La réponse des banques centrales à la dépression économique. Faut-il monétiser les nouvelles dettes ?
1. La réponse des banques centrales à la
dépression économique
Faut-il monétiser les nouvelles dettes ?
Eric Dor
Directeur des études économiques à l’IESEG School of Management
Paris Lille
10 juin 2020
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4. Conséquences
• Entreprises en détresse
• Déficits publics en forte hausse, explosion de l’endettement public
• Baisse des recettes fiscales
• Hausse des dépenses
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5. Réaction de la BCE
• action par le biais des banques
• action par des achats massifs d’obligations publiques et privées
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6. Action de la BCE par le biais des banques
• meilleures conditions pour les nouveaux prêts TLTRO à partir de juin
• octroyés à -1% aux banques qui maintiennent au moins leurs encours de prêts
aux entreprises et ménages
• maximum -0,5%
• moindres exigences sur la qualité du collatéral à déposer par les
banques pour obtenir des prêts de l’Eurosystème
• assouplissement temporaire des exigences de régulation prudentielle
Objectif: permettre aux banques d’avoir assez de liquidité, à un coût dérisoire et même négatif, pour
répondre à l’explosion potentielle de la demande de prêts d’entreprises en détresse
Maintenir les lignes de crédit aux entreprises
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10. Action par des achats massifs d’obligations
publiques et privées
• enveloppe supplémentaire de 120 milliards jusqu’en décembre pour
l’APP ou QE qui continue à courir avec ses achats nets normaux de 20
milliards par mois
• composante majeure PSPP achats d’obligations publiques
• nouveau programme d’achat d’obligations publiques et privées,
spécifique à cette crise, initialement pour un montant de 750
milliards d’euros jusqu’en décembre 2020 au moins.
• achat de titres de maturité de 30 jours à 30 ans et 364 jours
• le 4 juin, la taille de ce programme a été augmentée à 1.350 milliards d’euros.
• en même temps son horizon a été prolongé jusqu’en juin 2021.
• déjà 260,128 milliards d’achat au 5 juin
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13. Action par des achats massifs d’obligations
publiques et privées
• L’effondrement de l’inflation permet à la BCE de justifier ses achats
par la nécessité de poursuivre son mandat de stabilité des prix
• et donc d’essayer de baisser les taux d’intérêt à long terme pour que cela
relance la demande et ainsi stimule l’inflation
• Pour que cela fonctionne il faut que les taux à long terme baissent
dans tous les pays de la zone euro
• donc la BCE dit qu’elle doit agir de manière différenciée, pour lutter contre la
fragmentation financière de la zone euro, donc réduire les spreads
• pour restaurer le mécanisme de transmission de la politique monétaire
• s’écarter temporairement de la répartition des achats d’après les parts de capital
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14. Remarque sur la solvabilité d’un gouvernement
• La dette publique augmente chaque année du nouveau déficit public
de l’année
• La dette publique ne diminue que si le gouvernement dégage un
surplus budgétaire annuel
• comme l’Allemagne de 2012 à 2019
• En général, un gouvernement ne rembourse donc pas globalement la
dette publique
• Il se contente d’en assurer le roulement
• Lorsqu’une obligation publique arrive à maturité, le gouvernement la
rembourse bien sûr à ses détenteurs, mais avec de l’argent emprunté
en émettant une nouvelle obligation
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15. Remarque sur la solvabilité d’un gouvernement
• La solvabilité d’un gouvernement, c’est la capacité de toujours trouver
des investisseurs disposés à lui prêter de quoi rembourser ses anciens
emprunts qui arrivent à maturité, et de quoi financer le nouveau
déficit de l’année.
• Un investisseur accepte de prêter à un gouvernement, quand il pense
que lorsque son prêt arrivera à maturité, ce gouvernement n’aura
aucun problème pour trouver d’autres investisseurs disposés à lui
prêter de quoi le rembourser.
• Lorsque cette confiance s’érode, il y a envolée des taux de rendement des
obligations publiques sur le marché secondaire et crise de la dette souveraine
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16. Interdiction du financement monétaire
• article 123 du traité TFUE interdit les achats sur le marché primaire
• achats sur le marché secondaire autorisés mais limites car règlement
n° 3603/93 du Conseil
Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États
membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des
découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de
l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres
autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres;
l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques
centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.
les achats effectués sur le marché secondaire ne doivent pas servir à
contourner l'objectif poursuivi par cet article
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17. Qui détient la dette publique belge ?
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OLO certificats
banques 6%
autres 34,6%
total 40,6% 7,3%
zone euro 30,8% 23,8%
autres 28,6% 68,9%
total 59,4% 92,7%
total 100% 100%
investisseurs
belges
investisseurs
étrangers
Les investisseurs sont surtout des gestionnaires de fonds pour le compte de fonds de pension,
sociétés d’assurance, fonds de placement collectif
18. Mécanismes liés aux achats d’obligations publiques par la
banque centrale sur le marché secondaire
• ces achats induisent une augmentation de la monnaie de base émise
par la banque centrale
• par augmentation des réserves des banques auprès de la banque centrale
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19. banques
x dépôts gouvernement
-x dépôts privés
a) Le gouvernement émet de nouvelles obligations pour un montant de x milliards d’euros
variation des encours aux bilans des différents secteurs
souscription par des investisseurs privés domestiques sur le marché primaire
gouvernement
dépôts x x obligations émises
secteur privé réel
obligations gouvernement x
dépôts -x
variations calculées
depuis la situation
initiale d’avant
l’émission obligataire
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20. b) Le gouvernement dépense le produit de l’emprunt aux profit des ménages
par exemple versement des allocations de chômage partiel
banques
x dépôts gouvernement
-x dépôts privés
-x dépôts gouvernement
x dépôts privés
secteur privé réel
obligations gouvernement x x fonds propres
dépôts -x
dépôts x
gouvernement
dépôts x x obligations émises
dépôts -x -x fonds propres
en bleu ce qui est
nouveau à cette
étape
20
21. La résultante est
banques gouvernement
-x fonds propres
x obligations émises
secteur privé réel
obligations gouvernement x x fonds propres
variation des encours aux bilans des différents secteurs
variations calculées
depuis la situation
initiale d’avant
l’émission obligataire
21
22. variation des encours aux bilans des différents secteurs
c) La banque centrale achète ensuite les nouvelles obligations aux investisseurs privés
BC
obligations gouvernement x x réserves
banques
réserves x x dépôts privés
gouvernement
-x fonds propres
x obligations émises
secteur privé réel
obligations gouvernement x
obligations gouvernement –x
dépôts x
x fonds propres
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23. La résultante est
BC
obligations gouvernement x x réserves
gouvernement
-x fonds propres
x obligations émises
banques
réserves x x dépôts privés
variation des encours aux bilans des différents secteurs
variations calculées
depuis la situation
initiale d’avant
l’émission obligataire
secteur privé réel
dépôts x x fonds propres
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24. variation des encours du bilan consolidé du secteur public
ensemble formé par le
gouvernement et la banque
centrale
sans achat par la banque centrale
BC et gouvernement
-x fonds propres
x obligations émises
avec achat par la banque centrale
BC et gouvernement
-x fonds propres
x réserves
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25. Avantages apparents de la détention
d’obligations publiques par la banque centrale
• L’intervention de la BCE est déterminante pour éviter une nouvelle crise
des dettes souveraines de la zone euro.
• Les achats des banques centrales nationales, sur instruction de la BCE,
permettent d’empêcher toute hausse
• des taux de rendement des obligations souveraines sur le marché secondaire,
• et donc aussi des taux auxquels les pays de la zone euro doivent émettre leurs
nouveaux emprunts sur le marché primaire.
• L’action de la BCE permet de maintenir la confiance.
• Les investisseurs osent acheter des obligations émises par des pays très endettés,
à des taux bas, parce qu’ils pensent avoir une forte probabilité de pouvoir les vendre
bientôt aux banques centrales nationales s’ils le souhaitent, et sans perte parce que
celles-ci auront agi, par leurs achats, pour éviter une dépréciation de la valeur de ces
titres.
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26. Avantages apparents de la détention
d’obligations publiques par la banque centrale
• La partie de la dette publique d’un pays qui est détenue par la banque
centrale nationale échappe à l’humeur volatile des marchés
• Les obligations publiques détenues par la banque centrale sont un
endettement gratuit, sans coût
• Le gouvernement paie les intérêts à la banque centrale,
• ce qui gonfle les profits de celle-ci, et donc le dividende qu’elle verse
• la banque centrale rend donc au gouvernement l’essentiel des intérêts reçus,
sous la forme de dividendes qu’elle lui verse
Attention: en Belgique il y a des modalités particulières pour la répartition des bénéfices de
la Banque Nationale de Belgique, voir https://www.nbb.be/fr/faq/comment-les-revenus-
de-la-banque-nationale-sont-ils-distribues
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27. Quels sont les coûts cachés de l’achat d’obligations
souveraines par la banque centrale nationale ?
• Le coût de la rémunération des réserves
• Le problème du risque d’inflation ou de perte de confiance dans la
monnaie
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28. Le coût de la rémunération des réserves
• Les achats d’obligations souveraines par la banque centrale nationale
induisent une augmentation des réserves des banques auprès de
cette BCN
• En temps normal la banque centrale nationale paie des intérêts sur
ces réserves des banques
• En zone euro, avant l’instauration des taux nuls ou négatifs
• Les réserves obligatoires en compte-courant étaient rémunérées au taux des MRO
• Les réserves excédentaires en compte-courant étaient sans intérêt
• Mais lorsqu’elles avaient des réserves excédentaires sur leur compte courant, où elles ne
rapportaient aucun intérêt, les banques les déposaient sur la facilité de dépôt, où elles
étaient rémunérées, jusqu’en juillet 2012 où ce taux est devenu nul.
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29. Le coût de la rémunération des réserves
• Les intérêts payés par la banque centrale sur les réserves réduisent son
profit et donc diminuent le dividende qu’elle paye au gouvernement.
• Donc, en temps normal, le gain ou le coût net de la détention d’obligations
publiques par la banque centrale est fonction de la difference entre le taux
moyen payé par le gouvernement sur ces obligations et le taux payé par la
banque centrale sur les réserves.
• Bien sûr, en zone euro, le taux moyen payé par une banque centrale
nationale sur les liquidités excédentaires des banques est maintenant
négatif
• depuis le 11 juin 2015 le taux sur les réserves excédentaires laissées en compte
courant, ou sur les liquidités sur la facilité de dépôt, est négatif. Il est de -0,5% depuis
le 18 septembre 2019
• depuis la période de maintenance commencée le 30 octobre 2019, les banques
peuvent toutefois exonérer 6 fois le montant de leurs réserves obligatoires du
montant de leurs réserves excédentaires en compte courant, avant d’apliquer le taux
négatif
• c‘est le système de tiering
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30. Le coût de la rémunération des réserves
• Les partisans de la monétisation
• utilisent l’argument que pour le moment le coût des réserves est négatif
• que cette situation risqué de durer longtemps
• Les adversaires de la monétisation
• insistent sur le caractère temporaire de la situation présente
• disent que sur le long terme, il y a un coût des réserves
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31. Le problème du risque d’inflation ou de perte
de confiance dans la monnaie
• Les achats d’obligations souveraines par la banque centrale nationale
induisent une augmentation des réserves des banques auprès de
cette BCN et donc de la monnaie de base qu’elle émet
• Une expansion de la monnaie de base émise par une banque centrale
provoque une augmentation des prix si
• elle induit une volonté de la population d’acheter tout de suite des biens et
services de consommation pour un montant nominal qui excède la valeur de
ce qui est disponible à la vente, aux prix qui prévalaient jusqu’alors
• Les prix vont augmenter pour restaurer l’équilibre entre demande et offre nominales
• En économie ouverte, l’excédent de demande va plutôt se porter sur des biens étrangers
importés. La balance commerciale va se dégrader et provoquer une dépréciation de la
monnaie. Les prix des produits importés vont augmenter en monnaie nationale.
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32. Le problème du risque d’inflation ou de perte
de confiance dans la monnaie
• Ces conséquences inflationnistes ne sont pas automatiques
• Par exemple l’augmentation de la base monétaire en zone euro à
partir de 2015, due aux achats d’obligations du QE, a été sans
conséquences inflationnistes
• Le but était de provoquer une baisse des taux d’intérêt, dans l’espoir que cela
incite les entreprises et ménages à emprunter davantage pour augmenter
leurs dépenses, et ainsi relancer l’inflation.
• Mais l’augmentation de la demande a été insuffisante
• Les investisseurs qui ont vendu les obligations ont utilisé la monnaie reçue en
échange pour acheter d’autres titres financiers: actions, immobiliers, …
• Certains facteurs structurels pèsent sur l’inflation
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33. Le problème du risque d’inflation ou de perte
de confiance dans la monnaie
• depuis le début de cette crise
• les gouvernements empruntent pour distribuer de l’argent aux ménages, par
exemple sous la forme d’allocations de chômage partiel, alors que la
production nationale a diminué.
• mais en contrepartie il y a une épargne forcée par manque d’opportunités
d’achat
• donc absence d’excédent de la demande sur l’offre
• donc aucune pression inflationniste globale
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34. Le problème du risque d’inflation ou de perte
de confiance dans la monnaie
• Pour le moment la quasi monétisation d’une partie de la dette publique
émise dans le passé a peu de risques d’être inflationniste
• Toutefois une politique de financement systématique et répété des
nouveaux déficits publics par création monétaire, sur le long terme,
induirait tôt ou tard de l’inflation
• donc une perte de pouvoir d’achat
• Une distribution excessive de moyens monétaires, sans contrepartie
productive, entraîne à la longue une perte de confiance du public envers la
monnaie
• d‘où conversion systématique en d’autres devises et dépréciation
• d’où hyperinflation
• Tout est une question de mesure
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35. Annulation des dettes achetées par les banques centrales nationales
• Certains experts recommandent de franchir une étape
supplémentaire.
• Ils proposent que
• la BCE annule tout simplement tout ou partie des obligations que les banques
centrales nationales de l’Eurosystème détiennent déjà,
• ou bien qu’elles les restructurent en les convertissant en dettes perpétuelles.
• Même s’il y a des dissensions à cet égard, l’opinion majoritaire est
que de telles opérations de financement monétaire des dettes
publiques seraient contraires à l’intention de l’article 123 du traité.
• Il y a très peu de plausibilité à ce que la CJUE puisse avaliser une telle
décision.
• Et même si c’était le cas, il semble illusoire d’espérer qu’il puisse y avoir une
majorité au conseil des gouverneurs de la BCE pour approuver une telle
politique.
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36. Annulation des dettes achetées par les
banques centrales nationales
• Ces considérations peuvent orienter les débats en faveur d’une approche
très pragmatique.
• Dès le moment où les marchés sont persuadés que, même sans pouvoir le
dire officiellement, la BCE est déterminée à ce que les dettes publiques
achetées restent très longtemps au bilan des banques centrales nationales,
• elles sont déjà presque monétisées en pratique
• et l’effet concret est quasiment le même que celui qui résulterait d’une annulation
explicite ou d’une restructuration, sans provoquer des dissentions politiques
extrêmes entre les pays de la zone euro.
• Il y a donc peu de valeur ajoutée à vouloir affronter des obstacles légaux et
politiques difficiles à surmonter.
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37. Annulation des dettes achetées par les
banques centrales nationales
• L’annulation, par les banques centrales nationales, d’au moins une
partie des dettes publiques qu’elles détiennent, entraînerait pour
elles des pertes.
• Celles-ci seraient répercutées au moins partiellement sur les
gouvernements nationaux.
• Les dividendes versés par les banques centrales à leur gouvernement seraient
en effet réduits.
• Et si c’était insuffisant, les gouvernements de la zone euro pourraient même
être contraints de recapitaliser leurs banques centrales nationales.
• Cette nécessité est contestée, car, contrairement à n’importe quelle autre entreprise,
une banque centrale peut fonctionner avec des fonds propres négatifs.
• Les engagements des banques centrales ne sont exigibles qu’en d’autres formes de leurs
propres passifs, si bien qu’elles sont protégées contre toute insolvabilité.
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38. Annulation des dettes achetées par les
banques centrales nationales
• Mais pour les dirigeants de certains pays de la zone euro, une telle
perspective est à écarter car cette situation, d’après eux, serait de
nature à compromettre la confiance des citoyens dans la monnaie.
• Quoi qu’il en soit, au moins par la réduction des dividendes, les
bénéfices de l’annulation des dettes publiques détenues par les
banques centrales nationales seraient compensés, pour les
gouvernements, par des pertes de revenus.
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