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Arts et religions
Par Christian Frugoli
Vendredi 22 mars (durée de l’exposé : 1 heure)
L’art religieux n’est pas une affaire d’iconographie, ce n’est pas le sujet qui est important : il implique une
attitude, tant chez l’artiste que chez le spectateur.
Albert Gleizes écrit : « L’art religieux est un acte qui devient sensible et au moyen duquel le spectateur
prenant conscience de lui-même est du même coup entraîné vers le Créateur. »
L’art religieux se donne pour tâche de rendre visible l’invisible : une épiphanie qui ne sollicite pas que
l’esprit, mais aussi le corps. L’œuvre nous accueille dans ses formes, dans ses rythmes : selon la façon dont
elle investit l’espace, la matière, selon donc le vocabulaire plastique qu’elle se donne, elle nous requiert
totalement, et d’autant de façons qu’elle nous invite à vivre le sentiment religieux.
D’où le parti pris de travailler ici sur des œuvres apparemment sans liens pour, ayant posé les différences et
les défis respectifs, montrer qu’elles réclament à chaque fois un engagement. Elles interdisent en effet tout
dilettantisme : on ne peut les aborder en esthètes seulement. Une tableau religieux ne décore pas une église :
sa charge symbolique y fait advenir le divin. L’art religieux s’approprie, s’intériorise.
Nous montrerons d’abord qu’on ne peut investir une surface sans tenir compte de ses propriétés et sans
composition adéquate. Après avoir rappelé ce qu’est le nombre d’or et quelles propriétés divines les
mathématiciens de la Renaissance comme Luca Pacioli conféraient à ce nombre irrationnel, nous pouvons
nous pencher sur une illustration médiévale (Très Riches Heures du Duc de Berry) témoignant de
l’enthousiasme de ces artistes qui maîtrisaient assez le compas pour tracer le pentagone, figure de la
quintessence divine, et par là même la plus apte à donner une image du Paradis dans sa perfection.
Avec une autre façon d’investir la surface d’un mur sur un format horizontal allongé, nous voyons Léonard
de Vinci utiliser la technique du rabattement des côtés pour obtenir le carré central dont les perpendiculaires
et les diagonales permettront de placer harmonieusement et symboliquement les personnages de La Cène.
Gageons que les moines attablés dans leur réfectoire de Santa Maria delle Grazie ne vivaient pas
indifféremment le voisinage de ce repas d’entre les repas.
Mais peut-être les arts visuels ne sont-ils pas encore assez convaincants pour admettre un implication de tout
notre être car la vue est finalement le plus intellectualisé de nos sens.
Demandons un éclairage à l’architecture. C’est une évidence, on ne vit pas la même relation à Dieu dans une
église romane ou une église gothique, sous une voûte en plein cintre ou sous une voûte à arc brisé, a fortiori
en ogive. Dieu peut se trouver en regardant au fond de soi comme en élevant ses regards.
Il faut donc à l’architecte une intention. Son langage en dépendra, à condition d’avoir assez de connaissance
de la pierre pour à la fois respecter ses exigences et repousser les limites de son utilisation.
Du sanctuaire roman, Georges Duby écrit qu’il « voulait être une représentation globale du cosmos et de ce
microcosme qu’est l’homme, c’est-à-dire de la Création tout entière. Il montrait par conséquent Dieu lui-
même, qui ne s’est point rendu dissemblable de ce qu’Il a créé. »1
Le plan dépendra donc des nécessités de la liturgie, de la fonctionnalité, de l’expression de l’ordre de Dieu
dans la totalité de l’édifice comme dans la moindre de ses parties. Et dans l’art roman, cela passe par des
rapports numériques car l’héritage de Pythagore est encore très vivant.
Mais ce qui vient d’abord, c’est ce qui est symbolisé. Pour comprendre cela, nous allons parler de l’église de
l’abbaye de Cluny et laisser encore la parole à Georges Duby : « …car l’abbaye était dédiée à saint Pierre le
pêcheur d’hommes, et l’abbé Hugues (…) voyait l’église du monastère comme un immense filet propre à
capturer les âmes. »
Un vaste projet, et très coûteux que cette église : pour réunir les fonds nécessaires à sa réalisation, il ne faut
pas moins qu’un mythe. En effet, cette église, dont l’architecte est vraisemblablement Hézelon de Liège, est
attribuée à un architecte mythique, le vieux moine malade Gunzon à qui saint Pierre lui-même aurait
commandé dans une apparition l’édification de l’église en lui montrant, au moyen de cordes pendant à ses
1
Georges Duby, Le Moyen Age, Skira (1967)
côtés, comment dessiner le plan de ce projet colossal en utilisant justes mesures et proportions. Gunzon
aurait alors miraculeusement recouvré la santé pour accomplir l’œuvre.
Saint Pierre nous aidera à passer à l’exemple suivant qui ira dans le même sens avec des moyens
diamétralement opposés : Saint-Pierre de Rome en 1630, au cœur du Baroque. Après le long débat qui
aboutira à la victoire du plan en croix latine de Carlo Maderno, qui exprime la souffrance du Christ, sur le
plan en croix grecque de Bramante, qui dit le triomphe de la raison, il fallait encore quelque chose sous le
gigantesque dôme pour dire l’incarnation. « Dans le temple renaissant, tel que l’a conçu Brunelleschi […]
s’ébauche le passage de la condition charnelle à l’intelligible, le temps n’est plus, le lieu est subsumé plus que
solennisé par le dôme, la raison prend le pas sur la passion et l’instinct ; et ainsi Saint-Pierre fût devenu,
accomplissement de la structure cosmique, l’image au moins d’une Forme enfin délivrée de ses attaches
terrestres. Mais était-il possible, vraiment, que se réalisât un parti si contraire à l’idée chrétienne […] de
l’incarnation hic et nunc ? »2
Et c’est pour éviter cela qu’intervient le jeune Bernin, au service d’Urbain VIII. Le Pape veut affirmer la
primauté du siège romain en manifestant la présence du tombeau de saint Pierre par un signe qui ne fût pas
écrasé par la coupole. Bernin trouve la solution géniale du baldaquin : « Quatre gigantesques colonnes torses,
coulées en bronze, s’élèvent d’un seul élan à la croisée du transept, quatre anges de grande taille les
surmontent, superbes de grâce et de mouvement, et derrière chacun prennent appui fortement quatre
véhémentes volutes, dons les sommets s’accolent pour supporter le globe et la croix. Toute la partie haute
plane sous la coupole de Michel-Ange moins comme un dais que comme une sorte de couronne. On dirait
aussi d’un vaisseau qui avancerait, dans l’espace démesuré de la basilique, avec son équipage d’un autre
monde. Une présence, en tout cas, un surgissement, une autorité – et voilà bien ce qui est nouveau. »3 Le
visiteur se trouve emporté, corps et âme, avec ses pulsions, ses désirs qui ne sont plus rejetés mais assumés,
au sein de l’amour, dans la gloire de Dieu, dans la présence pure ; « la grâce vient à qui se dépense. Dans
l’intensité de l’engagement terrestre une conversion se produit, et ce néant se découvre éblouissante
intériorité. »4
Nous chercherons une dernière clé dans les grandes peintures murales de Mark Rothko, un expressionniste
abstrait vers 1960.
Un choix étrange pour un exposé illustré, car sa peinture ne peut être vue sur un écran (pas plus d’ailleurs
que la majeure partie des œuvres choisies pour cet exposé !) : elle veut qu’on se pose face à son mystère, il
faut sentir l’air autour. Encore cette ironie va-t-elle dans le sens du propos.
Un choix validé par cette déclaration de Rothko : « Je ne m’intéresse pas au rapport entre la couleur et la
forme ni à rien de tel. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’exprimer des sentiments humains
fondamentaux, la tragédie, l’extase, le destin funeste et ce genre de choses… Le fait que beaucoup de gens
fondent en larmes en voyant mes tableaux prouve que je suis en mesure d’exprimer ce type de sentiments
humains fondamentaux. Les gens qui pleurent en présence de mes tableaux font la même expérience
religieuse que celle que j’ai faite en les peignant. »
Penchons-nous sur les Seagram Murals, un ensemble de peintures destinées par une commande à rythmer
l’architecture intérieure d’un restaurant prestigieux à New York, sur Park Avenue. Après avoir souhaité que
ses toiles coupent l’appétit des « pauvres types déjeunant là » ; reconnu que son inspiration était sans doute
due à l’escalier de la Bibliothèque laurentienne à Florence par Michel-Ange, avec ses fenêtres murées ;
Rothko a décidé de rompre le contrat et de disperser ses toiles qui sont comme des fenêtres, ouvertes,
fermées, sur un mystère insondable, plutôt que de les voir « décorer » un restaurant.
Plus tard, les grandes toiles grises de la Chapelle Rothko à Houston, trouveront leur place dans un lieu
propice à la méditation : on peut s’y installer face à elles, dialoguer avec elles, se recueillir, dans cette lumière
incertaine voulue par l’artiste.
Ce serait les dénaturer que de vouloir, comme le jeune et richissime trader du film de David Cronenberg,
Cosmopolis, les acheter pour montrer sa puissance et décorer son appartement.
2
Yves Bonnefoy, Rome 1630, Flammarion (1970)
3
Yves Bonnefoy, ibid.
4
Id. ibid.

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  • 1. Arts et religions Par Christian Frugoli Vendredi 22 mars (durée de l’exposé : 1 heure) L’art religieux n’est pas une affaire d’iconographie, ce n’est pas le sujet qui est important : il implique une attitude, tant chez l’artiste que chez le spectateur. Albert Gleizes écrit : « L’art religieux est un acte qui devient sensible et au moyen duquel le spectateur prenant conscience de lui-même est du même coup entraîné vers le Créateur. » L’art religieux se donne pour tâche de rendre visible l’invisible : une épiphanie qui ne sollicite pas que l’esprit, mais aussi le corps. L’œuvre nous accueille dans ses formes, dans ses rythmes : selon la façon dont elle investit l’espace, la matière, selon donc le vocabulaire plastique qu’elle se donne, elle nous requiert totalement, et d’autant de façons qu’elle nous invite à vivre le sentiment religieux. D’où le parti pris de travailler ici sur des œuvres apparemment sans liens pour, ayant posé les différences et les défis respectifs, montrer qu’elles réclament à chaque fois un engagement. Elles interdisent en effet tout dilettantisme : on ne peut les aborder en esthètes seulement. Une tableau religieux ne décore pas une église : sa charge symbolique y fait advenir le divin. L’art religieux s’approprie, s’intériorise. Nous montrerons d’abord qu’on ne peut investir une surface sans tenir compte de ses propriétés et sans composition adéquate. Après avoir rappelé ce qu’est le nombre d’or et quelles propriétés divines les mathématiciens de la Renaissance comme Luca Pacioli conféraient à ce nombre irrationnel, nous pouvons nous pencher sur une illustration médiévale (Très Riches Heures du Duc de Berry) témoignant de l’enthousiasme de ces artistes qui maîtrisaient assez le compas pour tracer le pentagone, figure de la quintessence divine, et par là même la plus apte à donner une image du Paradis dans sa perfection. Avec une autre façon d’investir la surface d’un mur sur un format horizontal allongé, nous voyons Léonard de Vinci utiliser la technique du rabattement des côtés pour obtenir le carré central dont les perpendiculaires et les diagonales permettront de placer harmonieusement et symboliquement les personnages de La Cène. Gageons que les moines attablés dans leur réfectoire de Santa Maria delle Grazie ne vivaient pas indifféremment le voisinage de ce repas d’entre les repas. Mais peut-être les arts visuels ne sont-ils pas encore assez convaincants pour admettre un implication de tout notre être car la vue est finalement le plus intellectualisé de nos sens. Demandons un éclairage à l’architecture. C’est une évidence, on ne vit pas la même relation à Dieu dans une église romane ou une église gothique, sous une voûte en plein cintre ou sous une voûte à arc brisé, a fortiori en ogive. Dieu peut se trouver en regardant au fond de soi comme en élevant ses regards. Il faut donc à l’architecte une intention. Son langage en dépendra, à condition d’avoir assez de connaissance de la pierre pour à la fois respecter ses exigences et repousser les limites de son utilisation. Du sanctuaire roman, Georges Duby écrit qu’il « voulait être une représentation globale du cosmos et de ce microcosme qu’est l’homme, c’est-à-dire de la Création tout entière. Il montrait par conséquent Dieu lui- même, qui ne s’est point rendu dissemblable de ce qu’Il a créé. »1 Le plan dépendra donc des nécessités de la liturgie, de la fonctionnalité, de l’expression de l’ordre de Dieu dans la totalité de l’édifice comme dans la moindre de ses parties. Et dans l’art roman, cela passe par des rapports numériques car l’héritage de Pythagore est encore très vivant. Mais ce qui vient d’abord, c’est ce qui est symbolisé. Pour comprendre cela, nous allons parler de l’église de l’abbaye de Cluny et laisser encore la parole à Georges Duby : « …car l’abbaye était dédiée à saint Pierre le pêcheur d’hommes, et l’abbé Hugues (…) voyait l’église du monastère comme un immense filet propre à capturer les âmes. » Un vaste projet, et très coûteux que cette église : pour réunir les fonds nécessaires à sa réalisation, il ne faut pas moins qu’un mythe. En effet, cette église, dont l’architecte est vraisemblablement Hézelon de Liège, est attribuée à un architecte mythique, le vieux moine malade Gunzon à qui saint Pierre lui-même aurait commandé dans une apparition l’édification de l’église en lui montrant, au moyen de cordes pendant à ses 1 Georges Duby, Le Moyen Age, Skira (1967)
  • 2. côtés, comment dessiner le plan de ce projet colossal en utilisant justes mesures et proportions. Gunzon aurait alors miraculeusement recouvré la santé pour accomplir l’œuvre. Saint Pierre nous aidera à passer à l’exemple suivant qui ira dans le même sens avec des moyens diamétralement opposés : Saint-Pierre de Rome en 1630, au cœur du Baroque. Après le long débat qui aboutira à la victoire du plan en croix latine de Carlo Maderno, qui exprime la souffrance du Christ, sur le plan en croix grecque de Bramante, qui dit le triomphe de la raison, il fallait encore quelque chose sous le gigantesque dôme pour dire l’incarnation. « Dans le temple renaissant, tel que l’a conçu Brunelleschi […] s’ébauche le passage de la condition charnelle à l’intelligible, le temps n’est plus, le lieu est subsumé plus que solennisé par le dôme, la raison prend le pas sur la passion et l’instinct ; et ainsi Saint-Pierre fût devenu, accomplissement de la structure cosmique, l’image au moins d’une Forme enfin délivrée de ses attaches terrestres. Mais était-il possible, vraiment, que se réalisât un parti si contraire à l’idée chrétienne […] de l’incarnation hic et nunc ? »2 Et c’est pour éviter cela qu’intervient le jeune Bernin, au service d’Urbain VIII. Le Pape veut affirmer la primauté du siège romain en manifestant la présence du tombeau de saint Pierre par un signe qui ne fût pas écrasé par la coupole. Bernin trouve la solution géniale du baldaquin : « Quatre gigantesques colonnes torses, coulées en bronze, s’élèvent d’un seul élan à la croisée du transept, quatre anges de grande taille les surmontent, superbes de grâce et de mouvement, et derrière chacun prennent appui fortement quatre véhémentes volutes, dons les sommets s’accolent pour supporter le globe et la croix. Toute la partie haute plane sous la coupole de Michel-Ange moins comme un dais que comme une sorte de couronne. On dirait aussi d’un vaisseau qui avancerait, dans l’espace démesuré de la basilique, avec son équipage d’un autre monde. Une présence, en tout cas, un surgissement, une autorité – et voilà bien ce qui est nouveau. »3 Le visiteur se trouve emporté, corps et âme, avec ses pulsions, ses désirs qui ne sont plus rejetés mais assumés, au sein de l’amour, dans la gloire de Dieu, dans la présence pure ; « la grâce vient à qui se dépense. Dans l’intensité de l’engagement terrestre une conversion se produit, et ce néant se découvre éblouissante intériorité. »4 Nous chercherons une dernière clé dans les grandes peintures murales de Mark Rothko, un expressionniste abstrait vers 1960. Un choix étrange pour un exposé illustré, car sa peinture ne peut être vue sur un écran (pas plus d’ailleurs que la majeure partie des œuvres choisies pour cet exposé !) : elle veut qu’on se pose face à son mystère, il faut sentir l’air autour. Encore cette ironie va-t-elle dans le sens du propos. Un choix validé par cette déclaration de Rothko : « Je ne m’intéresse pas au rapport entre la couleur et la forme ni à rien de tel. La seule chose qui m’intéresse, c’est d’exprimer des sentiments humains fondamentaux, la tragédie, l’extase, le destin funeste et ce genre de choses… Le fait que beaucoup de gens fondent en larmes en voyant mes tableaux prouve que je suis en mesure d’exprimer ce type de sentiments humains fondamentaux. Les gens qui pleurent en présence de mes tableaux font la même expérience religieuse que celle que j’ai faite en les peignant. » Penchons-nous sur les Seagram Murals, un ensemble de peintures destinées par une commande à rythmer l’architecture intérieure d’un restaurant prestigieux à New York, sur Park Avenue. Après avoir souhaité que ses toiles coupent l’appétit des « pauvres types déjeunant là » ; reconnu que son inspiration était sans doute due à l’escalier de la Bibliothèque laurentienne à Florence par Michel-Ange, avec ses fenêtres murées ; Rothko a décidé de rompre le contrat et de disperser ses toiles qui sont comme des fenêtres, ouvertes, fermées, sur un mystère insondable, plutôt que de les voir « décorer » un restaurant. Plus tard, les grandes toiles grises de la Chapelle Rothko à Houston, trouveront leur place dans un lieu propice à la méditation : on peut s’y installer face à elles, dialoguer avec elles, se recueillir, dans cette lumière incertaine voulue par l’artiste. Ce serait les dénaturer que de vouloir, comme le jeune et richissime trader du film de David Cronenberg, Cosmopolis, les acheter pour montrer sa puissance et décorer son appartement. 2 Yves Bonnefoy, Rome 1630, Flammarion (1970) 3 Yves Bonnefoy, ibid. 4 Id. ibid.