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“ CHAPITRE III
Vers une épuration de l’art
1- Les bases de l’épuration au
début du XXème siècle
- Le retour aux sources
- La primauté de l’expression dans l’art
- Vers l’épuration de la forme
- Naissance du cubisme
105
Chapitre III
Vers une épuration de l’art
Durant son évolution millénaire, l’art n’a cessé progressivement de se libérer
de ses chaînes qui l’ont soumis aux dogmes religieux et étatiques; en même
temps, il n’a cessé d’épurer les conceptions, les formes et les goûts. On a
remarqué, avec l’histoire de l’art, que chaque âge s’est caractérisé par une
force vitale qui a fait activer l’art et l’épanouir, tout en raffinant le goût des
hommes.
Dans ce contexte, on ne peut pas parler de la Préhistoire qui a provoqué
la naissance de la culture au sein de la Nature, sans nous pencher à cette
soumission de l’homme aux forces de la nature. On ne peut pas parler
de l’Antiquité, aussi, sans étudier profondément le polythéisme avec sa
grande profusion de mythes et ses conceptions mythico-rituelles qui se
sont manifestées dans les formes d’art de cette époque fabuleuse, tout en
secrétant l’imaginaire des peuples, à tel point que tout cet amalgame confus
continue à enrichir notre subconscient collectif de ses formes fantastiques
réalisées par les artistes de l’Antiquité, ce grand âge de l’humanité qui a vu
naître la civilisation et la plupart de ses concepts.
On ne peut pas, également, examiner l’art médiéval, sans ressentir cette
ferveur religieuse qui a entouré le Christianisme et l’Islam, et qui a produit
tant de trésors universels, en Orient comme en Occident, tout en provocant,
malheureusement, des conflits, des ruptures et des guerres sanglantes, au
nom de Dieu.
106
Cette époque, riche en migrations et en invasions, dominée par la conception
islamique, a connu une symbiose culturelle tournant autour du spirituel, un
brassage de connaissances, de philosophies et de sciences sans précédent.
Malgré sa soumission aux empereurs byzantins, aux califes et aux Sultans
musulmans, aux seigneurs et aux rois de l’Europe occidentale, l’art a pu se
démarquer par l’expression spirituelle hautement élevée, par sa grande
diversité selon les régions, ainsi que par sa classification en formes d’art,
développée surtout par les artistes musulmans.
L’époque moderne, inaugurée par la Renaissance, est connue par ses deux
faces antagoniques. On ne peut pas parler de la Renaissance sans souligner
cette soif de libération et cette émancipation de l’esprit qui ont tendu vers le
scepticisme et le rationnel, sans souligner, aussi cet humanisme encouragé
par les princes de l’Italie.
Mais aussi, et on en parle peu, on ne doit pas oublier, que dès cette époque,
l’impérialisme moderne est inauguré dans l’histoire honteuse  de l’Europe,
par le génocide, le carnage des peuples innocents, la traite des esclaves et la
colonisation du monde, sous le prétexte hypocrite d’explorer les continents,
puis de civiliser les « barbares », comme si ces horreurs commises entrent
dans la civilisation, comme si la convoitise des empires impériaux et le vol
des grands trésors des peuples massacrés entrent aussi dans la civilisation.
Ainsi, la Renaissance dans son sens humaniste, n’a été épanouie qu’en Italie,
tout en embrasant par ses feux les Flandres et l’Allemagne, c’est-à-dire des
pays voués au commerce et aux échanges culturels, et qui cherchent encore
leur autonomie nationale. Les empires coloniaux ont récupéré les feux de
cette Renaissance, pour faire rayonner leur prestige, quant à la libération
qu’appelle l’humanisme, ils l’ont déviée à leur service, pour l’éteindre
finalement, avec le classicisme. Ce n’est qu’avec la révolution romantique
que l’autonomie culturelle commence à s’acquérir de nouveau, avec des
points de vue différents, selon les pays européens.
107
Héritant du baroque l’expression fougueuse de Rubens, la spiritualité
profonde de Rembrandt, et cette imagination fantastique médiévale épurée
par Bosch et Dürer, les romantiques s’ouvrent à la sensibilité dans tous
ses états, à l’imagination foisonnante, et à la quête de l’âme ; toutes les
divergences y sont abordées dans cette recherche qui s’épure, tendant vers
le senti, au détriment de la raison et de ses règles.
Réagissant aussi contre les règles classiques, mais en s’opposant à la
sensibilité romantique, le réalisme est né. Voulant exprimer la réalité telle
qu’elle est, tout en mettant à nu la misère du peuple, le réalisme va tendre
vers l’épuration de cette réalité concrète, optant parfois pour la rigueur
du style et la description minutieue des détails, surtout dans le roman qui
atteint son apogée à la fin du XIX° siècle. Dans la peinture, c’est le paysage
champêtre qui se met en évidence.
Toutefois, cette réalité concrète est perçue différemment par les artistes
réalistes. Déjà Constable et Turner, puis Millet et Corot reproduisent la
réalité, non pas telle qu’ils la voient, mais telle qu’ils la sentent, ils seront
les précurseurs de l’impressionnisme qui opte pour la peinture du plein
air. Avec la naissance de la photographie qui prend sous sa responsabilité
certains rôles confiés depuis jadis à la peinture, comme le portrait fidèle,
l’étude documentaire et l’événement historique, le peintre est condamné
à chercher une autre figuration, loin de l’exactitude, en se servant même
parfois de cet appareil magique.     
C’est ainsi que d’autres divergences s’élaborent, cernant surtout l’effet
plastique. Gagnant sa liberté totale au prix d’une marginalisation de la
part de la société, et trouvant dans la tragédie humaine une confusion qui
trouble sa vision, l’artiste s’éloigne progressivement des problèmes sociaux,
politiques ou idéologiques, pour ne s’occuper que des problèmes plastiques
auquels il doit trouver des solutions adéquates.
108
1- Les bases de l’épuration au début du XX° siècle :
Avec l’entrée des impressionnistes et des postimpressionnistes, à côté de
l’art nouveau, dans la grande Exposition Universelle de 1900, à Paris, tout
semblait entrer dans l’ordre. Rien ne permettait apparemment au public, ou
même à l’initié, de prédire qu’une époque tourmentée par ses contrastes
violents, joyeuse et désespérée à la fois, comme l’humanité trouble de son
dernier peintre de génie, Toulouse-Lautrec, jetait là ses derniers feux.
Une autre époque commençait, plus violente que la précédente, penchée
toutefois, vers la raison et la méthode. Elle commençait, justement, par
la simplification et la mise en ordre, engageant la culture et la civilisation.
Le retour aux sources :
Malgré les aspects disparates des événements qui se précipitent dans cette
ère nouvelle, plusieurs traits communs s’établissent durant les années
qui suivent, se distinguant par une grande curiosité pour les origines de la
connaissance, constituant ainsi des tendances : retour aux sources, primauté
de l’expression et de l’instinct, besoin de géométrisation et de construction,
volonté de puissance.
Ce retour aux sources locales, penché sur le folklore, que se soit en musique
ou en littérature, s’est accompagné des emprunts fragmentaires des arts
primitifs et des arts préhistoriques, des civilisations préhelléniques et
romanes, méconnus ou sous-estimés, comme si l’esprit européen, assourdi
par le vacarme machiniste, recule en arrière pour mieux comprendre le
monde et agir avec raisonnement.  
L’ethnographie s’est constituée en tant que science, et des érudits, à l’instar
de Winckelmann, se préoccupent, dans leurs études, à mettre en valeur
les aspects des cultures disparues, et à élargir le champ de l’histoire de
l’art. Dans les musées et les manuels, une place importante est donnée à
la sculpture primitive, à l’art barbare et naïf, supplantant la grande valeur
offerte aux arts classiques depuis le XVII° siècle.
109
Ce désir de réviser l’histoire touche aussi les mathématiciens et les
physiciens qui veulent, à travers les concepts et les notions traditionnels,
remonter aux bases des problèmes de la matière, de l’espace et du temps.
Avec les artistes et les écrivains, ils aboutissent à des conclusions semblables
: refus des apparences, négation de la réalité trompeuse qui se dérobe et
n’offre que le trouble.
Les produits primitifs amenés par les colons de l’Afrique noire et de
l’Océanie, ont fait pencher la recherche vers la découverte d’autres cultures,
plus expressives et plus spontanées, vers l’exploration du monde intérieur
dominé par les forces instinctives. Tandis que les psychologues, comme
Janet et Freud, commencent à consacrer à ce monde intérieur leurs travaux
scientifiques, les artistes se penchent sur le déchainement lyrique, voulant
s’exprimer avec une pureté retrouvée chez les primitifs et une force sauvage
libérée par les instincts et la passion de créer autrement : orgie de couleurs,
des costumes et des décors issue de l’Art nouveau, atmosphère sensuelle des
danses dans les ballets russes, emprunts fragmentaires de la musique noire
ou du folklore européen chez Dvorak, Debussy ou Strawinsky, déferlement
violent de la phrase littéraire, poésie affranchie de la ponctuation, retrouvant
sa fraicheur chez Apollinaire, le compagnon fidèle de la jeune peinture.
La primauté de l’expression dans l’art :
Deux tendances apparaissent en 1905, l’une en France, l’autre Allemagne,
les deux créant les premiers mouvements artistiques au XX° siècle. Il s’agit
du fauvisme et de l’expressionnisme.
Les deux mouvements prennent leur source apparente de l’Art nouveau,
ainsi que dans les aspects expressifs de l’œuvre de Van Gogh, et primitifs
de celle de Gauguin.
La nature des Germains tend vers l’expression. Dans le romantisme
allemand, on distingue cette primauté du tempérament germanique, violent
110
et rude, manifestée dans une représentation dramatique de la nature du
Nord austère et hostile, ainsi qu’une minutie acharnée dans le traitement
des formes, héritée de Dürer. Seulement, ce qui distingue l’expression-
nisme et le fauvisme, en même temps, c’est ce retour aux sources, vers le
primitivisme du Moyen-Age, et vers les arts des iles lointaines de l’Océanie.
Ce qui distingue maintenant l’expressionnisme du fauvisme, c’est « le
caractère transcendantal de l’expression gothique », qui se manifeste dans
l’art allemand, comme l’a analysé Wlhelm Worringer, dont la pensée va
jouer un rôle décisif dans l’évolution de ce mouvement, et la mise en valeur
d’une tradition enracinée dans la nature nordique. D’où cette tendance
à l’abstraction inquiète, agitée, qui caractérise l’évolution de l’art dans le
Nord de l’Europe.
Dans le primitivisme, l’élément exotique découvert par Gauguin, joue un
rôle important comme source d’inspiration dans les deux mouvements.
L’impact des arts primitifs est considérable sur la plupart des mouvements
d’avant-garde du XX° siècle, dans une époque épuisée déjà par un
machinisme troublant, orientée par la civilisation industrielle, mais assoiffée
d’une liberté jaillissante mal orientée après le romantisme.
Dans l’expressionnisme, les formes deviennent bizarres et fantastiques,
annonçant déjà le surréalisme et l’abstraction lyrique. Derrière le monde
apparent des êtres et des objets, traîne sa défiguration. Une vie spectrale et
inquiétante, prédisant les effroyables guerres à venir, règne dans un décor
hallucinant, où les formes émergent et se dissolvent, dans des éclaboussures
de couleurs criardes, dans une métamorphose grotesque.
Edward Munch et James Ensor, Ferdinand Hodler et Van Gogh sont possédés
d’un désir incessant de représenter « un réel dénaturé et rehaussé en
irréel». Au fond de l’expressionnisme, rôde la solitude, dont les artistes
ont fait un culte.
111
Ces artistes hantés par la mort, ont été les précurseurs de ce mouvement qui
s’exprime avec toute la sauvagerie de l’être. Le Norvégien Munch, toujours
malade, « hanté par l’idée de la mort, qui avait frappé tous les siens, (…)
exprimait son pessimisme dans des œuvres tragiques comme le Cri (1893)». 1
Van Gogh, l’épileptique, qui menait une vie pleine de tourments jusqu’à
son suicide tragique, nous a légué, pourtant, des œuvres éblouissantes de
lumière, mais expressives et torturées par ses phantasmes, appelant à la
tendresse humaine. James Ensor, cultivant l’insolite, s’est penché vers le
burlesque, mettant en scène des « bouffons masqués ou des squelettes
couverts d’oripeaux ». 2
Deux groupes d’artistes se sont distingués dans l’élaboration de ce
mouvement, Die Brücke (le pont) à Dresde, et Der Blaue Reiter (le Cavalier
Bleu) à Munich. Le premier groupe est connu entre autres, par Emile Nolde,
un « tempérament primitif que son amour de la sauvagerie a entrainé
jusqu’en Nouvelle Guinée et dont les œuvres montrent son goût des sim-
plifications brutales » 3
Le second groupe est orienté par le Russe Kandinsky, créateur du
mouvement abstrait, qui, avec son ouvrage « Du Spirituel dans l’art », a pu
discerner la «nécessité intérieure » propre à tout art.
En même temps que l’expressionnisme, le fauvisme est révélé à Paris par
son scandale manifesté au Salon d’automne de 1905. Il a donné l’impression
d’une irruption fauve dans le monde artistique, encore enivré par les
arabesques de l’Art nouveau.
Ce mouvement rassemble des groupes divers, unis par l’amitié et la
technique. Matisse, son chef de file, juxtapose les aplats de couleurs pures,
tendant vers un art d’équilibre, de pureté et de tranquillité. Mais Friez a su
concevoir une définition valable : « Donner l’équivalent de la lumière solaire
1  -  Op, cit.
2  -  Op,cit.
3  -  Op, cit.
112
par une technique faite d’orchestrations colorées. Transposition passionnelle
ayant pour point de départ, l’émotion sur nature, dont les vérités et les
théories s’édifièrent par des recherches ardentes et dans l’enthousiasme ».
Parmi les artistes fauves, on distingue surtout les deux autodidactes, André
Derain et Maurice de Vlaminck, qui traitent la couleur avec une violence
explosive, proche de l’expressionnisme. Mais l’œuvre de Georges Rouault,
qui semble être un dissiple de Toulouse-Lautrec, en tant que chantre de la
vie débridée, se distingue de celles des autres peintres par sa ligne grasse
et appuyée, sa couleur expressive et brutale, et ses personnages tragiques.
Comme Van Gogh, les peintres fauves aspirent à une couleur intense
pouvant traduire leur émotion. Ainsi, ils préfèrent les tons purs, forçant
les contrastes pour exalter l’expression. La plupart appliquent les couleurs
par grasses touches ou par larges bandes, à l’instar de Gauguin, avec une
frénésie sauvage. Dans l’art comme dans la façon de vivre, ils veulent renier
le passé avec ses lois établies, désirant s’affranchir des règles, en devenant
purs et naïfs, comme des sauvages, et reconstruire le monde selon leurs
désirs.
Ainsi, ils se sont détournés de leur culture, pour s’enivrer, comme Gauguin,
de l’art primitif, voulant retrouver la pureté de la couleur intense et la
simplicité de la vie fruste. En face du dandysme et du conformisme, ils
affichent une agressive liberté d’allure, vivant dans les milieux populaires et
les bistrots de Montmartre, ils tirent gloire de leur misère et de leur attitude
de bohème, toujours vêtus en ouvriers, créant, avec la mort de Modigliani,
la mode et la légende du « peintre maudit ».
L’unité du fauvisme se disperse après trois ans. Seul Matisse continue
à chercher un style loin des conceptions du début, mais tendant vers
l’épuration de la couleur. Influencé par Cézanne, Matisse s’est préoccupé
surtout des problèmes de la couleur. Selon lui, le peintre doit utiliser
les couleurs dans leur plénitude et leur intensité, tout en ordonnant la
113
structure de la composition, sans l’aide accidentelle du noir ou du gris. « La
composition, écrit-il, est l’art d’arranger de manière décorative, les divers
éléments dont le peintre dispose pour exprimer ses sentiments».
Selon Matisse, comme Cezanne avant lui, l’art ne doit pas enregistrer
des sensations fugitives, ni s’orienter vers l’éphémère, mais exprimer un
«sentiment presque religieux à l’égard de la vie», un art de l’esprit, possédant
un caractère de permanence et de sérénité.
Ainsi, peut-on dire que les expressionnistes, possédés par le culte de
la solitude et de la mort, expriment leurs phantasmes dans une nature
dénaturée et une atmosphère inquiétante, tandis que les fauvistes, héritant
de la joie de vivre de la « Belle Epoque », et de la vie de bohème des impres-
sionnistes, ont tendu vers l’expression de la couleur intense, et le culte de
la vie. Deux points de vue, ou plutôt deux directions expressives différentes
discernées dans cette première recherche d’épuration vont évoluer encore
plus dans la peinture contemporaine, que ce soit à travers la figuration ou
à travers l’abstraction.
Vers l’épuration de la forme :
Dans un vieux bâtiment biscornu de Montmartre, sans gaz ni électricité,
appelé le « Bateau-Lavoir », vivent une trentaine de jeunes artistes
pauvres et marginalisés, qui se partagent seulement un point d’eau, mais
beaucoup d’amitié, de persévérance et une fervente recherche plastique.
Ce bâtiment mythique est entré dans l’histoire de l’art, après avoir hébergé
des peintres maudits, il a été surtout le foyer des premières étincelles de
l’art contemporain. C’est là où le cubisme vit le jour, créé par Picasso, Braque
et d’autres résidents.
Il est nécessaire, pour qu’une vision révolutionnaire touche la création et la
pensée, de débuter par sa libération de toutes les conceptions et règles qui
l’ont étouffée ; c’est ainsi que dans un état d’esprit moderne, le romantisme
114
et le réalisme sont nés. Mais, en libérant l’imagination et le sentiment du
carcan des règles classiques, en libérant la création des sujets historiques et
mythologiques, on est resté encore dominé par la conception illusionniste
élaborée depuis la Renaissance, c’est ainsi que, dans un premier pas, les
artistes embrassent le plein air, délaissant les ateliers obscurs.
Mais, là aussi, des problèmes se sont posés, concernant la peinture, il ne
s’agit pas seulement de représenter la réalité dans son chaos visuel inondé
de lumière, mais de contrôler nos sensations hâtives qui nous cachent la
réalité profonde des choses. C’est ainsi qu’en réagissant contre l’impres-
sionnisme, des divergences se sont apparues dans cette vision moderne,
cernant la problématique plastique, tout en s’orientant vers la construction,
l’expression et la forme en tant que symbole.
Désormais, après avoir acquis son autonomie, la création s’ouvre sur des
horizons nouveaux et inexplorés. Avec Van Gogh, on a compris que le
monde intérieur peut trouver sa force expressive dans l’intensité de la
couleur. Toutefois, tout en cherchant cette intensité, et en demandant exil
chez les Maoris, Gauguin retrouve la force de l’être libéré de la civilisation
asphyxiante. Le message est clair, ce n’est pas dans le progrès scientifique et
industriel qu’on trouve l’humain recherché, mais dans le retour aux sources
de l’être et de l’art.
Seulement, ce message, même avec sa simplicité, n’a pas été totalement
assimilé ; on s’est accroché à un emprunt fragmentaire de l’art océanien,
voulant libérer l’instinct, et donner à cette libération un ordre plastique
harmonieux. Du moins, dans cette recherche, la couleur s’épure avec le
fauvisme et l’expressionnisme qui optent pour le goût sauvage inspiré
des primitifs. D’autres artistes, se rappelant les leçons de Cézanne sur la
construction, veulent élaborer un nouveau langage des formes.
115
Naissance du cubisme :
Cézanne avait affirmé, deux ans avant sa mort, la possibilité de tout ramener
à des formes essentielles de la construction, telles que cônes, sphères ou
cylindres, se situant ainsi comme le premier à faire une interprétation
du monde selon des volumes géométriques. Picasso, dès 1907, avec ses
«Demoiselles d’Avignon », a été profondément touché par la vision et la
technique de Cézanne, ainsi que par la perfection technique et la richesse
d’expression des statuettes africaines stylisées, que des colons avaient
coutume de rapporter du Continent noir. Cette double influence permet à
Picasso de traduire des volumes sur la surface plane de la toile.
En cette époque, un souffle primitif s’est emparé des ateliers des artistes.
Statuettes, masques et totems vont puissamment influencer le monde
des arts. Mais, comme on l’a souligné plus haut, ce ne sont encore que
des emprunts fragmentaires pour des buts immédiats, et non une analyse
systématique d’un art, ayant pour but le dialogue des cultures. Dans tous
les cas, les artistes de Montmartre sont marqués par cette rencontre avec
l’art africain, comme d’autres avant eux avec l’art océanien et l’estampe
japonaise. Cette rencontre avec une forme d’expression primitive, riche en
ramifications inconscientes, rapproche les peintres de leur désir d’épurer
les formes dans une conception audacieuse.
En réalisant sa première toile dominée encore par l’esprit cézanien, Picasso
fait voler en éclats les traditions dans la représentation des personnages et
des perpectives. Guillaume Apollinaire, à l’affût de toutes les expériences
audacieuses, entraine Braque vers la Butte Montmartre. Braque est
profondément conquis par l’audace de l’exilé espagnol, ébranlé même par
les « Demoiselles d’Avignon », comme Apollinaire et Matisse qui crient au
scandale.
En 1908, contemplant les œuvres récentes de Braque, Matisse est le premier
à parler des « petits cubes » auxquels sont réduits figures et objets. Le
116
critique d’art Louis Vauxcelles reprendra cette expression qui sera dès lors
employée. Les artistes de Montmartre voulaient redonner la primauté à
la forme totalement négligée par les impressionnistes, en simplifiant les
formes naturelles en formes géométriques, tout en brisant la surface peinte
en petites facettes multiples.
Le bouleversement technique et conceptuel
Les cubistes refusent toute illusion perspective ; ils analysent la forme, en
peignant toutes les surfaces des objets représentées dans un seul plan
d’image, tout en abandonnant la couleur, pour se limiter au camaïeu ocre,
beige ou gris. Pour exprimer les dimensions des volumes et de l’espace
sur la toile et donner vie aux objets, ils utilisent la superposition des plans
géométriques, tout en faisant contraster les surfaces éclairées et les aires
touchées par l’ombre. Pour traduire l’image mentale et conceptuelle de
l’objet perçu, l’artiste accumule les angles de vision sur la toile, transformant
la composition en puzzle.
A la phase cézanienne (1907-1909) succède, entre 1910 et 1912 la phase
analytique. Chaque forme est disséquée puis rassemblée, par superposition
parfois, pour occuper la surface de la toile. C’est l’époque des portraits et
des natures mortes.
Durant la période synthétique, entre 1913 et 1914, les artistes s’adonnent
à la recherche pure, à la « plastique ». L’introduction des papiers collés et
les éléments étrangers, comme des morceaux de tissu et des coupures de
journaux, constitue l’un des apports propres à l’écriture cubiste.
Avec ces phases cubistes, nous abordons un des systèmes de la recherche
pure, un système qui évolue progressivement de l’accumulation des
influences, du tâtonnement et des premières expériences, à l’analyse pure
de la réalité des formes, pour aboutir à la synthèse.
117
Dans le cubisme synthétique, les artistes découvrent d’autres champs
inattendus pour la création, en optant pour la technique du collage, ils
rendent possible l’insertion de plusieurs matériaux ou objets, les uns dans
les autres, découverte chez les primitifs, ayant recours aux « techniques
mixtes », une technique qui va faire ravage dans les arts contemporains ; en
aplatissant l’espace dénué des ombrages, et en tendant vers la stylisation
des formes, ils s’ouvrent sur l’abstraction, grâce à un mouvement issu
du cubisme : l’orphisme, avec Delaunay. D’autres artistes, en étudiant le
cubisme analytique, ont abouti à une abstraction pure, comme Mondrian
et son néoplasticisme, selon des recherches rigoureuses et logiques.
Ainsi, le cubisme, qui propose de dégager les formes et les structures
géométriques cachées sous l’apparence des objets, selon un ordre nouveau,
va influencer profondément les esprits actifs dans le domaine plastique
et architectural. Il va inspirer le futurisme dans la décomposition du
mouvement, et l’orphisme dans celle de la lumière. En même temps, il
inspirera le dadaïsme et le pop’art dans l’introduction du collage et des
techniques mixtes dans l’œuvre. Mais son influence sur l’architecture et le
design sera encore plus importante et plus directe, avec le « rondocubisme»
tchèque, le mouvement De Stijl en Hollande, et le fonctionnalisme de Le
Corbusier.
Prélude à la fièvre de la guerre
La peinture en plein air a ouvert aux artistes des horizons inconnus, se situant
comme le champ fécond pour le dialogue artistique, et même l’origine et
tout l’art moderne. En quittant l’atelier, pour peindre la nature directement
et spontanément, l’artiste impressionniste découvre une lumière scintillante
où les corps se meuvent dans des taches en mouvement. Il va s’occuper
à peindre « l’instant », ému par un cocktail visuel, contre lequel d’autres
artistes vont réagir.

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Chapitre III: Vers une épuration de l'art- 1- Les bases de l'épuration au début du XXème siècle

  • 1. Modifiez le style du titre 1 “ CHAPITRE III Vers une épuration de l’art 1- Les bases de l’épuration au début du XXème siècle - Le retour aux sources - La primauté de l’expression dans l’art - Vers l’épuration de la forme - Naissance du cubisme
  • 2. 105 Chapitre III Vers une épuration de l’art Durant son évolution millénaire, l’art n’a cessé progressivement de se libérer de ses chaînes qui l’ont soumis aux dogmes religieux et étatiques; en même temps, il n’a cessé d’épurer les conceptions, les formes et les goûts. On a remarqué, avec l’histoire de l’art, que chaque âge s’est caractérisé par une force vitale qui a fait activer l’art et l’épanouir, tout en raffinant le goût des hommes. Dans ce contexte, on ne peut pas parler de la Préhistoire qui a provoqué la naissance de la culture au sein de la Nature, sans nous pencher à cette soumission de l’homme aux forces de la nature. On ne peut pas parler de l’Antiquité, aussi, sans étudier profondément le polythéisme avec sa grande profusion de mythes et ses conceptions mythico-rituelles qui se sont manifestées dans les formes d’art de cette époque fabuleuse, tout en secrétant l’imaginaire des peuples, à tel point que tout cet amalgame confus continue à enrichir notre subconscient collectif de ses formes fantastiques réalisées par les artistes de l’Antiquité, ce grand âge de l’humanité qui a vu naître la civilisation et la plupart de ses concepts. On ne peut pas, également, examiner l’art médiéval, sans ressentir cette ferveur religieuse qui a entouré le Christianisme et l’Islam, et qui a produit tant de trésors universels, en Orient comme en Occident, tout en provocant, malheureusement, des conflits, des ruptures et des guerres sanglantes, au nom de Dieu.
  • 3. 106 Cette époque, riche en migrations et en invasions, dominée par la conception islamique, a connu une symbiose culturelle tournant autour du spirituel, un brassage de connaissances, de philosophies et de sciences sans précédent. Malgré sa soumission aux empereurs byzantins, aux califes et aux Sultans musulmans, aux seigneurs et aux rois de l’Europe occidentale, l’art a pu se démarquer par l’expression spirituelle hautement élevée, par sa grande diversité selon les régions, ainsi que par sa classification en formes d’art, développée surtout par les artistes musulmans. L’époque moderne, inaugurée par la Renaissance, est connue par ses deux faces antagoniques. On ne peut pas parler de la Renaissance sans souligner cette soif de libération et cette émancipation de l’esprit qui ont tendu vers le scepticisme et le rationnel, sans souligner, aussi cet humanisme encouragé par les princes de l’Italie. Mais aussi, et on en parle peu, on ne doit pas oublier, que dès cette époque, l’impérialisme moderne est inauguré dans l’histoire honteuse de l’Europe, par le génocide, le carnage des peuples innocents, la traite des esclaves et la colonisation du monde, sous le prétexte hypocrite d’explorer les continents, puis de civiliser les « barbares », comme si ces horreurs commises entrent dans la civilisation, comme si la convoitise des empires impériaux et le vol des grands trésors des peuples massacrés entrent aussi dans la civilisation. Ainsi, la Renaissance dans son sens humaniste, n’a été épanouie qu’en Italie, tout en embrasant par ses feux les Flandres et l’Allemagne, c’est-à-dire des pays voués au commerce et aux échanges culturels, et qui cherchent encore leur autonomie nationale. Les empires coloniaux ont récupéré les feux de cette Renaissance, pour faire rayonner leur prestige, quant à la libération qu’appelle l’humanisme, ils l’ont déviée à leur service, pour l’éteindre finalement, avec le classicisme. Ce n’est qu’avec la révolution romantique que l’autonomie culturelle commence à s’acquérir de nouveau, avec des points de vue différents, selon les pays européens.
  • 4. 107 Héritant du baroque l’expression fougueuse de Rubens, la spiritualité profonde de Rembrandt, et cette imagination fantastique médiévale épurée par Bosch et Dürer, les romantiques s’ouvrent à la sensibilité dans tous ses états, à l’imagination foisonnante, et à la quête de l’âme ; toutes les divergences y sont abordées dans cette recherche qui s’épure, tendant vers le senti, au détriment de la raison et de ses règles. Réagissant aussi contre les règles classiques, mais en s’opposant à la sensibilité romantique, le réalisme est né. Voulant exprimer la réalité telle qu’elle est, tout en mettant à nu la misère du peuple, le réalisme va tendre vers l’épuration de cette réalité concrète, optant parfois pour la rigueur du style et la description minutieue des détails, surtout dans le roman qui atteint son apogée à la fin du XIX° siècle. Dans la peinture, c’est le paysage champêtre qui se met en évidence. Toutefois, cette réalité concrète est perçue différemment par les artistes réalistes. Déjà Constable et Turner, puis Millet et Corot reproduisent la réalité, non pas telle qu’ils la voient, mais telle qu’ils la sentent, ils seront les précurseurs de l’impressionnisme qui opte pour la peinture du plein air. Avec la naissance de la photographie qui prend sous sa responsabilité certains rôles confiés depuis jadis à la peinture, comme le portrait fidèle, l’étude documentaire et l’événement historique, le peintre est condamné à chercher une autre figuration, loin de l’exactitude, en se servant même parfois de cet appareil magique. C’est ainsi que d’autres divergences s’élaborent, cernant surtout l’effet plastique. Gagnant sa liberté totale au prix d’une marginalisation de la part de la société, et trouvant dans la tragédie humaine une confusion qui trouble sa vision, l’artiste s’éloigne progressivement des problèmes sociaux, politiques ou idéologiques, pour ne s’occuper que des problèmes plastiques auquels il doit trouver des solutions adéquates.
  • 5. 108 1- Les bases de l’épuration au début du XX° siècle : Avec l’entrée des impressionnistes et des postimpressionnistes, à côté de l’art nouveau, dans la grande Exposition Universelle de 1900, à Paris, tout semblait entrer dans l’ordre. Rien ne permettait apparemment au public, ou même à l’initié, de prédire qu’une époque tourmentée par ses contrastes violents, joyeuse et désespérée à la fois, comme l’humanité trouble de son dernier peintre de génie, Toulouse-Lautrec, jetait là ses derniers feux. Une autre époque commençait, plus violente que la précédente, penchée toutefois, vers la raison et la méthode. Elle commençait, justement, par la simplification et la mise en ordre, engageant la culture et la civilisation. Le retour aux sources : Malgré les aspects disparates des événements qui se précipitent dans cette ère nouvelle, plusieurs traits communs s’établissent durant les années qui suivent, se distinguant par une grande curiosité pour les origines de la connaissance, constituant ainsi des tendances : retour aux sources, primauté de l’expression et de l’instinct, besoin de géométrisation et de construction, volonté de puissance. Ce retour aux sources locales, penché sur le folklore, que se soit en musique ou en littérature, s’est accompagné des emprunts fragmentaires des arts primitifs et des arts préhistoriques, des civilisations préhelléniques et romanes, méconnus ou sous-estimés, comme si l’esprit européen, assourdi par le vacarme machiniste, recule en arrière pour mieux comprendre le monde et agir avec raisonnement. L’ethnographie s’est constituée en tant que science, et des érudits, à l’instar de Winckelmann, se préoccupent, dans leurs études, à mettre en valeur les aspects des cultures disparues, et à élargir le champ de l’histoire de l’art. Dans les musées et les manuels, une place importante est donnée à la sculpture primitive, à l’art barbare et naïf, supplantant la grande valeur offerte aux arts classiques depuis le XVII° siècle.
  • 6. 109 Ce désir de réviser l’histoire touche aussi les mathématiciens et les physiciens qui veulent, à travers les concepts et les notions traditionnels, remonter aux bases des problèmes de la matière, de l’espace et du temps. Avec les artistes et les écrivains, ils aboutissent à des conclusions semblables : refus des apparences, négation de la réalité trompeuse qui se dérobe et n’offre que le trouble. Les produits primitifs amenés par les colons de l’Afrique noire et de l’Océanie, ont fait pencher la recherche vers la découverte d’autres cultures, plus expressives et plus spontanées, vers l’exploration du monde intérieur dominé par les forces instinctives. Tandis que les psychologues, comme Janet et Freud, commencent à consacrer à ce monde intérieur leurs travaux scientifiques, les artistes se penchent sur le déchainement lyrique, voulant s’exprimer avec une pureté retrouvée chez les primitifs et une force sauvage libérée par les instincts et la passion de créer autrement : orgie de couleurs, des costumes et des décors issue de l’Art nouveau, atmosphère sensuelle des danses dans les ballets russes, emprunts fragmentaires de la musique noire ou du folklore européen chez Dvorak, Debussy ou Strawinsky, déferlement violent de la phrase littéraire, poésie affranchie de la ponctuation, retrouvant sa fraicheur chez Apollinaire, le compagnon fidèle de la jeune peinture. La primauté de l’expression dans l’art : Deux tendances apparaissent en 1905, l’une en France, l’autre Allemagne, les deux créant les premiers mouvements artistiques au XX° siècle. Il s’agit du fauvisme et de l’expressionnisme. Les deux mouvements prennent leur source apparente de l’Art nouveau, ainsi que dans les aspects expressifs de l’œuvre de Van Gogh, et primitifs de celle de Gauguin. La nature des Germains tend vers l’expression. Dans le romantisme allemand, on distingue cette primauté du tempérament germanique, violent
  • 7. 110 et rude, manifestée dans une représentation dramatique de la nature du Nord austère et hostile, ainsi qu’une minutie acharnée dans le traitement des formes, héritée de Dürer. Seulement, ce qui distingue l’expression- nisme et le fauvisme, en même temps, c’est ce retour aux sources, vers le primitivisme du Moyen-Age, et vers les arts des iles lointaines de l’Océanie. Ce qui distingue maintenant l’expressionnisme du fauvisme, c’est « le caractère transcendantal de l’expression gothique », qui se manifeste dans l’art allemand, comme l’a analysé Wlhelm Worringer, dont la pensée va jouer un rôle décisif dans l’évolution de ce mouvement, et la mise en valeur d’une tradition enracinée dans la nature nordique. D’où cette tendance à l’abstraction inquiète, agitée, qui caractérise l’évolution de l’art dans le Nord de l’Europe. Dans le primitivisme, l’élément exotique découvert par Gauguin, joue un rôle important comme source d’inspiration dans les deux mouvements. L’impact des arts primitifs est considérable sur la plupart des mouvements d’avant-garde du XX° siècle, dans une époque épuisée déjà par un machinisme troublant, orientée par la civilisation industrielle, mais assoiffée d’une liberté jaillissante mal orientée après le romantisme. Dans l’expressionnisme, les formes deviennent bizarres et fantastiques, annonçant déjà le surréalisme et l’abstraction lyrique. Derrière le monde apparent des êtres et des objets, traîne sa défiguration. Une vie spectrale et inquiétante, prédisant les effroyables guerres à venir, règne dans un décor hallucinant, où les formes émergent et se dissolvent, dans des éclaboussures de couleurs criardes, dans une métamorphose grotesque. Edward Munch et James Ensor, Ferdinand Hodler et Van Gogh sont possédés d’un désir incessant de représenter « un réel dénaturé et rehaussé en irréel». Au fond de l’expressionnisme, rôde la solitude, dont les artistes ont fait un culte.
  • 8. 111 Ces artistes hantés par la mort, ont été les précurseurs de ce mouvement qui s’exprime avec toute la sauvagerie de l’être. Le Norvégien Munch, toujours malade, « hanté par l’idée de la mort, qui avait frappé tous les siens, (…) exprimait son pessimisme dans des œuvres tragiques comme le Cri (1893)». 1 Van Gogh, l’épileptique, qui menait une vie pleine de tourments jusqu’à son suicide tragique, nous a légué, pourtant, des œuvres éblouissantes de lumière, mais expressives et torturées par ses phantasmes, appelant à la tendresse humaine. James Ensor, cultivant l’insolite, s’est penché vers le burlesque, mettant en scène des « bouffons masqués ou des squelettes couverts d’oripeaux ». 2 Deux groupes d’artistes se sont distingués dans l’élaboration de ce mouvement, Die Brücke (le pont) à Dresde, et Der Blaue Reiter (le Cavalier Bleu) à Munich. Le premier groupe est connu entre autres, par Emile Nolde, un « tempérament primitif que son amour de la sauvagerie a entrainé jusqu’en Nouvelle Guinée et dont les œuvres montrent son goût des sim- plifications brutales » 3 Le second groupe est orienté par le Russe Kandinsky, créateur du mouvement abstrait, qui, avec son ouvrage « Du Spirituel dans l’art », a pu discerner la «nécessité intérieure » propre à tout art. En même temps que l’expressionnisme, le fauvisme est révélé à Paris par son scandale manifesté au Salon d’automne de 1905. Il a donné l’impression d’une irruption fauve dans le monde artistique, encore enivré par les arabesques de l’Art nouveau. Ce mouvement rassemble des groupes divers, unis par l’amitié et la technique. Matisse, son chef de file, juxtapose les aplats de couleurs pures, tendant vers un art d’équilibre, de pureté et de tranquillité. Mais Friez a su concevoir une définition valable : « Donner l’équivalent de la lumière solaire 1 - Op, cit. 2 - Op,cit. 3 - Op, cit.
  • 9. 112 par une technique faite d’orchestrations colorées. Transposition passionnelle ayant pour point de départ, l’émotion sur nature, dont les vérités et les théories s’édifièrent par des recherches ardentes et dans l’enthousiasme ». Parmi les artistes fauves, on distingue surtout les deux autodidactes, André Derain et Maurice de Vlaminck, qui traitent la couleur avec une violence explosive, proche de l’expressionnisme. Mais l’œuvre de Georges Rouault, qui semble être un dissiple de Toulouse-Lautrec, en tant que chantre de la vie débridée, se distingue de celles des autres peintres par sa ligne grasse et appuyée, sa couleur expressive et brutale, et ses personnages tragiques. Comme Van Gogh, les peintres fauves aspirent à une couleur intense pouvant traduire leur émotion. Ainsi, ils préfèrent les tons purs, forçant les contrastes pour exalter l’expression. La plupart appliquent les couleurs par grasses touches ou par larges bandes, à l’instar de Gauguin, avec une frénésie sauvage. Dans l’art comme dans la façon de vivre, ils veulent renier le passé avec ses lois établies, désirant s’affranchir des règles, en devenant purs et naïfs, comme des sauvages, et reconstruire le monde selon leurs désirs. Ainsi, ils se sont détournés de leur culture, pour s’enivrer, comme Gauguin, de l’art primitif, voulant retrouver la pureté de la couleur intense et la simplicité de la vie fruste. En face du dandysme et du conformisme, ils affichent une agressive liberté d’allure, vivant dans les milieux populaires et les bistrots de Montmartre, ils tirent gloire de leur misère et de leur attitude de bohème, toujours vêtus en ouvriers, créant, avec la mort de Modigliani, la mode et la légende du « peintre maudit ». L’unité du fauvisme se disperse après trois ans. Seul Matisse continue à chercher un style loin des conceptions du début, mais tendant vers l’épuration de la couleur. Influencé par Cézanne, Matisse s’est préoccupé surtout des problèmes de la couleur. Selon lui, le peintre doit utiliser les couleurs dans leur plénitude et leur intensité, tout en ordonnant la
  • 10. 113 structure de la composition, sans l’aide accidentelle du noir ou du gris. « La composition, écrit-il, est l’art d’arranger de manière décorative, les divers éléments dont le peintre dispose pour exprimer ses sentiments». Selon Matisse, comme Cezanne avant lui, l’art ne doit pas enregistrer des sensations fugitives, ni s’orienter vers l’éphémère, mais exprimer un «sentiment presque religieux à l’égard de la vie», un art de l’esprit, possédant un caractère de permanence et de sérénité. Ainsi, peut-on dire que les expressionnistes, possédés par le culte de la solitude et de la mort, expriment leurs phantasmes dans une nature dénaturée et une atmosphère inquiétante, tandis que les fauvistes, héritant de la joie de vivre de la « Belle Epoque », et de la vie de bohème des impres- sionnistes, ont tendu vers l’expression de la couleur intense, et le culte de la vie. Deux points de vue, ou plutôt deux directions expressives différentes discernées dans cette première recherche d’épuration vont évoluer encore plus dans la peinture contemporaine, que ce soit à travers la figuration ou à travers l’abstraction. Vers l’épuration de la forme : Dans un vieux bâtiment biscornu de Montmartre, sans gaz ni électricité, appelé le « Bateau-Lavoir », vivent une trentaine de jeunes artistes pauvres et marginalisés, qui se partagent seulement un point d’eau, mais beaucoup d’amitié, de persévérance et une fervente recherche plastique. Ce bâtiment mythique est entré dans l’histoire de l’art, après avoir hébergé des peintres maudits, il a été surtout le foyer des premières étincelles de l’art contemporain. C’est là où le cubisme vit le jour, créé par Picasso, Braque et d’autres résidents. Il est nécessaire, pour qu’une vision révolutionnaire touche la création et la pensée, de débuter par sa libération de toutes les conceptions et règles qui l’ont étouffée ; c’est ainsi que dans un état d’esprit moderne, le romantisme
  • 11. 114 et le réalisme sont nés. Mais, en libérant l’imagination et le sentiment du carcan des règles classiques, en libérant la création des sujets historiques et mythologiques, on est resté encore dominé par la conception illusionniste élaborée depuis la Renaissance, c’est ainsi que, dans un premier pas, les artistes embrassent le plein air, délaissant les ateliers obscurs. Mais, là aussi, des problèmes se sont posés, concernant la peinture, il ne s’agit pas seulement de représenter la réalité dans son chaos visuel inondé de lumière, mais de contrôler nos sensations hâtives qui nous cachent la réalité profonde des choses. C’est ainsi qu’en réagissant contre l’impres- sionnisme, des divergences se sont apparues dans cette vision moderne, cernant la problématique plastique, tout en s’orientant vers la construction, l’expression et la forme en tant que symbole. Désormais, après avoir acquis son autonomie, la création s’ouvre sur des horizons nouveaux et inexplorés. Avec Van Gogh, on a compris que le monde intérieur peut trouver sa force expressive dans l’intensité de la couleur. Toutefois, tout en cherchant cette intensité, et en demandant exil chez les Maoris, Gauguin retrouve la force de l’être libéré de la civilisation asphyxiante. Le message est clair, ce n’est pas dans le progrès scientifique et industriel qu’on trouve l’humain recherché, mais dans le retour aux sources de l’être et de l’art. Seulement, ce message, même avec sa simplicité, n’a pas été totalement assimilé ; on s’est accroché à un emprunt fragmentaire de l’art océanien, voulant libérer l’instinct, et donner à cette libération un ordre plastique harmonieux. Du moins, dans cette recherche, la couleur s’épure avec le fauvisme et l’expressionnisme qui optent pour le goût sauvage inspiré des primitifs. D’autres artistes, se rappelant les leçons de Cézanne sur la construction, veulent élaborer un nouveau langage des formes.
  • 12. 115 Naissance du cubisme : Cézanne avait affirmé, deux ans avant sa mort, la possibilité de tout ramener à des formes essentielles de la construction, telles que cônes, sphères ou cylindres, se situant ainsi comme le premier à faire une interprétation du monde selon des volumes géométriques. Picasso, dès 1907, avec ses «Demoiselles d’Avignon », a été profondément touché par la vision et la technique de Cézanne, ainsi que par la perfection technique et la richesse d’expression des statuettes africaines stylisées, que des colons avaient coutume de rapporter du Continent noir. Cette double influence permet à Picasso de traduire des volumes sur la surface plane de la toile. En cette époque, un souffle primitif s’est emparé des ateliers des artistes. Statuettes, masques et totems vont puissamment influencer le monde des arts. Mais, comme on l’a souligné plus haut, ce ne sont encore que des emprunts fragmentaires pour des buts immédiats, et non une analyse systématique d’un art, ayant pour but le dialogue des cultures. Dans tous les cas, les artistes de Montmartre sont marqués par cette rencontre avec l’art africain, comme d’autres avant eux avec l’art océanien et l’estampe japonaise. Cette rencontre avec une forme d’expression primitive, riche en ramifications inconscientes, rapproche les peintres de leur désir d’épurer les formes dans une conception audacieuse. En réalisant sa première toile dominée encore par l’esprit cézanien, Picasso fait voler en éclats les traditions dans la représentation des personnages et des perpectives. Guillaume Apollinaire, à l’affût de toutes les expériences audacieuses, entraine Braque vers la Butte Montmartre. Braque est profondément conquis par l’audace de l’exilé espagnol, ébranlé même par les « Demoiselles d’Avignon », comme Apollinaire et Matisse qui crient au scandale. En 1908, contemplant les œuvres récentes de Braque, Matisse est le premier à parler des « petits cubes » auxquels sont réduits figures et objets. Le
  • 13. 116 critique d’art Louis Vauxcelles reprendra cette expression qui sera dès lors employée. Les artistes de Montmartre voulaient redonner la primauté à la forme totalement négligée par les impressionnistes, en simplifiant les formes naturelles en formes géométriques, tout en brisant la surface peinte en petites facettes multiples. Le bouleversement technique et conceptuel Les cubistes refusent toute illusion perspective ; ils analysent la forme, en peignant toutes les surfaces des objets représentées dans un seul plan d’image, tout en abandonnant la couleur, pour se limiter au camaïeu ocre, beige ou gris. Pour exprimer les dimensions des volumes et de l’espace sur la toile et donner vie aux objets, ils utilisent la superposition des plans géométriques, tout en faisant contraster les surfaces éclairées et les aires touchées par l’ombre. Pour traduire l’image mentale et conceptuelle de l’objet perçu, l’artiste accumule les angles de vision sur la toile, transformant la composition en puzzle. A la phase cézanienne (1907-1909) succède, entre 1910 et 1912 la phase analytique. Chaque forme est disséquée puis rassemblée, par superposition parfois, pour occuper la surface de la toile. C’est l’époque des portraits et des natures mortes. Durant la période synthétique, entre 1913 et 1914, les artistes s’adonnent à la recherche pure, à la « plastique ». L’introduction des papiers collés et les éléments étrangers, comme des morceaux de tissu et des coupures de journaux, constitue l’un des apports propres à l’écriture cubiste. Avec ces phases cubistes, nous abordons un des systèmes de la recherche pure, un système qui évolue progressivement de l’accumulation des influences, du tâtonnement et des premières expériences, à l’analyse pure de la réalité des formes, pour aboutir à la synthèse.
  • 14. 117 Dans le cubisme synthétique, les artistes découvrent d’autres champs inattendus pour la création, en optant pour la technique du collage, ils rendent possible l’insertion de plusieurs matériaux ou objets, les uns dans les autres, découverte chez les primitifs, ayant recours aux « techniques mixtes », une technique qui va faire ravage dans les arts contemporains ; en aplatissant l’espace dénué des ombrages, et en tendant vers la stylisation des formes, ils s’ouvrent sur l’abstraction, grâce à un mouvement issu du cubisme : l’orphisme, avec Delaunay. D’autres artistes, en étudiant le cubisme analytique, ont abouti à une abstraction pure, comme Mondrian et son néoplasticisme, selon des recherches rigoureuses et logiques. Ainsi, le cubisme, qui propose de dégager les formes et les structures géométriques cachées sous l’apparence des objets, selon un ordre nouveau, va influencer profondément les esprits actifs dans le domaine plastique et architectural. Il va inspirer le futurisme dans la décomposition du mouvement, et l’orphisme dans celle de la lumière. En même temps, il inspirera le dadaïsme et le pop’art dans l’introduction du collage et des techniques mixtes dans l’œuvre. Mais son influence sur l’architecture et le design sera encore plus importante et plus directe, avec le « rondocubisme» tchèque, le mouvement De Stijl en Hollande, et le fonctionnalisme de Le Corbusier. Prélude à la fièvre de la guerre La peinture en plein air a ouvert aux artistes des horizons inconnus, se situant comme le champ fécond pour le dialogue artistique, et même l’origine et tout l’art moderne. En quittant l’atelier, pour peindre la nature directement et spontanément, l’artiste impressionniste découvre une lumière scintillante où les corps se meuvent dans des taches en mouvement. Il va s’occuper à peindre « l’instant », ému par un cocktail visuel, contre lequel d’autres artistes vont réagir.