1. a. La diffamation
La protection de l’honneur et la réputation s’articule
essentiellement autour des délits de la diffamation et de l’injure.
La diffamation a été définie par l’article 55 du décret-loi n°115,
du 02 novembre 2011, selon lequel la diffamation est « toute
accusation ou imputation de quelque chose d'inexacte d’une manière
publique, et qui est de nature à porter atteinte à l'honneur et à la
considération d’une personne en particulier, à condition qu’il s’en
suit un préjudice personnel et direct à la personne visée »
1. 1. Eléments de la diffamation
1-Elément matériel :
L’allégation qui consiste à imputer quelque chose d’inexacte à une
personne
Il faut que cette allégation soit suffisamment précise
Il faut que l’allégation soit attentatoire à l’honneur ou à la réputation :
l’atteinte à l’honneur doit être perçue du côté de la victime et non de
l’auteur. Car l’auteur peut estimer que son fait n’est pas aussi grave.
L’accusation en public.
2- Elément moral :
La connaissance et la volonté de l’auteur de porter atteinte à l’honneur et
à la considération d’une personne déterminée.
La mauvaise foi. L’auteur de l’acte diffamatoire doit prouver sa bonne foi
pour échapper à la sanction.
3-Un dommage direct à la personne (lien de causalité)
Le dommage diffère d’une personne à une autre. Les personnalités
publiques ne sont pas exclues du droit de protection de la réputation
et de l’honneur. Mais dans certains pays,il est devenu d’usage que la
marge de tolérance à leur égard est plus grande que les personnes
ordinaires.
Dans une décision de la Cour européenne des droits de
l’homme, la cour a estimé qu’il « n’était pas nécessaire dans une
société démocratique la condamnation d’un journaliste pour injure
envers un chef de parti politique et président de région pour l’avoir
traité d’imbécile »
2. Faut-il noter que l’article 55 du décret de 2011 a innové par
rapport à l’ancienne version par l’exigence de non véracité des faits
allégués. Ce qui limite le champ de la diffamation et élargie la liberté
d’expression. Par cette modification le droit s’approche des normes
internationales en matière de liberté d’expression
Cette version de l’article 55 est en réalité plus proche de l’article
87 du COC qui exige la contrariété avec la vérité Faut-il noter que la
jurisprudence tunisienne a opté avant même l’adoption du décret loi
n°115 pour l’exigence de contrariété avec la vérité. Par exemple le
Tribunal de 1ère Instance de Jendouba dans un jugement rendu le 22
mars 2007, le Tribunal a précisé que :
أضيفت فقد ذلك من العكس على بل فيه ورد ما صحة على الدليل يقم لم "الشاكي
" مجردة التهمة بذلك فبقيت المقال حيثيات صحة تثبت وثائق للملف
1.1. Sur le caractère écrit ou verbal
Dans le droit tunisien on ne distingue pas entre une diffamation
écrite ou verbale, contrairement au common Law. Dans la commun
Law on distinguait entre la diffamation écrite (libel) et la diffamation
verbale (slander), qui est moins grave. Mais cette distinction a perdu
aujourd’hui son intérêt puisque dans les technologies de
l’information et de la communication on peut trouver les deux
formes.
1.2 Sur la nécessité de citer le nom de la personne attaquée
Il est inutile de citer le nom de la personne attaquée pour
commettre le délit de diffamation. Il suffit seulement que cette
personne soit identifiable facilement. C’est ce qu’a choisi la Cour de
cassation dans un arrêt rendu le 10 octobre 1964
1.3 Pas de diffamation pour les personnes décédées
Selon l’article 58 du décret loi n° 115, l’article 58 du décret-loi
du 2 novembre 2011, « Les dispositions des articles 55, 56 et 57 du
présent décret-loi ne sont pas applicables à la diffamation ou à
l’injure à l’encontre des personnes décédées, sauf dans le cas où
elles visent l’atteinte personnelle à l'honneur ou à la considération
des héritiers ».
3. Cela veut dire que le droit d’agir pour le respect de l’honneur ou
la réputation s’éteint en principe avec la mort de la personne.
Seulement une diffamation peut s’adresser une personne décédée,
afin de porter atteinte à l’honneur de ses héritiers. Dans ce cas il est
possible d’agir contre l’auteur de ces actes, non pas comme des
ayants droits, mais en leur nom personnel.
1.4 Sanction de la diffamation
La diffamation aboutit à l’engagement une responsabilité civile
et une responsabilité pénale.
Selon l’article 247 du code pénal, la diffamation est
sanctionnée de six mois de prisons et d’une amende de 240 dt.
Dans le décret loi n°115, du 02 novembre 2011, la diffamation
est sanctionnée d’une manière moins sévère, puisqu’il établit une
peine d’amende de 1000 à 2000 dt pour le délit de diffamation.
En matière militaire la diffamation est punie d’une sanction de
trois mois à trois ans d’emprisonnement (art. 91 du code de justice
militaire) En rapport avec l’utilisation des technologies de
l’information et de la communication, l’art. 86 du code des
télécommunications dispose qu’il « Est puni d’un emprisonnement
de un (1) an à deux (2) ans et d’une amende de cent (100) à mille
(1000) dinars quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur
quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications ».
Lorsque la diffamation est adressée à un fonctionnaire, c’est le
code pénal qui incrimine ces actes :
Art. 125 du code pénal : « Est puni d'un an d’emprisonnement
et de cent vingt dinars d’amende, quiconque, par paroles, gestes ou
menaces se rend coupable d’outrage à un fonctionnaire public ou
assimilé dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses
fonctions ».
4. Art. 128 du code pénal : « Est puni de deux ans
d’emprisonnement et de cent vingt dinars d’amende, quiconque par
discours publics, presse ou tous autres moyens de publicité, impute
à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux en rapport
avec ses fonctions, sans en établir la véracité ».
Face à cette diversité des textes le juge chargé de l’affaire sera
dans l’embarras du choix. Le principe de la primauté de la règle
spéciale sur la règle générale pourrait résoudre le problème, du
moins partiellement. Mais ça ne peut pas résoudre totalement le
problème à cause de la difficulté de la délicatesse de la tâche, d’où
l’importance du pouvoir discrétionnaire du juge.
Dans une affaire récente (celle de « wild 15 », le Tribunal de
première instance de Ben Arous a écarté l’application du décret loi
n°115, malgré la qualification d’injure, les propos du rappeur. Selon
le tribunal « « (…) la demande des mandataires de l’accusé
d’appliquerle décret-loi numéro 115 pour l'année 2011 ne peut être
retenue car ce décret-loi concerne le domaine de protection des
journalistes, alors que l’accusé n’a pas cette qualité et n’a pas la
qualité d’artiste amateur ou professionnel (…) ; en plus le domaine
du décret-loi est limité dansle temps et nécessite l’approbation de la
chambre des députés pour qu’il soit considéré comme étant une loi
parmi les lois de l’Etat, et puisque cette exigence fait défaut, il doit
être exclu du domaine d'application de cette affaire »
Faut-il préciser aussi qu’en cas de concours d’infractions pour
un même fait, la peine la plus forte est seule prononcée. Toutefois,
lorsque les infractions sont distinctes les peines ne se confondent pas
sauf décision contraire du juge. De même, les peines d’amende ne se
confondent pas (art.54-58 du code pénal).
1.4-Sur la responsabilité civile et pénale
Selon l’article Art. 87 du COC : « Celui qui, contrairement à la
vérité, affirme ou répand, par voie de presse ou autrement, des faits
qui sont de nature à nuire au crédit, à la considération ou aux
intérêtsde la personne ou du corps auquel le fait est imputé, est tenu
envers la partie lésée des dommages résultants de son fait, lorsqu'il
5. savait ou devait savoir la fausseté des faits imputés, le tout sans
préjudice des peines édictées par la loi.
Cette règle s'applique à celui qui, par des paroles, des écrits ou des
actes, commet le délit d'injure au sens de la loi pénale et de la loi sur
la presse ».
Ainsi toute personne qui commet le délit de diffamation est
confrontée à des peines pénales, mais aussi à une responsabilité
civile qui lui oblige de payer des dommages et intérêt.
Faut-il préciser ici que selon l’article 68 du décret loi n°115,
l’action civile est inséparable de l’action pénale, sauf en cas de décès
de l’auteur du délit, ou en cas d’amnistie ou d’empêchement aux
poursuites pénales (ex. Immunité parlementaire).
Par ailleurs, le fait de partager un contenu diffamatoire qui n’a
pas été produit par l’auteur du partage ne peut pas être tenu comme
excuse. Car, selon l’article 249 du code pénal, « « Ne peut être
retenu comme excuse, le fait d'arguer que les écrits, imprimés ou
images objets des poursuites ne seraient que la reproduction de
publications faites en Tunisie ou à l’étranger ».
1.5-Les délais de prescription de l’action civile et pénale du délit de
diffamation
Il y a un problème de différence de délai de prescription pour les
deux types d’action.
Selon l’article 76 du décret loi n°115, le délai de prescription
de l’action pénale et civile dans le cadre de ce texte est de six mois à
compter de la date de la survenance de l’acte de diffamation ou du
jour du dernier acte de procédure des actes de poursuite
En revanche, si l’action est effectuée au titre de l’article 87 du
COC le délai devient cinq mois. Toutefois, le délai de prescription
pourrait être allongé lorsque le fait dommageable n’est pas
accompagné de publicité. Dans cette hypothèse, les cinq mois ne
commencent à courir qu’« à partir du jour où la partie lésée en a eu
connaissance ». On peut, donc, penser à un cas où l’action publique
6. pouvait être prescrite après six mois, alors que l’action civile reste
toujours possible, puisque le fait dommageable n’est pas
accompagné de publicité. Dans cette hypothèse le délai dépend du
moment de la connaissance de la partie lésée, ce qui pose sans doute
le problème délicat de la preuve de la connaissance.
1.6- Juridiction compétente
Selon l’article 68 du décret loi n°115, les juridictions pénales
sont compétentes pour trancher les litiges portant sur la diffamation.
La responsabilité civile est ainsi examinée par la même juridiction.
Cependant les juridictions civiles deviennent compétentes « (…) en
cas de décès de l’auteur du délit, du bénéfice par celui-ci d’une
amnistie ou de l’existence d’un empêchement aux poursuites
pénales». Dans ce cas les délais de prescriptions vont changer en
application de l’article 87 du COC. (Donc tout dépend de la date de
connaissance du fait diffamatoire).
Faut-il signaler enfin qu’en matière de justice militaire le juge
militaire est seul compétent en matière de diffamation.
2. L’injure
Selon l’article 57 du décret-loi n°115 du 02 novembre 2011, «Est
considérée injure toute expression portant atteinte à la dignité,terme
de mépris ou insulte ne comportant pas l’imputation de quelque
chose de précis ».
L’injure est donc toute expression outrageante ou tout terme de mépris,
ne comportant pas l’imputation d’un fait précis. C’est l’atteinte à
l’honneur sans l’imputation d’un fait démontrable : c’est donc une
critique infondée portant atteinte à l’honneur d’une personne.
Si les propos adressé comportaient des faits pouvant faire l’objet de
débats contradictoires où les parties pouvaient se défendre par des
preuves, il s’agirait alors de diffamation.
Ainsi, l’injure est proche de la diffamation, dans la mesure où il
y a dans les deux délits une atteinte à la dignité de la personne. Sauf
que dans la diffamation il y a imputation d’un fait précis inexact à
7. une personne, causant un dommage direct ; alors que dans l’injure, il
s’agit d’une expression portant atteinte à la dignité de la personne,
sans chercher l'exactitude ou l'inexactitude des faits.
Sanction de l’injure
L’injure est sanctionnée par l’article 57 du décret-loi n°115, par
une amende de 500 à 1000 dinars d’amende.
Cas de provocation
Les juges refusent d’appliquer la sanction de l’injure, chaque
fois où l’auteur de l’injure se trouve dans un état de riposte. C’est-à-
dire en réaction immédiate à une provocation. Ils refusent de
l’appliquer aussi quand le public est restreint.
L’applicabilité aux médias électroniques
Si la publication dans l’espace matériel est essentiellement
réservée aux professionnels de la presse, la publication sur Internet
réunit à la fois le professionnel et le non professionnel. Avec le web
2.0 chacun peut être à la fois producteur et récepteur d’information.
Les médias électroniques n’échappent pas à l’application de la
loi. Ainsi, les mêmes principes s’appliquent pour la diffamation,
l’injure ou la calomnie. Mieux encore, vu le caractère universel des
médias électroniques, les dégâts sont généralement plus importants.
D’où l’applicabilité de deux types de règles selon la situation :
Pour les publications émanant des professionnels, on applique
généralement les règles spéciales relatives au secteur de la presse,
notamment le décret loi N° 115, du 02 novembre 2011. Alors que
pour les autres types de publications émanant des non professionnels,
on applique le droit commun, notamment le code pénal.
Pour les infractions commises à travers les réseaux sociaux.
Rien n’empêche l’application des mêmes règles. D’ailleurs, dans un
8. arrêt du 10 avril 2013, la Cour de cassation française a conclu à
l’applicabilité des règles relatives à la protection de l’honneur aux
réseaux sociaux Seulement, la Cour a estimé que le partage entre ami
ne peut avoir un caractère public que si les propos en questions
s’adressent à un grand nombre de personnes. Adresser les propos
d’injure à quatre personnes agréées par le titulaire de compte ne
constitue pas des injures publiques.
Aussi, dans deux jugements rendus le 19 novembre 2010, le
conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt, a conclu au
caractère public de messages publiés sur un compte Facebook, dont
le mur était accessible aux « amis des amis »