La colère des internes et jeunes biologistes du public et du privé ? Nous les avons vus dans les CHU se mettre en grève, mais la situation nous échappe un peu (même si ça a l’air grave). Alors pourquoi ont-ils tout retourné, distribuant des tracts et contactant les médias, mobilisant les parlementaires, et se fâchant tout rouge, eux d'ordinaire si cools ?
Retour vers le futur
« Il n'existe que deux choses innies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue. » -Einstein
Pour comprendre leur mouvement, il faut voyager un peu dans le temps. Retour rapide jusqu’au big bang (non je rigole;) jusque dans les années 50. La biologie médicale est une jeune spécialité qui est née grâce au progrès technique et a émergé en accompagnant les activités cliniques et pharmaceutiques, sans être totalement individualisée. Pasteur et le fidèle docteur Roux ont fait progresser la microbiologie, on commence à réaliser les ionogrammes au photomètre de flamme, et on observe les frottis sanguins sur des lames grâce à la coloration de May-Grunwald- Giemsa. Dans les années 50, les praticiens commencent à sentir que ces examens qui permettent bien souvent de poser ou de confirmer un diagnostic appartiennent à une même catégorie intellectuelle : la biologie médicale. Les Médecins et Pharmaciens peuvent l'exercer en plus de leur activité première, et il se forme un développement exubérant de la spécialité qui s’épanouit jusqu'en 75, date à laquelle une loi vient poser un cadre formel pour accompagner le développement de la spécialité (qui naîtra officiellement sous la forme d’un DES en 1984 —Georges Orwell, sors de ce corps— :). Cette loi à la fois efficiente et protectrice (réservant totalement l'entrée au capital à la profession elle-même) a rempli parfaitement son office jusqu'en 2010, assurant 30 années de développement harmonieux de la biologie médicale, et une révolution (associée à l’essor de la radiologie et de la médecine nucléaire) des pratiques médicales.
reseauprosante.fr
Phytochemical profile and antioxidant activity of two varieties of dates (Pho...
Révolution dans les labos que pasa
1. Grève des biologistes Grève des biologistes
Révolution dans les labos : Que pasa ?
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La colère des internes et jeunes biologistes du public et du privé ? Nous les avons vus dans les
CHU se mettre en grève, mais la situation nous échappe un peu (même si ça a l’air grave). Alors
pourquoi ont-ils tout retourné, distribuant des tracts et contactant les médias, mobilisant les
parlementaires, et se fâchant tout rouge, eux d'ordinaire si cools ?
Figure 1 : jeunes biologistes
avant le cauchemar
Retour vers le futur
« Il n'existe que deux choses innies, l'univers et la bêtise humaine... mais pour l'univers, je n'ai pas de certitude absolue. »
-Einstein
Pour comprendre leur mouvement, il faut voyager un peu
dans le temps. Retour rapide jusqu’au big bang (non je
rigole;) jusque dans les années 50. La biologie médicale est
une jeune spécialité qui est née grâce au progrès technique
et a émergé en accompagnant les activités cliniques et
pharmaceutiques, sans être totalement individualisée.
Pasteur et le !dèle docteur Roux ont fait progresser la
microbiologie, on commence à réaliser les ionogrammes
au photomètre de #amme, et on observe les frottis sanguins
sur des lames grâce à la coloration de May-Grunwald-
Giemsa. Dans les années 50, les praticiens commencent
à sentir que ces examens qui permettent bien souvent de
poser ou de con!rmer un diagnostic appartiennent à une
même catégorie intellectuelle : la biologie médicale. Les
Médecins et Pharmaciens peuvent l'exercer en plus de leur
activité première, et il se forme un développement exubérant
de la spécialité qui s’épanouit jusqu'en 75, date à laquelle
une loi vient poser un cadre formel pour accompagner le
développement de la spécialité (qui naîtra of!ciellement
sous la forme d’un DES en 1984 —Georges Orwell, sors
de ce corps— :). Cette loi à la fois ef!ciente et protectrice
(réservant totalement l'entrée au capital à la profession
elle-même) a rempli parfaitement son of!ce jusqu'en 2010,
assurant 30 années de développement harmonieux de la
biologie médicale, et une révolution (associée à l’essor de
la radiologie et de la médecine nucléaire) des pratiques
médicales.
Mais pendant ces années de bonheur pour les français et
la médecine dans son
ensemble, il se passe bien
des choses : le Che est
assassiné à la Higuera, on
assiste stupé!é à la chute
du mur de Berlin, même
la République populaire
de Chine met un peu
Figure 2 : jeune biologiste dit « le che »
d'eau dans son darjeeling
et c'est la !n de la guerre
froide. On a beau remplacer le KGB par Ben Laden dans
l'imaginaire des peuples pour symboliser l'ennemi du monde
libre, en absence d'alternative, le capitalisme a les coudées
franches. Et il s’en est donné à coeur joie !
Et voilà, on déréglemente a!n de détruire les cadres légaux
qui mettent les pro!ts à venir hors d’atteinte, on crée le
marché commun européen, on fait voter contre l'avis des
peuples l'instauration obligatoire d'une concurrence libre et
non faussée au sein des frontières européennes, bref on crée
une Europe du commerce au lieu de créer une Europe des
peuples. Et c’est un détail qui fait toute la différence.
La main invisible du marché a le doigt tendu
« Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous
sommes en train de la gagner. » -Warren Buffet
Si l'on s'arrête une seconde
et que l’on se glisse avec
délice dans la peau de
ces « élites » qui nous
gouvernent qu'a-t-on fait ?
Nous avons créé un énorme
marché sans réglementation
intempestive, industrialisé
Figure 3 : Le doigté de gauche
à outrance, permis de mettre en concurrence tous les
hommes par la délocalisation, #exibilisé le marché du travail
suf!samment pour que les peuples aient de plus en plus peur
de l'avenir et plus aucune velléité de se rebeller, et c'est
une belle réussite. Des montagnes de cash commencent à
s'écouler des pays européens vers les fonds de pension, les
acquis sociaux des jeunes régressent par rapport à ceux de
leurs aînés. Champagne !!!
Mais il y a un mais : un secteur encore plus juteux (car
totalement réservé aux états): les services publics.
Et voici la naissance sous l'égide de l'OMC de
recommandations pour privatiser les services publics (le
fameux AGCS), recommandations qui se transforment en
directives européennes (directive Bolkenstein) et en France
en RGPP (révision générale des politiques publiques, un
euphémisme pour dire qu'après la RGPP, des politiques
publiques, il n'y en aura plus…).
Privatisation de la santé : le premier clou du cercueil
« Les nanciers ne font bien leurs affaires que lorsque l’état les fait mal » -Talleyrand
D'accord, c'est intéressant, mais la biologie médicale
dans tout ça ? La biologie médicale est comme le reste
de la médecine, la pharmacie, les avocats et les notaires,
les taxis, etc. : une profession privée (ou publique) à titre
protégé, (donc s'apparentant à un service public), dans
la mesure où les hommes politiques éclairés d'avant la
religion du veau d'or (d’obscurs inconnus comme Jaurès,
Blum, De Gaulle…) avaient jugé bon pour des raisons
d’éthique et d'intérêt supérieur du peuple, de préserver à
tout prix l’indépendance professionnelle, en statuant que
les jugements de ces professionnels ne devaient jamais être
obscurcis ou contraints par des impératifs !nanciers (et la
meilleure façon de mettre la théorie en application était
d'empêcher à tout prix la prise de contrôle des outils de
travail de ces professions par des capitaux extérieurs à la
profession…).
Dans ce contexte de néolibéralisme, apparaît une société,
Labco, dirigée (ce qui est encore plus choquant, vive la
confraternité) par un médecin, Eric Souêtre, dont la femme
travaille à la Cour de justice de l'Union européenne (loin
de nous l’idée de vouloir souligner un quelconque con#it
d’intérêt ;). Cette société veut se développer comme un Lidl
de la biologie (décalque du modèle économique, scandale
sanitaire compris :), mais la réglementation française
l'interdit, et l'Ordre des Pharmaciens notamment prend
un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues
pour contrarier son initiative illégale. Les actionnaires ne
sont pas du genre à respecter la loi, et quand la loi ne leur
16 N° 10 - Juin 2011 N° 10- Juin 2011 17
2. Grève des biologistes Grève des biologistes
convient pas, ils tentent de la changer. Ça tombe bien, ils
ont des montagnes de billets pour le faire, et des conjoints
bien placés à Bruxelles. Sentant que la situation française
ne leur donnera pas raison à coup sûr, ils vont plaider leur
cause du côté des organes politiques européens favorables
au néolibéralisme, et attaquent donc la France (excusez du
peu) devant la Cour de justice de l'Union européenne, au
motif que la biologie médicale serait un service répondant
donc non pas à la législation sur la santé, mais à celle sur
le commerce et les services (Bolkenstein) : le capital ne
doit pas être réservé aux professionnels pour des raisons
éthiques, mais peut être concentré aux mains d'actionnaires
extérieurs (pour des raisons nettement moins éthiques…).
Nous sommes alors en 2006, et un rapport de l'IGAS
va porter en France un second coup de boutoir à la
spécialité. Ce dernier statue 3 principales conclusions :
la première que la protection du titre de la profession de
biologiste médical est à questionner (en effet, la possibilité
d'investissement par des !nanciers est conditionnée par la
déréglementation…), la seconde que la profession, comme
d'autres professions médicales, est trop bien rémunérée
(comprenez les professionnels gagnent trop d'argent, il faut
donner le marché aux !nanciers, eux sauront être beaucoup
plus ef!cients avec cette manne…) et en!n la dernière, et
de façon totalement incantatoire (puisqu'entre temps nous
nous sommes aperçus qu'aucune évaluation sérieuse n'avait
été menée), que la qualité était insuf!sante dans 5% des
laboratoires (alors qu'en réalité les laboratoires français sont
leaders européens sur la qualité…).
Ces deux évènements « alibi » en déclenchent un troisième :
la réforme de la biologie médicale, sous l’égide du
gouvernement. Passons sur la négociation qui comme
pour toutes les réformes du quinquennat n'en fut pas une
(on écoute tout le monde et on n'en fait qu'à notre tête, et
on appelle ça « concertation »). Le but de la réforme était
d‘entièrement déréglementer le marché de façon à laisser les
mains libres aux !nanciers. Ce malgré toutes les résistances
de la profession, peu pressée de se voir offerte en pâture à la
spéculation, c'est exactement ce qui est en train de se passer
(ou : nous y sommes ?).
Et ce bien que quelques évènements notables aient pourtant
joué contre, au premier rang desquels la victoire de la
France, représentée par la profession devant la cour de
justice de l'Union européenne le 16 décembre 2010. Celle-ci
a ainsi jugé nécessaire a!n de préserver l'intérêt supérieur
des peuples à recevoir des soins de qualité de ne pas aliéner
l'indépendance professionnelle des professions de santé à
des intérêts !nanciers parasites (donc à des investisseurs
extérieurs).
Le combat des jeunes biologistes : résister ou mourir
« La n de l’espoir est le commencement de la mort » - De Gaulle
Le « privé » ça fait (plus du tout) rêver
Le problème est que la volonté politique de déréglementer
le secteur est toujours présente, et qu'en 6 ans de période
totalement troublée et dans l'attente de la nouvelle
réglementation chacun a tenté de tirer la couverture à lui.
Des chaînes de laboratoires se sont montées (dans un premier
temps dans l'illégalité avant d'être en partie adoubées par la
nouvelle législation imposée par voie d'ordonnance pour
éviter tout débat parlementaire). Les aînés, apeurés par
le contexte et renâclant à devoir se mettre en conformité
avec la norme industrielle de qualité ISO 15189 à leur âge
Figure 4 : jeunes biologistes s’adressant à la télé
(lourde à appliquer, très coûteuse, et pas toujours adaptée à
la pratique médicale) ont été tentés de vendre rapidement
leurs laboratoires, et bien souvent pour encaisser le jackpot,
à des !nanciers qui ont une capacité d'investissement
énorme, et non pas aux jeunes qui…sont jeunes… La
transmission des laboratoires se fait donc en ce moment
préférentiellement vers les !nanciers, ce qui est dramatique,
car depuis l'ordonnance du 13 Janvier 2010 portant réforme
de la Biologie Médicale, les jeunes ne peuvent plus non
plus créer leur laboratoire… Le plus alarmant étant que le
principe permettant aux !nanciers de contourner l’esprit de
la loi et de prendre possession à 100% de n’importe quelle
SEL médicale au dépend des jeunes praticiens médicaux
est applicable à l’ensemble des spécialités médicales
(radiologie, anapath, maisons médicales de santé, etc…).
Dans le même temps, la logique !nancière ayant commencé
à s'in!ltrer insidieusement dans la profession, les contrats
proposés dans le privé sont de plus en plus des contrats de
travailleur non salarié ultraminoritaire contraint. Ces contrats
étaient initialement prévus pour faciliter la transmission
des laboratoires par rachat progressif de capital. Ils sont
maintenant détournés pour permettre aux laboratoires de
béné!cier d'exonérations !scales tandis que les jeunes
biologistes se retrouvent dans une situation extrêmement
précaire (non couverts par le droit du travail : pas d'horaires,
pas de protection sociale, pas de retraite, pas de chômage,
et le statut autorise à les virer du jour au lendemain (on
dit « ad nutum »), par exemple lorsqu'ils ont des velléités
d'augmentations salariales)…
Le public c’est dramatique
Dans le public, la situation est également tragique. Dans
les CHU, 70% des postes sont offerts à des personnes non
quali!ées, non formées par le DES de Biologie Médicale
(et bien souvent ni médecins ni pharmaciens). Et la volonté
du gouvernement, convaincu par les sonnants et trébuchants
arguments des !nanciers étrangement soutenus par le
directeur de l'assurance maladie, de créer des ristournes
dans la profession va, en mettant en concurrence frontale
les CHG et les gros laboratoires privés, détruire une grande
Figure 5 : jeunes biologistes en grève partie des laboratoires du public…
A la n, il ne peut en rester qu’un
Malgré les nombreuses propositions, rapports, notes et amendements que nous avons construits et proposés à différents
intervenants (de Mme la Ministre Roselyne Bachelot, en passant par les conseillers de l'Élysée —Mr Radanne et Castex—
où nous avons été reçus, ceux de Matignon —Mr Grouchka et Gruson—, les innombrables députés et sénateurs que nous
avons rencontrés, et maintenant Mr le Ministre Xavier Bertrand), et bien que nos propositions soient régulièrement reprises,
il s'opère toujours dans le discours et les textes législatifs un retour en arrière vers la déréglementation totale du secteur.
18 N° 10 - Juin 2011 N° 10- Juin 2011 19
3. Le dernier véhicule législatif permettant aux jeunes
biologistes médicaux de s'exprimer étant la proposition
de loi Fourcade (passage en commission des affaires
sociales du palais du Luxembourg le 23 Juin, vote le
1er Juillet), ils ont, après une attitude constructive de
proposition et de participation à toutes les discussions,
pris leurs responsabilités et entamé un mouvement de
protestation. Car si ils ne le font pas, la biologie médicale
va se ‚nanciariser sans se renouveler, et la spécialité sera
cliniquement morte. Et derrière cette tête de pont de la
‚nanciarisation et de la privatisation de la santé, ce sont
toutes les autres spécialités qui vont tomber sous le joug
des marchés ‚nanciers (et l'amendement concernant la
création de concentrations verticales par les mutuelles et
les assurances dans la proposition de loi Fourcade est là
pour le prouver).
Or il nous semble qu'une nation qui planie le sacrice
de sa jeunesse nie son propre avenir.
Grève des biologistes
Figure 6 : jeunes biologistes au ministère du Travail et de la Santé
Soutenez-nous et battez-vous à nos côtés, c’est l’ensemble du système de santé qui est en jeu !
Pétition sur http://www.sjbm.fr/blog
Mail : sjbiomed@gmail.com
Thomas Nenninger
Médecin Biologiste
Président du SJBM
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9 jeunes médecins
sur 10 rejettent
l’exercice
individuel isolé,
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