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Ariel Kyrou est essayiste, spécialiste des nouvelles technologies
et directeur associé de la société Modernes Multimédias. Auteur
de nombreux ouvrages, le spectre de ses interventions va bien
au-delà du numérique : Ariel a écrit sur la musique électronique
et la science-fiction autant que sur les implications socio-
économiques que la technologie a sur nos vies de citoyens. En
2015, Ariel Kyrou signe avec Bernard Stiegler un ouvrage
commun : L’emploi est mort, vive le travail ! qui retrace de façon
didactique l’étendu du débat cher au philosophe. Féru de
science-fiction et absolument passionné par les tenants des
controverses nées de l’essor du numérique, Ariel Kyrou est
aujourd’hui incontournable quand vient l’heure de faire vivre une
critique à l’endroit du tout-numérique.
C’est le 30 mars dans les locaux de Modernes Multimédias que j’ai
échangé avec Ariel Kyrou. Nous nous étions croisés il y a quelques
semaines au Collège des Bernardins, ce fut l’occasion de lui proposer
cette conversation autour de son travail et plus largement, sur la place
du débat numérique au sein du débat politique. En effet, dans le
contexte actuel, le prisme du numérique revient avec force pour penser
nos relations à l’économie, à l’emploi et surtout aux autres. Or, si l’on
note que de nombreux intellectuels procèdent à la nécessaire mise en
mot du sujet, on constate que le passage à l’action reste trop souvent
vœu pieu dans cette machine technologique qui semble vouée à un
avenir épris de rationalité économique.
Conversation.
www.maisouvaleweb.fr - une conversation autour des
enjeux du numérique et de la technocritique.
Entretien réalisé avec Ariel Kyrou le 31 mars 2016.
MAIS OÙ VA LE WEB : Bonjour Ariel, je te propose de prendre comme point de départ
quelques-uns de tes textes, notamment celui sur l'uberisation, ainsi qu'un édito au vitriol
pour la nouvelle année 2016 sur la tournure que prend la modernité qui « court-circuite
notre entendement ». On va aussi parler du livre que tu as écrit avec Bernard Stiegler sur le
travail et l’automatisation. En mixant tout ça on perçoit chez toi une aversion, ou plutôt une
espèce de peur de cette modernité qui « endort notre raison. » Est-ce que ça résume bien
ton travail ?
ARIEL KYROU : Disons que ce qui résume le mieux, c’est de dire que la technophobie est aussi idiote que la
technophilie. Dès lors que l’on navigue dans les mondes technophiles béni-oui-oui qui mangent du marketing
comme une sorte de nouveau bonheur via les outils du numérique, ma fibre critique se réveille. Pour être concret,
je considère qu’on a aujourd’hui affaire à deux obscurantismes : un obscurantisme classique de l’ordre de la
carotte et du bâton, de l’ordre de la manif pour tous, du souverainisme et de la réaction (avec par exemple
Finkelkraut en archétype de la figure réactionnaire). Cet obscurantisme classique veut nous ramener à un temps
perdu, un essentialisme, un âge d’or. Il peut être très parfois très virulent, comme Daesh, et d'autres fois moins,
comme la manif pour tous. Il peut aussi s'associer au deuxième obscurantisme, comme le ferait Manuel Valls en
promouvant d'un côté la déchéance de nationalité et une forme de souverainisme et de l'autre la technologie de
façon aveugle.
En effet, l’autre obscurantisme est high-tech. Au nom du confort et de la sécurité, il nous rend chèvre. Étant un
sceptique, je considère que toute société cherche à contrôler ses ouailles. Ce contrôle passe par des voix
anciennes et pas très subtiles, ou par des voix beaucoup plus modernes et rutilantes. Ces voix nous esclavagisent
à l’insu de notre plein gré. C’est un peu comme dans L’homme sans qualité de Robert Musil. Il y a donc ces deux
obscurantismes : celui qui nous accuse de blasphème sans raison, et celui qui nous chante la gloire d’Uber sans
aucun recul et qui prône la dérégulation, la tyrannie de l'économie et une logique high-tech. Ce sont les deux
facettes complémentaires d’une même œuvre de destruction.
L’enjeu pour moi est justement de se saisir des technologies dans une logique de réappropriation, de
détournement. Les prendre non pas pour ce que ses tenants considèrent comme juste : con-sommer (con +
sommation) mais bien de s’en emparer pour en faire quelque chose de plus singulier, quelque chose qui construit
nos singularités. La clé est là : refuser les obscurantismes et essayer de faire en sorte de coaguler les voies qui
s’emparent des outils pour créer une autre voie progressiste.
Alors, tu parles souvent "d’homme réflexe", il faut dire que tu écris beaucoup sur la Science-Fiction,
je prends donc ce virage puisqu’on s’est rencontrés dans le cadre d’une soirée dédiée à Philip K.
Dick. Quand on parle de cette société idéale vendue comme étant une nouvelle modernité qui nous
aiderait à vivre avec les Uber et consorts, on parle de société de surveillance, de consumérisme
exacerbé, de temps de cerveau disponible… Tous ces termes reviennent et on fait souvent référence
à Orwell, Philip K. Dick et à tous ces auteurs dystopiques qui ont fait la scène technophobe.
De son côté, Jacques Ellul était hostile à ces romans techniciens, il disait que c’était une ruse de
guerre : "On simule une grande attaque avec trompettes et lumières, de façon à attirer des
défenseurs de la citadelle pendant que la véritable opération a lieu." Alors joue-t-on a se faire peur
? Quand on va sur la scène politique avec ce genre de discours, ne risque-t-on pas de se faire taxer
du fameux « point Orwell » comme il y aurait un point Godwin, de la part de gens qui nous diraient
que le futur qu’on décrit n’aura pas lieu, et que le présent qu’on décrit n’existe pas ?
Il y a plusieurs questions en une ! Que fait la science-fiction ou l’art contemporain ? Il pose une hypothèse, le
fameux « et si ». C’est un exercice intellectuel et spirituel qui donne lieu au meilleur comme au pire. Chez K Dick, le
robot est à la fois cette machine qui nous rend incapable de nous « désautomatiser », comme dirait Bernard
Stiegler, mais il y a aussi le robot qui fait preuve d’empathie.
Le robot plus humain que l’humain.
Oui, celui qui va contre ses propres programmes de la même façon qu’un contrôleur de métro peut aller contre
ses ordres quand il rencontre une toxico qui n’a pas de quoi payer son ticket. C’est une bifurcation. Contrairement
à ce que croit Ellul, ou les autres qui ne voient que les Blockbusters et pas les romans de science-fiction comme
ceux de Cronenberg qui sont beaucoup plus subtils que les films, la science-fiction ouvre tous les possibles. Elle
est un dispositif de pensée qui permet de déjouer le bonheur marketing autant que le catastrophisme à
l'ancienne. Selon les romans qu'on va prendre par exemple chez Philip K. Dick, il y a tout et son contraire !
Alors évidemment, Le meilleur des mondes d'Huxkley ou 1984 d'Orwell sont des classique de l’utopie négative
dans lesquels il est compliqué de voir des éléments positifs. Mais attention, ce ne sont pas des romans sur la
science et la technologie, ce sont avant tout des romans politiques. Des romans sur les sociétés qui
potentiellement utilisent des armes technologiques. On peut échapper à la police de la pensée en détournant ses
propres armes, c'est ce qu'il se passe à certains moments du roman Ubik où la drogue, l'écran, sont à la fois
quelque chose qui nous asservit mais qu'on peut détourner et réutiliser comme une sorte d'antidote.
C'est un peu le Pharmakon de Bernard Stiegler ?
C'est le Pharmakon de Bernard Stiegler. Il revient en permanence chez Philip K. Dick et chez la plupart des
auteurs de science-fiction. Chez des auteurs comme Greg Egan, Greg Bear, ou encore Ian Banks, il y a cette
complexité, même quand la teneur globale est positive concernant la technologie. Le questionnement de ces
romans fait que rien n'est donné par avance, dans Rainbows ends de Vernor Vinge par exemple, les personnages
des lapins en hologrammes sont inquiétants, il n'y a pas que du positif.
Le monde de la science-fiction a été positif dans son âge d'or, négatif dans la New wave avec le roman spéculatif
(J G Ballard), puis dans un entre-deux avec le genre cyberpunk et sa vision trash. Tous ces mondes de la littérature
de science-fiction que beaucoup de gens comme Ellul critiquent sans les connaître sont des éléments d'une
multiplicité extraordinaire ! Bref, la science-fiction dans son essence n'est ni positive ni négative, ni
technophobe ni technophile. Elle pose des hypothèses qui nous permettent de jouer au travers de l'humain, ou
des mutants. En ce sens, elle appartient à un territoire qui ne peut être assimilé à un obscurantisme ou à un autre.
Ce qui veut bien dire qu'il n'est pas question de la récupérer, que ce soit d'un côté ou de
l'autre. Autre question analogue, en relisant ton interview d'Éric Sadin et les critiques que tu
faites à son encontre, j'ai l'impression que cette littérature technologue au sens large a
tendance à prendre des technologies qui existent séparément les unes des autres pour en
faire un medley qui nous nuirait. Par exemple le Big Data, dont on a dit tout et son contraire,
les Google Glass qui sont un échec avéré ou encore les Smartwatches. À partir de là, on
crée un système là où il n’y en a pas en déclarant « regardez tout ce qu’on veut nous mettre
sur le corps ». Est-ce que là aussi on ne jouerait pas à se faire peur ?
Question intéressante. L'erreur qu'on commet parfois, et qu'Éric Sadin commet, aussi enrichissant soit-il, c'est de
percevoir une tendance (IOT, quantified self) qui si elle est juste, n'est qu'une tendance. Le désir et la volonté de
beaucoup d'entreprises ne sont pas forcément avérés dans les usages. Qui plus est, ces tendances plus ou moins
avérées ne sont jamais celles prévues par les concepteurs. Souvent, ça bifurque. Heureusement d'ailleurs que
l'humain est capable d'en faire autre chose ! Là où Éric Sadin a raison en revanche, c'est que l’idéologie sous-
jacente à un certain nombre de produits (Google, Facebook) veut nous faire croire qu'ils vont régler tous les
problèmes de l'humanité à la place des gens. En gros, le discours est « vous ne le savez pas mais nous on sait
mieux que vous ce dont vous avez besoin, et on va vous le fournir avant même que vous y pensiez. »
Cette puissance et cette logique de persuasion prônent un confort et une sécurité de plus en pus grandes et sur
laquelle jouent d'ailleurs les gouvernements. Ce désir de sécurité nous fait accepter d'autant plus facilement un
certain nombre d'outils dont on ne verra pas de façon évidente ce qu'ils ont de manipulatoire. L'erreur, c'est de
croire que cette volonté, cette manipulation, cette idéologie atteint systématiquement son objet. C'est faux, ça
l'atteint parfois, souvent en partie et pas forcément là où on le croit. Croire qu'il y a une adéquation systématique
et rigoureuse entre l'idéologie de la Silicon Valley et ce que les gens en font y compris aux USA où visiblement ça
marche mieux qu'ailleurs, ce n'est pas vrai.
Certes, ça ne marche pas à tous les coups. Mais on constate en forçant le trait que dans
cette période un peu nihiliste, la technologie renoue avec une forme de transcendance. J’y
ai pensé à ça en ces termes : Dieu créé l'homme, l'homme tue Dieu, l'homme crée la
technologie, la technologie devient Dieu, Dieu crée l'homme.. et ainsi de suite.
Oui, c’est évident, que ce soit au niveau des crises économiques, ou au niveau très prométhéen de notre capacité
à transformer le monde, la technologie répond à un besoin fort et à un manque. Il y a un aspect
profondément démiurgique dans la technologie, ce qui tient parfois du fantasme. Lorsque l'on parle de machine,
c'est la machine utilitaire et au même moment la machine industrielle, fantasmagorique, qui nous fait rêver
de prothèses inouïes ou de créatures que nous serions à même de créer. Ce fantasme-là, cet espoir fou, c'est un
moteur. C'est aussi quelque chose de l'ordre de l'idéologie, et ça fonctionne très bien chez Google par exemple.
Puisqu'on en vient à Google, parlons du transhumanisme. Un des fers de lance du
mouvement chez Google est Ray Kurzweil, il considère que l'on va améliorer l'être humain à
coups de senseurs sous la peau. Cette idéologie se retrouve dans la « Singularity
University » financée notamment par Google. Face à cela, tu as dans tes projets la « Contre
Université du numérique » peux-tu nous en parler ?
On est encore très en amont de ce projet qu'on monte avec l'économiste Yann Moulier-Boutang, Bruno Teboul de
chez Keyrus, le philosophe Bernard Stiegler et bien d'autres. On finalise d’ailleurs en ce moment un gros article sur
le sujet pour les entretiens du nouveau monde industriel. L'idée de la contre université du numérique ou
« Université des singularités », ou encore « Institut des cultures numériques », est de coupler enseignement
en sciences humaines avec enseignement technique, et inversement.
Oui, on va décloisonner les disciplines. Décloisonner les classes sociales et se donner les moyens d’aller chercher
des jeunes avec leur propre culture, que ce soit celle du hip hop, du jeu vidéo, de la culture populaire et leur
proposer des parcours certifiés. Il faut se mettre dans une logique du commun pour que ce ne soient pas toujours
les mêmes qui profitent du savoir.
Tu parles souvent de « ralentir », et quand je pense au temps et à la politique, me vient
justement à l'esprit le ministère du temps libre. Tous ces débats autour du numérique,
nourris par ces intellectuels technocritiques, ne sont-ils pas une manière de réinventer et
de réanchanter la gauche à travers le prisme du numérique ?
Oui, très bonne question. La gauche d'aujourd'hui, à travers le mariage Hollande-Valls-Macron est au degré zéro
de l’utopie. Cette gauche s'accroche encore à l’emploi et Sapin disait récemment que le revenu universel allait
encourager les paresseux... On se croirait il y a 50 ans. Force est de constater que la gauche n'a pas su se
réinventer. Étymologiquement, la gauche considère qu'il faut transformer le monde. La définition même de la
gauche est le changement. La société a changé de manière considérable en 30 ans et quand on voit la captation
des richesses par le capital au détriment de l'investissement et du travail, on se dit que la redistribution ne peut
pas continuer de la même manière.
Les technocritiques comme Bernard Stiegler, même s’ils se défendent de ne parler qu'à des gens de gauche,
dont la définition est galvaudée, sont effectivement en train de réinventer ce qu'étymologiquement est la
gauche. Et c'est ce que je revendique aussi à 100%. Contre les deux obscurantismes dont je parlais il faut
réinventer la gauche, elle doit être capable de foutre en l'air ses vieux oripeaux, ses vieilles lunes comme
l’emploi. Elle doit poser la question du droit à vivre décemment, elle doit créer une société dans laquelle tout le
monde doit pouvoir transmettre et apprendre des savoirs toute sa vie. Quand on est gauche, ces objectifs sont à la
base même de tout.
Puisqu'on est dans la prospective, j'ai quand même une dernière question. Une question
très difficile, tu sais que www.maisouvaleweb.fr, questionne l'avenir du numérique, alors
Ariel : Mais où va le web ?
J'ai connu le début du web, ce qui est assez clair est que ce qui était une technologie qui s'ajoutait aux autres
et pouvait éventuellement les remplacer est devenu l'infrastructure du quotidien. Même si une technologie ne
remplace jamais vraiment une autre mais oblige les précédentes à se poser la question de leur valeur ajoutée.
On voit bien que le web devient aussi courant que l’électricité. Mais si on ne sait pas où est l’électricité, on risque
de s’électrocuter. C’est là l’enjeu de Mais où va le web, surtout quand on pense le numérique avec un « A »
[référence au slogan de maisouvaleweb.fr]. L’enjeu est de savoir si on veut que ce web du quotidien soit visible
ou invisible. Eric Schmidt par exemple, le patron de Google, trouve formidable que le web disparaisse et devienne
invisible.
Comme le dit Evgeny Morozov, La technologie, quand on ne la voit plus, relève de la magie.
On ne se pose plus la question de savoir si elle existe ou pas.
Oui et c'est là l'enjeu majeur. On a d’un côté les vendeurs puissants de la Silicon Valley qui à l'instar de Google
veulent notre bien et prônent la disparition du web pour servir nos désirs, de l’autre, un certain nombre de
technocritiques qui souhaitent au contraire rendre le web visible. Or plus le web va être puissant, plus son
influence va être grande sur notre quotidien et plus il devra être visible, sinon il va nous échapper. On n'aura plus
aucun moyen de se le réapproprier. L’enjeu de savoir « où va le web » aujourd'hui est un enjeu de société. Soit
on le laisse aller dans les mains de forces de contrôle très séduisantes, soit on décide d’être au courant et de voir
ce qu’il se passe. Ce qui ne veut pas forcément dire abandonner le progrès ni le confort et la sécurité. Le web, on
veut pouvoir intervenir et agir dessus, et non pas seulement le subir. Il faut trouver des systèmes de mise en
visibilité de l'ensemble de ces dispositifs. Il faut des dispositifs de conscience et non pas d'inconscience.
Donc la question n'est pas de savoir où va le web, la question est surtout de ne pas le perdre de vue !
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Mais où va le web conversation avec ariel kyrou

  • 1. www.maisouvaleweb.fr - @maisouvaleweb - www.facebook.com/maisouvaleweb.fr
  • 2. Ariel Kyrou est essayiste, spécialiste des nouvelles technologies et directeur associé de la société Modernes Multimédias. Auteur de nombreux ouvrages, le spectre de ses interventions va bien au-delà du numérique : Ariel a écrit sur la musique électronique et la science-fiction autant que sur les implications socio- économiques que la technologie a sur nos vies de citoyens. En 2015, Ariel Kyrou signe avec Bernard Stiegler un ouvrage commun : L’emploi est mort, vive le travail ! qui retrace de façon didactique l’étendu du débat cher au philosophe. Féru de science-fiction et absolument passionné par les tenants des controverses nées de l’essor du numérique, Ariel Kyrou est aujourd’hui incontournable quand vient l’heure de faire vivre une critique à l’endroit du tout-numérique. C’est le 30 mars dans les locaux de Modernes Multimédias que j’ai échangé avec Ariel Kyrou. Nous nous étions croisés il y a quelques semaines au Collège des Bernardins, ce fut l’occasion de lui proposer cette conversation autour de son travail et plus largement, sur la place du débat numérique au sein du débat politique. En effet, dans le contexte actuel, le prisme du numérique revient avec force pour penser nos relations à l’économie, à l’emploi et surtout aux autres. Or, si l’on note que de nombreux intellectuels procèdent à la nécessaire mise en mot du sujet, on constate que le passage à l’action reste trop souvent vœu pieu dans cette machine technologique qui semble vouée à un avenir épris de rationalité économique. Conversation. www.maisouvaleweb.fr - une conversation autour des enjeux du numérique et de la technocritique. Entretien réalisé avec Ariel Kyrou le 31 mars 2016.
  • 3. MAIS OÙ VA LE WEB : Bonjour Ariel, je te propose de prendre comme point de départ quelques-uns de tes textes, notamment celui sur l'uberisation, ainsi qu'un édito au vitriol pour la nouvelle année 2016 sur la tournure que prend la modernité qui « court-circuite notre entendement ». On va aussi parler du livre que tu as écrit avec Bernard Stiegler sur le travail et l’automatisation. En mixant tout ça on perçoit chez toi une aversion, ou plutôt une espèce de peur de cette modernité qui « endort notre raison. » Est-ce que ça résume bien ton travail ? ARIEL KYROU : Disons que ce qui résume le mieux, c’est de dire que la technophobie est aussi idiote que la technophilie. Dès lors que l’on navigue dans les mondes technophiles béni-oui-oui qui mangent du marketing comme une sorte de nouveau bonheur via les outils du numérique, ma fibre critique se réveille. Pour être concret, je considère qu’on a aujourd’hui affaire à deux obscurantismes : un obscurantisme classique de l’ordre de la carotte et du bâton, de l’ordre de la manif pour tous, du souverainisme et de la réaction (avec par exemple Finkelkraut en archétype de la figure réactionnaire). Cet obscurantisme classique veut nous ramener à un temps perdu, un essentialisme, un âge d’or. Il peut être très parfois très virulent, comme Daesh, et d'autres fois moins, comme la manif pour tous. Il peut aussi s'associer au deuxième obscurantisme, comme le ferait Manuel Valls en promouvant d'un côté la déchéance de nationalité et une forme de souverainisme et de l'autre la technologie de façon aveugle. En effet, l’autre obscurantisme est high-tech. Au nom du confort et de la sécurité, il nous rend chèvre. Étant un sceptique, je considère que toute société cherche à contrôler ses ouailles. Ce contrôle passe par des voix anciennes et pas très subtiles, ou par des voix beaucoup plus modernes et rutilantes. Ces voix nous esclavagisent à l’insu de notre plein gré. C’est un peu comme dans L’homme sans qualité de Robert Musil. Il y a donc ces deux obscurantismes : celui qui nous accuse de blasphème sans raison, et celui qui nous chante la gloire d’Uber sans aucun recul et qui prône la dérégulation, la tyrannie de l'économie et une logique high-tech. Ce sont les deux facettes complémentaires d’une même œuvre de destruction.
  • 4. L’enjeu pour moi est justement de se saisir des technologies dans une logique de réappropriation, de détournement. Les prendre non pas pour ce que ses tenants considèrent comme juste : con-sommer (con + sommation) mais bien de s’en emparer pour en faire quelque chose de plus singulier, quelque chose qui construit nos singularités. La clé est là : refuser les obscurantismes et essayer de faire en sorte de coaguler les voies qui s’emparent des outils pour créer une autre voie progressiste. Alors, tu parles souvent "d’homme réflexe", il faut dire que tu écris beaucoup sur la Science-Fiction, je prends donc ce virage puisqu’on s’est rencontrés dans le cadre d’une soirée dédiée à Philip K. Dick. Quand on parle de cette société idéale vendue comme étant une nouvelle modernité qui nous aiderait à vivre avec les Uber et consorts, on parle de société de surveillance, de consumérisme exacerbé, de temps de cerveau disponible… Tous ces termes reviennent et on fait souvent référence à Orwell, Philip K. Dick et à tous ces auteurs dystopiques qui ont fait la scène technophobe. De son côté, Jacques Ellul était hostile à ces romans techniciens, il disait que c’était une ruse de guerre : "On simule une grande attaque avec trompettes et lumières, de façon à attirer des défenseurs de la citadelle pendant que la véritable opération a lieu." Alors joue-t-on a se faire peur ? Quand on va sur la scène politique avec ce genre de discours, ne risque-t-on pas de se faire taxer du fameux « point Orwell » comme il y aurait un point Godwin, de la part de gens qui nous diraient que le futur qu’on décrit n’aura pas lieu, et que le présent qu’on décrit n’existe pas ? Il y a plusieurs questions en une ! Que fait la science-fiction ou l’art contemporain ? Il pose une hypothèse, le fameux « et si ». C’est un exercice intellectuel et spirituel qui donne lieu au meilleur comme au pire. Chez K Dick, le robot est à la fois cette machine qui nous rend incapable de nous « désautomatiser », comme dirait Bernard Stiegler, mais il y a aussi le robot qui fait preuve d’empathie. Le robot plus humain que l’humain.
  • 5. Oui, celui qui va contre ses propres programmes de la même façon qu’un contrôleur de métro peut aller contre ses ordres quand il rencontre une toxico qui n’a pas de quoi payer son ticket. C’est une bifurcation. Contrairement à ce que croit Ellul, ou les autres qui ne voient que les Blockbusters et pas les romans de science-fiction comme ceux de Cronenberg qui sont beaucoup plus subtils que les films, la science-fiction ouvre tous les possibles. Elle est un dispositif de pensée qui permet de déjouer le bonheur marketing autant que le catastrophisme à l'ancienne. Selon les romans qu'on va prendre par exemple chez Philip K. Dick, il y a tout et son contraire ! Alors évidemment, Le meilleur des mondes d'Huxkley ou 1984 d'Orwell sont des classique de l’utopie négative dans lesquels il est compliqué de voir des éléments positifs. Mais attention, ce ne sont pas des romans sur la science et la technologie, ce sont avant tout des romans politiques. Des romans sur les sociétés qui potentiellement utilisent des armes technologiques. On peut échapper à la police de la pensée en détournant ses propres armes, c'est ce qu'il se passe à certains moments du roman Ubik où la drogue, l'écran, sont à la fois quelque chose qui nous asservit mais qu'on peut détourner et réutiliser comme une sorte d'antidote. C'est un peu le Pharmakon de Bernard Stiegler ? C'est le Pharmakon de Bernard Stiegler. Il revient en permanence chez Philip K. Dick et chez la plupart des auteurs de science-fiction. Chez des auteurs comme Greg Egan, Greg Bear, ou encore Ian Banks, il y a cette complexité, même quand la teneur globale est positive concernant la technologie. Le questionnement de ces romans fait que rien n'est donné par avance, dans Rainbows ends de Vernor Vinge par exemple, les personnages des lapins en hologrammes sont inquiétants, il n'y a pas que du positif. Le monde de la science-fiction a été positif dans son âge d'or, négatif dans la New wave avec le roman spéculatif (J G Ballard), puis dans un entre-deux avec le genre cyberpunk et sa vision trash. Tous ces mondes de la littérature de science-fiction que beaucoup de gens comme Ellul critiquent sans les connaître sont des éléments d'une multiplicité extraordinaire ! Bref, la science-fiction dans son essence n'est ni positive ni négative, ni technophobe ni technophile. Elle pose des hypothèses qui nous permettent de jouer au travers de l'humain, ou des mutants. En ce sens, elle appartient à un territoire qui ne peut être assimilé à un obscurantisme ou à un autre.
  • 6. Ce qui veut bien dire qu'il n'est pas question de la récupérer, que ce soit d'un côté ou de l'autre. Autre question analogue, en relisant ton interview d'Éric Sadin et les critiques que tu faites à son encontre, j'ai l'impression que cette littérature technologue au sens large a tendance à prendre des technologies qui existent séparément les unes des autres pour en faire un medley qui nous nuirait. Par exemple le Big Data, dont on a dit tout et son contraire, les Google Glass qui sont un échec avéré ou encore les Smartwatches. À partir de là, on crée un système là où il n’y en a pas en déclarant « regardez tout ce qu’on veut nous mettre sur le corps ». Est-ce que là aussi on ne jouerait pas à se faire peur ? Question intéressante. L'erreur qu'on commet parfois, et qu'Éric Sadin commet, aussi enrichissant soit-il, c'est de percevoir une tendance (IOT, quantified self) qui si elle est juste, n'est qu'une tendance. Le désir et la volonté de beaucoup d'entreprises ne sont pas forcément avérés dans les usages. Qui plus est, ces tendances plus ou moins avérées ne sont jamais celles prévues par les concepteurs. Souvent, ça bifurque. Heureusement d'ailleurs que l'humain est capable d'en faire autre chose ! Là où Éric Sadin a raison en revanche, c'est que l’idéologie sous- jacente à un certain nombre de produits (Google, Facebook) veut nous faire croire qu'ils vont régler tous les problèmes de l'humanité à la place des gens. En gros, le discours est « vous ne le savez pas mais nous on sait mieux que vous ce dont vous avez besoin, et on va vous le fournir avant même que vous y pensiez. » Cette puissance et cette logique de persuasion prônent un confort et une sécurité de plus en pus grandes et sur laquelle jouent d'ailleurs les gouvernements. Ce désir de sécurité nous fait accepter d'autant plus facilement un certain nombre d'outils dont on ne verra pas de façon évidente ce qu'ils ont de manipulatoire. L'erreur, c'est de croire que cette volonté, cette manipulation, cette idéologie atteint systématiquement son objet. C'est faux, ça l'atteint parfois, souvent en partie et pas forcément là où on le croit. Croire qu'il y a une adéquation systématique et rigoureuse entre l'idéologie de la Silicon Valley et ce que les gens en font y compris aux USA où visiblement ça marche mieux qu'ailleurs, ce n'est pas vrai.
  • 7. Certes, ça ne marche pas à tous les coups. Mais on constate en forçant le trait que dans cette période un peu nihiliste, la technologie renoue avec une forme de transcendance. J’y ai pensé à ça en ces termes : Dieu créé l'homme, l'homme tue Dieu, l'homme crée la technologie, la technologie devient Dieu, Dieu crée l'homme.. et ainsi de suite. Oui, c’est évident, que ce soit au niveau des crises économiques, ou au niveau très prométhéen de notre capacité à transformer le monde, la technologie répond à un besoin fort et à un manque. Il y a un aspect profondément démiurgique dans la technologie, ce qui tient parfois du fantasme. Lorsque l'on parle de machine, c'est la machine utilitaire et au même moment la machine industrielle, fantasmagorique, qui nous fait rêver de prothèses inouïes ou de créatures que nous serions à même de créer. Ce fantasme-là, cet espoir fou, c'est un moteur. C'est aussi quelque chose de l'ordre de l'idéologie, et ça fonctionne très bien chez Google par exemple. Puisqu'on en vient à Google, parlons du transhumanisme. Un des fers de lance du mouvement chez Google est Ray Kurzweil, il considère que l'on va améliorer l'être humain à coups de senseurs sous la peau. Cette idéologie se retrouve dans la « Singularity University » financée notamment par Google. Face à cela, tu as dans tes projets la « Contre Université du numérique » peux-tu nous en parler ? On est encore très en amont de ce projet qu'on monte avec l'économiste Yann Moulier-Boutang, Bruno Teboul de chez Keyrus, le philosophe Bernard Stiegler et bien d'autres. On finalise d’ailleurs en ce moment un gros article sur le sujet pour les entretiens du nouveau monde industriel. L'idée de la contre université du numérique ou « Université des singularités », ou encore « Institut des cultures numériques », est de coupler enseignement en sciences humaines avec enseignement technique, et inversement.
  • 8. Oui, on va décloisonner les disciplines. Décloisonner les classes sociales et se donner les moyens d’aller chercher des jeunes avec leur propre culture, que ce soit celle du hip hop, du jeu vidéo, de la culture populaire et leur proposer des parcours certifiés. Il faut se mettre dans une logique du commun pour que ce ne soient pas toujours les mêmes qui profitent du savoir. Tu parles souvent de « ralentir », et quand je pense au temps et à la politique, me vient justement à l'esprit le ministère du temps libre. Tous ces débats autour du numérique, nourris par ces intellectuels technocritiques, ne sont-ils pas une manière de réinventer et de réanchanter la gauche à travers le prisme du numérique ? Oui, très bonne question. La gauche d'aujourd'hui, à travers le mariage Hollande-Valls-Macron est au degré zéro de l’utopie. Cette gauche s'accroche encore à l’emploi et Sapin disait récemment que le revenu universel allait encourager les paresseux... On se croirait il y a 50 ans. Force est de constater que la gauche n'a pas su se réinventer. Étymologiquement, la gauche considère qu'il faut transformer le monde. La définition même de la gauche est le changement. La société a changé de manière considérable en 30 ans et quand on voit la captation des richesses par le capital au détriment de l'investissement et du travail, on se dit que la redistribution ne peut pas continuer de la même manière. Les technocritiques comme Bernard Stiegler, même s’ils se défendent de ne parler qu'à des gens de gauche, dont la définition est galvaudée, sont effectivement en train de réinventer ce qu'étymologiquement est la gauche. Et c'est ce que je revendique aussi à 100%. Contre les deux obscurantismes dont je parlais il faut réinventer la gauche, elle doit être capable de foutre en l'air ses vieux oripeaux, ses vieilles lunes comme l’emploi. Elle doit poser la question du droit à vivre décemment, elle doit créer une société dans laquelle tout le monde doit pouvoir transmettre et apprendre des savoirs toute sa vie. Quand on est gauche, ces objectifs sont à la base même de tout.
  • 9. Puisqu'on est dans la prospective, j'ai quand même une dernière question. Une question très difficile, tu sais que www.maisouvaleweb.fr, questionne l'avenir du numérique, alors Ariel : Mais où va le web ? J'ai connu le début du web, ce qui est assez clair est que ce qui était une technologie qui s'ajoutait aux autres et pouvait éventuellement les remplacer est devenu l'infrastructure du quotidien. Même si une technologie ne remplace jamais vraiment une autre mais oblige les précédentes à se poser la question de leur valeur ajoutée. On voit bien que le web devient aussi courant que l’électricité. Mais si on ne sait pas où est l’électricité, on risque de s’électrocuter. C’est là l’enjeu de Mais où va le web, surtout quand on pense le numérique avec un « A » [référence au slogan de maisouvaleweb.fr]. L’enjeu est de savoir si on veut que ce web du quotidien soit visible ou invisible. Eric Schmidt par exemple, le patron de Google, trouve formidable que le web disparaisse et devienne invisible. Comme le dit Evgeny Morozov, La technologie, quand on ne la voit plus, relève de la magie. On ne se pose plus la question de savoir si elle existe ou pas. Oui et c'est là l'enjeu majeur. On a d’un côté les vendeurs puissants de la Silicon Valley qui à l'instar de Google veulent notre bien et prônent la disparition du web pour servir nos désirs, de l’autre, un certain nombre de technocritiques qui souhaitent au contraire rendre le web visible. Or plus le web va être puissant, plus son influence va être grande sur notre quotidien et plus il devra être visible, sinon il va nous échapper. On n'aura plus aucun moyen de se le réapproprier. L’enjeu de savoir « où va le web » aujourd'hui est un enjeu de société. Soit on le laisse aller dans les mains de forces de contrôle très séduisantes, soit on décide d’être au courant et de voir ce qu’il se passe. Ce qui ne veut pas forcément dire abandonner le progrès ni le confort et la sécurité. Le web, on veut pouvoir intervenir et agir dessus, et non pas seulement le subir. Il faut trouver des systèmes de mise en visibilité de l'ensemble de ces dispositifs. Il faut des dispositifs de conscience et non pas d'inconscience. Donc la question n'est pas de savoir où va le web, la question est surtout de ne pas le perdre de vue !
  • 10. www.maisouvaleweb.fr - @maisouvaleweb - www.facebook.com/maisouvaleweb.fr