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L’hypothèse de l’atome primitif – essai de cosmogonie –
Georges Lemaître
PREFACE de Ferdinand Gonseth
L'apparition d'une hypothèse cosmogonique digne d'être prise au sérieux est non
seulement un événement rare, mais une indication précieuse sur les progrès accomplis dans
la con- naissance de l'univers. Il faut, en effet, que les perspectives scientifiques se soient
entièrement renouvelées pour qu'on ait intérêt à remanier les hypothèses en cours sur
l'origine et l'évolution du monde. Une vision nouvelle de l'espace et des astres qui le
peuplent ne peut s'imposer sans que la connaissance objective des phénomènes se soit
essentiellement approfondie ou transformée. Personne ne doute que ces conditions soient
réalisées aujourd'hui. De la pesanteur de l'énergie à la fuite des nébuleuses et aux
rayons cosmiques, la science a fait, au cours de ces dernières années, les découvertes les
plus extraordinaires, mettant au jour les éléments qui, ordonnés par la main d'un maître,
devaient donner naissance à une nouvelle cosmogonie. Tout un ensemble de faits nouveaux
se trouvait réuni, offrant un appui solide aux audacieuses constructions de l'imagination.
L'œuvre longuement méditée que le chanoine Georges Lemaître présente aujourd'hui au
public de langue française repose sur une exacte évaluation des moyens de connaissance dont
dispose l'esprit humain. Elle témoigne d'un effort de synthèse qui se poursuit jusque
dans les détails et reste toujours fondé dans les techniques de l'objectivité. Ces qualités lui
assurent un retentissement qui dépasse les strictes limites de la science. Nous ne résisterons
donc pas à la tentation de dégager la signification philosophique que cet ouvrage nous
semble comporter.
Né à Charleroi, en 1894, Georges Lemaître commença des études d'ingénieur que la
guerre vint interrompre, s'adonna par la suite aux mathématiques et obtint en 1920 le grade
de docteur ès sciences mathématiques et physiques. Au séminaire de Malines, où il fut
autorisé à poursuivre ses études de sciences, il se familiarisa avec la théorie de la
relativité. Ordonné prêtre en 1923, il part pour Cambridge, où il reçoit l’enseignement
d'Eddington, avec lequel il restera en relations suivies. Il passe en Amérique l'hiver 1924 à
1925 et travaille principalement à l'Observatoire de Harvard. C'est à la fin de ce séjour qu'il
entendit Hubble présenter, dans une mémorable séance de l'Académie, réunie à Washington,
la découverte des céphéides dans la nébuleuse d'Andromède.
L'importance de cette constatation n'échappa point à G. Lemaître. Influencée par la
théorie de la relativité généralisée, la conception de l’univers, considéré dans sa totalité, était
entrée dans une phase d'évolution rapide. L'idée d'un univers à la fois illimité et de
dimensions finies commençait à s'imposer à bien des esprits. La solution d'Einstein, solution
statique selon laquelle le tour d'espace resterait de grandeur invariable, s'accordait
malaisément, il est vrai, avec la fuite des nébuleuses extragalactiques. Dès 1919, on avait
remarqué que les spectres de ces nébuleuses sont analogues au spectre de la lumière solaire,
mais que, pour presque tous ceux qu'on avait pu photographier, l'ensemble des raies était
notablement déplacé vers le rouge. En ·1924, les observations s'accumulant, ce déplacement
vers le rouge, et par conséquent la fuite radiale de ces nébuleuses, pouvait être considéré
comme un fait empiriquement constaté. Dans l’univers d'Einstein, disions-nous, ce
phénomène ne trouvait pas d'explicationnaturelle. Mais l'astronome hollandais 'de Sitter, en
proposant son univers apparemment statique mais où les nébuleuses devaient nécessairement
s'écarter progressivementles unes des autres, semblait plus rapproché, du succès.
Cependant, une donnée essentielle faisait encore défaut : la mesure tant soit peu
exacte de la distance des nébuleuses. Pour la déterminer, on ne pouvait que s'appuyer sur des
comparaisons d'éclat dont le caractère est spéculatif et la valeur incertaine. La découverte
des céphéides de la nébuleuse d’Andromède permettait d’établir à quelle distance de nous
cette nébuleuse se trouve. Dès lors, le problème de la forme de l'univers pouvait être posé
avec précision et se trouvait porté au premier rang de l'actualité scientifique.
A ce moment, G. Lemaitre examina la théorie de de Sitter et fut amené à la rejeter,
parce qu'elle lui paraissait impliquer une métrique euclidienne. La note 1 qu'il publie alors
annonce les travaux qu'il va poursuivre à Louvain, où il devient chargé de cours, puis
professeur. En 1927 parait son mémoire intitulé : Un univers de masse constante et de rayon
variable rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques. Il y présente
l'espace en expansion comme une solution intermédiaire entre la solution d'Einstein et celle
de de Sitter. Il en déduit une loi liant la vitesse de fuite des nébuleuses extragalactiques à leur
éloignement. Deux ans plus tard, cette loi devait être brillamment confirmée par les mesures
de Hubble. Ce succès initial fondait solidement la cosmogonie du savant belge.
L'univers en expansion fournit en quelque sorte le cadre où viendra prendre place
l'hypothèse cosmogonique de l'atome primitif. Pour concevoir et justi fier l'idée de l'espace en
expansion, il n'était pas nécessaire de sortir de l'astronomie, certains chapitres de la physique,
et spécialement de la physique de la lumière, étant d'ailleurs inséparables de celle-ci. Le
matériel mis en œuvre jusque-là était avant tout du ressort de l'astronomie. Pour passer à
l'hypothèse cosmogonique elle-même, il fallait, au contraire, se référer aux résultats et aux
spéculations les plus récentes de la physique.
Des faits d'ordres divers interviennent ici. Citons, d'une part, l'interprétation
quantique d'un théorème de thermodynamique classique, interprétation liant l'accroissement
de l'entropie au fractionnement croissant de l'énergie ; d'autre part, nos connaissances les plus
récentes, tant sur la constitution de la matière et ses manifestations énergétiques, que sur le
rayonnement cosmique, analogue au rayonnement radioactif, mais extraordinairement plus
puissant. La considération de transuraniens démesurés, se désintégrant avec une violence pro
portionnée à leur dimension devenait possible, par une extrapolation hardie de phénomènes
couramment observés dans les atomes les plus lourds. Relevons à ce propos cet
impressionnant passage des conclusions de l'auteur : « les rayons ultra-pénétrants. sont les
témoins de l'activité primaire du cosmos et nous ont conservé, en se propageant pendant des
milliards d'années dans l' espace admirablement vide le souvenir de l'âge super radioactif ;
comme les fossiles nous témoignent des âges géologiques, ces rayons fossiles nous racontent
ce qui s'est passé avant que les étoiles aient commencé à se former »
L'hypothèse de l'atome primitif, de l'atome unique et formidable qui aurait donné
naissance à notre univers, a été formulée pour la première fois dans une note parue en 1931
et qu'on trouvera reproduite dans l'introduction au présent ouvrage.
L'idée était lancée ; l'ère des difficultés particulières s'ouvrait. L'hypothèse avait à
rendre compte de toute la complexité du monde actuel, de la formation des étoiles et de leur
arrangement en galaxies, de l'expansion de l'univers, des exceptions locales de cette
expansion, etc. Il est remarquable que la théorie de G. Lemaître ait pu surmonter toutes ces
difficultés et éviter, de justesse par fois, tous les écueils. Le lecteur appréciera, tout au long de
l'ouvrage, l'affermissement progressif de la cosmogonie la plus hardie qu'on ait pro posée
jusqu'à ce jour.
Mais cette cosmogonie surmontera-t-elle les épreuves qui l'attendent ? Nul mieux
que Georges Lemaitre ne prévoit les confrontations expérimentales qu'elle aura à subir. En
lui, le technicien auquel on doit, en collaboration avec Vallarta, une théorie éprouvée de la
déviation des rayons cosmiques, le technicien averti tient fermement les rênes d'une puissante
imagination.
***
Une hypothèse scientifique n'est pas uniquement un jeu brillant de l'esprit, un jeu
sans utilité. Le croire serait méconnaître certains caractères essentiels de notre science de la
nature. On ne saurait répondre à une critique de ce genre sans invoquer le témoignage de
Poincaré, ainsi que le fait G. Lemaître au début du chapitre sur les Hypothèses
cosmogoniques. Il est certainement juste de faire remarquer que la connaissance scientifique
« progresse par la collaboration de l'observation et de l'hypothèse, par le contact et souvent
par le conflit du fait et de l'idée » Mais cette affirmation est encore trop prudente. Il y a
d'ailleurs dans la pensée de Poincaré un certain conventionnalisme, un certain nominalisme,
inhérent au fond de sa philosophie mathématique et qui l'empêche d'apprécier à sa valeur le
rôle de l'hypothèse. Les récents développements de la science, où l'expérience et la
spéculation s'entremêlent et se soutiennent l'une l'autre de façon difficilement analysable,
nous ont ouvert les yeux.
Nous avons vu tout d'abord diminuer la distance entre l'axiome et l'hypothèse.
L'axiome de géométrie comme l'axiome de logique était autrefois considéré comme une
vérité à la fois indémontrable et nécessaire. On n'hésite pas aujourd'hui à les traiter d'énoncés
hypothétiques. Les systèmes axiomatiques eux-mêmes sont parfois définis comme des
systèmes hypothético-déductifs. Sans aller jusqu'à faire de l'axiome un énoncé arbitraire, – ce
qui serait pousser les choses à l'absurde, – il faut admettre que la méthode axiomatique nous a
rendu une certaine liberté à l'égard de l'axiome, liberté de le recevoir, de le refuser, de le
remplacer par un autre énoncé, etc. Si l'axiome a perdu de sa nécessité relativement à
l'hypothèse, l'hypothèse a acquis une certaine réalité par rapport à l'axiome.
Par ailleurs, nous avons vu s'affaiblir la différence entre l'hypothèse et le fait
d'observation. Nous avons appris à distinguer ce qu'il y a de subjectif, d'occasionnel,
d'indéterminé dans l'observation des faits concrets. Existe-t-il un seul énoncé qui puisse être
considéré comme l'exacte expression d'un fait de pure observation ? Aux deux extrémités de
l' échelle des grandeurs mesurables, certains facteurs d'indécision subsistent. Dans le monde
atomique, l'observation trouble le phénomène ; dans l'univers astronomique, l' observateur
n'entre en contact avec la réalité que par des liaisons visuelles. L'analyse serrée de nos
moyens et de nos méthodes d'observation rapproche le fait brut de la spéculation : le fait
apparaît moins étranger à l'esprit, l'hypothèse moins arbitraire.
Une expérience est une question que l'homme pose à la nature ; un résultat
d'observation est une réponse que la nature concède à l'homme. Or, une hypothèse bien
formulée est orientée vers le réel comme pour venir au-devant des faits ; c'est une réponse
provisoire, supputée.
Dans les sciences de la nature, une .hypothèse n'est pas une idée jetée au hasard dans
la discussion ; on peut à peine dire qu'elle est libre : jamais elle n'est arbitraire. N'est-elle pas
toujours pour notre esprit une façon de s'insérer dans le réel ?
Après avoir situé l'hypothèse par rapport à l'axiome et au fait d'observation,
confrontons-la avec l'idée de loi. Bien des lois qui semblaient établies à jamais ont dû être
révisées. La loi de Newton, par exemple, fut considérée pendant près de deux siècles
comme une vérité dernière ; elle semblait satisfaire à toutes nos exigences ; sa simplicité
mathématique, – ne sommes-nous pas tenté de dire sa beauté ?– son efficacité l'image des
cieux qu'elle suggérait, tout s'unis- sait pour lui conférer un caractère définitif. Elle est
dépassée par la gravifique einsteinienne et nous devons juger aujourd'hui qu'elle ne fut
qu'une hypothèse, une hypothèse qui a longtemps porté, indument pour ceux qui jugent
avec raideur, le nom de loi. En somme, toute loi expérimentale n'est-elle pas sous la menace
d'un sort analogue ? Prenant sa légitimité dans l'observation, elle est de ce fait même
révisable et sa certitude n'est en principe relative qu'à l'état actuel de la connaissance ? Une
loi naturelle n'est pas autres .chose qu'une réponse susceptible de devenir définitive, mais
aussi d'être simplement transitoire. La loi même qui, jusqu'à nos jours, a régi l'histoire de la
connaissance est précisément que la validité des lois naturelles n'est jamais que relative.
D'autre part, une hypothèse n'est-elle pas candidate à la dignité de loi ? S'il lui faut
encore quelques vérifications expérimentales pour satisfaire un esprit exigeant, le fait qu'elle
est examinée prouve assez qu'elle a déjà trouvé des points d'appui dans le réel.
Ces quelques remarques sur les mérites comparés de l'axiome, du fait expérimental,
de l'hypothèse et de la loi ne sont pas de simples jeux verbaux. L'étude des fondements et
l'analyse minutieuse des méthodes nous engagent à mettre ces quatre concepts dans la même
perspective : à des degrés différents, ils saisissent le réel que tous ils recherchent. Ce sont
divers modes selon lesquels se joignent et se concilient la nécessité de fait et la liberté de
jugement.
On comprend ainsi qu'une hypothèse cosmogonique qui parvient à lier entre eux, en
vertu d'une même idée, des faits en apparence aussi étrangers les uns aux autres que les
rayons cosmiques, la fuite des nébuleuses et l'interprétation thermodynamique du
fractionnement de l'énergie, puisse représenter un effort synthétique d'appréhension du réel.
La cosmogonie de Georges Lemaître est une véritable synthèse inductive.
Si quelque lecteur peu sensible à une argumentation qu'illustre pourtant tout le
développement de la science, met en doute l'utilité des hypothèses cosmogoniques et les
considère encore comme un vain jeu de l'esprit, pourquoi ne lui dirions-nous pas : « Comment
comprenez-vous l'utilité ? Exigez-vous que la science soit utilitaire au sens le plus commun
du terme ? N'envisagez-vous pas qu'elle puisse être utile à l'homme en satisfaisant aussi
certains besoins élémentaires et profonds de l'esprit, en particulier celui de contempler
l'ordonnance réelle des cieux. »
La science moderne, en éclairant les techni-ques, s'est faite humblement utilitaire, –
ne songeons pas à nous en plaindre. Cependant, n'oublions pas que chez les Grecs, elle
tournait résolument le dos à l'utilitarisme et ne voulait être que théorie, c'est-à-dire
contemplation. Le besoin auquel elle entendait répondre n'est pas éteint en nous : la science
en est encore tout animée. Est-il une science qui réponde mieux à cette aspiration que
l'astronomie ? Est-il un objet qu'on puisse contempler avec une plus profonde émotion que
l'univers qui nous entoure ?
Demande-t-on quelle est l’utilité de la IXe
symphonie de Beethoven ? Pourquoi
demander quelle est celle d'une hypothèse cosmogonique ?
***
Et cependant la portée d'une hypothèse cosmogonique dépasse d'une manière
incommensurable la sphère de l'utile immédiat et touche à la nécessité. Comme la voûte du
ciel sur- plombe et enveloppe la terre de toutes parts, une certaine doctrine cosmogonique
domine et enveloppe la conscience de l'homme, la conscience de tous les hommes. Cela est
vrai même du primitif et de l'ignorant qui n'ont aucune idée de ce que la patiente
observation des apparences célestes a révélé aux astronomes. Chez eux, le climat mental est
sous la dépendance d'une idée plus ou moins nettement perçue : celle du rapport de la
créature au cosmos qui l'environne. Aucun esprit humain ne peut se passer d'une
représentation plus ou moins évoluée et plus ou moins consciente de l'espace cosmique, de la
nature des astres, des causes de la succession des jours, des nuits et des saisons. Le mot de
doctrine est peut-être trop explicite pour désigner cet ensemble d'images, de mythes, de
vues, de connaissances et d'émotions, mais il est probablement trop faible. N'est-il pas dans
la nature de l' esprit humain de chercher à formuler l'élément cosmogonique qu'il
comporte ? Comme, pour être lui-même, un accord ne saurait se passer d'une certaine note,
l'harmonie de notre être mental ne saurait être privée de la note cosmique. Bref, dans chaque
esprit, comme un élément nécessaire à son équilibre, se trouve comprise une hypothèse
cosmogonique.
Cette hypothèse, qui chez l'homme de science prend une forme particulièrement
consciente, ne saurait rester indépendante de l'ensemble de son savoir. L'unité de son être
mental exige qu'elle soit adaptée aux méthodes et à l’état d'avancement des sciences de la
nature. Il ne suffit pas, pour la constituer, de statuer arbitrairement que des lois existent qui
n'auraient pas été observées : elle doit, au contraire, s'adapter au cadre de l'acquis, à la ligne
de l'éprouvé et prolonger la direction du vérifié
Vu sous cet angle, le problème cosmogonique n'a rien d'un problème
arbitrairement posé : on n'est pas seulement autorisé à l'abord er ; il s'impose à l'esprit. C'est
une question inévitable que les progrès de la connaissance font fatalement surgir. Dans la
perspective de la science moderne, l'hypothèse de l'atome primiti f revêt un certain
caractère de nécessité.
***
Du fait même qu'il touche à l'un des éléments fondamentaux de l'équilibre mental et
ne saurait le toucher sans le transformer, le problème cosmogonique a ses dangers. Il n'est
pas certain d'avance que l'esprit qui s'aventure hors des positions où il avait trouvé,
provisoirement peut-être, un équilibre, se retrouve immédiatement dans une position stable.
Soumettre ce problème aux instances objectives, c'est en susciter d'autres ·pour lesquels il
n'est pas sûr que nous trouvions une solution satisfaisante propre à apaiser notre inquiétude
philosophique.
En particulier, le problème cosmogonique posé comme un problème de la
connaissance conduit au problème de l'origine du monde dans le temps et au problème de
ses limites dans l’espace. On sait que l'examen de ces problèmes conduit à l'antinomie
suivante :
- Le monde a un commencement dans le temps et il est aussi limité dans l'espace.
- Le monde n'a ni commencement dans le temps, ni limites dans l'espace, mais il est
infini aussi bien dans le temps que dans l'espace1
La solution que Kant a donnée de cette antinomie est difficile à accepter pour un
homme de science parce qu'elle dévalorise unilatéralement l'idée de réalité. Il est clair que
toute antinomie, jusqu'au jour où elle est résolue, met la pensée discursive dans une position
incommode et délicate. Car une antinomie n'est pas simplement une question difficile,
encore sans réponse, c'est une question à laquelle il semble qu'on ne puisse répondre sans se
mettre en contradiction avec soi-même. C'est la pierre de touche au contact de laquelle la rai-
son semble perdre son authenticité. Si la mise au net d'une hypothèse cosmogonique n'est
pas un simple jeu, les antinomies qu'elle fait surgir sont de véritables obstacles intellectuels
1 Kant, Critique de la raison pure
que la pensée discursive ne peut déclarer insurmontables sans s'infliger un démenti de
principe.
Nous disions que la solution kantienne de l'antinomie de l'origine et des limites du
monde est difficilement acceptable pour un homme de science. Celui-ci a-t-il quelque
exigence à faire valoir ? Nourrit-il quelque espoir quant à la façon dont une solution légitime
pourra se présenter ? Les antinomies, avons-nous remarqué, naissent du fait que l'on prétend
soumettre certaines questions complexes aux instances objectives. Elles se présentent ainsi
comme des phénomènes secondaires accompagnant le progrès de la connaissance. Le savant
abandonnera difficilement l'espoir que les difficultés ainsi suscitées ne puissent être
surmontées autrement que par une connaissance encore plus approfondie, plus consciente
de ses résultats et de ses méthodes.
Cet espoir est-il démesuré ? Reprenons, par exemple, l'antinomie des limites du
monde. Elle repose sur une double idée, celle que la géométrie euclidienne est la seule
analyse possible de l’espace, et que notre vision intuitive de l’espace renferme à jamais l'idée
que nous pouvons nous faire d'un espace réel. Le cercle de cette antinomie se trouve tout
naturellement rompu par la possibilité d'autres géométries, par exemple par la possibilité d'un
espace elliptique fermé, c'est-à-dire fini, bien que sans limites, donc par un exercice
assoupli de notre connaissance intuitive. En tant que construction scientifique, l'univers de G.
Lemaître échappe précisément à cette antinomie ; la science a su concevoir une structure
spatiale sur laquelle l'antinomie kantienne n'a plus de prise. Dans ce cas, l'espoir du savant
s'est trouvé justifié.
L'antinomie de l'origine est plus profonde : il est extrêmement remarquable que
l'hypothèse de G. Lemaître la surmonte également.
Pour y parvenir, il est nécessaire que l'analyse des moyens mis en œuvre gagne
en profondeur. Rappelons-nous quelles sont les « règles du jeu ». A partir de conditions
initiales adéquates, l'état actuel de l'univers doit être rejoint par une évolution soumise aux
seules lois naturelles déjà connues et déjà contrôlées.
A première vue, l'application stricte de cette règle fondamentale se heurte à une
grave difficulté relative aux notions même de l'espace et du temps.
En physique classique, l'espace est une structure continue tridimensionnelle à
laquelle le temps vient adjoindre sa structure à dimension unique, continue et autonome. On
sait que, dans la physique relativiste, ces deux structures se trouvent fondues en un univers
quadridimensionnel lui aussi continu. Cet univers relativiste est le lieu des lois d'attraction et
de répulsion entre les particules douées de masse et d'énergie. C'est un univers analogue qui
est le siège de l'évolution cosmogonique retracée par Georges Lemaître.
Mais dans la physique quantique, la nature de l' espace et du temps se trouve
profondément altérée : ce ne sont plus que des notions globales et valables seulement à la
façon de moyennes statistiques. Si le monde se réduisait à une seule et immense particule,
il ne pourrait plus être question d'espace et de temps ; ces notions ne s'introduiraient avec
leur signification actuelle que progressivement, une fois que le fractionnement de l'atome
primitif aurait engendré un nombre assez grand de particules. C'est à partir de ce stade que
les lois gravifiques pourraient être invoquées. En d'autres termes, les règles strictes du jeu
ne peuvent être observées dès l'état initial.
Pour écarter cette difficulté, il suffit de suivre l'évolution en sens contraire, en
remontant le cours du temps. Le monde se resserre : dans leur tendance générale, les énergies
refluent vers une condensation qui se rapproche de l'atome primitif. Mais à mesure que celui
reprend son existence, le temps se désagrège et l'espace s'évanouit : le problème de l'origine
perd ainsi sa signification objective. L'antinomie se résout donc de la façon la plus
impressionnante.
Sans renoncer à ses droits naturels, sans se contredire elle-même, sans compromettre
sa méthode et son efficacité, la raison humaine sait apercevoir que le problème de l'origine ne
comporte pas de réponse absolue dans les catégories, – humaines elles aussi, – du temps et de
l'espace. C'est un problème qui ne comporte qu'une réponse sommaire.
Quel que soit l'avenir de l'hypothèse de l'atome primitif, on peut dire sans
exagération que la grandiose perspective qu'elle dessine dans le monde phénoménal se
réfléchit en une grandiose perspective sur le plan philosophique.
Ferdinand Gonseth

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Préface à l'hypothèse de l'atome primitif

  • 1. L’hypothèse de l’atome primitif – essai de cosmogonie – Georges Lemaître PREFACE de Ferdinand Gonseth L'apparition d'une hypothèse cosmogonique digne d'être prise au sérieux est non seulement un événement rare, mais une indication précieuse sur les progrès accomplis dans la con- naissance de l'univers. Il faut, en effet, que les perspectives scientifiques se soient entièrement renouvelées pour qu'on ait intérêt à remanier les hypothèses en cours sur l'origine et l'évolution du monde. Une vision nouvelle de l'espace et des astres qui le peuplent ne peut s'imposer sans que la connaissance objective des phénomènes se soit essentiellement approfondie ou transformée. Personne ne doute que ces conditions soient réalisées aujourd'hui. De la pesanteur de l'énergie à la fuite des nébuleuses et aux rayons cosmiques, la science a fait, au cours de ces dernières années, les découvertes les plus extraordinaires, mettant au jour les éléments qui, ordonnés par la main d'un maître, devaient donner naissance à une nouvelle cosmogonie. Tout un ensemble de faits nouveaux se trouvait réuni, offrant un appui solide aux audacieuses constructions de l'imagination. L'œuvre longuement méditée que le chanoine Georges Lemaître présente aujourd'hui au public de langue française repose sur une exacte évaluation des moyens de connaissance dont dispose l'esprit humain. Elle témoigne d'un effort de synthèse qui se poursuit jusque dans les détails et reste toujours fondé dans les techniques de l'objectivité. Ces qualités lui assurent un retentissement qui dépasse les strictes limites de la science. Nous ne résisterons donc pas à la tentation de dégager la signification philosophique que cet ouvrage nous semble comporter. Né à Charleroi, en 1894, Georges Lemaître commença des études d'ingénieur que la guerre vint interrompre, s'adonna par la suite aux mathématiques et obtint en 1920 le grade de docteur ès sciences mathématiques et physiques. Au séminaire de Malines, où il fut autorisé à poursuivre ses études de sciences, il se familiarisa avec la théorie de la relativité. Ordonné prêtre en 1923, il part pour Cambridge, où il reçoit l’enseignement d'Eddington, avec lequel il restera en relations suivies. Il passe en Amérique l'hiver 1924 à 1925 et travaille principalement à l'Observatoire de Harvard. C'est à la fin de ce séjour qu'il entendit Hubble présenter, dans une mémorable séance de l'Académie, réunie à Washington, la découverte des céphéides dans la nébuleuse d'Andromède.
  • 2. L'importance de cette constatation n'échappa point à G. Lemaître. Influencée par la théorie de la relativité généralisée, la conception de l’univers, considéré dans sa totalité, était entrée dans une phase d'évolution rapide. L'idée d'un univers à la fois illimité et de dimensions finies commençait à s'imposer à bien des esprits. La solution d'Einstein, solution statique selon laquelle le tour d'espace resterait de grandeur invariable, s'accordait malaisément, il est vrai, avec la fuite des nébuleuses extragalactiques. Dès 1919, on avait remarqué que les spectres de ces nébuleuses sont analogues au spectre de la lumière solaire, mais que, pour presque tous ceux qu'on avait pu photographier, l'ensemble des raies était notablement déplacé vers le rouge. En ·1924, les observations s'accumulant, ce déplacement vers le rouge, et par conséquent la fuite radiale de ces nébuleuses, pouvait être considéré comme un fait empiriquement constaté. Dans l’univers d'Einstein, disions-nous, ce phénomène ne trouvait pas d'explicationnaturelle. Mais l'astronome hollandais 'de Sitter, en proposant son univers apparemment statique mais où les nébuleuses devaient nécessairement s'écarter progressivementles unes des autres, semblait plus rapproché, du succès. Cependant, une donnée essentielle faisait encore défaut : la mesure tant soit peu exacte de la distance des nébuleuses. Pour la déterminer, on ne pouvait que s'appuyer sur des comparaisons d'éclat dont le caractère est spéculatif et la valeur incertaine. La découverte des céphéides de la nébuleuse d’Andromède permettait d’établir à quelle distance de nous cette nébuleuse se trouve. Dès lors, le problème de la forme de l'univers pouvait être posé avec précision et se trouvait porté au premier rang de l'actualité scientifique. A ce moment, G. Lemaitre examina la théorie de de Sitter et fut amené à la rejeter, parce qu'elle lui paraissait impliquer une métrique euclidienne. La note 1 qu'il publie alors annonce les travaux qu'il va poursuivre à Louvain, où il devient chargé de cours, puis professeur. En 1927 parait son mémoire intitulé : Un univers de masse constante et de rayon variable rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extragalactiques. Il y présente l'espace en expansion comme une solution intermédiaire entre la solution d'Einstein et celle de de Sitter. Il en déduit une loi liant la vitesse de fuite des nébuleuses extragalactiques à leur éloignement. Deux ans plus tard, cette loi devait être brillamment confirmée par les mesures de Hubble. Ce succès initial fondait solidement la cosmogonie du savant belge. L'univers en expansion fournit en quelque sorte le cadre où viendra prendre place l'hypothèse cosmogonique de l'atome primitif. Pour concevoir et justi fier l'idée de l'espace en expansion, il n'était pas nécessaire de sortir de l'astronomie, certains chapitres de la physique, et spécialement de la physique de la lumière, étant d'ailleurs inséparables de celle-ci. Le matériel mis en œuvre jusque-là était avant tout du ressort de l'astronomie. Pour passer à
  • 3. l'hypothèse cosmogonique elle-même, il fallait, au contraire, se référer aux résultats et aux spéculations les plus récentes de la physique. Des faits d'ordres divers interviennent ici. Citons, d'une part, l'interprétation quantique d'un théorème de thermodynamique classique, interprétation liant l'accroissement de l'entropie au fractionnement croissant de l'énergie ; d'autre part, nos connaissances les plus récentes, tant sur la constitution de la matière et ses manifestations énergétiques, que sur le rayonnement cosmique, analogue au rayonnement radioactif, mais extraordinairement plus puissant. La considération de transuraniens démesurés, se désintégrant avec une violence pro portionnée à leur dimension devenait possible, par une extrapolation hardie de phénomènes couramment observés dans les atomes les plus lourds. Relevons à ce propos cet impressionnant passage des conclusions de l'auteur : « les rayons ultra-pénétrants. sont les témoins de l'activité primaire du cosmos et nous ont conservé, en se propageant pendant des milliards d'années dans l' espace admirablement vide le souvenir de l'âge super radioactif ; comme les fossiles nous témoignent des âges géologiques, ces rayons fossiles nous racontent ce qui s'est passé avant que les étoiles aient commencé à se former » L'hypothèse de l'atome primitif, de l'atome unique et formidable qui aurait donné naissance à notre univers, a été formulée pour la première fois dans une note parue en 1931 et qu'on trouvera reproduite dans l'introduction au présent ouvrage. L'idée était lancée ; l'ère des difficultés particulières s'ouvrait. L'hypothèse avait à rendre compte de toute la complexité du monde actuel, de la formation des étoiles et de leur arrangement en galaxies, de l'expansion de l'univers, des exceptions locales de cette expansion, etc. Il est remarquable que la théorie de G. Lemaître ait pu surmonter toutes ces difficultés et éviter, de justesse par fois, tous les écueils. Le lecteur appréciera, tout au long de l'ouvrage, l'affermissement progressif de la cosmogonie la plus hardie qu'on ait pro posée jusqu'à ce jour. Mais cette cosmogonie surmontera-t-elle les épreuves qui l'attendent ? Nul mieux que Georges Lemaitre ne prévoit les confrontations expérimentales qu'elle aura à subir. En lui, le technicien auquel on doit, en collaboration avec Vallarta, une théorie éprouvée de la déviation des rayons cosmiques, le technicien averti tient fermement les rênes d'une puissante imagination. *** Une hypothèse scientifique n'est pas uniquement un jeu brillant de l'esprit, un jeu sans utilité. Le croire serait méconnaître certains caractères essentiels de notre science de la nature. On ne saurait répondre à une critique de ce genre sans invoquer le témoignage de
  • 4. Poincaré, ainsi que le fait G. Lemaître au début du chapitre sur les Hypothèses cosmogoniques. Il est certainement juste de faire remarquer que la connaissance scientifique « progresse par la collaboration de l'observation et de l'hypothèse, par le contact et souvent par le conflit du fait et de l'idée » Mais cette affirmation est encore trop prudente. Il y a d'ailleurs dans la pensée de Poincaré un certain conventionnalisme, un certain nominalisme, inhérent au fond de sa philosophie mathématique et qui l'empêche d'apprécier à sa valeur le rôle de l'hypothèse. Les récents développements de la science, où l'expérience et la spéculation s'entremêlent et se soutiennent l'une l'autre de façon difficilement analysable, nous ont ouvert les yeux. Nous avons vu tout d'abord diminuer la distance entre l'axiome et l'hypothèse. L'axiome de géométrie comme l'axiome de logique était autrefois considéré comme une vérité à la fois indémontrable et nécessaire. On n'hésite pas aujourd'hui à les traiter d'énoncés hypothétiques. Les systèmes axiomatiques eux-mêmes sont parfois définis comme des systèmes hypothético-déductifs. Sans aller jusqu'à faire de l'axiome un énoncé arbitraire, – ce qui serait pousser les choses à l'absurde, – il faut admettre que la méthode axiomatique nous a rendu une certaine liberté à l'égard de l'axiome, liberté de le recevoir, de le refuser, de le remplacer par un autre énoncé, etc. Si l'axiome a perdu de sa nécessité relativement à l'hypothèse, l'hypothèse a acquis une certaine réalité par rapport à l'axiome. Par ailleurs, nous avons vu s'affaiblir la différence entre l'hypothèse et le fait d'observation. Nous avons appris à distinguer ce qu'il y a de subjectif, d'occasionnel, d'indéterminé dans l'observation des faits concrets. Existe-t-il un seul énoncé qui puisse être considéré comme l'exacte expression d'un fait de pure observation ? Aux deux extrémités de l' échelle des grandeurs mesurables, certains facteurs d'indécision subsistent. Dans le monde atomique, l'observation trouble le phénomène ; dans l'univers astronomique, l' observateur n'entre en contact avec la réalité que par des liaisons visuelles. L'analyse serrée de nos moyens et de nos méthodes d'observation rapproche le fait brut de la spéculation : le fait apparaît moins étranger à l'esprit, l'hypothèse moins arbitraire. Une expérience est une question que l'homme pose à la nature ; un résultat d'observation est une réponse que la nature concède à l'homme. Or, une hypothèse bien formulée est orientée vers le réel comme pour venir au-devant des faits ; c'est une réponse provisoire, supputée. Dans les sciences de la nature, une .hypothèse n'est pas une idée jetée au hasard dans la discussion ; on peut à peine dire qu'elle est libre : jamais elle n'est arbitraire. N'est-elle pas toujours pour notre esprit une façon de s'insérer dans le réel ?
  • 5. Après avoir situé l'hypothèse par rapport à l'axiome et au fait d'observation, confrontons-la avec l'idée de loi. Bien des lois qui semblaient établies à jamais ont dû être révisées. La loi de Newton, par exemple, fut considérée pendant près de deux siècles comme une vérité dernière ; elle semblait satisfaire à toutes nos exigences ; sa simplicité mathématique, – ne sommes-nous pas tenté de dire sa beauté ?– son efficacité l'image des cieux qu'elle suggérait, tout s'unis- sait pour lui conférer un caractère définitif. Elle est dépassée par la gravifique einsteinienne et nous devons juger aujourd'hui qu'elle ne fut qu'une hypothèse, une hypothèse qui a longtemps porté, indument pour ceux qui jugent avec raideur, le nom de loi. En somme, toute loi expérimentale n'est-elle pas sous la menace d'un sort analogue ? Prenant sa légitimité dans l'observation, elle est de ce fait même révisable et sa certitude n'est en principe relative qu'à l'état actuel de la connaissance ? Une loi naturelle n'est pas autres .chose qu'une réponse susceptible de devenir définitive, mais aussi d'être simplement transitoire. La loi même qui, jusqu'à nos jours, a régi l'histoire de la connaissance est précisément que la validité des lois naturelles n'est jamais que relative. D'autre part, une hypothèse n'est-elle pas candidate à la dignité de loi ? S'il lui faut encore quelques vérifications expérimentales pour satisfaire un esprit exigeant, le fait qu'elle est examinée prouve assez qu'elle a déjà trouvé des points d'appui dans le réel. Ces quelques remarques sur les mérites comparés de l'axiome, du fait expérimental, de l'hypothèse et de la loi ne sont pas de simples jeux verbaux. L'étude des fondements et l'analyse minutieuse des méthodes nous engagent à mettre ces quatre concepts dans la même perspective : à des degrés différents, ils saisissent le réel que tous ils recherchent. Ce sont divers modes selon lesquels se joignent et se concilient la nécessité de fait et la liberté de jugement. On comprend ainsi qu'une hypothèse cosmogonique qui parvient à lier entre eux, en vertu d'une même idée, des faits en apparence aussi étrangers les uns aux autres que les rayons cosmiques, la fuite des nébuleuses et l'interprétation thermodynamique du fractionnement de l'énergie, puisse représenter un effort synthétique d'appréhension du réel. La cosmogonie de Georges Lemaître est une véritable synthèse inductive. Si quelque lecteur peu sensible à une argumentation qu'illustre pourtant tout le développement de la science, met en doute l'utilité des hypothèses cosmogoniques et les considère encore comme un vain jeu de l'esprit, pourquoi ne lui dirions-nous pas : « Comment comprenez-vous l'utilité ? Exigez-vous que la science soit utilitaire au sens le plus commun du terme ? N'envisagez-vous pas qu'elle puisse être utile à l'homme en satisfaisant aussi
  • 6. certains besoins élémentaires et profonds de l'esprit, en particulier celui de contempler l'ordonnance réelle des cieux. » La science moderne, en éclairant les techni-ques, s'est faite humblement utilitaire, – ne songeons pas à nous en plaindre. Cependant, n'oublions pas que chez les Grecs, elle tournait résolument le dos à l'utilitarisme et ne voulait être que théorie, c'est-à-dire contemplation. Le besoin auquel elle entendait répondre n'est pas éteint en nous : la science en est encore tout animée. Est-il une science qui réponde mieux à cette aspiration que l'astronomie ? Est-il un objet qu'on puisse contempler avec une plus profonde émotion que l'univers qui nous entoure ? Demande-t-on quelle est l’utilité de la IXe symphonie de Beethoven ? Pourquoi demander quelle est celle d'une hypothèse cosmogonique ? *** Et cependant la portée d'une hypothèse cosmogonique dépasse d'une manière incommensurable la sphère de l'utile immédiat et touche à la nécessité. Comme la voûte du ciel sur- plombe et enveloppe la terre de toutes parts, une certaine doctrine cosmogonique domine et enveloppe la conscience de l'homme, la conscience de tous les hommes. Cela est vrai même du primitif et de l'ignorant qui n'ont aucune idée de ce que la patiente observation des apparences célestes a révélé aux astronomes. Chez eux, le climat mental est sous la dépendance d'une idée plus ou moins nettement perçue : celle du rapport de la créature au cosmos qui l'environne. Aucun esprit humain ne peut se passer d'une représentation plus ou moins évoluée et plus ou moins consciente de l'espace cosmique, de la nature des astres, des causes de la succession des jours, des nuits et des saisons. Le mot de doctrine est peut-être trop explicite pour désigner cet ensemble d'images, de mythes, de vues, de connaissances et d'émotions, mais il est probablement trop faible. N'est-il pas dans la nature de l' esprit humain de chercher à formuler l'élément cosmogonique qu'il comporte ? Comme, pour être lui-même, un accord ne saurait se passer d'une certaine note, l'harmonie de notre être mental ne saurait être privée de la note cosmique. Bref, dans chaque esprit, comme un élément nécessaire à son équilibre, se trouve comprise une hypothèse cosmogonique. Cette hypothèse, qui chez l'homme de science prend une forme particulièrement consciente, ne saurait rester indépendante de l'ensemble de son savoir. L'unité de son être mental exige qu'elle soit adaptée aux méthodes et à l’état d'avancement des sciences de la nature. Il ne suffit pas, pour la constituer, de statuer arbitrairement que des lois existent qui
  • 7. n'auraient pas été observées : elle doit, au contraire, s'adapter au cadre de l'acquis, à la ligne de l'éprouvé et prolonger la direction du vérifié Vu sous cet angle, le problème cosmogonique n'a rien d'un problème arbitrairement posé : on n'est pas seulement autorisé à l'abord er ; il s'impose à l'esprit. C'est une question inévitable que les progrès de la connaissance font fatalement surgir. Dans la perspective de la science moderne, l'hypothèse de l'atome primiti f revêt un certain caractère de nécessité. *** Du fait même qu'il touche à l'un des éléments fondamentaux de l'équilibre mental et ne saurait le toucher sans le transformer, le problème cosmogonique a ses dangers. Il n'est pas certain d'avance que l'esprit qui s'aventure hors des positions où il avait trouvé, provisoirement peut-être, un équilibre, se retrouve immédiatement dans une position stable. Soumettre ce problème aux instances objectives, c'est en susciter d'autres ·pour lesquels il n'est pas sûr que nous trouvions une solution satisfaisante propre à apaiser notre inquiétude philosophique. En particulier, le problème cosmogonique posé comme un problème de la connaissance conduit au problème de l'origine du monde dans le temps et au problème de ses limites dans l’espace. On sait que l'examen de ces problèmes conduit à l'antinomie suivante : - Le monde a un commencement dans le temps et il est aussi limité dans l'espace. - Le monde n'a ni commencement dans le temps, ni limites dans l'espace, mais il est infini aussi bien dans le temps que dans l'espace1 La solution que Kant a donnée de cette antinomie est difficile à accepter pour un homme de science parce qu'elle dévalorise unilatéralement l'idée de réalité. Il est clair que toute antinomie, jusqu'au jour où elle est résolue, met la pensée discursive dans une position incommode et délicate. Car une antinomie n'est pas simplement une question difficile, encore sans réponse, c'est une question à laquelle il semble qu'on ne puisse répondre sans se mettre en contradiction avec soi-même. C'est la pierre de touche au contact de laquelle la rai- son semble perdre son authenticité. Si la mise au net d'une hypothèse cosmogonique n'est pas un simple jeu, les antinomies qu'elle fait surgir sont de véritables obstacles intellectuels 1 Kant, Critique de la raison pure
  • 8. que la pensée discursive ne peut déclarer insurmontables sans s'infliger un démenti de principe. Nous disions que la solution kantienne de l'antinomie de l'origine et des limites du monde est difficilement acceptable pour un homme de science. Celui-ci a-t-il quelque exigence à faire valoir ? Nourrit-il quelque espoir quant à la façon dont une solution légitime pourra se présenter ? Les antinomies, avons-nous remarqué, naissent du fait que l'on prétend soumettre certaines questions complexes aux instances objectives. Elles se présentent ainsi comme des phénomènes secondaires accompagnant le progrès de la connaissance. Le savant abandonnera difficilement l'espoir que les difficultés ainsi suscitées ne puissent être surmontées autrement que par une connaissance encore plus approfondie, plus consciente de ses résultats et de ses méthodes. Cet espoir est-il démesuré ? Reprenons, par exemple, l'antinomie des limites du monde. Elle repose sur une double idée, celle que la géométrie euclidienne est la seule analyse possible de l’espace, et que notre vision intuitive de l’espace renferme à jamais l'idée que nous pouvons nous faire d'un espace réel. Le cercle de cette antinomie se trouve tout naturellement rompu par la possibilité d'autres géométries, par exemple par la possibilité d'un espace elliptique fermé, c'est-à-dire fini, bien que sans limites, donc par un exercice assoupli de notre connaissance intuitive. En tant que construction scientifique, l'univers de G. Lemaître échappe précisément à cette antinomie ; la science a su concevoir une structure spatiale sur laquelle l'antinomie kantienne n'a plus de prise. Dans ce cas, l'espoir du savant s'est trouvé justifié. L'antinomie de l'origine est plus profonde : il est extrêmement remarquable que l'hypothèse de G. Lemaître la surmonte également. Pour y parvenir, il est nécessaire que l'analyse des moyens mis en œuvre gagne en profondeur. Rappelons-nous quelles sont les « règles du jeu ». A partir de conditions initiales adéquates, l'état actuel de l'univers doit être rejoint par une évolution soumise aux seules lois naturelles déjà connues et déjà contrôlées. A première vue, l'application stricte de cette règle fondamentale se heurte à une grave difficulté relative aux notions même de l'espace et du temps. En physique classique, l'espace est une structure continue tridimensionnelle à laquelle le temps vient adjoindre sa structure à dimension unique, continue et autonome. On sait que, dans la physique relativiste, ces deux structures se trouvent fondues en un univers quadridimensionnel lui aussi continu. Cet univers relativiste est le lieu des lois d'attraction et
  • 9. de répulsion entre les particules douées de masse et d'énergie. C'est un univers analogue qui est le siège de l'évolution cosmogonique retracée par Georges Lemaître. Mais dans la physique quantique, la nature de l' espace et du temps se trouve profondément altérée : ce ne sont plus que des notions globales et valables seulement à la façon de moyennes statistiques. Si le monde se réduisait à une seule et immense particule, il ne pourrait plus être question d'espace et de temps ; ces notions ne s'introduiraient avec leur signification actuelle que progressivement, une fois que le fractionnement de l'atome primitif aurait engendré un nombre assez grand de particules. C'est à partir de ce stade que les lois gravifiques pourraient être invoquées. En d'autres termes, les règles strictes du jeu ne peuvent être observées dès l'état initial. Pour écarter cette difficulté, il suffit de suivre l'évolution en sens contraire, en remontant le cours du temps. Le monde se resserre : dans leur tendance générale, les énergies refluent vers une condensation qui se rapproche de l'atome primitif. Mais à mesure que celui reprend son existence, le temps se désagrège et l'espace s'évanouit : le problème de l'origine perd ainsi sa signification objective. L'antinomie se résout donc de la façon la plus impressionnante. Sans renoncer à ses droits naturels, sans se contredire elle-même, sans compromettre sa méthode et son efficacité, la raison humaine sait apercevoir que le problème de l'origine ne comporte pas de réponse absolue dans les catégories, – humaines elles aussi, – du temps et de l'espace. C'est un problème qui ne comporte qu'une réponse sommaire. Quel que soit l'avenir de l'hypothèse de l'atome primitif, on peut dire sans exagération que la grandiose perspective qu'elle dessine dans le monde phénoménal se réfléchit en une grandiose perspective sur le plan philosophique. Ferdinand Gonseth