Ce mémoire a pour but d’analyser la situation du documentaire dans le contexte journalistique actuel en France. Depuis le début des années 2000, on n’a jamais autant réalisé de documentaires que depuis ces trente dernières années. Pour comprendre ce succès et la place qui lui est accordée dans la presse, il faut revenir quelques décennies auparavant pour constater que médias et documentaires ont vécu « ensemble », deux moments primordiaux de l’histoire audiovisuelle : l’arrivée de la télévision et l’instauration de l’information télévisuelle. Ainsi, comprendre la place du documentaire dans les médias permet également de questionner les mutations du journalisme actuel.
12. INTERVIEW
Le documentaire pourrait-il
apporter quelque chose au
journalisme audiovisuel ?
Alexandre Bonche : Pourquoi
pas, mais les journaux TV ne
sont pas prévus pour ce genre
de diffusion. Précisément,
les JT permettent d’aborder
beaucoup de sujets
différents. Mais combien de
minutes, de secondes y sont
accordées ? Les gens aiment
bien se tenir informés d’un
maximum de choses, alors on
doit vite zapper sur autre
chose. Il y a des cases
réservées au documentaire à
la télévision, heureusement
qu’elles sont là. Avec France
2, France 3, France 5 ou
encore ARTE [ndlr. seulement
chaînes publiques], nous
avons de la chance en France
! France 3 Région offre un
certain nombre d’espaces
aussi et des moyens financiers
pour que l’on puisse réaliser
des films. J’y ai eu recours
pour mon film Profession
Humanitaire. Il a été financé
par France 3, le CNC, et
la région. Et puis il y a
évidemment ARTE qui est la
chaîne qui propose vraiment
beaucoup de documentaires,
ou Infrarouge sur France 2.
Antoine Bonnetier : Pas grand-
chose dans la mesure où il
se place dans le temps long.
Le documentaire ne répond
pas aux mêmes contraintes.
C’est un film que l’on regarde
le soir pour se distraire.
Le reportage, lui, peut se
consommer en petit-déjeunant
le matin, en préparant le
sac de ses enfants, etc.
C’est un produit que l’on
consomme rapidement, parfois
en faisant autre chose. Il
mobilise moins l’attention.
Pour vous, quelle est la
différence entre reportage
et documentaire ?
AB : La différence c’est
exactement la situation
dans laquelle on est
actuellement. On a pris un
rendez-vous, tu viens, tu
enregistres mes paroles,
qui ne sont pas préparées,
très confuses. À partir
de ça, tu vas construire
une réalité qui va être
présentée comme la mienne :
ça c’est le journaliste. Un
documentariste travaille un
peu comme l’ethnologue, il
prend le temps de rester
avec les gens, il va les
rencontrer souvent, discuter
avec eux, pas juste une fois
comme ça lors d’un rendez-
vous. Lorsqu’il va élaborer
son sujet il va être capable
de savoir si la réalité
qu’il va présenter dans son
montage, c’est la réalité
telle qu’elle est vécue par
les gens qu’il a côtoyés
ou bien si c’est juste
un papillon qu’on a pris
comme ça dans un filet, qui
passait par hasard, comme
une idée peut passer. Selon
qu’on est en bonne forme
ou pas, on dit des choses
plus ou moins contrastées.
La grosse différence c’est
cette fréquentation plus
longue, plus assidue et
plus profonde des gens.
Au niveau de la forme, le
reportage consiste le plus
souvent en interviews face
caméra. J’essaye d’éviter
ça. On essaye de lécher un
peu plus les transitions,
l’aspect artistique ressort
dans le documentaire. Les
enchaînements sont plus
lisses. Bien qu’un JT aussi,
les frontières sont très
poreuses si ce travail est
effectué avec un très bon
cameraman et un bon monteur.
Abe : J’ai réalisé un seul
documentaire dans ma vie
lorsque j’étais à l’école de
journalisme. C’est plus
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Cahiers du documentaire | Mai 2013 | DOSSIER
Les journalistes-reporters d’images (JRI) et les
documentaristes ont certains points en communs. L’un
d’entre eux, c’est la télévision, ce petit écran
vers lequel convergent divertissement, information,
documentaire, fiction et autres images. À partir de leur
propre expérience, Alexandre Bonche, documentariste
et anthropologue de formation, basé à Lyon et Antoine
Bonnetier, JRI à BFM TV, témoignent. Synthèse sur les
situations du reportage et du documentaire dans le
paysage audiovisuel français, avec deux acteurs des
médias et du documentaire.
Alexandre Bonche, documentariste français, en plein tournage au Mali
CROISÉE
long, plus contemplatif,
alors qu’un reportage
s’attache plus à l’enquête,
la démonstration, la
révélation de vérités, je
dirais. Un documentaire est
plus travaillé en images,
il prend plus le temps de
l’observation. Le temps
investi pour aboutir est ce
qui diffère le plus. Encore
une fois, le distinguo
est parfois ténu entre
les deux. Le documentaire
suppose l’observation,
le reportage l’enquête
et la démonstration. Les
deux sont-ils forcément
incompatibles ? Comment
qualifier le travail de Pierre
Carles ? Ce qui est sûr,
c’est qu’un documentaire
sera forcément long. Un
reportage, en revanche, peut
durer 1 min 30 comme 52 min.
Le spectre est large.
Un des points communs pour
les documentaristes et les
journalistes, c’est la
télévision. C’est elle qui
finance votre travail. Est-ce
un atout ?
AB : Si on veut gagner notre vie
en faisant du documentaire,
on doit obligatoirement
passer par la TV. Sauf peut-
être au cinéma, mais ça
ne finance pas énormément
parce qu’il y a très peu
de producteurs qui prennent
ce qu’ils considèrent comme
un risque. Avec la TV, ils
ont l’assurance d’avoir un
apport de la chaîne et du
CNC. Le problème pour nous
concerne le salaire, qui
n’est jamais très élevé.
En tant que réalisateur,
notre seul revenu minimum,
c’est le SMIC, contrairement
aux autres techniciens de
la chaîne audiovisuelle.
Heureusement, à la
différence des journalistes,
nous bénéficions du statut
d’intermittent du spectacle,
qui permet de vivre plus au
moins dignement.
ABe : La télévision, en tant
que diffuseur principal,
paie des sociétés de
production ou « boites de
prod », qui fabriquent les
documentaires et reportages
longs. Mais c’est comme
acheter une baguette : le
boulanger les fabrique parce
qu’il sait que tu vas venir
lui acheter. La télévision
achète des reportages ou
des documentaires pour les
diffuser. Après, on peut
aussi trouver des productions
associatives, hors du
circuit traditionnel, qui
peuvent avoir pour cibles
les cinémas d’art et d’essai
ou des lieux alternatifs.
L’exemple, c’est Pierre
Carles, que j’aime beaucoup.
Avez-vous envie de diffuser
votre travail sur internet ?
AB : Je n’ai pas le sentiment
pour l’instant que cela
permette de toucher autant de
spectateurs qu’à la TV avec
la TNT. Ça s’adresse à mon
avis à des petites niches.
Ce qui existe déjà, c’est
du documentaire TV diffusé
sur internet. Après, je
trouve l’idée intéressante,
pourquoi pas plus tard
quand je connaîtrai un peu
plus. C’est bien de mettre
des images à disposition
du public, mais c’est bien
de penser à la rémunération
des gens aussi. On a la
chance en France d’avoir
des droits d’auteur. Sur
internet… Je ne pense pas
que ce soit possible. Je
mets mes films sur internet
parce que j’ai envie que les
gens les regardent, parce
que c’est de la culture que
je leur apporte. Mais pour
l’instant internet n’est pas
une bonne solution. Pour les
reportages c’est pareil, à
moins de faire des sites
payants, et là tu restreins
ton nombre de spectateurs.
De mon côté, j’ai mis des
films dont j’ai les droits
sur internet [Tchoumpa, les
enfants du tourisme], mais
c’est très récent, il y a
un mois [janvier 2013]. Je
ne pourrai pas le faire
systématiquement parce que
la question financière est
cruciale.
ABe : Notre travail est déjà
diffusé sur le site BFMTV.
fr. Toutes les chaînes de
télévision essaient de
mettre au moins une partie
des contenus disponibles
sur le net. La toile est
incontournable. Elle offre
une notoriété par-delà
les frontières et offre
une seconde vie à notre
travail, que les internautes
peuvent trouver indexé
thématiquement dans Google,
etc.
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Antoine Bonnetier est journaliste-reporter-d’images pour BFM TV