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EconomieActuel
8 - RÉALITÉS - N° 1487 - du 26/6 au 2/7/2014
Candidat consensuel
à la présidentielle
Lesdessousd’unpiège
E
n lançant un appel à la candi-
dature présidentielle consen-
suelle, Ennahdha, démis-
sionnaire obligé du gouvernement,
prétend rassembler la scène politique
tunisienne. Jusqu’à son départ forcé
du gouvernement, le mouvement
islamiste a été accusé de diviser les
Tunisiens. Avant même sa conquête
du pouvoir, sa campagne électorale a
scindé les Tunisiens entre musulmans
et mécréants, entre fidèles à l’identité
arabo-musulmane et ennemis celle-ci.
Depuis les temps ont changé. Assas-
sinats, violences des LPR et des sala-
fistes, attentats terroristes, éviction
des Frères musulmans du pouvoir en
Egypte, se sont conjugués pour ame-
ner le parti islamiste à revoir ses posi-
tions.
Aujourd’hui, commencer la période
électorale par un appel à un candidat
consensuel à la présidentielle, semble
être un appel à tourner la page et à
aborder la campagne dans un esprit
rassembleur. Ennahdha a quitté le
pouvoir à l’issue d’un dialogue natio-
nal n’ayant pu être organisé qu’avec
la médiation du Quartet (UGTT,
UTICA, LDHT et Ordre des Avocats)
tant la scène politique était fragmen-
tée et les partis incapables de dialo-
guer. Aujourd’hui, sa proposition
lui permet d’apparaitre aux yeux de
l’opinion nationale et internationale
comme un parti politique raisonnable
attaché aux seuls intérêts supérieurs
de la nation.
Réactions des partis
à la position d’Ennahdha
Le Secrétaire général du mouve-
ment du Peuple « Echâab », Zouhaier
Maghzaoui, a exprimé le refus de son
parti de la proposition d’Ennahdha
concernant un candidat consensuel
pour l’élection présidentielle. Selon
lui, Ennahdha n’a pas le droit d’impo-
ser ses alliances électorales à tout le
monde. Les deux anciens alliés d’En-
nahdha au sein de la Troïka refusent
eux aussi l’appel d’Ennahdha. Ainsi,
le secrétaire général du Congrès pour
la République, Imed Daïmi, a jugé
antidémocratique l’appel pour un pré-
sident consensuel. Il a considéré que,
via cet appel, le mouvement islamiste
priverait les Tunisiens de choisir en
Depuis que la question de l’organisation concomitante ou
séparée des élections a été tranchée et que les législatives,
à la demande d’Ennahdha, auront lieu avant la présidentielle,
le mouvement islamiste prêche pour un candidat présidentiel
«consensuel». Le dirigeant du parti, Samir Dilou, a expliqué
cette position par la volonté de choisir une personnalité
nationale pouvant réaliser les objectifs de la Révolution et
mener à bien la transition. La déclaration semble a priori
raisonnable dans un contexte où les conflits politiques ont
conduit le pays au bord du gouffre. Mais y a-t-il d’autres enjeux
qui se cachent derrière cette proposition ? Est-ce une réelle
volonté de consensus national ou plutôt un jeu politicien et un
calcul électoral ?
EN COUVERTURE Actuel
9du 26/6 au 2/7/2014 - N° 1487 - RÉALITÉS -
➥
toute liberté leur président. Pareille-
ment, Ettakatol a estimé à son tour
que cette proposition était contraire
à la démocratie. Son porte-parole,
Mohamed Bennour, considère que le
président doit être choisi à travers un
scrutin libre et transparent.
Outre le jeu d’influence politique de ce
srutin et la confiscation d’un droit po-
pulaire qui devrait être exercé en toute
transparence, ainsi que la tentative
d’empêcher certains partis de choi-
sir leur candidat après concertation,
l’appel a été jugé par Al Joumhouri
comme étant une «prise d’otage». Le
porte-parole du parti Al Joumhouri a,
en effet, jugé l’appel comme limitatif
du rôle du prochain président, faisant
de lui un otage des partis politiques.
Une autre réaction, celle du Front
populaire, exprimée par son député à
l’ANC, Mongi Rahoui, considère une
telle décision comme une «opération
de séduction.»
Calculs politiques
Quelle que soit la position des par-
tis politiques, la déclaration d’Enna-
hdha ne sera pas sans influence sur
les enjeux et les calculs électoraux.
Les législatives ayant lieu avant la
présidentielle, le premier message
que véhicule la position d’Ennahdha,
qui vise davantage les législatives,
s’apparente à un «troc électoral».
Le soutien d’Ennahdha sera accordé
lors de la présidentielle à condition
d’observer une position bienveil-
lante à son égard, sinon demeurer
dans la neutralité et ne pas rappeler
le bilan calamiteux de ce parti. En
effet, vu les changements géopo-
litiques ayant entraîné la chute ou
l’affaiblissement des gouvernements
islamistes, il convient d’éviter d’être
surexposé. Les pays du Golfe n’in-
jecteront pas leurs investissements
et l’Occident se montrera méfiant si
le mouvement islamiste domine le
jeu politique. Par contre, siéger en
majorité au Parlement lui permettra
de continuer à jouer un rôle exécu-
tif et législatif tout en s’assurant un
président sous contrôle. Les partis se
présentant aux législatives, anciens
alliés d’Ennahdha, de la Troïka ou
concurrents, qui eux visent la pré-
sidentielle, peuvent très bien jouer
le jeu d’Ennahdha. Ils peuvent ainsi
rester neutres et ne montrer aucune
hostilité lors de la campagne électo-
L’appel d’Ennahdha
pour un président consensuel
a engendré une polémique
assez vigoureuse
EconomieActuel
10- RÉALITÉS - N° 1487 - du 26/6 au 2/7/2014
rale, tout comme ils peuvent simple-
ment attendre les résultats et nouer
une alliance avec le mouvement
islamiste après les législatives en
espérant que ce dernier parrainera ou
soutiendra leur candidat. Les cartes
sont ainsi brouillées avec ce posi-
tionnement et même ceux qui y sont
les plus hostiles ou les plus méfiants
auront du mal à composer avec et à
établir d’une façon claire ou straté-
gique leurs alliances ou leurs plans.
➥
Les législatives organisées avant la
présidentielle et Ennahdha lançant
l’idée d’un président consensuel,
est-ce là une opération de séduc-
tion pour garantir le soutien ou du
moins la neutralité des autres partis
lors des législatives ?
Ce n’est ni une opération de charme
ni une vraie position consensuelle.
C’est un leurre. Voici comment se
présente la situation. Au départ le parti
Ennahdha défend la concomitance des
législatives et des présidentielles, puis
il accepte, contraint, la séparation des
deux échéances. Enfin il impose l’idée
des législatives avant la présidentielle.
C’est le premier acte. Il affaiblit la
présidence de la République (en tant
que branche de l’Exécutif) et im-
prime une torsion parlementariste au
régime en faisant dépendre l’élection
au suffrage universel direct du pré-
sident des résultats des législatives.
Deuxième acte, Ennahdha va seul aux
législatives (étant donné que le parti a
de fortes chances d’obtenir, disons, un
bon score) et il propose un «président
consensuel» là où les chances du parti
sont quasiment nulles. Imagineriez-
vous voir les Tunisiens prendre le
risque d’un Morsi ! Un cauchemar
même pour Ennahdha. Comprise sous
cet angle, l’initiative n’est pas un geste
noble, mais indigne : ce qui est à moi
est à moi (les législatives) et ce qui est
à toi (la présidentielle) est négociable !
Si Ennahdha était vraiment bien inten-
tionné, il aurait proposé un «package
deal», un «tout consensuel» aussi bien
à la présidentielle qu’aux législatives.
Au fond, cette initiative vise essentiel-
lement à affaiblir Essebsi. Favori des
sondages, il reçoit un cadeau empoi-
sonné de Ghannouchi, un ami qui veut
l’aider à être élu. C’est comme si on
assistait Messi pour marquer un but
devant une cage vide ! Candidat du
consensus, Béji ne sera plus élu par
le peuple, mais sponsorisé par la ligue
des partis. Et comme il sera tout natu-
rellement récusé par ses concurrents,
Béji sera le président de son parti et
d’une partie des Tunisiens.
Quels sont les partis ou dirigeants
susceptibles d’y répondre? Ou
ayant le plus de chance d’être can-
didat soutenu par Ennahdha?
Très peu de candidats vont déclarer
être intéressés par une telle propo-
sition (indécente !). Aucun ne fera
le chemin de Canossa, mais tous
aspirent au fond d’eux-mêmes à être
dans les bonnes grâces d’Ennahdha.
Une consigne électorale de Ghan-
nouchi, c’est l’onction papale. Même
Béji Caïd Essebsi – quoiqu’il cara-
cole dans les sondages – n’y sera pas
insensible. Et voilà peut-être l’un des
objectifs inavoués de l’offre consen-
sualiste, aseptiser la présidentielle
et neutraliser l’éventuelle hostilité
à Ennhahdha. Car tout candidat qui
déclarera les hostilités lors des légis-
latives sera sanctionné à la présiden-
tielle. Maintenant, quel est le candidat
qui a le plus de chances d’être appuyé
par Ennahdha ? Probablement aucun.
N’oubliez pas que cette initiative
consiste tout d’abord à purger la crise
interne d’Ennahdha dans le camp ad-
verse. Le parti n’arrive pas à trancher
entre Jebali et Laarayedh. Il les ren-
voie dos-à-dos au profit d’un candidat
consensuel hypothétique, c’est-à-dire
inexistant. Que va faire Ennahdha ?
Tout pour ne pas diviser les siens,
mais rien de nature à s’aliéner sans
raison une partie de la classe poli-
tique en compétition. Il lui sera aussi
difficile d’arbitrer entre le pseudo-dé-
missionnaire Jebali et l’apparatchik
Laaraydh que d’afficher sa préférence
pour un candidat extérieur. Pourquoi
soutenir Essebsi et se montrer ingrat
avec un allié aussi loyal que Marzou-
ki ? Ennahdha aura deux fers au feu,
c’est sa marque de fabrique. S’abste-
nir de soutenir publiquement untel et
livrer le Da Vinci code à sa base (mais
pas aux sympathisants). Tout cela à la
lumière des législatives.
Quelles sont les probables alliances
postélectorales ? 
Les meilleures alliances postélecto-
rales sont celles qu’on feint de nouer
Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques
à l’Université de Tunis
L’initiative d’Ennahdha vise essentiellement
à affaiblir Essebsi
11du 26/6 au 2/7/2014 - N° 1487 - RÉALITÉS -
Du leurre en politique
Or cette position peut très bien être
une déclaration sans fondement.
Au mieux, elle aura servi à redo-
rer l’image des islamistes accusés
d’être cause de division et devenus
aujourd’hui soucieux de rassemble-
ment. Aux lendemains des législa-
tives, qu’Ennahdha ait une part im-
portante des voix ou pas, rien ne le
contraindra à respecter cette position
qui n’aura été qu’un leurre. Ennahdha
aurait pris entre-temps certains partis
en otage, ceux ayant espéré compter
sur son soutien ou ceux ayant éla-
boré leur plan électoral en fonction
de cette position. La proposition peut
aussi aboutir à des alliances post-
législatives ainsi qu’à un candidat
consensuel à la présidentielle qui sera
ensuite l’otage des partis s’étant mis
d’accord sur sa nomination. Le pré-
sident sera ainsi sans réelles péjora-
tives, devant répondre de ses actes et
décisions à ses parrains islamistes ou
autres. Mais avant même tout cela,
la position consensuelle à laquelle
appelle Ennahdha confisque d’ores et
déjà le droit du citoyen dont le choix
exprimé dans les urnes n’aura plus
grande importance puisque ce sont
les partis, ou ceux d’entre eux ayant
créé une sorte de lobby, qui pourront
choisir le président. Le peuple aura
tout simplement été privé de choisir
librement son nouveau président, par
« amour » du consensus !
Hajer Ajroudi
Rached Ghannouchi avec Béji Caïd Essebsi
Même les alliés inconditionnels
d’Ennahdha ont rejeté l’initiative.
Imed Daïmi, SG du CPR, la considère
comme antidémocratique
ActuelEN COUVERTURE
à la lumière du résultat du scrutin
alors même qu’elles ont été scellées
secrètement bien avant. C’est le must.
C’est ce que la Troïka a fait. Et c’est
ce qui semble séduire la classe poli-
tique. Actuellement, les deux grandes
formations qui semblent faire la dif-
férence (Nidaa Tounès et Ennahdha)
appartiennent à deux familles de pen-
sée et à deux traditions différentes.
Or, des forces à l’intérieur d’Enna-
hdha et de Nidaa Tounes, encoura-
gées par des forces internationales
qui payent la note, veulent ensemble
reconduire l’expérience de la Troïka
contre un puissant courant social qui
aspire à une véritable alternative.
Nidaa Tounes hésite pour le moment
et résiste aux avances d’Ennahdha.
S’il se laisse faire, il se sera écarté de
sa mission initiale et il aura trahi la
confiance des électeurs. C’est le sens
des deux lettres des intellectuels libé-
raux de gauche (du 26 mai publiée
par El-Maghreb et du 21 juin publiée
par Leaders). Elles alertent les mili-
tants, les sympathisants et les élec-
teurs de Nidaa Tounes sur le fait qu’il
faut aller aux élections avec les parte-
naires naturels, les partis modernistes
et sécularisés (de gauche, du centre
et de droite) et les partis membres de
l’Union pour la Tunisie, voire ceux
du Front national de Salut.
H.A
Très peu de candidats vont
déclarer être intéressés par
une telle proposition (indé-
cente !). Aucun ne fera le
chemin de Canossa, mais tous
aspirent au fond d’eux-mêmes
à être dans les bonnes grâces
d’Ennahdha. Une consigne
électorale de Ghannouchi,
c’est l’onction papale.
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Candidat présidentiel, les dessous d'un piège

  • 1. EconomieActuel 8 - RÉALITÉS - N° 1487 - du 26/6 au 2/7/2014 Candidat consensuel à la présidentielle Lesdessousd’unpiège E n lançant un appel à la candi- dature présidentielle consen- suelle, Ennahdha, démis- sionnaire obligé du gouvernement, prétend rassembler la scène politique tunisienne. Jusqu’à son départ forcé du gouvernement, le mouvement islamiste a été accusé de diviser les Tunisiens. Avant même sa conquête du pouvoir, sa campagne électorale a scindé les Tunisiens entre musulmans et mécréants, entre fidèles à l’identité arabo-musulmane et ennemis celle-ci. Depuis les temps ont changé. Assas- sinats, violences des LPR et des sala- fistes, attentats terroristes, éviction des Frères musulmans du pouvoir en Egypte, se sont conjugués pour ame- ner le parti islamiste à revoir ses posi- tions. Aujourd’hui, commencer la période électorale par un appel à un candidat consensuel à la présidentielle, semble être un appel à tourner la page et à aborder la campagne dans un esprit rassembleur. Ennahdha a quitté le pouvoir à l’issue d’un dialogue natio- nal n’ayant pu être organisé qu’avec la médiation du Quartet (UGTT, UTICA, LDHT et Ordre des Avocats) tant la scène politique était fragmen- tée et les partis incapables de dialo- guer. Aujourd’hui, sa proposition lui permet d’apparaitre aux yeux de l’opinion nationale et internationale comme un parti politique raisonnable attaché aux seuls intérêts supérieurs de la nation. Réactions des partis à la position d’Ennahdha Le Secrétaire général du mouve- ment du Peuple « Echâab », Zouhaier Maghzaoui, a exprimé le refus de son parti de la proposition d’Ennahdha concernant un candidat consensuel pour l’élection présidentielle. Selon lui, Ennahdha n’a pas le droit d’impo- ser ses alliances électorales à tout le monde. Les deux anciens alliés d’En- nahdha au sein de la Troïka refusent eux aussi l’appel d’Ennahdha. Ainsi, le secrétaire général du Congrès pour la République, Imed Daïmi, a jugé antidémocratique l’appel pour un pré- sident consensuel. Il a considéré que, via cet appel, le mouvement islamiste priverait les Tunisiens de choisir en Depuis que la question de l’organisation concomitante ou séparée des élections a été tranchée et que les législatives, à la demande d’Ennahdha, auront lieu avant la présidentielle, le mouvement islamiste prêche pour un candidat présidentiel «consensuel». Le dirigeant du parti, Samir Dilou, a expliqué cette position par la volonté de choisir une personnalité nationale pouvant réaliser les objectifs de la Révolution et mener à bien la transition. La déclaration semble a priori raisonnable dans un contexte où les conflits politiques ont conduit le pays au bord du gouffre. Mais y a-t-il d’autres enjeux qui se cachent derrière cette proposition ? Est-ce une réelle volonté de consensus national ou plutôt un jeu politicien et un calcul électoral ?
  • 2. EN COUVERTURE Actuel 9du 26/6 au 2/7/2014 - N° 1487 - RÉALITÉS - ➥ toute liberté leur président. Pareille- ment, Ettakatol a estimé à son tour que cette proposition était contraire à la démocratie. Son porte-parole, Mohamed Bennour, considère que le président doit être choisi à travers un scrutin libre et transparent. Outre le jeu d’influence politique de ce srutin et la confiscation d’un droit po- pulaire qui devrait être exercé en toute transparence, ainsi que la tentative d’empêcher certains partis de choi- sir leur candidat après concertation, l’appel a été jugé par Al Joumhouri comme étant une «prise d’otage». Le porte-parole du parti Al Joumhouri a, en effet, jugé l’appel comme limitatif du rôle du prochain président, faisant de lui un otage des partis politiques. Une autre réaction, celle du Front populaire, exprimée par son député à l’ANC, Mongi Rahoui, considère une telle décision comme une «opération de séduction.» Calculs politiques Quelle que soit la position des par- tis politiques, la déclaration d’Enna- hdha ne sera pas sans influence sur les enjeux et les calculs électoraux. Les législatives ayant lieu avant la présidentielle, le premier message que véhicule la position d’Ennahdha, qui vise davantage les législatives, s’apparente à un «troc électoral». Le soutien d’Ennahdha sera accordé lors de la présidentielle à condition d’observer une position bienveil- lante à son égard, sinon demeurer dans la neutralité et ne pas rappeler le bilan calamiteux de ce parti. En effet, vu les changements géopo- litiques ayant entraîné la chute ou l’affaiblissement des gouvernements islamistes, il convient d’éviter d’être surexposé. Les pays du Golfe n’in- jecteront pas leurs investissements et l’Occident se montrera méfiant si le mouvement islamiste domine le jeu politique. Par contre, siéger en majorité au Parlement lui permettra de continuer à jouer un rôle exécu- tif et législatif tout en s’assurant un président sous contrôle. Les partis se présentant aux législatives, anciens alliés d’Ennahdha, de la Troïka ou concurrents, qui eux visent la pré- sidentielle, peuvent très bien jouer le jeu d’Ennahdha. Ils peuvent ainsi rester neutres et ne montrer aucune hostilité lors de la campagne électo- L’appel d’Ennahdha pour un président consensuel a engendré une polémique assez vigoureuse
  • 3. EconomieActuel 10- RÉALITÉS - N° 1487 - du 26/6 au 2/7/2014 rale, tout comme ils peuvent simple- ment attendre les résultats et nouer une alliance avec le mouvement islamiste après les législatives en espérant que ce dernier parrainera ou soutiendra leur candidat. Les cartes sont ainsi brouillées avec ce posi- tionnement et même ceux qui y sont les plus hostiles ou les plus méfiants auront du mal à composer avec et à établir d’une façon claire ou straté- gique leurs alliances ou leurs plans. ➥ Les législatives organisées avant la présidentielle et Ennahdha lançant l’idée d’un président consensuel, est-ce là une opération de séduc- tion pour garantir le soutien ou du moins la neutralité des autres partis lors des législatives ? Ce n’est ni une opération de charme ni une vraie position consensuelle. C’est un leurre. Voici comment se présente la situation. Au départ le parti Ennahdha défend la concomitance des législatives et des présidentielles, puis il accepte, contraint, la séparation des deux échéances. Enfin il impose l’idée des législatives avant la présidentielle. C’est le premier acte. Il affaiblit la présidence de la République (en tant que branche de l’Exécutif) et im- prime une torsion parlementariste au régime en faisant dépendre l’élection au suffrage universel direct du pré- sident des résultats des législatives. Deuxième acte, Ennahdha va seul aux législatives (étant donné que le parti a de fortes chances d’obtenir, disons, un bon score) et il propose un «président consensuel» là où les chances du parti sont quasiment nulles. Imagineriez- vous voir les Tunisiens prendre le risque d’un Morsi ! Un cauchemar même pour Ennahdha. Comprise sous cet angle, l’initiative n’est pas un geste noble, mais indigne : ce qui est à moi est à moi (les législatives) et ce qui est à toi (la présidentielle) est négociable ! Si Ennahdha était vraiment bien inten- tionné, il aurait proposé un «package deal», un «tout consensuel» aussi bien à la présidentielle qu’aux législatives. Au fond, cette initiative vise essentiel- lement à affaiblir Essebsi. Favori des sondages, il reçoit un cadeau empoi- sonné de Ghannouchi, un ami qui veut l’aider à être élu. C’est comme si on assistait Messi pour marquer un but devant une cage vide ! Candidat du consensus, Béji ne sera plus élu par le peuple, mais sponsorisé par la ligue des partis. Et comme il sera tout natu- rellement récusé par ses concurrents, Béji sera le président de son parti et d’une partie des Tunisiens. Quels sont les partis ou dirigeants susceptibles d’y répondre? Ou ayant le plus de chance d’être can- didat soutenu par Ennahdha? Très peu de candidats vont déclarer être intéressés par une telle propo- sition (indécente !). Aucun ne fera le chemin de Canossa, mais tous aspirent au fond d’eux-mêmes à être dans les bonnes grâces d’Ennahdha. Une consigne électorale de Ghan- nouchi, c’est l’onction papale. Même Béji Caïd Essebsi – quoiqu’il cara- cole dans les sondages – n’y sera pas insensible. Et voilà peut-être l’un des objectifs inavoués de l’offre consen- sualiste, aseptiser la présidentielle et neutraliser l’éventuelle hostilité à Ennhahdha. Car tout candidat qui déclarera les hostilités lors des légis- latives sera sanctionné à la présiden- tielle. Maintenant, quel est le candidat qui a le plus de chances d’être appuyé par Ennahdha ? Probablement aucun. N’oubliez pas que cette initiative consiste tout d’abord à purger la crise interne d’Ennahdha dans le camp ad- verse. Le parti n’arrive pas à trancher entre Jebali et Laarayedh. Il les ren- voie dos-à-dos au profit d’un candidat consensuel hypothétique, c’est-à-dire inexistant. Que va faire Ennahdha ? Tout pour ne pas diviser les siens, mais rien de nature à s’aliéner sans raison une partie de la classe poli- tique en compétition. Il lui sera aussi difficile d’arbitrer entre le pseudo-dé- missionnaire Jebali et l’apparatchik Laaraydh que d’afficher sa préférence pour un candidat extérieur. Pourquoi soutenir Essebsi et se montrer ingrat avec un allié aussi loyal que Marzou- ki ? Ennahdha aura deux fers au feu, c’est sa marque de fabrique. S’abste- nir de soutenir publiquement untel et livrer le Da Vinci code à sa base (mais pas aux sympathisants). Tout cela à la lumière des législatives. Quelles sont les probables alliances postélectorales ?  Les meilleures alliances postélecto- rales sont celles qu’on feint de nouer Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à l’Université de Tunis L’initiative d’Ennahdha vise essentiellement à affaiblir Essebsi
  • 4. 11du 26/6 au 2/7/2014 - N° 1487 - RÉALITÉS - Du leurre en politique Or cette position peut très bien être une déclaration sans fondement. Au mieux, elle aura servi à redo- rer l’image des islamistes accusés d’être cause de division et devenus aujourd’hui soucieux de rassemble- ment. Aux lendemains des législa- tives, qu’Ennahdha ait une part im- portante des voix ou pas, rien ne le contraindra à respecter cette position qui n’aura été qu’un leurre. Ennahdha aurait pris entre-temps certains partis en otage, ceux ayant espéré compter sur son soutien ou ceux ayant éla- boré leur plan électoral en fonction de cette position. La proposition peut aussi aboutir à des alliances post- législatives ainsi qu’à un candidat consensuel à la présidentielle qui sera ensuite l’otage des partis s’étant mis d’accord sur sa nomination. Le pré- sident sera ainsi sans réelles péjora- tives, devant répondre de ses actes et décisions à ses parrains islamistes ou autres. Mais avant même tout cela, la position consensuelle à laquelle appelle Ennahdha confisque d’ores et déjà le droit du citoyen dont le choix exprimé dans les urnes n’aura plus grande importance puisque ce sont les partis, ou ceux d’entre eux ayant créé une sorte de lobby, qui pourront choisir le président. Le peuple aura tout simplement été privé de choisir librement son nouveau président, par « amour » du consensus ! Hajer Ajroudi Rached Ghannouchi avec Béji Caïd Essebsi Même les alliés inconditionnels d’Ennahdha ont rejeté l’initiative. Imed Daïmi, SG du CPR, la considère comme antidémocratique ActuelEN COUVERTURE à la lumière du résultat du scrutin alors même qu’elles ont été scellées secrètement bien avant. C’est le must. C’est ce que la Troïka a fait. Et c’est ce qui semble séduire la classe poli- tique. Actuellement, les deux grandes formations qui semblent faire la dif- férence (Nidaa Tounès et Ennahdha) appartiennent à deux familles de pen- sée et à deux traditions différentes. Or, des forces à l’intérieur d’Enna- hdha et de Nidaa Tounes, encoura- gées par des forces internationales qui payent la note, veulent ensemble reconduire l’expérience de la Troïka contre un puissant courant social qui aspire à une véritable alternative. Nidaa Tounes hésite pour le moment et résiste aux avances d’Ennahdha. S’il se laisse faire, il se sera écarté de sa mission initiale et il aura trahi la confiance des électeurs. C’est le sens des deux lettres des intellectuels libé- raux de gauche (du 26 mai publiée par El-Maghreb et du 21 juin publiée par Leaders). Elles alertent les mili- tants, les sympathisants et les élec- teurs de Nidaa Tounes sur le fait qu’il faut aller aux élections avec les parte- naires naturels, les partis modernistes et sécularisés (de gauche, du centre et de droite) et les partis membres de l’Union pour la Tunisie, voire ceux du Front national de Salut. H.A Très peu de candidats vont déclarer être intéressés par une telle proposition (indé- cente !). Aucun ne fera le chemin de Canossa, mais tous aspirent au fond d’eux-mêmes à être dans les bonnes grâces d’Ennahdha. Une consigne électorale de Ghannouchi, c’est l’onction papale. “ ”