Le combat de l'Association Internationale des Victimes de l'Inceste (AIVI). Survivante de l’inceste, Isabelle Aubry a fondé l’Association Internationale des Victimes de l’Inceste (AIVI) en 2000, une association à but non lucratif animée par un groupe de survivants de l’inceste français, canadiens et belges. Grâce
à Internet, sa volonté d’agir, et ses nombreux travaux, parmi lesquels des congrès internationaux, l’association peut mener son combat et libère la parole des victimes d’inceste.
2. Décryptage
Page 2 – Décembre 2013 Combattre l’inceste et le silence qui l’entoure
Pouvez-vous nous présenter votre association ?
Créée en 2000 par Isabelle Aubry, survivante de l’inceste, l’Association Internationale de l’Inceste
a pour vocation de défendre les droits des victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Notre
premier combat a été le rallongement de la prescription, et il le reste même si, en 2004, cette
prescription a été rallongée de dix ans. Nous avons très tôt compris la puissance de l’outil internet
qui nous a permis de nous fédérer et, pour bon nombre d’entre nous, de sortir de notre isolement.
AIVI compte aujourd’hui 3000 membres, victimes, non victimes, professionnels, étudiants, citoyens
engagés, et trente-cinq bénévoles répartis sur tout le territoire français et à l’étranger.
Notre politique est d’œuvrer pour obtenir de nouvelles lois en faveur des victimes, d’ouvrir les
consciences de nos dirigeants et professionnels sur le tabou de l’inceste, d’être reconnus et
d’intervenir comme experts de ce fléau et des solutions pour le combattre. Ainsi, nous formons
en formation initiale (sages-femmes, infirmières, éducateurs spécialisés…) et continue (médecins
scolaires, psychologues, psychiatres…).
Nous organisons également des congrès internationaux auxquels participent des chercheurs
étrangers car malheureusement la France est très en retard sur ce sujet. Depuis sa création, notre
association vit de ses propres ressources, elle ne sollicite jamais de subventions afin de garder
toute son indépendance.
Notre site internet est notre vitrine mais aussi un puissant outil interactif (forum d’entraide), une
base de données riche d’informations sur l’inceste et de plus de deux mille témoignages de
survivants et proches.
Pouvez-vous nous expliquer quelle est la différence entre l’inceste et les autres abus sexuels ?
La moitié des crimes sont des viols, plus de la moitié des viols sont commis sur des enfants et dans
80% des cas, au sein de la famille. L’inceste est une atteinte grave à l’humain en devenir qu’est
l’enfant car c’est avant tout un crime du « lien ».
Lorsqu’une victime vit avec son agresseur, elle a peur de parler, elle est sous emprise mais surtout,
ce qui est difficilement compréhensible pour le commun des mortels, elle « aime » son agresseur.
Ce qu’elle n’aime pas c’est ce qu’il lui fait, elle n’attend qu’une chose, que « ça » s’arrête.
Révéler l’inceste fera porter à l’enfant la culpabilité de l’explosion de la famille. Pour cette raison,
il sera neuf fois sur dix rejeté au profit de la cohésion familiale. En cas d’agression par un membre
extérieur à la famille (instituteur, prêtre, nourrice…), la famille protègera plus facilement l’enfant
victime.
La particularité de l’inceste c’est aussi la quasi impossibilité de dévoiler les faits pour cause de
menaces de l’agresseur, de dépendance évidente à la famille. Pour cette raison, les victimes
parlent en moyenne seize ans après les faits (sondage IPSOS pour AIVI 2010). Dans la famille
incestueuse, les règles sont différentes, les rôles aussi, c’est une famille dysfonctionnelle dans
laquelle le développement de l’enfant est brisé par « ce fonctionnement qui rend fou », où il
est un objet sexuel à disposition, plusieurs fois par semaine pendant des années. L’inceste est
répétition de violences physiques et psychologiques.
Pouvez-vous quantifier le nombre de personnes victimes d’inceste en France ?
Il n’y a aucune statistique en France permettant de connaître le nombre d’incestes jugés car
l’inceste n’est pas nommé dans le code pénal mais éparpillé sous trois chefs d’accusation :
viol, agression sexuelle et atteinte sexuelle avec circonstances aggravantes. Le chiffre noir de
l’inceste n’est pas recherché non plus. Un crime qui n’est pas nommé et surtout qui n’est pas
quantifié, n’existe pas officiellement.
3. Combattre l’inceste et le silence qui l’entoure
Décryptage Décembre 2013 – Page 3
Rappelons que le mot « tabou » signifie « ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il ne faut pas dire ».
Notre pays ne déroge pas à la règle contrairement au Canada, USA, Suisse, Allemagne, Italie…
Si le Conseil de l’Europe s’intéresse à la question, il englobe toutes les violences sexuelles sur
enfant. Il les estime à un enfant sur cinq.
Pour avoir un chiffre français, AIVI a commandé un sondage IPSOS en 2009 qui a permis
d’estimer à deux millions le nombre de victimes d’inceste en France. Nous avons demandé à un
échantillon représentatif de Français s‘ils connaissaient une victime d’inceste ; 24 % ont répondu
par l’affirmative. À ces 24% nous avons demandé qui était cette personne par rapport à eux :
membre de la famille, ami, conjoint, enfant… et en dernier « eux-mêmes ». 11 % ont répondu que
la personne qu’ils connaissaient était eux-mêmes. Par extrapolation, l’IPSOS a calculé que nous
avions au moins deux millions de victimes en France.
Quel est aujourd’hui l’encadrement juridique de l’inceste ? Pourquoi vouloir l’inscrire dans le
code pénal ?
L’inceste a été supprimé du code pénal en 1791. Il était considéré comme un trouble à l’ordre
public ; cette suppression était donc un pas en avant. Maintenant, l’inceste est puni sous trois
chefs d’accusation : le viol, l’agression sexuelle ou l’atteinte sexuelle par ascendant ou personne
ayant autorité. Cela pose problème car, contrairement aux idées reçues, l’inceste ne se limite
pas aux relations père fille. Le deuxième agresseur est le frère par exemple, et ce dernier n’est
pas forcément considéré comme une personne ayant autorité. C’est au juge d’en décider.
Même problème pour le cousin, oncle, tante, bref, le reste de la famille. De plus, que ce soit
un viol ou une agression sexuelle, l’inceste est un crime de lien avant d’être un crime physique,
il ne peut pas être éclaté dans notre loi de cette façon. D’ailleurs, qu’il y ait pénétration ou
attouchements, l’échelle de gravité ne se situe pas là mais dans la trahison que l’enfant va
vivre pour sa vie entière. Tous ses repères vont s’écrouler, la confiance en ceux qui devaient le
protéger aussi, le traumatisme prend place au niveau psychique et non physique.
Mais le pire est la notion de consentement de la victime. Pour qu’un viol ou une agression sexuelle
soit qualifiés, il faut prouver la menace, violence, contrainte ou surprise, soit le non consentement
de la victime. Malheureusement, la plupart du temps, l’acte incestueux est commis sous emprise,
le statut de l’agresseur suffit à pétrifier l’enfant qui ne dira rien. Il peut alors être considéré comme
« consentant ». Il faut en finir en inscrivant dans notre loi en positif qu’un enfant ne peut pas être
consentant à l’inceste.
Vous vous mobilisez également en faveur de l’allongement des délais de prescription de justice
en cas d’inceste. Pouvez-nous expliquer ce combat ?
Nous définissons clairement la prescription comme un passeport pour le viol d’enfant. Sachant
qu’une victime met seize ans après les faits en moyenne pour révéler ce qu’elle a subi, souvent
pour protéger d’autres enfants, que la réaction familiale va étouffer sa parole, la prescription est
souvent acquise et l’agresseur peut continuer sa carrière en toute impunité. Ainsi il peut violer de
génération en génération, ses enfants, petits-enfants et enfants extérieurs à la famille aussi. Le
secret sera bien gardé avec la caution de la justice.
Selon notre sondage IPSOS 2010 auprès de 341 victimes, 45 % d’entre elles n’ont pas porté plainte
pour cause de prescription. Le déni des victimes n’est pas pris en compte alors qu’il est maintenant
prouvé scientifiquement (Infoscience 2001 : la mémoire réprime les faits traumatisants). Plongée
dans une sorte de coma protecteur pendant des décennies, la victime oublie partiellement ou
complètement les faits. Ils peuvent ressurgir brutalement, souvent lors d’un événement fort de la
vie (mariage, divorce, naissance d’un enfant, deuil…). Là, il se peut que d’autres enfants soient
en danger et si la prescription empêche de poursuivre l’agresseur, c’est encore la victime qui
portera la culpabilité de n’avoir pu les protéger, de ne pas avoir parlé à temps.
4. Décryptage
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Plusieurs pays n’ont pas de prescription pour les crimes graves, notamment les pays du Common
Law comme le Canada, l’Angleterre. La Suisse vient de rendre les viols d’enfants imprescriptibles
sur référendum d’initiative populaire. Il serait temps d’évoluer sur ce point pour protéger nos
enfants et en finir avec les justifications désuètes de la prescription.