Article de synthèse sur les kératites des carnivores à paraître dans Pratique Vet.
Review article about keratitis in dogs and cat. To be published in "Pratique Vet"
1. jKératites infectieuses
Graves et invalidantes, les kératites infectieuses méritent un
traitement précoce, puissant et adapté aux agents en cause
et aux lésions présentes.
F. FAMOSE, DV, CES d’ophtalmologie
l’
vétérinaire
42 av Lucien Servanty
31700 Blagnac es kératites infectieuses sont caractérisées par une inflammation et des lésions
cornéennes de gravité variable provoquées par le développement de germes
OBJECTIFS tels que virus, bactéries ou parasites.
PÉDAGOGIQUES
Ces infections sont graves par l’étendue de la destruction cornéenne pouvant conduire
Savoir reconnaître et identifier les à la cécité, par l’importance de leurs séquelles et par la douleur qu’elles causent. Pour
différentes lésions cornéennes d’herpès
limiter ces conséquences, il est impératif d’identifier rapidement ces affections, d’en
virose féline.
déterminer la cause et de débuter au plus vite un traitement.
Connaître les modalités de leur
traitement.
Savoir reconnaître et traiter une kératite
bactérienne.
Savoir évaluer la gravité d’une kératite
bactérienne.
L’infection par le virus herpès
félin de type 1 est fréquente
chez le Chat
RÉSUMÉ
L’infection par l’herpèsvirus félin
s’accompagne de lésions cornéennes Pathogénie écoulements oculaire ou nasal peut per-
graves dans la phase primaire et dans la sister jusqu’à 20 jours.
phase secondaire de la maladie. Son
Le virus herpès félin de type 1 (VHF-1) est
diagnostic repose sur la clinique et la responsable de la rhinotrachéite féline. Quatre-vingt pour cent des chats atteints
PCR. Le traitement est basé sur l’emploi Cette infection est responsable d’environ restent porteurs latents : le virus reste à
de virostatiques. 50 % des affections respiratoires supé- l’état quiescent dans divers tissus ocu-
rieures chez le Chat. laires (cornée, uvée antérieure) et dans
Les kératites bactériennes suivent une
les tissus nerveux associés (ganglion du
lésion épithéliale et s’accompagnent L’infection primaire, après pénétration
nerf trijumeau).
d’une destruction du stroma. Leur initiale du virus par voie nasale, orale ou
traitement repose sur l’utilisation locale conjonctivale, est caractérisée par une
Cette phase ne s’accompagne d’aucun
intensive des anti-infectieux et si nécrose épithéliale débutant 48 heures
symptôme ni d’excrétion virale. Le virus
nécessaire sur une chirurgie. après le contact initial et atteignant son
peut se réactiver chez 50 % des sujets :
maximum en 8 jours environ.
cette infection secondaire est favorisée
La régénération épithéliale débute à ce par le stress, les maladies intercurrentes
Conflits d’intérêts : néant
moment mais l’excrétion virale dans les ou une corticothérapie prolongée
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2. OPHTALMOLOGIE
j
Photo 1. Kératite stromale chez un chat adulte. Œdème cornéen central Photo 2. Séquestre cornéen félin chez un persan de 5 ans. Le séquestre est
avec vascularisation périphérique abondante. Noter l’absence d’ulcération superficiel et la cornée périphérique est claire.
cornéenne.
Photo 3. Symblépharon
Symptômes chez un chaton. Adhérence
entre le corps clignotant et
> Infection primaire la face postérieure des
paupières avec disparition
Elle est plus fréquente chez le chaton ou des culs de sac
le jeune chat non vacciné. Elle associe conjonctivaux.
des symptômes de rhinite aiguë et d’in-
flammation conjonctivale ou cornéenne
bilatérale.
Isolée ou associée à l’infection conjonc-
tivale, elle débute par la formation
d’ulcères épithéliaux dendritiques carac-
téristiques qui confluent pour former
des ulcères “en carte de géographie”. Elle
évolue favorablement en deux à trois se- peut être inapparente ou se traduire par ■ kératite interstitielle : le plus souvent
maines. Les complications bactériennes une kératite ou une conjonctivite le plus unilatérale et isolée, elle correspond à
existent et l’ulcère s’étend alors au stro- souvent unilatérale sans signe de rhinite. une réaction immunitaire consécutive
ma cornéen. Un écoulement marron-rouge peut per- à la présence du VHF-1 dans le stroma
sister plusieurs mois : cornéen mais dont le mécanisme est ac-
> Infection secondaire
■ kératite ulcéreuse d’évolution chronique tuellement mal connu. Les lésions d’in-
Elle survient lors de la réactivation virale ou récidivante qui peut se compliquer filtration cellulaire et de fibrose stromale
chez le chat adulte, même vacciné. Elle d’une nécrose stromale ; se traduisent par une opalescence, ainsi
qu’une néovascularisation superficielle
et profonde (PHOTO 1).
Figure 1. Modalités de traitement des kératites associées à l’herpès virose féline.
Son évolution est soit la guérison, soit la
récidive, l’apparition d’un séquestre cor-
Infection Infection Kératite néen (PHOTO 2) ou la persistance des vais-
primaire secondaire stromale seaux et de la fibrose du stroma.
Sans traitement, elle est responsable d’un
déficit visuel.
• Antiviraux • Virostatiques
• Corticoïdes > Les complications, séquelles et lésions
• Antibiotiques • Gestion du stress
• Ciclosporine imputables au VHF-1
• Traitement • Virostatiques ?
■ Symblépharon : observé le plus souvent
symptomatique
après l’infection primaire, il se manifeste
par la présence d’adhérences conjoncti-
(591) PratiqueVet (2012) 47 : 590-594 39
3. j OPHTALMOLOGIE
vales tarsales sur la cornée, la membrane
nictitante ou les paupières (PHOTO 3). Tableau 1 : Molécules à activité virostatique ou
■ Occlusion des points lacrymaux ;
adjuvante.
■ Vaisseaux cornéens “fantômes” ; Molécule Dosage Prix Commentaires
Trifluridine (Virophta® [H]) Solution 1% 4-6x/ Env. 15 € Pas d’essai
■ Insuffisance lacrymale : le VHF-1 est la
jour locale, 21 j clinique contrôlé
première cause de kérato-conjonctivite
Ganciclovir (Virgan® [H]) Gel 0,15% 4-6x/jour Env. 13 € Pas d’essai
sèche (KCS) chez le Chat (dacryoadénite) locale, 21 j clinique contrôlé
■ Fibrose cornéenne avec opacité irréver- Famciclovir (Oravir® [H]) 30 à 40 mg/kg 1 à Env. 35 € Efficacité clinique
sible ; 2 fois/jour, PO, par semaine contrôlée
8 à 28 jours
■ Séquestre cornéen et la kératite éosino-
Interferon alpha humain 1000 UI/jour locale 26 €/3 MUI Pas d’essai
philique. (Roferon® [H]) contrôlé in vivo
Interferon omega felin Solution à 0,5 MUI/mL 166 €/10 MUI Pas d’essai
Diagnostic (Virbagen®) 3 à 5 fois par jour contrôlé in vivo
pendant 10 j locale
> Diagnostic différentiel L-Lysine (Herpelysine®) 250-500 mg/j PO 14,5 €/ Efficacité
100 MUI controversée
Il est à faire avec les kératites trauma-
tiques, bactériennes, mycosiques et par réalisée à partir des cellules épithéliales Traitement
corps étranger. conjonctivales ou cornéennes prélevées
à la cytobrosse ou sur le tissu de kératec- Les modalités de traitement sont décrites
> Examens complémentaires tomie. dans la FIGURE 1.
Au plan cytologique, un infiltrat inflam- Les résultats sont à interpréter avec pré- Les antiherpétiques sont à la base du trai-
matoire contenant des lymphocytes caution: les faux positifs et faux négatifs tement. Les différentes molécules dispo-
est évocateur. L’identification virale par sont fréquents [1]. En pratique, on consi- nibles sont comparées (TABLEAU 1) [3].
immunofluorescence sur les cellules dère que toute kératite ulcéreuse féline
conjonctivales est maintenant remplacée est liée à la présence du FHV-1, jusqu’à
par la PCR (Polymerase Chain Reaction) preuve du contraire [2].
Les kératites bactériennes correspondent à
une surinfection d’une lésion de la surface de
la cornée
L es kératites bactériennes corres-
pondent à une surinfection d’une
lésion de la surface de la cornée : trau-
■ Les
symptômes sont la douleur, la pho-
tophobie et le déficit visuel.
approche de l’agent causal qui pourra
être identifié par bactériologie ou PCR.
■ L’examen ophtalmologique met en évi- Les germes les plus fréquents sont Sta-
matisme, corps étranger, KCS. dence des lésions stromales localisées phylococcus sp., Streptococcus sp. et Pseu-
Elles sont plus fréquentes chez le Chien (abcès cornéen) avec ulcération focale et domonas aeruginosa [4]. L’isolement et
que chez le Chat, et rencontrées principa- œdème stromal périphérique (PHOTO 4). l’identification de bactéries anaérobies
lement chez les animaux brachycéphales ■ Descomplications de kératomalacie et strictes (Clostridium sp.) ne sont pas ex-
ou prédisposés aux insuffisances la- parfois perforation oculaire (PHOTO 5), ceptionnels [5].
crymales ou aux traumatismes oculaires. d’uvéite antérieure avec hypopion
Les germes responsables sont variés (sta- peuvent être notées. Traitement, pronostic et
phylocoques, streptocoques, pseudomo- complications
nas,…) et leurs propriétés d’adhérence et Démarche diagnostique Le processus de colonisation de la cornée
d’activation de métalloprotéases condi- Le diagnostic repose sur les signes cli- est différent selon les germes en présence
tionnent la gravité de l’infection. niques et les symptômes de suppuration (FIGURE 2) [6].
cornéenne dans un contexte d’affection
Symptômes Les enjeux du traitement sont :
cornéenne préalable.
■ soulager la douleur ;
■ Les signes locaux sont la rougeur, l’écou- La biomicroscopie permet d’évaluer la
lement purulent et la perte de transpa- profondeur de la lésion. La cytologie par ■ lutter contre le développement bacté-
rence cornéenne. grattage cornéen permet une première rien et ses conséquences ;
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4. OPHTALMOLOGIE
j
Figure 2. processus de colonisation de la cornée selon la nature des germes en présence. IL-8 = interleukine 8.
Gram + Gram —
Multiplication bactérienne Multiplication bactérienne
Toxines Adhésion Toxines Adhésion Activation
enzymatique
IL-8
Leucocytes Kératocytes Matrice Leucocytes Kératocytes Matrice
extracellulaire extracellulaire
Altération Altération
réponse Lésions réponse Lésions
immune cornéennes immune cornéennes
■ préserver ou rétablir l’étanchéité cor- L’antibiotique est choisi sur des critères Le traitement par voie générale est sur-
néenne ; de probabilité d’efficacité : antibiotiques tout indiqué en cas de perforation ocu-
à large spectre (chloramphénicol (Oph- laire.
■ limiter la perte visuelle. talon®), fluoroquinolones-ciprofloxa-
cine (Ciloxan®[H])) ou à concentration > Traitement de la collagénolyse
> Traitement antibactérien renforcée (gentamicine : 9 à 15 mg/mL).
L’utilisation d’anticollagénases (sérum
En pratique, l’examen bactériologique Le traitement local est instillé toutes les autologue, acétylcystéine et EDTA
est rarement réalisé avant la mise en deux heures et l’amélioration doit inter- (NAC® collyre)) est indiquée lors de col-
place du traitement. venir en 48 heures. lagénolyse.
Photo 4. Kératite infectieuse (Staphylococcus spp.) chez un chien. Œdème
) Photo 5. Perforation oculaire (Pseudomonas spp.) chez un chien.
)
cornéen et collagénolyse localisée. Collagénolyse étendue et présence de matériel irien dans la plaie de
perforation.
(593) PratiqueVet (2012) 47 : 590-594 41
5. j OPHTALMOLOGIE
POINTS FORTS
■ L’herpès virose oculaire féline
se manifeste par deux phases :
une forme primaire aiguë
bilatérale et une forme
secondaire chronique
unilatérale. 80 % des chats
restent porteurs.
■ Le diagnostic est multiple :
éléments cliniques, PCR,
diagnostic thérapeutique.
■ Le traitement est adapté à la
forme et repose le plus souvent
sur les antiviraux dont l’intérêt
clinique n’est pas toujours
prouvé.
Photo 6. Aspect d’une greffe conjonctivale pédiculée sur Photo 7. Greffe de vetbiosis après kératectomie sur un ■ Les kératites bactériennes se
un œil de chat (ulcère profond et étendu) un mois après chat atteint de séquestre cornéen. manifestent par une destruction
l’intervention. du stroma cornéen consécutive
à une lésion épithéliale.
> Traitement de la douleur ■ Par greffe conjonctivale libre ou pédiculée, ■ Le mode d’action des
partielle ou totale (PHOTO 6) ; bactéries en cause varie selon
La douleur peut être traitée par des antal- leur espèce (gram+/gram -).
giques par voie générale (Anti-inflammatoires ■ Par greffe de biomatériaux (Vetbiosis®) avant ■ Le traitement repose sur
non stéroïdiens, morphiniques). perforation (PHOTO 7) ; l’élimination bactérienne et la
consolidation de la cornée
Sur un plan local, les cycloplégiques (Atropine Malgré la mise en œuvre d’un traitement restante.
1 %® [H] en collyre) sont indiqués pour lever puissant et précoce, le pronostic des kératites ■ Les séquelles sont graves et
le spasme ciliaire. bactériennes reste réservé. La cicatrisation invalidantes.
implique un degré de fibrose cornéenne dont
> Traitement chirurgical l’intensité est plus ou moins invalidante au
Lorsque le risque de perforation cornéenne est plan visuel. Lors de perforation oculaire, le
>>A LIRE...
élevé ou lorsque la perforation est présente, un risque d’endophtalmie et de perte de l’œil est
élevé. 1. Veir JK et Lappin MR. Molecular
traitement chirurgical de la cornée doit être
Diagnosis Assays for Infectious
entrepris : Diseases in Cats. Vet Clin North
Am Small Anim Pract. 2010 ; 40 :
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Les kératites mycosiques 2. Hartley C. Aetiology of corneal
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Medicine and Surgery. 2010 ; 12 :
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domestiques 3. Maggs DJ. Antiviral Therapy for
Feline Herpesvirus Infection. Vet
Clin North Am Small Anim Pract.
2010 ; 40 : 1055-62.
L es kératomycoses sont des infections fon-
giques de la cornée. Ces affections sont
rares et sont consécutives à des blessures cor-
4. Moore CP et Nasisse MP. Clinical
Microbiology. In : Gelatt KN, ed,
Veterinary ophthalmology. Third
néennes par des matériaux contaminés (corps edition. Philadelphia : Lippincott
étrangers végétaux, outils de jardinage,…). Williams and Wilkins ; 1999 : 259-
90
L’évolution est habituellement lente : la kéra- 5. Ledbetter EC et Scarlett JM.
tite d’abord localisée a tendance à s’étendre Isolation of obligate anaerobic
lentement malgré les traitements antibio- bacteria from ulcerative keratitis in
tiques ou anti-inflammatoires. domestic animals. Vet Ophthalmol.
2008 ; 11 : 114-22.
Les lésions les plus fréquentes sont : la douleur 6. Gilmore MS et coll. Infectious
oculaire, l’œdème cornéen, l’ulcération super- keratitis. In : Levin, LA, Albert DM,
ficielle de la cornée dont l’épithélium prend eds, Ocular Disease- Mechanisms
and Management. Saint Louis :
un aspect blanchâtre (PHOTO 8).
Saunders Elsevier ; 2010 : 49-55.
Le traitement consiste en l’application d’anti- 7. Marlar AB et coll. Canine
fongiques locaux (voriconazole 1 %, itracona- keratomycosis : A report of eight
Photo 8. Kératomycose chez un chat. Noter l’aspect
zole). Le pronostic reste réservé car la réponse cases and literature review.
dépoli de la cornée et les dépôts blanchâtres. Noter J Am Anim Hosp Assoc. 1994 ; 30 :
au traitement est très variable [7]. également l’inflammation conjonctivale associée. 331-40.
42 PratiqueVet (2012) 47 : 590-594 (594)