques sévères et aussi de ses questionnements pertinents qui m’ont beaucoup orientée dans la recherche. Il a aussi effectué des démarches pour améliorer ma situation administrative. ∙ à Monsieur TRẦN Thế Hùng, mon premier professeur en sciences du langage et co- directeur de recherche, qui m’a accompagnée de son soutien au fil des années. ∙ à Madame Catherine KERBRAT-ORECCHIONI pour son aide précieuse et ses nombreux conseils. ∙ à Madame Chantal PARPETTE pour sa présence tout au long du chemin, ses conseils, ses suggestions, sa disponibilité, son soutien et beaucoup de choses encore… ∙ à Monsieur André DUPONT qui a bien voulu relire à plusieurs reprises mon travail. Ses relectures minutieuses, ses corrections et ses remarques ont enrichi cette thèse. Je remercie également : ∙ Véronique Laurens pour les échanges d’idées et les suggestions concernant l’élaboration des unités didactiques. ∙ Daniel Valero pour son aide précieuse lors des enregistrements des données. ∙ Tous les enseignants et tous les étudiants du département de langue et de culture françaises de l’Université Nationale de Hanoï qui m’ont aidée à établir le corpus de la thèse. Pour conclure, je tiens à remercier mes parents, mon mari et mes enfants pour leur soutien indéfectible, leur présence réconfortante, leur confiance et leur patience durant ces longues années d’étude. Pour tout ce qu’on a partagé et qu’on partagera, je vous exprime ma profonde gratitude !
  • 9. Avant-propos 9 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Avant-propos L’origine de ce travail de thèse remonte à un séminaire de 13 heures, intitulé « L’argumentation dans la langue, dans le discours, dans les interactions », animé par Christian Plantin dans le cadre de la formation continue des enseignants de français langue étrangère à l’Université Nationale de Hanoï en 1998. Dès le début de son exposé, il réussit à captiver son auditoire, et en particulier mon attention, par un discours vivant, imprégné de la passion d’un expert de recherches dans le domaine de l’argumentation. Il faut avouer qu’à ce moment-là, bien que très intéressée par ses cours, j’avais du mal à comprendre tout ce qu’il a expliqué. Cela n’est pas surprenant car nous n’avions eu, à l’époque, tout au long de notre cursus universitaire, aucune formation préalable portant sur l’argumentation. C’est sans doute ce handicap qui m’a poussée à me préoccuper de ce domaine d’étude pour que, 7 ans après, en 2005, frustrée de ne pas avoir davantage d’éléments pour satisfaire ma curiosité, j’aie décidé de communiquer à Christian Plantin mon intérêt pour ce vaste terrain de recherche. Le temps passait, je croyais qu’il me faudrait changer de domaine d’étude car la rentrée arriverait sous peu. Mais tout d’un coup, un jour de septembre, un courrier m’est arrivé à l’improviste : « Je vous donne très volontiers mon accord de principe. Il faut maintenant discuter de la mise en place de votre projet. Vous pensez vous inscrire à Lyon ? ». Inutile de dire combien j’ai été heureuse ! C’est ainsi que je me suis lancée dans l’argumentation et ai démarré ma thèse. Les années suivantes de préparation de ma thèse ont été remplies d’émotions variées : joies, tristesses, contentement, découragements, remontées du moral, déceptions, gratitudes, embarras, doutes, incertitudes… En fait, n’ayant pas une appropriation solide de la méthodologie de travail, ni une bonne acquisition des connaissances minimales de l’argumentation, j’ai eu de nombreuses difficultés tout au long de la réalisation de la thèse. A tous ces moments de hauts et surtout de bas, Christian Plantin a été à mon écoute, il m’a beaucoup appris en me donnant des conseils pertinents et aussi en faisant des critiques sévères. Avoir l’occasion d’acquérir ses méthodes et de travailler auprès de lui, chercheur d’une grande expérience et source intarissable d’idées nouvelles et originales, constitue, pour moi, une opportunité inhabituelle. Je ne peux pas réciter ici toutes les discussions entre nous, tous les encouragements et toutes les gronderies qu’il m’a réservés ; je ne peux que dire que j’ai appris énormément de choses et que j’ai beaucoup « grandi » intellectuellement après 6 ans de travail sous la direction de Christian Plantin. Il a vraiment tout à fait raison de me rappeler en plaisantant qu’il était directeur, et non pas co-auteur de la thèse. Oui ! Parce qu’accepter de diriger mes travaux de recherche, c’est assurer une lourde tâche de direction, non seulement sur le plan scientifique et méthodologique mais aussi sur le plan de la distance géographique. En effet, n’ayant pas bénéficié d’une bourse doctorale pour pouvoir rester travailler sur place pendant plusieurs années consécutives, j’ai dû effectuer une fois par an des va-et-vient entre Lyon et Leipzig et chaque séjour n’a pas pu durer plus de deux mois et demi. Une telle fréquence d’assiduité serait difficilement acceptée par d’autres directeurs de recherche. Mais Christian Plantin, jamais avare de son précieux temps, m’a donc proposé de multiples séances de travail par skype, c’est pourquoi il a constamment eu un œil bienveillant et critique sur le déroulement de mes travaux. Ayant aussi compris mes difficultés de temps et de finance, il a effectué toutes les démarches nécessaires pour que je puisse obtenir 6 mois de bourse de mobilité de la région Rhône-Alpes, cette précieuse « récompense » en 2008-2009 m’a aidée énormément dans l’avancement de la thèse.
  • 10. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 10 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Pour finir, je me rappelle ce que Christian Plantin m’a dit lors d’une discussion entre nous : « J’aimerais que vous continuiez à faire quelque chose après la thèse au lieu de mettre solennellement votre diplôme sur l’autel des ancêtres. Pensez à écrire des articles ou à établir, à diriger, pourquoi pas, une petite équipe de recherche sur l’adaptation de l’argumentation au contexte vietnamien. Vous êtes tout à fait capable de le faire. Croyez-moi ! Dans 10 ans, je serai beaucoup plus vieux mais je serai content de lire votre travail ». Oui, Monsieur le Professeur ! Si, pour une raison personnelle je restais là, en Europe, je penserai à continuer ma carrière dans le domaine de l’argumentation pour ne pas gaspiller nos années de travail ensemble où j’ai acquis un « trésor » de connaissances et d’expériences.
  • 11. Introduction 11 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Introduction Problématique Au Vietnam, depuis la mise en œuvre de la politique d’ouverture du pays, la société s’est transformée en un « univers communicationnel », l'argumentation apparaît donc de plus en plus comme une pratique sociale critique indispensable au développement et elle est devenue un objet d’étude prioritaire. Mais cette question reste encore nouvelle pour beaucoup de professeurs et d'étudiants. Actuellement, aucun cours d’argumentation, pratique ou théorique, n’est dispensé en liaison avec l’enseignement du français, au niveau du lycée. Il n’existe aucun ouvrage théorique sur les procédures argumentatives en vietnamien. Les documents sur l’argumentation, s’il y en a, sont plutôt des traductions. On part de la constatation que beaucoup d'enseignants de français se contentent de corriger les élèves au niveau de la langue, sans se préoccuper de la structure du discours. Certains refusent même l’organisation de débats en classe sous prétexte que les apprenants ne savent pas prendre la parole et refusent de proposer des points de vue différents, entre eux et à fortiori vis à vis de leur professeur, même si celui-ci les y invite. Face à un sujet d’expression à l’écrit, et plus encore à l’oral, soit ils n’ont pas d’arguments précis à proposer immédiatement pour engager une discussion, soit les arguments exposés restent superficiels et ne sont pas appuyés sur des données. Ils ne maîtrisent pas les actes argumentatifs fondamentaux ; ils ne savent pas poser un problème, prendre une position, donner un exemple, refuser un contenu, tenir compte des avis des autres, donner une conclusion… Ils ont vraiment beaucoup de difficultés dans la maîtrise de l’argumentation. Cette attitude contraste fortement avec celle des étudiants français, très actifs, ayant l’habitude de se couper la parole, n'hésitant pas à contredire et à réfuter. Cette opposition, sans le vouloir, entraîne le préjugé selon lequel les élèves français argumentent bien alors que les apprenants vietnamiens argumentent mal. A notre avis, cette constatation est erronée, ce n’est pas parce qu’en France les étudiants parlent beaucoup et se coupent la parole qu’ils argumentent bien. Réciproquement, ce n’est pas parce que les étudiants vietnamiens en particulier et les Vietnamiens en général prennent des formes pour contredire en ménageant la face de leur interlocuteur qu’ils argumentent mal. Questions et hypothèses de recherche En tant que formateur des enseignants de français langue étrangère, nous nous sommes demandé pourquoi les Vietnamiens sont considérés comme étant moins intéressés par la polémique que les Français. Comment faut-il comprendre le refus du débat par les étudiants vietnamiens, leur fuite devant l'échange polémique ? Est-ce qu’ils fuient devant l’échange argumentatif ou devant l’échange polémique violent ?
  • 12. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 12 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 A notre avis, refuser de se disputer n’est pas refuser d’argumenter. Dans notre pratique, nous avons fait l’hypothèse que les étudiants participaient à une culture où l’autorité est très importante et qu’il fallait, par conséquent, mettre le problème de la relation des étudiants avec l’autorité à la base de leurs difficultés à entrer dans des discussions argumentatives. Dans cette perspective, parler, manifester son désaccord, traiter un désaccord dans une relation d’autorité et, surtout, dans une société marquée par l’autorité et le consensus n’est pas quelque chose d’évident. De même, savoir utiliser et critiquer l’argument d’autorité dans un échange argumentatif est censé être difficile. En réalité, nous constatons que les Vietnamiens cherchent toujours à éviter d’entrer en confrontation avec l’interlocuteur ; s’ils doivent justifier ce qu’ils disent, ils se contentent de faire appel à l’autorité. Les autres questions sont donc posées : Quelles sont leurs formes préférées de raisonnement par autorité ? L’autorité bloque-t-elle l’accès à l’argumentation ? Comment l’argument d’autorité est-il utilisé en vietnamien ? Quelle est la place de l’argumentation dans la didactique de langue ? Comment l’argumentation est-elle enseignée dans les manuels du Français langue étrangère ? Dans le contexte vietnamien, comment amorcer l’enseignement/apprentissage de l’argumentation en français ? Que faut-il faire pour que les étudiants parviennent à argumenter, en face à face, de façon structurée et constructive ? Enfin, comment se pose la question de la formation en argumentation des enseignants ? Voilà les premières questions qui nous ont fait débuter notre recherche. Dans le cadre de ce travail, nous allons essayer d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Au fond, le pari est le suivant : apprendre à argumenter, c’est apprendre à gérer des situations marquées, pour longtemps encore, par l’autorité et la recherche du consensus. Notre but consiste à faire comprendre aux étudiants que le consensus a priori n’a pas à être survalorisé, d’une part ; et qu’argumenter peut permettre d’atteindre un consensus plus solide, mieux fondé, d’autre part. Structure et objectifs de la thèse Notre travail va se présenter de la façon suivante : La première partie a pour objectif de parvenir à un choix motivé d'un modèle cohérent de l'argumentation, compatible avec les objectifs pédagogiques concrets poursuivis. La structure de cette partie repose sur le principe méthodologique selon lequel travailler l’argumentation en français langue étrangère suppose qu’on travaille aussi, en parallèle, la capacité d’argumenter comme capacité linguistique générale et la capacité d’argumenter dans sa propre langue, le vietnamien. Ainsi, le premier chapitre sera consacré à un travail de synthèse de différentes approches théoriques, qui sont respectivement la théorie de Perelman, de Toulmin, de Ducrot et d’Anscombre. Il permettra de décrire l’état de la question sur les études de l’argumentation. Le deuxième chapitre de cette partie, ayant comme point de départ la classification de Plantin, appuyée sur l’analyse des arguments en fonction des paramètres d’objets, de langage et d’interaction, nous offrira une vision parfaitement claire et détaillée sur les différents types d’argumentation. Dans le troisième chapitre, nous regarderons quelles sont les stratégies de l’argumentation. L’objectif de la seconde partie est d’étudier le langage argumentatif dans une perspective contrastive français-vietnamien. Dans le premier chapitre, il s’agit d’un travail
  • 13. Introduction 13 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 comparatif du vocabulaire de l’argumentation. Nous tenterons de traduire en vietnamien des termes et des expressions qui sont, à notre avis, des notions de base mais susceptibles de poser à nos étudiants des difficultés de compréhension. Le deuxième chapitre qui suit concerne des connecteurs argumentatifs. Une étude contrastive entre les deux langues, français et vietnamien, occupe toujours une place importante tout au long de ce chapitre. La troisième partie sera réservée à l’étude d’un type d’argumentation, le raisonnement par autorité, qui joue un rôle déterminant dans la façon d'argumenter des Vietnamiens. L'analyse repose sur un corpus constitué d'extraits de journaux et de films télévisés vietnamiens. Elle jettera les bases d'une étude contrastive du fonctionnement de l'autorité discursive. Le premier chapitre concerne l’étude lexicale du mot Autorité. Le deuxième chapitre vise à étudier les différentes définitions de ce terme sous l’angle sociologique et à décrire son fonctionnement dans le milieu scolaire vietnamien et sa relation avec l’interaction. Le troisième chapitre s’attache à étudier l’argumentation d’autorité : son mécanisme de fonctionnement, ses formes et la réfutation de ce type d’argument. L’objectif du quatrième chapitre est de chercher à savoir comment la culture vietnamienne influence le comportement verbal des Vietnamiens, en particulier leurs habitudes argumentatives. Nous essaierons d’expliquer pourquoi les Vietnamiens sont « sages » en interaction. Nous tenterons de rendre compte de la prégnance de la « préférence pour l'accord » en vietnamien, ce qui se manifeste clairement à travers des proverbes et des locutions traditionnelles, et de montrer comment cette tendance s'articule avec une pratique « dialectique » du langage, qui pèse toujours le pour et le contre et qui refuse la polémicité. Enfin, le cinquième chapitre, à partir de l’analyse de différentes positions autour de la question de la bauxite au Vietnam, a un double objectif : il vise d’une part à illustrer la maîtrise de l’argumentation des Vietnamiens, d’autre part sert de fil de conducteur pour la partie qui suit. Cette dernière partie sera consacrée à la recherche de propositions en vue d’une amélioration de la didactique de l’argumentation dans les classes de français langue étrangère au Vietnam. Nous commencerons par faire, dans le premier chapitre, une brève présentation de l’enseignement du français au Vietnam, en particulier dans le cadre du cursus universitaire. Puis, dans le deuxième chapitre, nous tenterons d’étudier le modèle d’élèves vietnamiens ainsi que la relation enseignant-apprenant en classe de langue. Le chapitre qui suit proposera l’analyse d’une dizaine de méthodes du Français langue étrangère les plus utilisées actuellement dans les classes de langue dont celles du Vietnam. Le but est de procéder à une analyse critique des activités d’argumentation proposées par ces manuels. Rond-Point, la méthode qui nous semble la seule à proposer une progression raisonnable, en partant de l’expression des points de vue opposés, de la façon de les défendre par des arguments pour/contre pour arriver à la pratique du débat, sera choisie en vue d’une analyse détaillée. Cette-ci, de caractère théorique, est complétée par l’analyse des productions orales et écrites des étudiants vietnamiens lors du chapitre deux. Elles nous permettront de proposer une démarche pour l’enseignement/apprentissage de l’argumentation que nous croyons adaptée à nos étudiants, en tenant compte bien sûr de leurs caractéristiques, des difficultés rencontrées et en déterminant la tâche ciblée que l’enseignant et des étudiants ont à accomplir : développer leur capacité à argumenter. C’est tout ce travail qui va nous intéresser dans le quatrième chapitre. Ce dernier sera réservé à l’élaboration des unités didactiques, notre but étant de proposer une nouvelle démarche d’enseignement/apprentissage en vue d’une amélioration de la didactique de l’argumentation dans les classes de français langue étrangère au Vietnam.
  • 14. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 14 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Première Partie Théorie de l’argumentation Chapitre 1 : Approche théorique 1. Différentes approches théoriques 1.1. Traité de l’argumentation de C.Perelman et L.Olbrechts-Tyteca Le « Traité de l’argumentation » a vu le jour en 1958. L’intérêt majeur de cet ouvrage est d’avoir fondé l’étude de l’argumentation sur celle des « techniques argumentatives ». L’objet de la théorie de l’argumentation est défini, selon C.Perelman et L.Olbrechts-Tyteca, comme : « l’étude des techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment » (1958 :5). Le Traité s’occupe particulièrement des moyens discursifs employés dans le but de persuader et de convaincre l’auditoire. Une argumentation considérée comme efficace doit être celle « qui réussit à accroître cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée (action positive ou abstention), ou du moins à créer, chez eux, une disposition à l’action, qui se manifestera au moment opportun » (1958 :59). Il est important de préciser que « l’adhésion des esprits » est comprise dans cette perspective comme l’accord des esprits sur la volonté de débattre, de dialoguer ensemble sur une question déterminée ainsi que sur les croyances partagées, les valeurs admises, les hiérarchies…L’idée d’adhésion permet de définir l’importance de la notion d’auditoire. Elle implique également l’idée de conviction et aussi celle de persuasion, parce que tout discours s’adresse éventuellement à un auditoire, et pour pouvoir emporter son adhésion, l’orateur se trouve sans aucun doute dans l’obligation de s’adapter à ce public. En d’autres termes, toute argumentation se développe en fonction d’un auditoire et exerce sur lui une action par le discours. Tel est aussi le second principe fondamental posé par les auteurs de cet ouvrage. Malgré la prise de conscience qu’il existe une variété d’auditoires particuliers entraînant par conséquent une diversité de l’argumentation, Perelman et Olbrechts-Tyteca introduisent la notion d’« auditoire universel » comprise comme une représentation de l’humanité entière. Toujours selon eux : « L’auditoire universel est constitué par chacun à partir de ce qu’il sait de ses semblables, de manière à transcender les quelques oppositions dont il a conscience. Ainsi chaque culture, chaque individu a sa propre conception de l’auditoire universel, et l’étude de ces variations serait fort instructive, car elle
  • 15. Première Partie Théorie de l’argumentation 15 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 nous ferait connaître ce que les hommes ont considéré, au cours de l’histoire, comme réel, vrai et objectivement valable » (1958 : 43). Il est bien clair qu’en insistant sur la notion d’auditoire, le Traité a étudié l’argumentation dans la perspective d'une communication avec un auditoire. Il s’agit là d’un autre mérite de la théorie perelmanienne. Dans cet ouvrage, les auteurs abordent également la notion de « dissociation ». Selon leur définition : « la dissociation présuppose l’unité primitive des éléments confondus au sein d’une même conception, désignés par une même notion. La dissociation des notions détermine un remaniement plus ou moins profond des données conceptuelles qui servent de fondement à l’argumentation : il ne s’agit plus , dans ce cas, de rompre les fils qui rattachent des éléments isolés, mais de modifier la structure même de ceux-ci » (1958 :551). Dans cette perspective, Perelman affirme que la dissociation d’une notion est une des techniques les plus efficaces pour « lever une incompatibilité » (1958 : 552). Cela revient à dire qu’il n’est pas facile de réfuter un argument fondé sur la dissociation. Ainsi, lors du débat relatif à la peine de mort, par exemple, les trajets argumentatifs partent bien de la notion de droit à la vie, mais face à un conflit de règle, opèrent une dissociation de cette notion. Un dernier apport essentiel de cet ouvrage est la construction d’un répertoire des arguments que les auteurs classent en fonction des types de raisonnement variant selon 3 entrées : a. Les arguments quasi logiques : Les arguments quasi logiques sont compris comme des arguments proches des raisonnements formels. Ce qui les caractérise, c’est donc leur caractère non-formel qui ouvre la possibilité de controverses. Sont classés dans ce type d’arguments notamment les arguments de réciprocité, les arguments de transitivité, les arguments de comparaison et les arguments fondés sur la définition. b. Les arguments basés sur la structure du réel : Les arguments basés sur la structure du réel regroupent les argumentations sur la cause, la personne, et celles qui reposent sur des liens symboliques. c. Les liaisons qui fondent la structure du réel : Sous cette appellation, on trouve l'argumentation par l'exemple, l'argumentation par l'illustration, par le modèle et par l’analogie dont la métaphore est un cas particulier. En résumé, avec le « Traité de l’argumentation », Perelman, tout en se situant dans la lignée d’Aristote, a réussi à bien distinguer l’argumentation de la rhétorique, science globale du discours persuasif. L’argumentation a été dotée d’un statut autonome et étudiée dans la perspective d’une communication avec un auditoire. 1.2. Les usages de l’argumentation de S.E.Toulmin La même année que le « Traité de l’argumentation », en 1958, est paru l’ouvrage intitulé « Les usages de l’argumentation » de S.E.Toulmin.
  • 16. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 16 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 L’apport de cet ouvrage consiste dans la proposition d’un schéma représentant le modèle de l’argumentation monologale. Ce schéma permet de traiter le discours argumentatif comme une « cellule argumentative » (Plantin, 1996 : 23) composée de 6 éléments : Une conclusion (5) est affirmée sur la base d’une donnée (1) Une loi de passage (2) apporte à la donnée le sens argumentatif qu’elle n’avait pas auparavant. Elle sert de règle, de principe pour passer de l’énoncé argument à l’énoncé conclusion. En général, la loi de passage et les données ne permettent pas d’inférer la conclusion avec un degré absolu de certitude. C’est pourquoi, pour atteindre la conclusion, ce pas argumentatif doit être appuyé sur un support (3) et également nuancé par l’intermédiaire d’un modalisateur (4) qui peut être développé en une restriction (6). L’exemple suivant va éclairer le schéma : Il fait sa thèse à Lyon 2 ; or toutes les thèses réalisées à Lyon 2 sont en général bien appréciées, en vertu de l’exigence des directeurs de thèses et des règlements bien stricts concernant la rédaction des thèses ; donc probablement sa thèse sera bien appréciée ; à moins qu’il n’y investisse pas suffisamment de temps et d’énergie, ou qu’il se contente de faire des recopiages par-ci par-là. Donnée : « Il fait sa thèse à Lyon 2 » Loi de passage : « toutes les thèses réalisées à Lyon 2 sont en général bien appréciées » Conclusion : « sa thèse sera bien appréciée » Support : « en vertu de l’exigence des directeurs de thèses et des règlements bien stricts concernant la rédaction des thèses » Modalisateur : l’adverbe modal « probablement » Restriction, réfutation : « à moins qu’il n’y investisse pas suffisamment de temps et d’énergie, ou qu’il se contente de faire des recopiages par-ci par-là » Le modèle de Toulmin s’applique au discours continu, au monologue et donne au discours une forme de rationalité. Un discours rationnel, selon la définition de Plantin, est « un discours fortement connecté, s’appuyant sur une hiérarchie de principes d’une généralité croissante, et faisant une certaine place à la réfutation » (2005 : 24). L’intégration dans le raisonnement argumentatif de la notion de « loi de passage » correspondant à la notion traditionnelle de « topos » est une redécouverte de Toulmin. C’est grâce à ce chaînon que le lien argumentation-conclusion, autrement dit la cohérence argumentative, est implicitement assuré : l’enchaînement « il est paresseux, il va échouer à son examen » est appuyé sur le
  • 17. Première Partie Théorie de l’argumentation 17 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 topos « s’il est paresseux, il a de mauvais résultats ». Ce topos est un topos à la Ducrot inscrit dans la structure sémantique des mots : « moins on travaille, moins on réussit ». 1.3. La théorie de l’argumentation de Ducrot et Anscombre Selon la théorie de l’argumentation de Ducrot et Anscombre, l'argumentation revient à exercer une certaine influence sur autrui tout en demeurant à l’intérieur du discours. Une argumentation a lieu quand le locuteur L1 présente un énoncé E1 ou un ensemble d’énoncés dans le but de faire admettre par un locuteur L2 un autre énoncé E2 (ou une classe d'énoncés). E1 est l’argument, E2 est la conclusion. D’une façon générale, tout énoncé est considéré comme contenant un aspect argumentatif et en particulier une orientation argumentative et un aspect thématique. L’aspect thématique peut être compris comme la valeur informative ou le sens lexical de l’énoncé. L’orientation argumentative, quant à elle, est une « classe de conclusions suggérées au destinataire : celle que l’énoncé présente comme une des visées de l’énonciation » (Anscombre et Ducrot, 1983 : 150). Dire par exemple à quelqu’un : « C’est un bon film », c’est d’abord faire une assertion sur l’objet film présenté comme ayant pour qualités : « il est intéressant », « les acteurs jouent bien », « les scènes sont belles »…, puis orienter le destinataire vers la conclusion argumentative : « Je te recommande de voir ce film ». On voit bien, à travers cet exemple, que l’énoncé accomplit un acte qui n’est pas simplement celui d’asserter ou d’informer mais aussi un acte d’argumenter, basé sur une vision favorable ou défavorable de l’objet en question. En d’autres termes, toute une classe d’énoncés évaluatifs ou appréciatifs, qui sont apparemment informatifs, sont fondamentalement argumentatifs, « l’informatif étant un dérivé délocutif de l’argumentatif » (Anscombre et Ducrot, 1983 : 174). Pour ce type d’énoncés, l’argumentativité est plus importante que l’informativité. Revenons à la notion d’orientation argumentative. L’orientation argumentative détermine la valeur argumentative de l’énoncé. Deux énoncés sont coorientés lorsqu’ils s’orientent vers une conclusion commune, et anti-orientés lorsqu’ils sont destinés à servir des conclusions opposées. Si on dit par exemple : « Je suis fatigué mais j’ai un rendez-vous important ». L’énoncé se compose donc de deux propositions dont « je suis fatigué » est p et « j’ai un rendez- vous important » est q. On peut dire que p s’oriente vers la conclusion r « je ne vais pas sortir » alors que q sert la conclusion non-r « je vais sortir ». Par contre, les deux propositions dans l’énoncé « je suis fatigué, d’ailleurs je n’ai pas de cours aujourd’hui » sont argumentativement orientées vers la même conclusion « je ne vais pas sortir ». Travailler sur l’argumentation, c’est aussi décrire les différents moyens dont dispose le locuteur pour orienter son discours, pour mettre en relation des arguments,…Dans ce sens, Ducrot et ses collaborateurs portent particulièrement leur attention sur un certain nombre de mots qu’ils appellent des mots du discours ou encore connecteurs argumentatifs. Ces outils de la langue donnent au discours son orientation argumentative. Ils possèdent une double fonction : ils lient deux unités sémantiques et confèrent un rôle argumentatif aux unités qu’ils mettent en relation. Nous en parlerons plus en détails dans la partie portant sur les connecteurs.
  • 18. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 18 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Dans cette théorie de l’argumentation, Anscombre et Ducrot font aussi la distinction entre argumentation et acte d’argumenter. Parler de l’argumentation, c’est parler des discours comportant au moins deux énoncés E1 et E2, dont l’un est donné pour autoriser, justifier ou imposer l’autre. L’énoncé « Il est malade, il reste donc à la maison » par exemple a pour E1 : « Il est malade » et E2 : « Il reste à la maison ». L’acte d’argumenter, comme tous les actes illocutoires, se réalise dans et par un énoncé unique. En d’autres termes, nous pouvons dire que tout énoncé est l’objet d’un acte d’argumenter. Des conclusions explicites ou implicites sont tirées de l’énoncé discursivement employé. Lorsqu’un énonciateur dit « Il est minuit ! », il conduit le destinataire de l’énoncé vers la conclusion implicite : « Il est tard », « Il faut aller se coucher ». L’analyse de la polyphonie énonciative constitue un point privilégié de Ducrot dans sa réflexion sur l’argumentation. Ducrot introduit ce concept dans « Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation » (1984 : 171-233) et précise explicitement qu’il emprunte ce concept à Bakhtine. Son apport est de montrer qu’un discours argumentatif met généralement en scène plusieurs voix : la voix de l’opinion commune, celle de contradicteurs potentiels, celle de l’argumentateur. Il propose donc de distinguer l’auteur, le locuteur et l’énonciateur tout en faisant la comparaison avec le théâtre et le roman : ∙ L’auteur est défini comme le producteur réel du discours. ∙ Le locuteur dont l’équivalent littéraire est le narrateur, est celui qui dit « je » et prend la responsabilité de l’acte de parole. ∙ Les énonciateurs sont ceux auxquels le locuteur donne existence et dont il organise les points de vue. Ils correspondent aux personnages. Le discours argumentatif est assumé par un seul locuteur qui intègre dans son argumentation (c’est-à-dire dans son énonciation dominante) les arguments ou les points de vue (c’est-à-dire des énonciations prêtées à d’autres) qui, non seulement ne sont pas tous identifiés au locuteur mais sont plus ou moins en accord ou en désaccord avec son point de vue pour les intégrer, les mettre à distance et les réduire. Dans cette perspective, la polyphonie permet donc au discours argumentatif de recourir à des stratégies pour mettre en scène un débat ou un ensemble de points de vue au sein d’un discours unique. 2. Synthèse : Cadre théorique de l’argumentation Dans cette partie, nous essaierons d’établir un cadre théorique de l’argumentation. Notre travail s’inspire largement des travaux de Plantin. A noter aussi que nous nous intéressons essentiellement à des notions de base de l’argumentation, étant donné qu’elles sont d’une grande importance pour attaquer les parties suivantes portant sur l’enseignement/ apprentissage de l’argumentation dans les manuels FLE et sur l’analyse des arguments d’autorité en contexte vietnamien. 2.1. La notion d’argumentation Il est tout d’abord important de souligner qu’« argumenter » n’est pas synonyme de « prouver » ni de « déduire ». Selon la définition de Moeschler, argumenter, ce n’est pas « démontrer la vérité d’une assertion » ni « indiquer le caractère logiquement valide d’un raisonnement », mais plutôt « revient à donner des raisons pour telle ou telle conclusion »
  • 19. Première Partie Théorie de l’argumentation 19 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 (1985 : 46). Les raisons, une fois énoncées, constituent des arguments. Il existe donc une forte relation entre un ou des arguments et une conclusion, ce qui est la principale caractéristique d’une argumentation. Pour éclairer la notion d’argumentation et d’argumenter, nous prenons la définition de Plantin : « L’argumentation est ainsi une opération qui prend appui sur un énoncé assuré (accepté), l’argument, pour atteindre un énoncé moins assuré (moins acceptable), la conclusion. Argumenter c’est adresser à un interlocuteur un argument, c’est-à- dire une bonne raison pour lui faire admettre une conclusion et l’inciter à adopter les comportements adéquats » (1996 : 24). Selon cette définition, l’argumentation est un processus composé de deux éléments de base : Nous voyons que l’argument et la conclusion ont des statuts bien distincts. L’argument ayant, selon l’expression de Plantin (1989, fiche 2), « le statut d’une croyance partagée, d’une donnée factuelle incontestable», amène l’interlocuteur à la conclusion. L’interlocuteur peut évidemment refuser d’admettre cette donnée, mais dans ce cas il devra justifier son refus. Quant à la conclusion, en argumentation, ce mot porte un sens spécifique. Il est donc nécessaire ici de distinguer entre la conclusion d’un texte et la conclusion soutenue par un texte. La première se trouve mécaniquement en fin du texte alors que la deuxième peut très bien venir en première place et précéder les arguments. C’est souvent le cas des articles journalistiques. Pour pouvoir passer de l’argument à la conclusion, il faut avoir recours à des principes, des conventions généralement admises qui sont des « lois de passage ». Ces « lois de passage » sont également appelées « lieux communs » ou « topoï » selon l’ancienne rhétorique. Ils ont été définis par Aristote, et, avec un autre sens, par Ducrot et Anscombre. La loi de passage est alors considérée comme jouant le rôle fondamental dans les opérations argumentatives. En apportant à la donnée le sens argumentatif, elle contribue à assurer l’enchaînement discursif argument - conclusion. Pourtant, il arrive aussi que les lois de passage soient mises en question, ce qui correspond à un mode de réfutation. En d’autres termes, on peut dire qu’il y a réfutation lorsque le destinataire de l’argumentation trouve les arguments non pertinents ou faiblement pertinents par rapport à la conclusion orientée. 2.2. La situation d’argumentation L’argumentation est une conduite humaine parfaitement banale de la vie quotidienne. Elle peut se décrire en terme de situation de communication. Pour qu’il y ait situation d’argumentation, il faut satisfaire les conditions suivantes : ∙ Participants : normalement, il faut la présence d’au moins deux participants : un argumentateur et un destinataire, c’est-à-dire le destinataire de l’argumentation. Pourtant, il arrive aussi des cas où le locuteur argumente avec lui-même.
  • 20. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 20 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 ∙ Visée argumentative : ces deux participants vont exprimer des opinions divergentes à propos d’un sujet qui les concerne. Ils essaient de défendre leur point de vue, d’emporter les convictions d’autrui voire de modifier son comportement. ∙ Moyens pour convaincre : ils mettent en œuvre des moyens discursifs, ou plus précisément des arguments (y compris arguments pour, arguments contre, contre- arguments) destinés à modifier les convictions initiales du destinataire. Pour résumer, nous prenons la définition de Plantin : « La situation d’argumentation est une situation de confrontation discursive, où un « Proposant » rencontre un « Opposant » sur une « Question » qui les divise et à laquelle ils construisent, par l’argumentation, des réponses antagonistes » (1994 : 77). 2.3. Les acteurs de l’argumentation L’argumentateur est le locuteur qui argumente. Les acteurs de la situation argumentative reçoivent traditionnellement différentes désignations. ∙ Les énoncés utilisés dans une argumentation sont linguistiquement analysés comme produits par un locuteur pour un interlocuteur. Si on met l’accent sur le contenu et sur les actes, on parle d’énonciateur et de destinataire. ∙ En rhétorique, on emploie le terme d’orateur, qui s’adresse à un groupe de personnes relativement important, son auditoire ou son public. ∙ Lorsqu’on décrit les échanges argumentatifs organisés en débat, on distingue parmi les argumentateurs le Proposant et l’Opposant. Le Proposant tient le discours, et l’Opposant soutient le contre-discours. On appelle Tiers tous les membres du public témoin intéressés par l’échange mais qui n'ont pas encore pris position sur la question. 2.4. Thèse, argument, contre-argument ∙ On appelle thèse le point de vue général défendu par un argumentateur sur le problème posé. ∙ L’argument est la raison qu’on présente pour ou contre une thèse. Un argument est toujours orienté vers une conclusion. Or, les thèses sont antagonistes. On a alors recours à des arguments pour et à des arguments contre. Ainsi : ∙ si on est favorable au tabac, on utilise des arguments pour : Le tabac permet d’endurer les misères de la vie ∙ si on est défavorable au tabac, on utilise des arguments contre : Le tabac est nuisible à la santé Dans ces deux cas, les arguments servent à justifier des points de vue opposés. ∙ Le contre-argument : l’interlocuteur met en doute l’argument avancé par le Proposant et lui propose donc un contre-argument. Dans ce sens, le contre-argument a le caractère réfutatif. Prenons comme exemple le dialogue suivant :
  • 21. Première Partie Théorie de l’argumentation 21 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 A : Vous êtes seul, vous n’êtes pas malheureux ? B : Mais je ne suis pas seul. J’ai mes chats, mes livres. Je suis tranquille, je suis heureux. L’énoncé « vous êtes seul » est présenté comme l’argument pour la conclusion « vous êtes malheureux ». Pourtant, le locuteur B a contesté la vérité de cet argument en utilisant des contre-arguments « Je ne suis pas seul. J’ai mes chats, mes livres. Je suis tranquille ». Ces arguments s’orientent vers la conclusion inverse « je suis heureux ». Nous en parlerons plus en détails dans les lignes qui suivent. 2.5. Réfutation Sur ce point, nous nous basons sur la théorie de Moeschler. Pourtant, nous allons commencer par analyser les définitions proposées par les dictionnaires qui sont respectivement le Trésor de la langue française et Le Petit Robert. Selon le Trésor de la langue française, réfuter c’est « repousser ce qui est affirmé par une démonstration argumentée qui en établit la fausseté » (article Réfuter). Et Le Petit Robert définit la réfutation comme « démontrer la fausseté d’une opinion, d’une proposition ». A partir de ces deux définitions nous retenons les points suivants : ∙ la réfutation présuppose l’existence antérieure d’un acte d’assertion (ce qui est affirmé). ∙ elle traduit le désaccord de l’interlocuteur vis-à-vis de cette assertion, et fonctionne par conséquent comme un acte réactif (repousser ce qui est affirmé). ∙ l’interlocuteur, c’est-à-dire le destinataire du premier énoncé, essaie de convaincre de l’invalidité de l’assertion en question (démontrer la fausseté) ∙ la réfutation a un caractère argumentatif (démonstration argumentée). La réfutation est donc une forme particulière de l’argumentation. Elle implique, selon l’expression de Moeschler, la présence d'une relation d'ordre argumentatif : « Une réfutation est ainsi un acte complexe ou macro-acte de langage caractérisé par l’existence d’une relation d’ordre argumentatif entre ses constituants » (1982 : 123). C’est une démarche qui consiste à intégrer, autrement dit à « rentrer dans » le raisonnement de l’autre pour en déceler les incohérences ou les contradictions sur lesquelles reposent ses arguments afin de le discréditer. Ainsi, dans l’exemple suivant 1 : A : Le foot est un sport d’équipe. B : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi. Si on parle d’un sport d’équipe on parle de la bonne entente à l’intérieur de l’équipe. C’est sans doute cette entente qui donne la victoire. Or, au foot, chaque footballeur est obsédé par l’argent et par son image de marque. C’est pourquoi chacun joue pour soi. L’intervention de A est un acte initiatif d’assertion et l’intervention de B un acte réactif de réfutation. Dans son intervention, B cherche à démontrer la fausseté de la proposition énoncée par A en donnant des arguments « chaque footballeur est obsédé par l’argent et par son image de marque » et « chacun joue pour soi » pour la conclusion anti-orientée « le foot n’est pas un sport d’équipe ». On appelle l’énoncé de B l’énoncé réfutatif. Un énoncé réfutatif est donc un mouvement contre-orienté. Que signifie alors le terme « contre » ? Dans le cas de cet exemple, « contre » consiste à montrer que les arguments sur lesquels 1 La production de cet exemple se base sur l’exercice 2, Café Crème 3, p.124
  • 22. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 22 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 repose la conclusion « Le foot est un sport d’équipe » sont intenables. Et une fois que les arguments sont intenables, la conclusion, à son tour, est invalidée. En un mot, on peut dire que la réfutation constitue un processus d’invalidation qui consiste à produire des raisons en faveur d’une conclusion différente et incompatible, autrement dit, il s’agit simplement d’un processus de justification. C’est le cas de l’exemple ci-dessous 2 : A : Le foot, c’est un sport d’équipe. B : Tu as tort d’y croire. Au foot, chacun joue pour soi, c’est-à-dire contre tous. Le footballeur est un égoïste qui ne pense qu’à soi. Ils se prennent tous pour des vedettes au lieu de jouer en équipe. Depuis Aristote, on distingue deux manières de rejeter une conclusion / une argumentation : la réfutation et l’objection. Une réfutation est considérée comme quelque chose de plus puissant qu’une objection. On dit généralement que la réfutation est l’argumentation qui contredit la conclusion de l’adversaire alors que l’objection est l’expression d’une opposition argumentative par le biais d’un argument faible. On peut aussi remarquer que la première tend à clore le dialogue alors que la deuxième appelle une réponse, donc maintient le dialogue. 2.6. Valeur et effet de l’argumentation Comme nous l’avons dit plus haut, l’argumentation est un processus qui se compose de deux éléments essentiels : l’argument et la conclusion. Un argument est un moyen qui nous oriente vers une conclusion. Et lorsque l’argumentateur impose cette conclusion au destinataire de son argumentation, il nourrit évidemment l’idée de lui faire adopter un certain comportement qui convienne à cette croyance. C’est le cas de l’exemple suivant : Le père s’adresse à son fils : Assieds-toi un peu plus loin de la télévision ! Sinon tu auras des problèmes avec tes yeux. Ici, le père, à travers cet enchaînement argumentatif, veut voir son fils changer de place, s’asseoir loin du petit écran. Il cherche donc à influencer le comportement de son fils. Pourtant, il est à noter également que l’argumentateur ne vise pas uniquement à imposer telle croyance ou telle attitude à son destinataire. Il essaie aussi, par son discours argumentatif, de faire croire à l’interlocuteur qu’il est tout à fait logique, raisonnable en adoptant cette croyance ou cette attitude. Bien sûr, l’argument est soit accepté soit repoussé par celui-ci. S’il s’agit du deuxième cas, c’est-à-dire que l’argument n’est pas admis ou est jugé moins bon, moins pertinent, l’interlocuteur recourt à la réfutation. Etudions les deux énoncés suivants : (1) « Arrête de manger trop de graisse, tu risques de prendre des kilos » (2) « Pierre ne viendra pas nous voir ce week-end, il est parti ce matin pour Paris » Dans le 1 er énoncé, « manger trop de graisse » est un bon argument pour la conclusion « tu prendras des kilos », mais dans le 2 e énoncé, l’argument « il est parti ce matin pour Paris » n’est pas considéré comme persuasif pour aller vers la conclusion « Pierre ne viendra pas nous voir ce week-end ». C’est pourquoi, l’interlocuteur peut très bien réfuter en disant « Si, car il reviendra vendredi après-midi ». 2 Idem.
  • 23. Première Partie Théorie de l’argumentation 23 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Récapitulation Nous venons de faire une synthèse des différentes approches théoriques qui sont respectivement celle de Perelman, de Toulmin, de Ducrot et d’Anscombre. Ce travail vise à décrire l’état de la question sur les études de l’argumentation. Les notions de base de l’argumentation ont été également présentées dans le but de construire un modèle cohérent d’argumentation, compatible avec les objectifs pédagogiques concrets poursuivis que nous allons préciser dans les parties à venir. Chapitre 2 : Types d’arguments Dans ce chapitre, nous nous basons essentiellement sur la classification de Plantin qui classe les argumentations en fonction « des paramètres d’objet, de langage, d’interaction » (1996 : 39). La première catégorie d’argumentation manipulant des objets et des relations entre objets regroupe : ∙ Argumentation et causalité ∙ Argumentation et analogie ∙ Argumentation sur la nature des choses et leur définition La deuxième catégorie est l’argumentation qui subit les contraintes du langage : ∙ Les ressources de la langue ∙ Désignations et prises de position ∙ L’argumentation dans la langue La troisième catégorie comprend les argumentations présentées comme un processus interactif : ∙ L’argumentation par la force ∙ L’argumentation par l’ignorance ∙ L’argumentation sur la personne ∙ L’argumentation d’autorité 1. Argumentation et causalité Il s’agit de bien distinguer entre les argumentations qui établissent une relation causale et les argumentations exploitant cette relation. 1.1. Argumentation établissant une relation causale : argumentation causale L’argumentation causale vise à expliquer un phénomène quelconque en cherchant à le rattacher à une cause. Autrement dit, ce mode d’argumentation sert à établir un lien causal entre deux événements. Selon l’expression de Plantin, « dans ces argumentations, la relation de causalité a donc le statut de thèse, à confirmer ou à infirmer » (1990 : 217). Il précise aussi des démarches à suivre pour une argumentation de ce type : formulation des hypothèses, mise au point d’expériences cruciales permettant de rejeter certaines de ces hypothèses, confirmation de l’hypothèse qui prend le statut de « cause ».
  • 24. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 24 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 1.2. Argumentation exploitant une relation causale 1.2.1. Argumentation par la cause Dans cette argumentation, la relation causale n’a plus le statut de conclusion mais le statut d’argument. Elle met l’affirmation causale au service d’une conclusion pratique. Soit l’exemple ci-dessous : Ne viens plus chez elle ! Chaque fois que tu la vois, tu as des histoires avec elle ! La conclusion « Ne viens plus chez elle » est justifiée par l’argument « Chaque fois que tu la vois, tu as des histoires avec elle ». De cet argument, on peut tirer des présupposés : « Tu viens chez elle » (E1) « Tu as des histoires avec elle » (E2) On peut dire par conséquent que la formulation de cet argument repose sur une affirmation de causalité : E1 est la cause de E2. Cet argument est donc appelé « argument par la cause ». En second lieu, l’énoncé ci-dessus présuppose un jugement de valeur sur l’effet E2 « Avoir des histoires avec elle provoque un mauvais état psychologique » et conclut donc que E2 doit être éliminé, d’où la conclusion « Ne viens plus chez elle ! » 1.2.2. Argumentation par l’effet Dans l’exemple : S’il n’est pas malade, c’est qu’il a été vacciné l’argument « il a été vacciné » est la cause et la conclusion « il n’est pas malade » peut être considérée comme l’effet, donc vice versa, si l’effet est constaté, on peut affirmer la cause. 1.2.3. Argumentation par les conséquences Ce mode d’argumentation se rencontre bien fréquemment dans la vie courante. L’argumentation pragmatique donnée par le Proposant est réfutée par l’Opposant. Ce dernier, étant l’adversaire de la mesure en question, refuse le raisonnement du partisan en exploitant des effets pervers de la mesure. C’est le cas de l’exemple suivant : Question : Faut-il enseigner une langue étrangère aux enfants de 3 ans ? Proposant : Oui, l’enseignement précoce des langues étrangères contribuera à développer l’esprit logique des enfants (argumentation pragmatique : bonne conséquence) Opposant : Non, au contraire, les enfants auront du mal à maîtriser et la langue maternelle et la langue étrangère (réfutation par effets pervers : mauvaise conséquence) 2. Argumentation et analogie L’argumentation par analogie joue le rôle prépondérant dans la production et la justification des propositions malgré l’incertitude de sa valeur explicative. Nous trouvons ci-dessous la forme schématique de l’argumentation par analogie présentée par Plantin :
  • 25. Première Partie Théorie de l’argumentation 25 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 L’objet P a les propriétés A1, A2,…, An, An+1 L’objet P’ a les propriétés A1, A2, …, An Par analogie, l’objet P’ a aussi la propriété An+1 De ce schéma, nous pouvons dire que tout argument par analogie comporte la comparaison d’objets non identiques ; il y a donc toujours des dissimilarités. La force des arguments par analogie réside dans le nombre de similarités pertinentes pour l’argument, et sa faiblesse dans le nombre de dissimilarités pertinentes pour l’argument. Ainsi, on peut comprendre pourquoi un expérimentateur a considéré le rat comme un « bon » animal de laboratoire pour l’évaluation d’effets possibles sur les humains. Il s’agit sans doute du processus de l’argumentation par analogie. Il est aussi à noter que la métaphore est un cas particulier de l’argumentation par analogie comme dans l’énoncé suivant : Il faut équiper tous les avions d’un radar, puisque le radar est à l’avion ce que l’oeil est au chasseur. Ici, le locuteur établit une similitude de rapport entre deux couples de termes « le radar est à l’avion » et « l’œil est au chasseur ». Si on admet « l’œil est au chasseur », on admet aussi « le radar est à l’avion ». 3. Argumentation sur la nature des choses et leur définition L’argumentation par la définition consiste dans l’explication d’un terme de façon détaillée en privilégiant les traits essentiels. Une définition bien établie peut servir de bon fondement à des argumentations par la définition. Si elle s’oriente dans le sens d’une thèse qu’on soutient, elle devient elle-même argumentative. En d’autres termes, une définition argumentative en définissant un terme exprime aussi une prise de position qui peut être favorable ou défavorable vis-à-vis de l’objet défini. Question : Avez-vous passé de bonnes vacances en Thaïlande ? Définition argumentative : J’appelle ça un triste souvenir. J’ai donné de l’argent pour acheter de la fatigue, voire de l’angoisse. Cette définition inclut le trait négatif « un triste souvenir ». Ce « triste souvenir » est justifié encore une fois par l’énoncé qui suit. On dira alors que l’interlocuteur redéfinit argumentativement l’expression « vacances en Thaïlande ». Cette définition laisse entendre la conclusion : « Les vacances en Thaïlande se sont mal passées » 4. Les ressources de la langue La première remarque consiste à dire que la langue contient en elle une « logique linguistique » (Plantin, 1996 : 56) qui règle certains enchaînements argument - conclusion. Cette montre est suisse, et les montres suisses sont de bonne qualité. Donc, cette montre est de bonne qualité. Dans cet exemple, de 2 arguments on déduit la conclusion. C’est le cas du syllogisme (un discours composé de 3 énoncés simples : une conclusion inférée de 2 prémisses). L’argumentation est, en second lieu, présentée comme une transformation d’énoncés. On a recours à une « paraphrase argumentative » (Plantin, 1996 : 57), c’est-à-dire qu’on essaie de reformuler ou de paraphraser la conclusion pour donner un argument pour cette conclusion.
  • 26. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 26 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Ainsi, l’énoncé : Les étudiants de moins de 28 ans ont droit à un abonnement mensuel de 31 euros parce que c’est leur droit. se compose de deux énoncés : l’énoncé conclusion « Les étudiants de moins de 28 ans ont droit à un abonnement mensuel de 31 euros » et l’énoncé argument « parce que c’est leur droit » dont l’énoncé conclusion est une paraphrase de l’énoncé argument. Dans notre vie de tous les jours, nous entendons des énoncés comme suit : Les salaires modestes doivent payer très peu d’impôts car ils ne permettent de vivre que modestement ; par contre, les hauts salaires doivent être fortement taxés car ils permettent de vivre luxueusement, donc de se priver du superflu. Il s’agit ici de l’argumentation par les contraires. Cette argumentation est aussi un mode d’argumentation par transformation d’énoncés. La transformation consiste au remplacement du terme sujet par son contraire (salariés modestes / salariés bien payés) et du terme prédicat par son contraire (payer très peu d’impôts / être fortement taxés). L’argumentateur met aussi en contraste deux autres expressions : vivre modestement / vivre luxueusement. L’argumentation par les contraires, selon Plantin (1996) prend la forme schématique suivante : a est P donc non-a est non-P 5. Désignation et prise de position Plantin insiste sur la double fonction du mot qui est de désigner et d’orienter. Nous examinons l’exemple suivant : A : Comment trouves-tu Pierre ? B : C’est un gros menteur Le groupe nominal « gros menteur » ne vise pas seulement à décrire le type de personne auquel appartient Pierre (ceux qui mentent toujours, qui peuvent tromper quelqu’un, qui sont assez dangereux…) mais aussi à orienter le discours. « C’est un gros menteur » peut être considéré comme un argument conduisant l’interlocuteur vers la conclusion implicite « J’aime pas ce genre de personnes » ou « Je ne l’apprécie pas ». 6. Argumentation dans la langue 6.1. Les topoï Dans leur théorie de « l’argumentation dans la langue », Anscombre et Ducrot ont introduit le concept de topoï (au singulier : topos), trajet que l’on doit obligatoirement emprunter en vue d’atteindre une conclusion déterminée. Un topos est défini par Ducrot comme « le garant qui autorise le passage de l’argument A à la conclusion C » (1995 : 85). D’après Plantin, il s’agit d’« un instrument linguistique connectant certains mots, organisant les discours possibles et définissant les discours « acceptables », cohérents dans cette communauté » (1996 : 66). Ainsi, en disant : Ce manteau est trop cher. Ne l’achetez pas ! Cet enchaînement argumentatif s’appuie sur le topos « plus cher est le prix, moins on a la possibilité d’acheter » De même :
  • 27. Première Partie Théorie de l’argumentation 27 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 (1) - Je n'ai plus de cigarettes. (2) - Tu sais, il y a un bureau de tabac au coin de la rue. (2) s’enchaîne à (1) de façon cohérente grâce à l'implication contextuelle : « On vend des cigarettes dans le bureau de tabac ». Au contraire : (1) - Je n'ai plus de cigarettes. (3) *- Tu sais, il y a une fromagerie au coin de la rue. Cet échange est agrammatical, puisqu'il n'y a aucun rapport entre cigarettes et fromagerie. Les topoï fonctionnent comme les « lieux communs », ou vérités de bon sens sur lesquelles se repose la pratique de l’argumentation. 6.2. Les connecteurs Les connecteurs sont des mots ou des groupes de mots de nature très variée qui ont pour fonction de relier des segments de texte et d’en assurer l’organisation en marquant des relations logiques et sémantiques entre les propositions ou entre les séquences qui le composent. Sous l’angle argumentatif, les connecteurs sont définis par Plantin comme : « mots de liaison et d’orientation qui articulent les informations et l’argumentation d’un texte. Ils mettent notamment les informations contenues dans un texte au service de l’intention argumentative globale de celui- ci » (Plantin, 1989 : fiche 10) Nous parlerons plus en détail des connecteurs dans une partie à part. 6.3. La notion de « sémantique intentionnelle » Dans la théorie de « l’argumentation dans la langue », on parle d’un nouveau type de sémantique que Plantin appelle « sémantique intentionnelle » (1996 : 70). Pour être plus précis, nous disons que le sens d’un mot ne se trouve pas à l’intérieur du mot mais doit être recherché dans un cadre discursif, cela veut dire également qu’un énoncé doit être analysé en relation avec « la poursuite du discours » selon l’expression de Plantin (1996 : 70). En effet, tout énoncé tend à orienter l’interlocuteur vers une certaine direction discursive. Et un interlocuteur intelligent est celui qui comprend l’intention du locuteur ainsi que les intentions linguistiquement exprimées dans l’énoncé. Bref, il est capable de prévoir la suite de l’énoncé, en d’autres termes, la conclusion vers laquelle s’oriente cet énoncé. Pour résumer, on dit que le sens de l’énoncé argument est déterminé par l’énoncé conclusion, et cette dernière reflète fidèlement l’intention linguistique de l’argumentateur. 7. Argumentation par la force L’argumentation par la force revient à présenter un argument à quelqu’un en vue de lui faire admettre une proposition. Plantin a tracé la structure de cette argumentation comme suit : ∙ X n’a pas envie de faire A. ∙ Y a intérêt à ce que X fasse A. ∙ Y menace X et donne un moyen d’échapper à cette menace en faisant subir un désagrément moindre. ∙ X fait face à un rapide calcul de ses intérêts, et décide d’accepter un mal moindre pour éviter un mal plus grand.
  • 28. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 28 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Ainsi, nous avons l’exemple suivant : Si vous ne payez pas vos amendes, je suis obligé de faire venir un commissaire de police. L’interlocuteur se trouve devant un choix entre deux solutions : « payer des amendes » ou « avoir des problèmes avec la police », la première est désagréable et la deuxième encore plus. Autrement dit, l’interlocuteur envisage la situation où un petit inconvénient balance un grand désavantage. Les caractéristiques de ce mode d’argumentation consistent essentiellement dans l’appel à la force, au pouvoir ou à la volupté. 8. Argumentation par l’ignorance On a recours à cette stratégie d’argumentation lorsqu’on veut que l’adversaire admette ce qu’on lui présente comme preuve, ou bien qu’il fournisse un meilleur argument. Exemple : A : Trouves-tu une autre solution à cette situation ? B : ……. C : Puisque tu ne trouves pas d’autre solution, fais comme je t’ai dit. C’est la meilleure solution pour le moment. 9. Argumentation sur la personne Ce mode d’argumentation tend à rendre non valable une autre argumentation en diminuant le prestige de la personne qui la soutient. Il a donc le caractère réfutatif parce qu’on a souvent affaire à une stratégie de rejet au lieu d’un processus argumentatif positif, au cours duquel on essaie d’étayer une conclusion par un argument. Cette argumentation prend la forme suivante : ∙ X avance une argumentation A ∙ Y rétorque en attaquant X 9.1. Mise en contradiction La première manière d’argumenter sur la personne consiste à mettre cette personne en contradiction avec elle-même. Il s’agit de « presser un homme par les conséquences qui découlent de ses propres principes, ou de ce qu’il accorde lui-même » (définition de Locke citée par Plantin, 1996 : 84). Cette tactique d’argumentation englobe : ∙ mise en contradiction des paroles ∙ mise en contradiction des paroles et des croyances ∙ mise en contradiction de paroles et d’actes ∙ mise en contradiction des prescriptions et des pratiques. Nous examinons l’exemple ci-dessous : A : Connais-tu quelqu’un à Lyon qui ait des chambres à louer ? B : Non. Moi, je n’ai pas d’expérience en ce domaine. A : Eh ben, mais tu m’as dit, lors de notre dernière conversation téléphonique, que tu me trouveras un logement quand je viendrai à Lyon. C’est le cas de la mise en contradiction des paroles où le locuteur A met en contradiction les affirmations de l’interlocuteur B.
  • 29. Première Partie Théorie de l’argumentation 29 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Un autre exemple : Vous voulez soutenir votre mémoire au mois de septembre et vous ne changez pas votre rythme de travail. L’énonciateur met en contradiction entre ce que son destinataire prétend faire et ce qu’il réalise en réalité. Le « et » fonctionne dans l’exemple cité comme un marqueur d’opposition argumentative. C’est le cas de mise en contradiction de paroles et d’actes. Alors que dans le cas suivant : Vous demandez à vos élèves d’écrire une belle lettre de motivation et vous êtes incapable d’en écrire une vous-même. La contradiction est relevée entre ce que le destinataire exige des autres et ce qu’il peut fait réellement. On parle donc du quatrième cas de mise en contradiction. 9.2. Attaque personnelle contre l’adversaire La deuxième manière d’argumenter sur la personne consiste en une attaque personnelle contre l’adversaire. A : Il paraît qu’à partir de l’année prochaine on va supprimer le concours d’entrée à l’Université. B : T’es trop manipulé par les médias ! Arrête maintenant de dire des bêtises ! L’Opposant B se montre opposé à l’intervention du Proposant A. Il attaque ce dernier en parlant de lui en termes négatifs. 10. L’argumentation d’autorité Il est à noter que nous allons accorder dans la troisième partie de la thèse une part importante à la présentation détaillée de ce type d’argument. Nous nous contentons d’aborder dans cette partie des questions concernant la définition de l’argument d’autorité. L’argument d’autorité vise à rendre légitime une proposition en faisant appel à une personne, une institution considérées comme dignes de foi. Ce mode d’argumentation est largement influencé par le « prestige » qui est défini comme « la qualité de ceux qui entraînent chez les autres la propension à les imiter » (définition de Dupréel citée par Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958 : 407). Plantin appelle l’argument d’autorité « argument de confirmation » (1996 : 88) qui soutient une conclusion dans une argumentation. Cette argumentation prend la forme suivante : ∙ Proposant : - P, car X dit que P, et X est une autorité en la matière A partir de cette présentation, nous disons que le Proposant utilise l’argument d’autorité lorsqu’il veut donner comme argument pour une affirmation P le fait que cette affirmation a été énoncée ou admise par un locuteur X particulièrement autorisé, qui se prend pour le garant de la justesse de P. L’argument d’autorité apparaît dans les énoncés du type suivant : X dit / soutient / affirme / pense que P, et il s'y connaît Pierre a dit qu’il ferait beau demain, et c’est un météorologiste de première classe. Tout le problème de l'argument d'autorité tourne autour de la crédibilité de l'expert cité et de la pertinence de son savoir vis-à-vis du thème de la discussion. Cette « interaction
  • 30. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 30 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 autoritaire », selon l’expression de Plantin (1990 : 212), renvoie aux mécanismes de citation et de polyphonie, à une structure de communication particulière où le discours donateur d'autorité est transposé, vulgarisé, traduit. L'argumentation par autorité a donc un caractère polyphonique évident dont nous parlerons ultérieurement. Récapitulation Cette classification de Plantin appuyée sur l’analyse des arguments en fonction des paramètres d’objets, de langage et d’interaction nous offre une vision parfaitement claire et détaillée sur les différents types d’argumentation. Ce serait l’idéal si nous insérions ce classement dans un cours purement théorique sur l’argumentation, cours, bien sûr, réservé uniquement aux enseignants et aux futurs enseignants de français langue étrangère. L’explication est tellement simple : un enseignant ne peut pas apprendre à ses élèves à argumenter quand il ne comprend pas à fond ce qu’est l’argumentation ou qu’il est incapable d’argumenter lui-même. Ce cours, accompagné, bien entendu, d’autres cours portant sur d’autres aspects de l’argumentation, a pour but d’apporter une formation complémentaire sur l’argumentation, un domaine qui reste encore, pour les enseignants vietnamiens, plus ou moins un terrain « inexploité ». Nous utilisons le terme « inexploité » parce que nos enseignants de français, en ce qui concerne la linguistique, n’ont pas tellement de difficultés car ils sont bien formés, mais en matière d’argumentation, il leur faut absolument une formation afin de remplir leurs lacunes en cette discipline. D’ailleurs, grâce à leur connaissance antérieure de la théorie de la langue, ils peuvent capter sans trop d’obstacles, de nouvelles notions en argumentation. Au contraire, en ce qui concerne nos apprenants de français, nous devrions prendre des précautions. En fait, compte tenu de leur programme de formation, de leur expérience, de leur personnalité, de leur état d’esprit, et notamment de leur niveau en français encore très modeste, nous pensons que l’adoption d’une telle classification d’argumentations constituera pour eux un enjeu extrêmement épineux. C’est pourquoi, dans l’espoir de les aider à bien distinguer et à bien employer des arguments, nous adoptons le classement de Mirabail(1994). Sa classification, que nous jugeons plus simplifiée et accessible aux apprenants, prend comme point de départ la question portant sur des procédés utilisés en vue de valider une prise de position ou plus précisément encore, de développer un argument. Avant de passer au classement des arguments, il nous paraît important d’éclairer le terme « idée-prise de position » que l’auteur utilise fréquemment tout au long de son ouvrage. Une « idée-prise de position » (IPP) contient toujours un mot-thème (ou une expression) qui désigne ce dont on parle et un mot-thèse (ou une expression) qui indique ce que l’on veut prouver. Ce mot-thèse détermine l’orientation argumentative des faits. Selon son approche, les arguments sont classés en deux grandes catégories : ∙ Les arguments affirmatifs Sont regroupés dans ce type d’arguments de simples confirmations de l’idée-prise de position. Dans cette catégorie, le développement rend plus claire, plus familière, plus concrète, plus explicite l’idée-prise de position. Il la renforce mais il n’apporte aucune preuve de sa validité.
  • 31. Première Partie Théorie de l’argumentation 31 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 ∙ Soit on s’appuie sur des faits qui illustrent l’idée-prise de position. On a alors recours à l’exemple, à des faits significatifs qui ont la force du concret. C’est le cas de l’argument fondé sur le recours à l’exemple. ∙ Soit on s’appuie sur des valeurs. On fait alors référence : – à l’autorité (grands acteurs, savants, hommes renommés,…) – à l’opinion, à la tradition, à des valeurs consensuelles (proverbes, dictons…) On a donc affaire à des argumentations d’autorité. ∙ Soit on éclaire un argument : – par une définition – par l’explication – par le symbole ou la métaphore – par l’analogie ∙ Les arguments logiques Lors d’une argumentation, les arguments s’enchaînent les uns aux autres par l’intermédiaire des relations logiques. Il est donc important que l’enseignant fasse découvrir aux élèves ces différentes relations. A chaque type de relation correspond un type d’argument. Ces arguments se caractérisent par la présence des connecteurs à l’intérieur de leur développement. Voici les raisonnements les plus couramment utilisés : ∙ La causalité C’est un procédé qui consiste à étudier un phénomène par l’analyse de ses causes ou de ses conséquences. Dans le langage courant, la cause est exprimée par « car, en effet, parce que, sous prétexte que, puisque, comme…» ; et la conséquence est exprimée par « donc, c’est pourquoi, d’où, de là, de telle sorte que, de sorte que, si bien que,… » Ce type d’argument renvoie au mode d’argumentation par la cause proposé par Plantin. ∙ La déduction A la différence des arguments qui utilisent l’exemple comme une simple illustration de l’idée- prise de position, la déduction est un raisonnement qui vise à tirer, à partir des principes, une conclusion nécessaire et logique. Le syllogisme est un cas typique de ce type d’argument. ∙ L’induction L’induction est un mode de raisonnement qui permet de passer du particulier au général, de l’individuel à l’universel, c’est-à-dire des faits aux lois. Ce procédé est souvent utilisé dans l’argumentation car il permet de dégager, en se référant à la réalité concrète, une règle générale grâce à l’observation et à la confrontation d’une série de faits. C’est une généralisation qui peut conduire à une illustration grâce à des exemples. Exemple : Les jeunes ne respectent pas les personnes âgées. J’ai vu encore ce matin dans le bus une vieille dame rester debout alors qu’un étudiant, assis tranquillement sur un siège, continuait à lire son journal. ∙ La comparaison
  • 32. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 32 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 Ce mode de raisonnement consiste à mettre en relation deux termes dont on relève rigoureusement les points de similitude, les différences, les oppositions par l’intermédiaire de termes comme : comme, tel, ainsi que, de même que, plus que, moins que. ∙ La concession Elle introduit la polyphonie dans une séquence (paragraphe à l’écrit). Ce procédé se caractérise par la mise en présence de deux (ou plusieurs) thèse dont l’une est réfutée ou nuancée avant que celle de l’idée-prise de position ne soit confirmée. La concession est exprimée par « malgré, bien que, quoique, sans doute, certes… ». Le plus utilisé est « mais ». L’auteur constate qu’il existe des faits ou des arguments qui s’opposent à sa thèse mais il maintient son opinion et poursuit son raisonnement. Bien que l’auteur ait fait une erreur en considérant la concession comme un type d’argument, nous espérons que ce classement de catégories d’arguments, de caractère plus ou moins sommaire, est plus accessible aux apprenants de français langue étrangère, vu leur niveau de connaissance de langue, leur passion pour l’argumentation et aussi la question de gestion de temps en classe. Les enseignants, quant à eux, ont la possibilité de faire référence à notre travail de synthèse proposé auparavant, qui s’inspire largement des travaux de Plantin pour acquérir une vision plus théorique, plus académique, plus détaillée et aussi plus complexe en ce qui concerne les argumentations. Nous avons abordé dans les deux chapitres précédents des conceptions de base de l’argumentation et les différents types d’arguments. Le chapitre qui suit sera réservé à l’exploitation des stratégies de l’argumentation. Chapitre 3 : Les stratégies d’argumentation Dans ce chapitre, nous allons parler, de façon détaillée, des opérations argumentatives qui sont respectivement la justification, la réfutation, la contre-argumentation et la concession. 1. La justification 1.1. Définition La justification d’un point de vue est l’opération de base de l’argumentation. Si le débat et la délibération sont de nature prospective, la justification est au contraire de nature rétrospective. La thèse est connue de l’argumentateur et ce dernier a à trouver des arguments et à utiliser des moyens appropriés pour établir sa validité. Une justification est acceptable lorsqu’elle remplit deux critères : critère d’efficacité et critère de clarté. 1.2. Critère d’efficacité Pour être efficace, le discours doit être rigoureusement construit. L’argumentateur a recours à plusieurs arguments. Ces arguments sont juxtaposés, hiérarchisés et construits en faisceau. Nous empruntons le schéma proposé par Mirabail (1994 : 151) pour représenter la construction des arguments :
  • 33. Première Partie Théorie de l’argumentation 33 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 La validité de la thèse se justifie donc par un ensemble d’arguments co-orientés. L’efficacité réside aussi dans la manifestation de la conviction personnelle. L’auteur peut adopter un ton impersonnel ou un ton plus polémique. Dans le premier cas, l’énonciateur s’efface et la conviction apparaît à travers d’autres indices tels que « il est certain », « évidemment », « efficacement », « on peut soutenir que »,… alors que dans le second cas, il utilise des procédés de prise en charge personnelle comme « je pense », « je crois », « je suis convaincu », « de mon point de vue », « il m’apparaît »,… 1.3. Critère de clarté Classer les arguments a pour finalité la clarté. Cela veut dire que dans un discours de justification, les arguments doivent être classés en fonction de : ∙ leur domaine d’analyse (du point de vue psychologique, du point de vue langagier, sur le plan familial, sur le plan social…) ∙ leur catégorie logique : situation – cause – conséquence – solution, cas particulier - cas général, faits – lois… ∙ couple d’opposition : avantage / inconvénient, point positif / point négatif, apparence / réalité, avant / après (en publicité)… Il est tout à fait possible que ces classements soient combinés. Par exemple, quand on parle de l’inondation de Hanoï en octobre 2008, on peut aborder les conséquences financières, médicales, culturelles… Un autre point non moins important auquel nous devons porter notre attention, c’est l’orientation argumentative des arguments. Ceci est dit dans le schéma ci-dessus : les arguments sont regroupés autour d’une thèse. Ils doivent être coorientés, c’est-à-dire présentés comme destinés à servir une même thèse. L’argumentation ouvre jusque là une autre exigence : celle de la hiérarchisation et de la gradation des arguments au nom de l’efficacité. Nous touchons donc à la notion de « force argumentative » précisée par Moeschler d’après Ducrot, comme suit : « Les arguments appartenant à une même classe argumentative sont dans une relation d’ordre : certains arguments sont plus forts, d’autres sont plus faibles. Soient deux énoncés p et p’ appartenant à la même classe argumentative. On dira que p’ est présenté par le locuteur comme un argument plus fort que p, si la conclusion de p à r implique la conclusion de p’ à r, l’inverse n’étant pas vrai » (1994 : 281) Examinons l’exemple suivant : La cellule familiale est encore un élément essentiel dans notre société : elle est un refuge et même un milieu éducatif irremplaçable.
  • 34. Argumentation et didactique du Français langue étrangère pour un public vietnamien 34 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 La thèse « La cellule familiale est encore un élément essentiel dans notre société » est justifiée par deux arguments coorientés dont le premier « elle est un refuge » est considéré comme moins fort que le second « même un milieu éducatif irremplaçable ». Ici, l’opérateur argumentatif « même » a la fonction d’attribuer un statut argumentatif plus fort, voire décisif au deuxième argument. Autrement dit, « même » a la propriété de décider de la force argumentative de l’argument. Bref, la justification d’une thèse consiste à valider cette thèse par un système d’arguments ayant la même orientation argumentative qui sont classés et hiérarchisés en fonction de leur force argumentative. 2. La réfutation 2.1. Définition Nous reprenons la définition de la réfutation donnée dans la partie antérieure. Réfuter, au sens propre du terme, consiste à produire des raisons contre une conclusion. Du point de vue argumentatif, il s’agit donc d’un mouvement contre-orienté, ce qui différencie « réfuter » de « justifier », puisque justifier, au contraire, revient à produire des raisons en faveur d’une conclusion. L’important est de ne pas confondre entre la réfutation et la défense de la thèse adverse. En effet, si la réfutation est une démarche qui consiste à s’intégrer dans le raisonnement de l’autre pour en déceler les incohérences ou les contradictions sur lesquelles reposent ses arguments afin de le discréditer, la défense de la thèse adverse est simplement un processus de justification. Ainsi, dans l’échange suivant : A : - La mode permet d’exprimer sa personnalité. B : - Non, la mode n’exprime pas sa personnalité. Elle nous est plutôt imposée et détermine nos goûts vestimentaires. Réfuter c'est refuser une argumentation en prouvant sa fausseté. La réfutation est donc une démarche négative, un processus d’invalidation. 2.2. Réfutation de l’argumentation Il y a plusieurs types de réfutation. Moeschler distingue trois types de réfutation qui sont respectivement les rectifications, la réfutation propositionnelle généralement suivie d’une justification et la réfutation présuppositionnelle accompagnée nécessairement d’un acte de justification. Maingueneau, quant à lui, propose aussi trois types : réfutation complète, réfutation par dénégation et réfutation par retournement. Dans le cadre de notre travail, nous nous intéressons particulièrement à la réfutation de l’argumentation. Alors, qu’est-ce que c’est que la réfutation de l’argumentation ? Quelle composante du schéma argumentatif fait l’objet de la réfutation ? Notre réponse est que toute composante fait l’objet de la réfutation y compris l’argument, la conclusion et la loi de passage. 2.2.1. La réfutation de l’argument Réfuter les arguments de l’interlocuteur constitue l’une des stratégies couramment utilisées pour invalider son argumentation. Examinons l’exemple suivant :
  • 35. Première Partie Théorie de l’argumentation 35 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale- Pas de Modification 2.0 France (http://creativecommons.org/ licenses/by-nc-nd/2.0/fr/) - NGO Thi Thu Ha - Université Lyon 2 - 2011 A : - On m’a dit que vous avez une résidence secondaire à la campagne. Alors, vous y passez vos vacances d’été ? B : - Non, moi, je n’ai rien d’autre que mon petit appartement au centre-ville. Dans l’intervention de A, « vous avez une résidence secondaire à la campagne » est un argument orienté vers la conclusion « Vous y passez alors vos vacances d’été ». B, en déclarant faux l’argument formulé par A « je n’ai rien d’autre que mon petit appartement au centre-ville », réfute justement cet argument. Il arrive aussi des cas où l’argument n’est pas entièrement accepté. Il est atténué, diminué ou infléchi : A : - LCL est une banque de grande taille. Il vaut mieux y poser ta candidature pour la demande de stage. B : - Elle n’est pas si grande que ça, je pense. L’argument « LCL est une banque de grande taille » n’est pas considéré comme suffisamment efficace pour en tirer la conclusion visée par A. 2.2.2. La réfutation du topos Comme nous l’avons dit plus haut, la loi de passage peut être mise en question et cette mise en question donne lieu à des possibilités de réfutation. Un topos peut être réfuté de plusieurs manières : ∙ La non pertinence du topos On a simplement à déclarer que le topos n’est pas pertinent. Soit le dialogue suivant : A : - Pierre a beaucoup travaillé, il va réussir son examen. B : - Regarde Jean, il n’a pas travaillé et il a quand même réussi. C’est la validité du topos que A a réfutée. En rejetant l’idée que plus on travaille plus on réussit, B cherche à démontrer que le travail ne mène pas forcément au succès. ∙ La négation du topos Examinons l’exemple ci-dessous : A : - Bientôt arrive l’été ! Tu vas passer tes vacances à la plage ? B : - Je n’aime pas aller à la plage en été. Je préfère y aller en hiver. B nie le topos selon lequel on va généralement à la plage en été. Son désaccord porte sur l’orientation de l’argument. La conclusion formulée par A est par conséquent invalidée. ∙ Refuser l’application du topos tout en reconnaissant sa pertinence A : - Paul est un père excellent. Il a cessé de fumer dès la naissance de son bébé. B : - Lui c’est lui, moi je suis moi ! Dans ce dialogue, B reconnaît la pertinence du topos « le tabac est nuisible à la santé, notamment à celle des nouveau-nés », pourtant il refuse de l’appliquer à son cas. ∙ Rejeter la conclusion en utilisant la gradualité du topos A : - Il y a de la neige aujourd’hui. On va faire du ski ? B : - Au lieu de faire du ski aujourd’hui, fais-en demain. La météo annonce qu’il y aura bien plus de neige. D’ailleurs il fera aussi soleil, ce sera un temps idéal pour faire du ski. L’interlocuteur B rejette la conclusion de A et joue sur le caractère graduel du topos « plus il y a de neige, mieux on peut faire du ski ».