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10 défis pour la Polynésie française 07/11/2017
Quelques informations sorties ces dernières semaines, a priori sans lien entre elles, invitent à la
réflexion sur l'avenir de la Polynésie française : un discours du Président de la République en
Guyane française, l'installation d'une première hydrolienne au large des Côtes d'Armor et l'arrivée
prochaine d'une troisième compagnie aérienne sur le trajet Paris-Papeete via San Francisco.
La Polynésie française est regardée par ses voisins, qu'ils appartiennent au Commonwealth ou qu'ils
soient des micro-Etats du Pacifique. Elle doit à l'avenir être citée en exemple pour son
développement concret et non comme pleureuse à la tribune des Nations Unies, ce qui est sans
doute romanesque mais fondamentalement inefficace.
A ce titre, dix défis majeurs se présentent, qu'elle doit relever pour entrer dans le XXIe
siècle en
pointe. La Polynésie française dispose d’indéniables atouts comme autant de réussites en devenir et
qui n'attendent qu'un coup pouce pour éclore et faire de ce pays un exemple pour toute une région.
Il ne s'agit pas de tirer des plans sur la comète mais de réfléchir à changer les choses, pour aboutir à
des projets concrets au profit de la population. Relever ces défis, c'est assurer un avenir aux
Polynésiens, au-delà de la culture de la rente et du « mythe du cargo ».
Ces défis sont les suivants : la gouvernance, l'éducation, la santé, l'environnement, le logement,
l'énergie, l'aménagement du territoire, l'agriculture, le tourisme et le numérique.
Le défi de la gouvernance : développer l'approche ascendante.
Le mot est souvent galvaudé et servi à tout bout de champ pour qualifier les modes de gestion d'un
État, d'une collectivité ou d'une entreprise. Dans le cas de la Polynésie française, il s'agit d'un sujet
de premier plan. En effet, les relais actifs et représentatifs de la société civile (associations
caritatives, cultuelles, culturelles ou sportives, comités de quartier), particulièrement nombreux,
doivent profiter de leur maillage pour prendre l'avenir de la population polynésienne en main, en
recourant à l'approche ascendante (ou « bottom-up »), sur le modèle de ce que les habitants de
Mexico réalisent1
. L'objectif est de proposer des projets concrets, simples et correspondant le mieux
possible aux attentes et aux besoins quotidiens de la population d'un quartier ou d'une communauté.
Ces projets peuvent être d'ordre social, culturel ou économique : construction d'un équipement
sportif, création d'un potager communautaire sur une friche, aménagement urbain, installation d'un
commerce de proximité, etc.
Ce mode de fonctionnement, complémentaire de l'approche descendante (ou « top-down »), apporte
une réelle plus-value en proposant des solutions que les élus et les organisations administratives
mettraient beaucoup de temps à faire émerger et qui ne correspondraient pas forcément aux besoins
effectifs des habitants. En outre, il est bien adapté à la mentalité polynésienne qui s'inscrit le concret
et le temps court.
En revanche, cette approche impose représentativité, organisation et recours à l'aide de spécialistes
bénévoles ou acceptant une rémunération de principe (architectes, urbanistes, techniciens en génie
civil ou bâtiment, informaticiens...), pour que des projets crédibles aient quelque chance de
s'imposer, d'où la nécessité de s'appuyer sur des associations bien implantées.
Le défi de l'éducation et de la formation : une indispensable adaptation aux réalités locales.
La population polynésienne connaît un taux de chômage des jeunes très important et pourtant toutes
les offres d'emploi ne trouvent pas preneur !2
C'est notamment le cas des offres imposant un
diplôme, quel qu'en soit le niveau. Il convient donc de réorienter l'enseignement et la formation sur
les secteurs qui recrutent et de développer l'apprentissage, qui garantit à l'employeur un salarié déjà
expérimenté lorsqu'il arrive sur le marché du travail après son diplôme.
1 Anne Durand, « Quand Mexico éclaire la mutabilité urbaine » , Métropolitiques, 25 septembre 2017. URL :
http://www.metropolitiques.eu/Quand-Mexico-eclaire-la-mutabilite.html.
2 http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-bmo/bmo-2016-tous-secteurs.pdf?sfvrsn=10
Par ailleurs, il est nécessaire de former de futurs jeunes entrepreneurs, qui créeront la richesse de
demain, dans des activités qui n'existent peut-être pas encore. Il est donc indispensable de
développer des formations localement, afin d'éviter que les jeunes Polynésiens disposés et aptes à
faire des études, ne quittent le territoire pour ne plus y revenir et de fait participent à
l'appauvrissement du vivier des futures élites.
Il est également nécessaire de former des jeunes aux nouvelles technologies, à la fois comme outil
mais aussi comme activité principale. Pourquoi en effet ne pas imaginer une Polynésie française
comme nouveau réservoir de services numériques pour l'Europe ou le Pacifique, en faisant de sa
double culture, océanienne et européenne, et de son décalage horaire deux atouts pour travailler en
temps masqué ?
En complément de la formation professionnelle, et peut-être avant tout, il est nécessaire de former
les jeunes gens sur les sujets qui les touchent directement. Tout d'abord l'éducation à la santé et en
premier lieu à une bonne alimentation, afin d'inverser cette tendance mortifère, ce suicide collectif à
base de sucre et de graisse. L'obésité n'est pas une fatalité ; il faut juste apprendre à la combattre par
les bons gestes, et ce dès le plus jeune âge. Cela va de pair avec l'éducation face aux dépendances,
qui doit être vigoureuse.
Il est aussi indispensable d'éduquer les jeunes à cette culture dont ils sont les dépositaires, afin d'en
faire une force, non seulement pour attirer des touristes mais aussi et surtout comme foyer de la
culture du triangle polynésien, faisant de l'université de la Polynésie française un centre de
recherche et d'enseignement majeur en matière de culture océanienne au sens le plus large du terme.
Enfin, il est nécessaire de professionnaliser l'accueil. La gentillesse ne fait pas tout ; recevoir les
touristes, les investisseurs ou les universitaires est un vrai métier : s'il faut faire découvrir sa culture,
il faut également savoir s'adapter à celle de ses hôtes, connaître leur langue, leurs modes de vie, les
erreurs à ne pas commettre.
Ce défi est essentiel car tout passe par l'éducation des jeunes générations, les plus à même de faire
évoluer ensuite les choses si elles ont été bien formées.
Le défi de la santé : sortir des addictions.
Il a été sommairement abondé dans la thématique précédente mais mérite un vrai développement.
En la matière, la Polynésie française souffre de trois maux profonds, l'obésité, l'alcoolisme et la
consommation de stupéfiants.
Sept Polynésiens sur dix sont en surpoids et quatre sur dix sont obèses. Un enfant sur trois en est
atteint. C'est certes le mal des sociétés modernes mais la Polynésie en fait particulièrement les frais.
Pour les individus touchés et leur famille, ce sont des existences compliquées au quotidien, des fin
de vie précoces et abrégées par la maladie, le recours à des traitements médicamenteux lourds et des
séjours fréquents à l'hôpital.
Une étude3
montre par ailleurs que 30 % de la population connaît une dépendance à l'alcool et 41 %
connaît des épisodes d'ivresse, avec les problèmes sociaux afférents : désocialisation, violences
conjugale et familiale et troubles à l'ordre public.
Selon une enquête de 2016, 30% des jeunes en âge scolaire interrogés ont déjà consommés de la
drogue, 29% ont consommé du « paka », le cannabis local, au moins une fois et, encore plus grave,
3 % ont déclaré avoir consommé de l' « ice », cette drogue de synthèse née au Japon dans les années
1920, au moins une fois.
Ces trois fléaux, qui ne touchent pas que la Polynésie française, sont ici renforcés par les
particularités culturelle, géographique et sociale suivantes : les Polynésiens aiment faire la fête et
celle-ci ne se conçoit pas sans nourriture et sans alcool ; par ailleurs, le fait d'habiter sur une île peut
créer une sorte de fièvre obsidionale et le sentiment de tourner en rond ; enfin, un taux de chômage
élevé et l'absence de perspectives pour nombre de jeunes Polynésiens les poussent vers les paradis
artificiels.
Ces trois maux ont des conséquences sanitaires, sociales et économiques lourdes. Des actions
3 http://fulltext.bdsp.ehesp.fr/Invs/BEH/2009/48-50/1.pdf
concrètes existent : interdiction de vente d'alcool les fins de semaine, campagnes dans les media.
Elles doivent être accrues et passer par des messages clairs à l'école, dès le plus jeune âge, afin
d'espérer inverser le mouvement dans une génération. Le sport, pourtant si important dans la culture
polynésienne, doit être davantage valorisé.
Parallèlement à ces actions de prévention, il faut sanctionner beaucoup plus gravement les
contrevenants et réfléchir à l'application des peines : sous réserve de non-dangerosité, n'est-il pas
plus utile pour le condamné et la société de lui faire effectuer des travaux d'intérêt général, associés
à une sérieuse action de réinsertion, plutôt que de le placer entre quatre murs, au risque d'accroître
son mal-être et d'en faire un plus grand danger pour la société et pour lui -même ? Mais il faut aussi
intervenir sur les causes, au premier rang desquelles un désenchantement généralisé. C'est l'objet de
la présentation de ces dix défis.
Le défi de l'environnement : protéger une ressource exceptionnelle.
Les Polynésiens vivent dans un environnement grandiose. Si leur mode de vie traditionnel leur
permettait de concilier subsistance et préservation des ressources tant halieutiques, marines plus
généralement, que végétales, le mode de vie apporté par les Européens puis les Américains, fondé
sur une surconsommation de produits importés vient percuter violemment l'environnement. A titre
d'exemple, très nombreux sont les lagons à receler des coraux morts ; il n'est qu'à faire quelques
séances de vaa'a, cette pirogue traditionnelle à balancier, pour se rendre compte de la qualité de
l'eau : dans cette étendue marine relativement fermée, ne bénéficiant pas autant que la mer libre d'un
phénomène de chasse d'eau, les pollutions liquides stagnent et les déchets s'accumulent.
Il est donc nécessaire de passer la vitesse supérieure sur trois chantiers : l'éducation à
l'environnement, le développement d'une véritable « filière déchets » et surtout la mise en place d'un
corpus légal et réglementaire incitatif et répressif.
L'éducation à l'environnement. Des actions existent déjà : défis écologiques dans les écoles,
campagnes dans les media ou actions concrètes de terrain des associations. Il faut les poursuivre et
surtout les approfondir, afin qu'elles perdent ce statut de gadget et engagent la population,
principalement les jeunes, à agir, non pas dans un cadre espace-temps ponctuel mais permanent. Il
s'agit de sensibiliser tout un chacun sur la nécessité à se prendre en main pour protéger la santé,
garantir le cadre de vie des générations futures et en faire un atout notamment pour attirer les
visiteurs mais plus largement de développement économique et social. Des actions simples et
concrètes peuvent être entreprises : limiter l'usage de produits jetables, trier vraiment ses déchets,
faire du compost, économiser les ressources, ramasser ses déchets...
Le développement d'une filière déchets. Il est souvent aisé de botter en touche sur le sujet, en
arguant de l'étroitesse des territoires et surtout de l'éloignement. Il s'agit avant tout d'acquérir un
nouvel état d'esprit et faire de cet éloignement le point de départ d'un changement de paradigme : la
lecture d'une carte du Pacifique permet en un clin d’œil de tirer la conclusion que la Polynésie
française est vraiment au centre d'une vaste, très vaste étendue d'eau et que les distances entre les
îles de la Polynésie se comptent en centaines de kilomètres et avec le reste du monde en milliers de
kilomètres. C'est donc justement parce que l'on est loin qu'il faut développer les principes d'une
économie circulaire pour diminuer cette dépendance à l'extérieur et cela passe notamment par le
développement d'une filière de tri et de traitement des déchets et de recherche systématique de
recyclage. Il est certes sympathique d'entendre à la radio ces campagnes sur la réutilisation du verre
en matériau concassé pour le bâtiment et les travaux publics mais il est tellement dommage de le
cantonner à cette utilisation alors que le verre est par excellence un matériau recyclable à l'infini !
Développement d'un corpus légal et réglementaire. Il est indispensable de développer des mesures
incitant les changements de comportement et sanctionnant lourdement les contrevenants sur les
rejets d'effluents, les dépôts d'ordures sauvages et le traitement des déchets. Il est ainsi vain de
mener des combats retardateurs juridiques favorisant systématiquement l'export des déchets, alors
que des moyens techniques éprouvés permettent d'en traiter une grande partie sur place.
En synthèse, ce défi de l'environnement doit être relevé car il est gage de préservation d'un
écosystème époustouflant, de protection de l'avenir des enfants de la Polynésie et riche de
nombreuses perspectives de développement économique direct ou indirect.
Le défi du logement : pour un habitat plus adapté.
Mi-septembre 2017, se tenaient à Papeete les assises du logement social, organisées par la centrale
syndicale Atia i mua. Rien de transcendant n'en est sorti, ce n'était pas le but, mais cela a permis, s'il
en était besoin, de rappeler la prégnance de la question du logement en Polynésie française.
Beaucoup de familles, par manque de moyens et aussi de logements disponibles, cohabitent à
plusieurs générations dans des logements exigus et au confort minimaliste, quelquefois dans des
conditions d'habitat précaire. Parallèlement, de nombreux logements vacants, résultat d'années de
dispositifs de défiscalisation, se dégradent. Par ailleurs, comme souvent en Polynésie, la question de
la disponibilité du foncier se pose. Enfin, il apparaît difficile à nombre de Polynésiens aux revenus
modestes de loger dans des immeubles sans lopins de terre attenants.
Ces postulats, non exhaustifs, méritent des réponses. Elles ne peuvent sortir du chapeau mais il y a
des pistes de réflexion.
Il conviendrait tout d'abord de proposer des incitations aux propriétaires fonciers, notamment
institutionnels, pour mettre à disposition des terrains constructibles. Cette mesure devrait être suivie
par une réforme en profondeur du droit foncier, de manière à sortir par le haut de la plaie de
l'indivision.
Il faut également réfléchir aux dispositifs légaux et réglementaires d'incitation et de coercition pour
permettre la remise en l'état, l'entretien et l'usage des logements vacants, en tenant compte autant
des intérêts des propriétaires que des futurs locataires. Dans le même ordre d'idée, la reconversion
de tous ces hôtels fermés doit être étudiée.
Parallèlement, il faudrait revoir les plans de prévention des risques, de manière à proposer des
dispositions constructives pragmatiques et éprouvées pour les terrains classés dogmatiquement non
constructibles. Par définition, le foncier est rare en Polynésie, il faut donc faire preuve
d'imagination.
Ensuite, il convient d'attirer les spécialistes de la construction modulaire, afin qu'ils proposent des
modules de logement adaptés aux contraintes locales de coût et paracycloniques, capables de
répondre rapidement à une forte demande.
Enfin, l'habitat social doit être conçu avec des jardinets, pour répondre au besoin légitime des
Polynésiens de cultiver un lopin de terre, source de subsistance, éventuellement de revenus mais
surtout de satisfaction.
Beaucoup de chantiers à mettre en route, donc, dont certains dépendent d'une volonté politique,
laquelle doit être aiguillonnée par les relais dans la population, suivant cette logique ascendante
présentée dans le paragraphe consacré à la gouvernance.
Le défi de l'énergie : profiter des potentialités offertes par la nature.
Même si le fournisseur monopolistique annonce avec fierté que l'électricité en Polynésie française
est l'une des moins chères du Pacifique et qu'il offre la meilleure performance technique4
, il y a
beaucoup à faire pour en réduire le coût et l'empreinte carbone.
L'énergie solaire photovoltaïque se développe avec difficulté, compte tenu de contraintes
réglementaires et techniques, notamment liées à la réinjection dans le réseau. Pour autant, il ne
s'agit pas de la panacée universelle. En effet, le coût global en est élevé, si l'on prend en compte le
coût de fabrication (énergies grises), celui de retraitement des panneaux en fin de vie et si l'on met
de côté un modèle économique faussé par les subventions.
En revanche, la Polynésie française dispose de deux ressources inexploitées en matière d 'énergie :
le vent et la mer. Il y a donc d'immenses possibilités autour de ces deux ressources, que ce soit
l'éolien, l'hydrolien, l'énergie thermique des mers ou encore l'énergie créée par la houle. Ces
4 http://www.edt.pf/communique-de-presse-electricite-la-polynesie-tres-bien-placee-parmi-ses-voisins-du-pacifique/
procédés nécessitent certes de lourds investissements mais on ne part pas de rien ; de nombreuses
études et prototypes ont déjà été conduits ailleurs5
mais ils doivent être envisagés également en
Polynésie française.
La problématique de l'énergie passe aussi par celle des économies : il faut donc éduquer et
communiquer largement sur la nécessité de consommer cette denrée rare avec parcimonie et
construire en bannissant le tout-climatisé. La construction bio-climatique n'est pas un vain mot !
Cela commence par l'orientation des bâtiments, pour bénéficier du rafraîchissement des vents
dominants. Il est par exemple inacceptable de voir sortir de terre des immeubles sans protections
solaires, cela pour faire des économies de bouts de chandelles. De même, les protections végétales
sont aussi un bon moyen de faire diminuer la température dans les bâtiments. Ces notions
appartiennent à la construction vernaculaire, il est indispensable de les remettre à l'ordre du jour.
Le défi de l'aménagement du territoire : se défaire du règne automobile.
L’île de Tahiti souffre de deux maux. Le premier est hérité de l'histoire de comptoir de Papeete.
L'activité s'y est agglomérée comme autant d'excroissances autour du port ; outre Papeete, les villes
de Faa'a, Pirae et Arue regroupent sur quelques kilomètres-carrés l'essentiel de l'activité de l'île.
Le second est le goût immodéré des Tahitiens pour les gros pick-up, héritage d'une proximité sinon
culturelle, du moins géographique avec Hawaï et la côte ouest des États-Unis. D'où des
transhumances pendulaires entre les différentes villes côtières et le « Grand-Papeete », des
encombrements monstres le matin et le soir et une pollution dévorante.
Le déséquilibre économique, un défaut flagrant de transports en commun et la géographie de l'île
volcanique en font un cocktail détonnant.
Trois axes d'efforts permettraient de sortir de cette situation infernale :
 développer une vraie politique volontariste destinée à développer des pôles alternatifs
d'activité : Mahina, Paea-Papara, Taravao, afin de créer de l'activité là où une bonne partie
de la population vit ;
 construire un vrai réseau de transport collectif efficace, qu'il soit routier, de cabotage
maritime ou pourquoi pas téléphérique ;
 travailler sur l'aménagement urbain et suburbain pour le rendre vélo- et piéton-compatible et
inciter les usagers à effectuer de petits déplacements en sécurité en vélo ou à pieds, y
compris pour les parents avec une poussette.
Ce dernier aspect va de pair avec une révision complète des modes de stationnement ; combien de
trottoirs transformés en places de stationnement, imposant aux piétons de descendre sur la chaussée
pour poursuivre leur marche ?
Enfin, comme partout où l'espace est rare, il convient de mener une vraie réflexion sur l'urbanisme
souterrain, gage de gain de place et de sécurité dans une zone cyclonique.
Le défi de l'agriculture : profiter d'une nature généreuse.
S'il est bien un sujet qui intéresse les Polynésiens, c'est celui du rapport à la terre. Il est ainsi
difficile de proposer un logement sans jardin à un Polynésien, qui se sent coupé de ses racines.
Pourtant, la surprise est grande de constater, alors que la nature est exubérante et que tout semble y
pousser, que les étals des supermarchés et autres épiceries sont pleins de fruits et légumes importés !
Plusieurs raisons sont invoquées : la première est justement qu'une nature nourricière ne pousse pas
à la culture. La deuxième est la rareté des sols. La troisième est leur pollution. Certes. Pourtant,
malgré ces trois raisons, il est quand même dommage que ce pays, qui présente des conditions de
culture idéales soit obligé d'importer des fruits et des légumes.
Dans les îles hautes, il est étonnant de constater que seule une part très réduite de la terre disponible
5 Pour l'hydrolien, les projets de Groix et Belle-île ; pour l'énergie thermique des mers, projets développés par Naval
Energies en Martinique et à la Réunion ; pour la houle, la technologie CETO qui sera utilisée par EDF pour un
projet à la Réunion
est exploitée ; est-ce la faute à un système foncier qui fait de l'indivision la règle, aboutissant à des
situations kafkaïennes, où un lopin de quelques mètres carrés est possédé par 25 individus ? La
difficulté d'accès et de mise en valeur est aussi évoquée mais cet argument ne tient pas, il n'est qu'à
prendre en comparaison les terrasses rizicoles du sud-est asiatique.
Plusieurs actions sont à mener. La première est sans doute une réforme copernicienne du droit de la
terre, afin de sortir de ces situations de blocage, inciter les mises en valeur et permettre à ceux qui
veulent exploiter la terre de le pouvoir.
Il faut également que les collectivités mettent à disposition des habitants des parcelles inexploitées,
afin que ceux qui n'ont pas la chance de posséder un lopin puissent y cultiver de quoi faire vivre
leur famille et en tirer un surplus, destiné à la vente. Cette action doit être accompagnée de la
création de coopératives qui permettraient de valoriser cette production et d'être des intermédiaires
crédibles vis-à-vis du commerce.
Il faut en outre réfléchir aux formes de culture, lesquelles doivent être adaptées au climat, à la
géographie et à la demande. L'avantage énorme dont bénéficie la Polynésie française, au moins sur
les îles hautes, est cette capacité qu'a la terre de faire germer et pousser à peu près tout végétal
capable de supporter un climat chaud et humide. Pour autant, il ne faut pas renouveler l'expérience
malheureuse du Miconia, introduit en 1937 et qui fait partie des 57 espèces invasives recensées en
20086
. L'étroitesse des zones côtières cultivables, si l'on s'y restreint, doit faire réfléchir à des modes
de culture alternatifs tels que la permaculture, particulièrement bien adaptée aux petites surfaces et
qui permet d'associer de façon harmonieuse productivité et respect de la nature. Si cette culture peut
se révéler des plus efficaces sur les îles hautes, aux terres riches, la culture hydroponique, elle, est
particulièrement bien adaptée aux îles basses, dont les sols sont pauvres et où l'eau est une ressource
rare.
Ces quelques axes peuvent permettre une exploitation harmonieuse et efficace de la terre, gage d'un
gain important en termes d'autosuffisance.
Le défi du tourisme : pour un saut qualitatif.
La Polynésie française pâtit d'un handicap majeur : la distance. En conséquence, qui vient jusqu'ici,
ne vient pas par hasard. Il faut donc miser sur un tourisme certes diversifié pour satisfaire la
clientèle locale ou régionale mais surtout tourné vers l'exclusivité, afin de rivaliser avec d'autres
destinations paradisiaques. L'accueil doit être personnalisé; le visiteur doit se sentir unique et
bénéficier d'un service de haute qualité. Il vient de loin et paie très cher pour cela ; il est donc en
droit d'être exigeant.
La qualité de l'accueil passe aussi par la qualité des lieux d'accueil. La conception des hôtels doit
absolument conserver ce caractère polynésien si typique, fait d'espaces ouverts, de lumière et de
matériaux nobles. Mais il faut développer de petites structures, dans lesquelles les visiteurs se
sentent comme dans la maison d'un ami. Et cela doit être entretenu avec le plus grand soin car rien
n'est plus décevant qu'un cadre de caractère, enchanteur, mais dont la maintenance est mal assurée.
Pour cela, deux prérequis sont indispensables : d'une part concevoir des hôtels faciles à entretenir,
c'est-à-dire dont les gammes de produits et d'équipements sont le plus possible compatibles et
interchangeables ; d'autre part former de bons maintenanciers, capables de planifier et d'effectuer les
entretiens préventifs, capables de réparer plus que de remplacer et capables de gérer des
commandes, en anticipant les délais d'approvisionnement qui sont très dirimants.
Il faut aussi envisager le développement d'un tourisme tourné vers la montagne, autre écrin
insoupçonné des îles hautes, lesquelles offrent des paysages époustouflants mais tellement mal mis
en valeur.
Le touriste exigeant veut aussi découvrir la culture locale ; il veut toucher du doigt, sentir les
parfums, goûter les mets et écouter les musiciens et les chanteurs. S'il vient d'aussi loin, ce n'est pas
pour être enfermé pendant sept jours dans son hôtel ou dans la cabine de son paquebot. En
conséquence, il est indispensable de revoir de fond en comble la politique d'ouverture des boutiques
6 http://www.hear.org/pier/index.html
et du marché de Papeete. Les boutiques du front de mer, celles qui voisinent avec le quai des
paquebots doivent être ouvertes en continu, avec des amplitudes horaires importantes, a minima
pendant les escales des grands paquebots. Comment faire découvrir sa culture, son artisanat, ses
produits d'excellence si les échoppes n'ouvrent pas pour accueillir les visiteurs pendant leur court
passage ? Il y a certes toute une organisation du travail à repenser mais c'est un préalable
indispensable.
Le défi du numérique : faire de la Polynésie un prestataire de service.
La Polynésie française ne peut pas passer à côté de la révolution numérique. C'est un outil
formidable pour dépasser son isolement, pouvoir entrer en contact avec le reste du monde et
développer une activité.
Il convient tout d'abord d'ouvrir le mieux possible l'accès à l'internet haut débit et aux services
associés aux Polynésiens, afin de gommer les solutions de continuité physiques.
Au-delà de la rupture de l'isolement, l'objectif est de faire de l'internet un véritable outil de travail
en développant le télétravail, ce qui permettrait de créer de l'activité dans les atolls. Cela éviterait
également une partie des déplacements pendulaires à travers l'île de Tahiti.
Au-delà de cet objectif « domestique », il faut faire de Tahiti un véritable hub numérique au milieu
du Pacifique, entre l'Amérique et l'Asie, capable de fournir des services à distance. Le décalage
horaire de douze heures avec l'Europe doit passer du statut de handicap à celui d'avantage. En effet,
quel meilleur gain de productivité que de pouvoir bénéficier de la réalisation d'un service en temps
masqué ? Les Polynésiens ont un sens artistique affirmé. Il faut donc l'associer au numérique et
profiter du développement international du Building information management pour faire de la
Polynésie française un fournisseur de services de traitement de données graphiques, ce qui implique
de développer la formation en la matière et de continuer à faire progresser les installations
techniques de courant fort et faible en fiabilité et robustesse.
Le défi numérique est le dernier de la liste car il nécessite plusieurs prérequis. Pour autant, c'est
peut-être celui qui présente le plus de potentialités, car il y a tant à imaginer en la matière.
Les défis présentés supra ne prétendent pas à l'exhaustivité, loin de là. De nombreux sujets sont
passés sous silence à dessein, car trop souvent débattus sans réel intérêt. Ces défis visent
simplement à engager des questionnements pragmatiques sur des possibles pour la Polynésie
française, dont les habitants ont tellement besoin d'être réenchantés, échaudés par des lustres de
discours et de projets morts dans l’œuf. Ce ne sont pas des promesses mais des idées dont ils
doivent s'emparer car rien, absolument rien, de ce qui est envisagé dans les lignes qui précèdent ne
se fera sans leur énergie et une ferme volonté d'aller de l'avant, pour construire la Polynésie de
demain, « arbre de vie », enracinée dans ses traditions mais tendant fièrement ses branches vers un
avenir confiant, modèle pour l'Océanie.

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10 défis pour la Polynésie française

  • 1. 10 défis pour la Polynésie française 07/11/2017 Quelques informations sorties ces dernières semaines, a priori sans lien entre elles, invitent à la réflexion sur l'avenir de la Polynésie française : un discours du Président de la République en Guyane française, l'installation d'une première hydrolienne au large des Côtes d'Armor et l'arrivée prochaine d'une troisième compagnie aérienne sur le trajet Paris-Papeete via San Francisco. La Polynésie française est regardée par ses voisins, qu'ils appartiennent au Commonwealth ou qu'ils soient des micro-Etats du Pacifique. Elle doit à l'avenir être citée en exemple pour son développement concret et non comme pleureuse à la tribune des Nations Unies, ce qui est sans doute romanesque mais fondamentalement inefficace. A ce titre, dix défis majeurs se présentent, qu'elle doit relever pour entrer dans le XXIe siècle en pointe. La Polynésie française dispose d’indéniables atouts comme autant de réussites en devenir et qui n'attendent qu'un coup pouce pour éclore et faire de ce pays un exemple pour toute une région. Il ne s'agit pas de tirer des plans sur la comète mais de réfléchir à changer les choses, pour aboutir à des projets concrets au profit de la population. Relever ces défis, c'est assurer un avenir aux Polynésiens, au-delà de la culture de la rente et du « mythe du cargo ». Ces défis sont les suivants : la gouvernance, l'éducation, la santé, l'environnement, le logement, l'énergie, l'aménagement du territoire, l'agriculture, le tourisme et le numérique. Le défi de la gouvernance : développer l'approche ascendante. Le mot est souvent galvaudé et servi à tout bout de champ pour qualifier les modes de gestion d'un État, d'une collectivité ou d'une entreprise. Dans le cas de la Polynésie française, il s'agit d'un sujet de premier plan. En effet, les relais actifs et représentatifs de la société civile (associations caritatives, cultuelles, culturelles ou sportives, comités de quartier), particulièrement nombreux, doivent profiter de leur maillage pour prendre l'avenir de la population polynésienne en main, en recourant à l'approche ascendante (ou « bottom-up »), sur le modèle de ce que les habitants de Mexico réalisent1 . L'objectif est de proposer des projets concrets, simples et correspondant le mieux possible aux attentes et aux besoins quotidiens de la population d'un quartier ou d'une communauté. Ces projets peuvent être d'ordre social, culturel ou économique : construction d'un équipement sportif, création d'un potager communautaire sur une friche, aménagement urbain, installation d'un commerce de proximité, etc. Ce mode de fonctionnement, complémentaire de l'approche descendante (ou « top-down »), apporte une réelle plus-value en proposant des solutions que les élus et les organisations administratives mettraient beaucoup de temps à faire émerger et qui ne correspondraient pas forcément aux besoins effectifs des habitants. En outre, il est bien adapté à la mentalité polynésienne qui s'inscrit le concret et le temps court. En revanche, cette approche impose représentativité, organisation et recours à l'aide de spécialistes bénévoles ou acceptant une rémunération de principe (architectes, urbanistes, techniciens en génie civil ou bâtiment, informaticiens...), pour que des projets crédibles aient quelque chance de s'imposer, d'où la nécessité de s'appuyer sur des associations bien implantées. Le défi de l'éducation et de la formation : une indispensable adaptation aux réalités locales. La population polynésienne connaît un taux de chômage des jeunes très important et pourtant toutes les offres d'emploi ne trouvent pas preneur !2 C'est notamment le cas des offres imposant un diplôme, quel qu'en soit le niveau. Il convient donc de réorienter l'enseignement et la formation sur les secteurs qui recrutent et de développer l'apprentissage, qui garantit à l'employeur un salarié déjà expérimenté lorsqu'il arrive sur le marché du travail après son diplôme. 1 Anne Durand, « Quand Mexico éclaire la mutabilité urbaine » , Métropolitiques, 25 septembre 2017. URL : http://www.metropolitiques.eu/Quand-Mexico-eclaire-la-mutabilite.html. 2 http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-bmo/bmo-2016-tous-secteurs.pdf?sfvrsn=10
  • 2. Par ailleurs, il est nécessaire de former de futurs jeunes entrepreneurs, qui créeront la richesse de demain, dans des activités qui n'existent peut-être pas encore. Il est donc indispensable de développer des formations localement, afin d'éviter que les jeunes Polynésiens disposés et aptes à faire des études, ne quittent le territoire pour ne plus y revenir et de fait participent à l'appauvrissement du vivier des futures élites. Il est également nécessaire de former des jeunes aux nouvelles technologies, à la fois comme outil mais aussi comme activité principale. Pourquoi en effet ne pas imaginer une Polynésie française comme nouveau réservoir de services numériques pour l'Europe ou le Pacifique, en faisant de sa double culture, océanienne et européenne, et de son décalage horaire deux atouts pour travailler en temps masqué ? En complément de la formation professionnelle, et peut-être avant tout, il est nécessaire de former les jeunes gens sur les sujets qui les touchent directement. Tout d'abord l'éducation à la santé et en premier lieu à une bonne alimentation, afin d'inverser cette tendance mortifère, ce suicide collectif à base de sucre et de graisse. L'obésité n'est pas une fatalité ; il faut juste apprendre à la combattre par les bons gestes, et ce dès le plus jeune âge. Cela va de pair avec l'éducation face aux dépendances, qui doit être vigoureuse. Il est aussi indispensable d'éduquer les jeunes à cette culture dont ils sont les dépositaires, afin d'en faire une force, non seulement pour attirer des touristes mais aussi et surtout comme foyer de la culture du triangle polynésien, faisant de l'université de la Polynésie française un centre de recherche et d'enseignement majeur en matière de culture océanienne au sens le plus large du terme. Enfin, il est nécessaire de professionnaliser l'accueil. La gentillesse ne fait pas tout ; recevoir les touristes, les investisseurs ou les universitaires est un vrai métier : s'il faut faire découvrir sa culture, il faut également savoir s'adapter à celle de ses hôtes, connaître leur langue, leurs modes de vie, les erreurs à ne pas commettre. Ce défi est essentiel car tout passe par l'éducation des jeunes générations, les plus à même de faire évoluer ensuite les choses si elles ont été bien formées. Le défi de la santé : sortir des addictions. Il a été sommairement abondé dans la thématique précédente mais mérite un vrai développement. En la matière, la Polynésie française souffre de trois maux profonds, l'obésité, l'alcoolisme et la consommation de stupéfiants. Sept Polynésiens sur dix sont en surpoids et quatre sur dix sont obèses. Un enfant sur trois en est atteint. C'est certes le mal des sociétés modernes mais la Polynésie en fait particulièrement les frais. Pour les individus touchés et leur famille, ce sont des existences compliquées au quotidien, des fin de vie précoces et abrégées par la maladie, le recours à des traitements médicamenteux lourds et des séjours fréquents à l'hôpital. Une étude3 montre par ailleurs que 30 % de la population connaît une dépendance à l'alcool et 41 % connaît des épisodes d'ivresse, avec les problèmes sociaux afférents : désocialisation, violences conjugale et familiale et troubles à l'ordre public. Selon une enquête de 2016, 30% des jeunes en âge scolaire interrogés ont déjà consommés de la drogue, 29% ont consommé du « paka », le cannabis local, au moins une fois et, encore plus grave, 3 % ont déclaré avoir consommé de l' « ice », cette drogue de synthèse née au Japon dans les années 1920, au moins une fois. Ces trois fléaux, qui ne touchent pas que la Polynésie française, sont ici renforcés par les particularités culturelle, géographique et sociale suivantes : les Polynésiens aiment faire la fête et celle-ci ne se conçoit pas sans nourriture et sans alcool ; par ailleurs, le fait d'habiter sur une île peut créer une sorte de fièvre obsidionale et le sentiment de tourner en rond ; enfin, un taux de chômage élevé et l'absence de perspectives pour nombre de jeunes Polynésiens les poussent vers les paradis artificiels. Ces trois maux ont des conséquences sanitaires, sociales et économiques lourdes. Des actions 3 http://fulltext.bdsp.ehesp.fr/Invs/BEH/2009/48-50/1.pdf
  • 3. concrètes existent : interdiction de vente d'alcool les fins de semaine, campagnes dans les media. Elles doivent être accrues et passer par des messages clairs à l'école, dès le plus jeune âge, afin d'espérer inverser le mouvement dans une génération. Le sport, pourtant si important dans la culture polynésienne, doit être davantage valorisé. Parallèlement à ces actions de prévention, il faut sanctionner beaucoup plus gravement les contrevenants et réfléchir à l'application des peines : sous réserve de non-dangerosité, n'est-il pas plus utile pour le condamné et la société de lui faire effectuer des travaux d'intérêt général, associés à une sérieuse action de réinsertion, plutôt que de le placer entre quatre murs, au risque d'accroître son mal-être et d'en faire un plus grand danger pour la société et pour lui -même ? Mais il faut aussi intervenir sur les causes, au premier rang desquelles un désenchantement généralisé. C'est l'objet de la présentation de ces dix défis. Le défi de l'environnement : protéger une ressource exceptionnelle. Les Polynésiens vivent dans un environnement grandiose. Si leur mode de vie traditionnel leur permettait de concilier subsistance et préservation des ressources tant halieutiques, marines plus généralement, que végétales, le mode de vie apporté par les Européens puis les Américains, fondé sur une surconsommation de produits importés vient percuter violemment l'environnement. A titre d'exemple, très nombreux sont les lagons à receler des coraux morts ; il n'est qu'à faire quelques séances de vaa'a, cette pirogue traditionnelle à balancier, pour se rendre compte de la qualité de l'eau : dans cette étendue marine relativement fermée, ne bénéficiant pas autant que la mer libre d'un phénomène de chasse d'eau, les pollutions liquides stagnent et les déchets s'accumulent. Il est donc nécessaire de passer la vitesse supérieure sur trois chantiers : l'éducation à l'environnement, le développement d'une véritable « filière déchets » et surtout la mise en place d'un corpus légal et réglementaire incitatif et répressif. L'éducation à l'environnement. Des actions existent déjà : défis écologiques dans les écoles, campagnes dans les media ou actions concrètes de terrain des associations. Il faut les poursuivre et surtout les approfondir, afin qu'elles perdent ce statut de gadget et engagent la population, principalement les jeunes, à agir, non pas dans un cadre espace-temps ponctuel mais permanent. Il s'agit de sensibiliser tout un chacun sur la nécessité à se prendre en main pour protéger la santé, garantir le cadre de vie des générations futures et en faire un atout notamment pour attirer les visiteurs mais plus largement de développement économique et social. Des actions simples et concrètes peuvent être entreprises : limiter l'usage de produits jetables, trier vraiment ses déchets, faire du compost, économiser les ressources, ramasser ses déchets... Le développement d'une filière déchets. Il est souvent aisé de botter en touche sur le sujet, en arguant de l'étroitesse des territoires et surtout de l'éloignement. Il s'agit avant tout d'acquérir un nouvel état d'esprit et faire de cet éloignement le point de départ d'un changement de paradigme : la lecture d'une carte du Pacifique permet en un clin d’œil de tirer la conclusion que la Polynésie française est vraiment au centre d'une vaste, très vaste étendue d'eau et que les distances entre les îles de la Polynésie se comptent en centaines de kilomètres et avec le reste du monde en milliers de kilomètres. C'est donc justement parce que l'on est loin qu'il faut développer les principes d'une économie circulaire pour diminuer cette dépendance à l'extérieur et cela passe notamment par le développement d'une filière de tri et de traitement des déchets et de recherche systématique de recyclage. Il est certes sympathique d'entendre à la radio ces campagnes sur la réutilisation du verre en matériau concassé pour le bâtiment et les travaux publics mais il est tellement dommage de le cantonner à cette utilisation alors que le verre est par excellence un matériau recyclable à l'infini ! Développement d'un corpus légal et réglementaire. Il est indispensable de développer des mesures incitant les changements de comportement et sanctionnant lourdement les contrevenants sur les rejets d'effluents, les dépôts d'ordures sauvages et le traitement des déchets. Il est ainsi vain de mener des combats retardateurs juridiques favorisant systématiquement l'export des déchets, alors que des moyens techniques éprouvés permettent d'en traiter une grande partie sur place. En synthèse, ce défi de l'environnement doit être relevé car il est gage de préservation d'un
  • 4. écosystème époustouflant, de protection de l'avenir des enfants de la Polynésie et riche de nombreuses perspectives de développement économique direct ou indirect. Le défi du logement : pour un habitat plus adapté. Mi-septembre 2017, se tenaient à Papeete les assises du logement social, organisées par la centrale syndicale Atia i mua. Rien de transcendant n'en est sorti, ce n'était pas le but, mais cela a permis, s'il en était besoin, de rappeler la prégnance de la question du logement en Polynésie française. Beaucoup de familles, par manque de moyens et aussi de logements disponibles, cohabitent à plusieurs générations dans des logements exigus et au confort minimaliste, quelquefois dans des conditions d'habitat précaire. Parallèlement, de nombreux logements vacants, résultat d'années de dispositifs de défiscalisation, se dégradent. Par ailleurs, comme souvent en Polynésie, la question de la disponibilité du foncier se pose. Enfin, il apparaît difficile à nombre de Polynésiens aux revenus modestes de loger dans des immeubles sans lopins de terre attenants. Ces postulats, non exhaustifs, méritent des réponses. Elles ne peuvent sortir du chapeau mais il y a des pistes de réflexion. Il conviendrait tout d'abord de proposer des incitations aux propriétaires fonciers, notamment institutionnels, pour mettre à disposition des terrains constructibles. Cette mesure devrait être suivie par une réforme en profondeur du droit foncier, de manière à sortir par le haut de la plaie de l'indivision. Il faut également réfléchir aux dispositifs légaux et réglementaires d'incitation et de coercition pour permettre la remise en l'état, l'entretien et l'usage des logements vacants, en tenant compte autant des intérêts des propriétaires que des futurs locataires. Dans le même ordre d'idée, la reconversion de tous ces hôtels fermés doit être étudiée. Parallèlement, il faudrait revoir les plans de prévention des risques, de manière à proposer des dispositions constructives pragmatiques et éprouvées pour les terrains classés dogmatiquement non constructibles. Par définition, le foncier est rare en Polynésie, il faut donc faire preuve d'imagination. Ensuite, il convient d'attirer les spécialistes de la construction modulaire, afin qu'ils proposent des modules de logement adaptés aux contraintes locales de coût et paracycloniques, capables de répondre rapidement à une forte demande. Enfin, l'habitat social doit être conçu avec des jardinets, pour répondre au besoin légitime des Polynésiens de cultiver un lopin de terre, source de subsistance, éventuellement de revenus mais surtout de satisfaction. Beaucoup de chantiers à mettre en route, donc, dont certains dépendent d'une volonté politique, laquelle doit être aiguillonnée par les relais dans la population, suivant cette logique ascendante présentée dans le paragraphe consacré à la gouvernance. Le défi de l'énergie : profiter des potentialités offertes par la nature. Même si le fournisseur monopolistique annonce avec fierté que l'électricité en Polynésie française est l'une des moins chères du Pacifique et qu'il offre la meilleure performance technique4 , il y a beaucoup à faire pour en réduire le coût et l'empreinte carbone. L'énergie solaire photovoltaïque se développe avec difficulté, compte tenu de contraintes réglementaires et techniques, notamment liées à la réinjection dans le réseau. Pour autant, il ne s'agit pas de la panacée universelle. En effet, le coût global en est élevé, si l'on prend en compte le coût de fabrication (énergies grises), celui de retraitement des panneaux en fin de vie et si l'on met de côté un modèle économique faussé par les subventions. En revanche, la Polynésie française dispose de deux ressources inexploitées en matière d 'énergie : le vent et la mer. Il y a donc d'immenses possibilités autour de ces deux ressources, que ce soit l'éolien, l'hydrolien, l'énergie thermique des mers ou encore l'énergie créée par la houle. Ces 4 http://www.edt.pf/communique-de-presse-electricite-la-polynesie-tres-bien-placee-parmi-ses-voisins-du-pacifique/
  • 5. procédés nécessitent certes de lourds investissements mais on ne part pas de rien ; de nombreuses études et prototypes ont déjà été conduits ailleurs5 mais ils doivent être envisagés également en Polynésie française. La problématique de l'énergie passe aussi par celle des économies : il faut donc éduquer et communiquer largement sur la nécessité de consommer cette denrée rare avec parcimonie et construire en bannissant le tout-climatisé. La construction bio-climatique n'est pas un vain mot ! Cela commence par l'orientation des bâtiments, pour bénéficier du rafraîchissement des vents dominants. Il est par exemple inacceptable de voir sortir de terre des immeubles sans protections solaires, cela pour faire des économies de bouts de chandelles. De même, les protections végétales sont aussi un bon moyen de faire diminuer la température dans les bâtiments. Ces notions appartiennent à la construction vernaculaire, il est indispensable de les remettre à l'ordre du jour. Le défi de l'aménagement du territoire : se défaire du règne automobile. L’île de Tahiti souffre de deux maux. Le premier est hérité de l'histoire de comptoir de Papeete. L'activité s'y est agglomérée comme autant d'excroissances autour du port ; outre Papeete, les villes de Faa'a, Pirae et Arue regroupent sur quelques kilomètres-carrés l'essentiel de l'activité de l'île. Le second est le goût immodéré des Tahitiens pour les gros pick-up, héritage d'une proximité sinon culturelle, du moins géographique avec Hawaï et la côte ouest des États-Unis. D'où des transhumances pendulaires entre les différentes villes côtières et le « Grand-Papeete », des encombrements monstres le matin et le soir et une pollution dévorante. Le déséquilibre économique, un défaut flagrant de transports en commun et la géographie de l'île volcanique en font un cocktail détonnant. Trois axes d'efforts permettraient de sortir de cette situation infernale :  développer une vraie politique volontariste destinée à développer des pôles alternatifs d'activité : Mahina, Paea-Papara, Taravao, afin de créer de l'activité là où une bonne partie de la population vit ;  construire un vrai réseau de transport collectif efficace, qu'il soit routier, de cabotage maritime ou pourquoi pas téléphérique ;  travailler sur l'aménagement urbain et suburbain pour le rendre vélo- et piéton-compatible et inciter les usagers à effectuer de petits déplacements en sécurité en vélo ou à pieds, y compris pour les parents avec une poussette. Ce dernier aspect va de pair avec une révision complète des modes de stationnement ; combien de trottoirs transformés en places de stationnement, imposant aux piétons de descendre sur la chaussée pour poursuivre leur marche ? Enfin, comme partout où l'espace est rare, il convient de mener une vraie réflexion sur l'urbanisme souterrain, gage de gain de place et de sécurité dans une zone cyclonique. Le défi de l'agriculture : profiter d'une nature généreuse. S'il est bien un sujet qui intéresse les Polynésiens, c'est celui du rapport à la terre. Il est ainsi difficile de proposer un logement sans jardin à un Polynésien, qui se sent coupé de ses racines. Pourtant, la surprise est grande de constater, alors que la nature est exubérante et que tout semble y pousser, que les étals des supermarchés et autres épiceries sont pleins de fruits et légumes importés ! Plusieurs raisons sont invoquées : la première est justement qu'une nature nourricière ne pousse pas à la culture. La deuxième est la rareté des sols. La troisième est leur pollution. Certes. Pourtant, malgré ces trois raisons, il est quand même dommage que ce pays, qui présente des conditions de culture idéales soit obligé d'importer des fruits et des légumes. Dans les îles hautes, il est étonnant de constater que seule une part très réduite de la terre disponible 5 Pour l'hydrolien, les projets de Groix et Belle-île ; pour l'énergie thermique des mers, projets développés par Naval Energies en Martinique et à la Réunion ; pour la houle, la technologie CETO qui sera utilisée par EDF pour un projet à la Réunion
  • 6. est exploitée ; est-ce la faute à un système foncier qui fait de l'indivision la règle, aboutissant à des situations kafkaïennes, où un lopin de quelques mètres carrés est possédé par 25 individus ? La difficulté d'accès et de mise en valeur est aussi évoquée mais cet argument ne tient pas, il n'est qu'à prendre en comparaison les terrasses rizicoles du sud-est asiatique. Plusieurs actions sont à mener. La première est sans doute une réforme copernicienne du droit de la terre, afin de sortir de ces situations de blocage, inciter les mises en valeur et permettre à ceux qui veulent exploiter la terre de le pouvoir. Il faut également que les collectivités mettent à disposition des habitants des parcelles inexploitées, afin que ceux qui n'ont pas la chance de posséder un lopin puissent y cultiver de quoi faire vivre leur famille et en tirer un surplus, destiné à la vente. Cette action doit être accompagnée de la création de coopératives qui permettraient de valoriser cette production et d'être des intermédiaires crédibles vis-à-vis du commerce. Il faut en outre réfléchir aux formes de culture, lesquelles doivent être adaptées au climat, à la géographie et à la demande. L'avantage énorme dont bénéficie la Polynésie française, au moins sur les îles hautes, est cette capacité qu'a la terre de faire germer et pousser à peu près tout végétal capable de supporter un climat chaud et humide. Pour autant, il ne faut pas renouveler l'expérience malheureuse du Miconia, introduit en 1937 et qui fait partie des 57 espèces invasives recensées en 20086 . L'étroitesse des zones côtières cultivables, si l'on s'y restreint, doit faire réfléchir à des modes de culture alternatifs tels que la permaculture, particulièrement bien adaptée aux petites surfaces et qui permet d'associer de façon harmonieuse productivité et respect de la nature. Si cette culture peut se révéler des plus efficaces sur les îles hautes, aux terres riches, la culture hydroponique, elle, est particulièrement bien adaptée aux îles basses, dont les sols sont pauvres et où l'eau est une ressource rare. Ces quelques axes peuvent permettre une exploitation harmonieuse et efficace de la terre, gage d'un gain important en termes d'autosuffisance. Le défi du tourisme : pour un saut qualitatif. La Polynésie française pâtit d'un handicap majeur : la distance. En conséquence, qui vient jusqu'ici, ne vient pas par hasard. Il faut donc miser sur un tourisme certes diversifié pour satisfaire la clientèle locale ou régionale mais surtout tourné vers l'exclusivité, afin de rivaliser avec d'autres destinations paradisiaques. L'accueil doit être personnalisé; le visiteur doit se sentir unique et bénéficier d'un service de haute qualité. Il vient de loin et paie très cher pour cela ; il est donc en droit d'être exigeant. La qualité de l'accueil passe aussi par la qualité des lieux d'accueil. La conception des hôtels doit absolument conserver ce caractère polynésien si typique, fait d'espaces ouverts, de lumière et de matériaux nobles. Mais il faut développer de petites structures, dans lesquelles les visiteurs se sentent comme dans la maison d'un ami. Et cela doit être entretenu avec le plus grand soin car rien n'est plus décevant qu'un cadre de caractère, enchanteur, mais dont la maintenance est mal assurée. Pour cela, deux prérequis sont indispensables : d'une part concevoir des hôtels faciles à entretenir, c'est-à-dire dont les gammes de produits et d'équipements sont le plus possible compatibles et interchangeables ; d'autre part former de bons maintenanciers, capables de planifier et d'effectuer les entretiens préventifs, capables de réparer plus que de remplacer et capables de gérer des commandes, en anticipant les délais d'approvisionnement qui sont très dirimants. Il faut aussi envisager le développement d'un tourisme tourné vers la montagne, autre écrin insoupçonné des îles hautes, lesquelles offrent des paysages époustouflants mais tellement mal mis en valeur. Le touriste exigeant veut aussi découvrir la culture locale ; il veut toucher du doigt, sentir les parfums, goûter les mets et écouter les musiciens et les chanteurs. S'il vient d'aussi loin, ce n'est pas pour être enfermé pendant sept jours dans son hôtel ou dans la cabine de son paquebot. En conséquence, il est indispensable de revoir de fond en comble la politique d'ouverture des boutiques 6 http://www.hear.org/pier/index.html
  • 7. et du marché de Papeete. Les boutiques du front de mer, celles qui voisinent avec le quai des paquebots doivent être ouvertes en continu, avec des amplitudes horaires importantes, a minima pendant les escales des grands paquebots. Comment faire découvrir sa culture, son artisanat, ses produits d'excellence si les échoppes n'ouvrent pas pour accueillir les visiteurs pendant leur court passage ? Il y a certes toute une organisation du travail à repenser mais c'est un préalable indispensable. Le défi du numérique : faire de la Polynésie un prestataire de service. La Polynésie française ne peut pas passer à côté de la révolution numérique. C'est un outil formidable pour dépasser son isolement, pouvoir entrer en contact avec le reste du monde et développer une activité. Il convient tout d'abord d'ouvrir le mieux possible l'accès à l'internet haut débit et aux services associés aux Polynésiens, afin de gommer les solutions de continuité physiques. Au-delà de la rupture de l'isolement, l'objectif est de faire de l'internet un véritable outil de travail en développant le télétravail, ce qui permettrait de créer de l'activité dans les atolls. Cela éviterait également une partie des déplacements pendulaires à travers l'île de Tahiti. Au-delà de cet objectif « domestique », il faut faire de Tahiti un véritable hub numérique au milieu du Pacifique, entre l'Amérique et l'Asie, capable de fournir des services à distance. Le décalage horaire de douze heures avec l'Europe doit passer du statut de handicap à celui d'avantage. En effet, quel meilleur gain de productivité que de pouvoir bénéficier de la réalisation d'un service en temps masqué ? Les Polynésiens ont un sens artistique affirmé. Il faut donc l'associer au numérique et profiter du développement international du Building information management pour faire de la Polynésie française un fournisseur de services de traitement de données graphiques, ce qui implique de développer la formation en la matière et de continuer à faire progresser les installations techniques de courant fort et faible en fiabilité et robustesse. Le défi numérique est le dernier de la liste car il nécessite plusieurs prérequis. Pour autant, c'est peut-être celui qui présente le plus de potentialités, car il y a tant à imaginer en la matière. Les défis présentés supra ne prétendent pas à l'exhaustivité, loin de là. De nombreux sujets sont passés sous silence à dessein, car trop souvent débattus sans réel intérêt. Ces défis visent simplement à engager des questionnements pragmatiques sur des possibles pour la Polynésie française, dont les habitants ont tellement besoin d'être réenchantés, échaudés par des lustres de discours et de projets morts dans l’œuf. Ce ne sont pas des promesses mais des idées dont ils doivent s'emparer car rien, absolument rien, de ce qui est envisagé dans les lignes qui précèdent ne se fera sans leur énergie et une ferme volonté d'aller de l'avant, pour construire la Polynésie de demain, « arbre de vie », enracinée dans ses traditions mais tendant fièrement ses branches vers un avenir confiant, modèle pour l'Océanie.