1. 2010, année « avec ».
Avancer avec eux pour aller plus loin.
Janvier 2010
L es années 2000 marquent une révolution. Une révolution que le marketing, la
communication et la recherche consommateur n’avaient peut-être jamais connue depuis
leur invention. C’est qu’avec le web social, la parole est à nouveau accessible à tous. Et
avec la parole, le débat, les idées. L’expression de ses sentiments mais aussi de sa pensée.
Avec le web social, tout le monde a appris à parler de tout à tout le monde. Tout le temps. Et
sans aucun complexe. Comme le dit Raymond Boudon : « le web expose l’internaute à une
pluralité de points de vue, gêne les pratiques d’occultation et incite par son côté foisonnant à
l’exercice de l’esprit critique », et en ceci « il est une bénédiction pour la démocratie ». Et une
nouvelle donne pour tous ceux dont le métier est de comprendre ce que pensent les autres
pour mieux communiquer avec eux. Le monopole du sens et les privilèges qui vont avec sont
abolis. C’est une nouvelle nuit du 4 août que nous vivons tous les jours. La majorité
silencieuse parle et agit. M. Tout-le monde a des idées, des valeurs et même des convictions.
Tout a changé.
Nouveau monde, vieux réflexes.
Mais a-t-elle vraiment changé, notre façon de gérer l’écoute de ceux qui nous entourent et de
bâtir la relation avec eux ? A-t-elle vraiment changé, notre façon de considérer ce qu’on
appelle encore aujourd’hui les « publics » de l’entreprise, de l’institution ou de la marque ?
Les méthodes d’écoute directement issues du web social ne sont elles pas encore trop
souvent jugées à l’aune de concepts du passé, ancrés dans notre paysage mental jusqu’à
nous faire passer, parfois, à côté de l’essentiel ? Ce qui justifie cette question, c’est par
exemple la fascination pour le chiffre, le pourcentage censé tout expliquer, tout « valider »,
quelquefois jusqu’à l’absurde : « nous avons eu sur le site 50 000, 100 000, 500 000
contributeurs… Qui sont venus en moyenne 5 minutes »… Et pourquoi pas 2 millions qui
seraient venus 30 secondes ? Pour dire quoi, pour lire quoi, en 5 minutes ou 30 secondes ?
Ou la fascination pour le logiciel, l’automatisme qui va remplacer l’analyste en comptant les
mots clés, en opérant les « bons » rapprochements, en détectant les idées émergentes... Qui
transforme l’homme qui cherche à donner sens à la matière conversationnelle en simple
auxiliaire au service de la perfection de la machine… « Mais pour analyser toutes ces
conversations, ces centaines de posts qui se répondent sur des dizaines de pages, vous
utilisez quoi ? »… Loin de nous l’idée de rejeter le progrès technique. Accélérer certains types
d’analyses, tracker l’opinion, cartographier les pics d’activité que connaît le web sur un sujet :
bien sûr. La technologie s’est imposée comme une aide indispensable pour mener à bien ces
tâches. Mais ne faut-il pas aussi apprendre à renoncer parfois à l’algorithme, pour décrypter le
sens de ce que d’autres êtres humains ont pris la peine et le temps d’écrire ? D’écrire avec
leur tête, toujours. Et leurs tripes, souvent.
Au-delà de l’écoute, dans le domaine de la communication aussi, celui de la construction de
l’image d’une marque, d’une entreprise ou d’une institution, passer à cette nouvelle ère est
un exercice exigeant. La réflexion stratégique et des moyens est encore solidement inscrite
dans des modèles éprouvés mais qui méritent d’être questionnés ; ceux dans lesquels « big
idea », concept créatif, stratégie multi média – intégrant bien sûr un volet interactif –
suffisaient à enfermer les publics dans un schéma de conviction qui leur vendrait la
promesse, le produit, la performance de l’entreprise...
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2. Avancer avec eux.
Mais à l’heure où nos contemporains parlent et produisent du sens, comment l’histoire d’une
marque, d’une entreprise ou d’une institution pourrait-elle continuer à ne s’écrire que dans ce
schéma, en solo et en chambre ? On commence à prendre acte que ceux qu’on appelle
encore les publics de l’entreprise en sont devenus des parties-prenantes. Qu’elles méritent
d’être considérées comme telles par les experts de la communication au point d’être activées
comme des êtres pensants, comme une intelligence collective apte à être mise au service de
la réflexion stratégique. Il est temps aussi d’acter que les publics – les
clients/consommateurs, les professionnels, les citoyens, les salariés – ne peuvent plus être
appréhendés « chacun pour soi ». Le web social les a réunis. Il les a rassemblés en un
continuum puissant, il contribue à réunifier ce corps social que certains voient encore
s’émietter alors qu’il tente de se recomposer, mais différemment, ailleurs. Demandez à un
consommateur ce qu’il pense du hard discount, il vous parlera de son porte-monnaie bien sûr,
mais il vous parlera aussi de la caissière qui passe le balai après son service. Demandez à un
Français ce qu’il pense d’EDF, il vous parlera sans doute du prix de l’électricité, sans doute
aussi de son patron. Les frontières que l’on croyait éternelles –comme celle du BtoB et du
BtoC, celle de la communication de marque et des RH – se brouillent.
Réapprendre à écouter.
Avancer avec ce corps social multiple mais unifié, travailler avec lui autrement, bien sûr ce
n’est pas si facile. Parce que c’est commencer par changer nos habitudes. C’est casser nos
vieux réflexes « mécanistes », rassurants mais dépassés, pour refaire non seulement place
mais confiance à l’humain en nous. A notre cerveau. A notre oreille. A notre talent. Non, la
technique ne peut pas tout. Non, même le meilleur des logiciels ne sera jamais à la hauteur
d’un planner curieux pour comprendre en quoi la parole d’un autre humain fait sens à ses
propres yeux – parce qu’elle résonne avec une culture ou une émotion, que seul le fait de
comprendre ce qu’est une culture ou savoir ressentir l’émotion d’un autre permet
d’appréhender. Travailler avec eux, c’est aussi désapprendre pour mieux comprendre.
Désapprendre la hantise du hors-sujet ou de la conversation parallèle parce que souvent,
c’est le hors-sujet et la conversation parallèle qui permettent de mieux comprendre les vraies
préoccupations de ceux qui s’expriment. Refaire sa place à l’inattendu ou à l’incongru dans la
parole du corps social, parce que c’est souvent grâce à l’inattendu ou à l’incongru que nous,
« chercheurs», devenons des « trouveurs ». Désapprendre la toute-puissance de celui qui sait,
qui anime et qui gère son groupe de consommateurs comme seul maître à bord pour faire
converger toute la parole vers lui. Apprendre à lâcher-prise dans la conduite de la
conversation pour laisser la relation prendre entre consommateurs ou se laisser inspirer par
sa logique interne.
New Deal, nouvelles ambitions.
A condition de savoir désapprendre pour mieux comprendre, le web social devient un outil
unique et à vrai dire inespéré. Parce que cette nouvelle modestie permet de donner libre
cours à une nouvelle curiosité - et d’atteindre de nouvelles ambitions. L’ambition de définir
une nouvelle forme de robustesse – de revisiter un concept vieux comme les études mais qui
peut prendre un nouveau sens, à l’heure du web 2.0 : pouvoir se fonder sur la parole de
cinquante ou cent personnes « seulement », mais ayant été sollicitées pendant quinze jours,
dans le cadre d’une discussion dont elles ont aussi été les acteurs et dans laquelle elles se
sont livrées comme jamais elles n’avaient osé le faire. L’ambition d’affirmer une valeur
prédictive à la recherche qualitative communautaire, au-delà des protocoles
quantitatifs lourds ou du pur et simple acte de foi envers un gourou. Aujourd’hui, il est
possible de savoir cinq mois à l’avance que les Français vont réduire leur fréquentation des
hypermarchés pour la première fois depuis trente ans, comme nous l’avons fait dés mai
2008, en collaborant autrement avec eux sur leurs stratégies de consommation... L’ambition
de leur donner l’envie de nous en dire plus. Parce qu’au-delà de leur donner plus de liberté de
parole, c’est donner à leur parole une vraie valeur dans toutes les phases du travail de
l’expert. Et non plus seulement en amont – l’exploration - et en aval – la validation. C’est la
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3. naissance d’un nouveau modèle de planning stratégique, le planning stratégique 2.0, un
planning qui ne se veut stratégique que parce qu’il est collaboratif. Qui entend exploiter avec
leur consentement ces forces vives potentielles qui ne demandent qu’à être impliquées.
Capter une plus grande part de la vérité de la vie des gens, les amener à coproduire des
idées avec nous et à réagir aux nôtres, considérer nos interlocuteurs non pas comme des
publics que l’on sonde ou que l’on regarde vivre, mais comme des partenaires que l’on
stimule pour tirer le meilleur parti de leur intelligence collective… C’est le modèle d’une
nouvelle époque.
Réapprendre à se parler.
Comprendre ce nouveau modèle, c’est aussi réapprendre à leur parler, à se parler. Faire de
l’écoute un outil et un acte de communication.
Un outil : pour réussir à détecter l’insight, la tendance, l’attente, la crainte sur lesquels la
marque ou l’entreprise pourra fonder sa raison d’être pour l’ensemble du corps social. Parce
qu’être la marque ou l’entreprise préférée de nos concitoyens, ce n’est plus seulement se
présenter comme un bien de consommation ou un bien de production « techniquement »
compétitif, c’est parvenir avant tout chose à être appréhendé comme un bien utile à la
collectivité, un bien dont on acte le bien fondé pour tous, un bien que l’on soutient, que l’on
sera prêt à défendre s’il se trouvait challengé ou menacé. Parce que répondre à ce nouveau
défi, c’est réussir en amont à s’emparer du sujet qui intéresse toute la collectivité et qui
permettra d’engager la conversation pour construire du sens collectivement.
Un acte : faire de l’écoute une démarche structurante du dispositif de communication on et
off line. Et avant toute chose, une démarche intègre dans sa façon de jouer le collectif. Parce
qu’engager le corps social, engager une vraie conversation avec lui, c’est d’abord le respecter.
Véronique Langlois et Xavier Charpentier.
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