Du CP à la 3ème cette école à l’ancienne (vestimentaire et éducative), mélange de camp scout, d’enseignement Montessori, aiguise la curiosité, l'initiative, le mérite et l’autonomie des enfants.
Les classes de 11 élèves permettent entre autres aux éléments les plus en difficultés d'être suivis individuellement.
Mise en valeur des progrès, leçons de morale, repas en commun, reconnaissance "envers nos parents et la République", développement de la confiance en soi...valeurs que défend le parrain Harry Roselmack.
1. 10 Le Parisien
Vendredi 26 juin 2015
financés par des donateurs privés,
des entreprises, des associations… et
pilotés par la Fondation Espérance
Banlieues. « Quinze autres projets
sont programmés en 2016, notam-
ment à Trappes, Mulhouse, Greno-
ble… » recense le chef d’entreprise
Eric Mestrallet, son président. « On
bouscule les codes de la cité, de l’en-
fermement. On donne envie à nos
jeunes de se projeter, pas de se recro-
queviller », résume-t-il.
TEXTES : VINCENT MONGAILLARD
PHOTOS : YANN FOREIX
jourd’hui dans des préfabriqués mal
isolés une bonne centaine de jeunes
du CP à la 3e
, pour la plupart en situa-
tion d’échec scolaire. Le concept,
mélange de camp scout, d’enseigne-
ment Montessori, aiguisant la curio-
sité comme l’autonomie, et d’école à
l’ancienne fait des émules. Après
l’ouverture d’un établissement du
même type à Marseille (Bouches-du-
Rhône) en septembre dernier, deux
autres verront le jour à la rentrée,
l’un à Asnières (Hauts-de-Seine),
l’autre à Roubaix (Nord). Tous sont
ICI, les élèves portent l’uniforme, un
polo blanc sous un sweat à capuche,
vert pour les garçons, bordeaux pour
les filles. Ils ne disent pas « oui » mais
« oui, Monsieur ». A la récré, le prof
d’histoire-géo joue de la guitare. Les
enseignants vouvoient leur auditoi-
re, même celui qui n’a que 6 ans.
Bienvenue au cours Alexandre-Du-
mas, une école privée hors contrat à
Montfermeil (Seine-Saint-Denis),
foyer en 2005 des émeutes avec sa
voisine Clichy-sous-Bois. Née en
2012, cette institution accueille au-
cours de religion. Le voile n’a pas
droit de cité, mais « le bandana est
toléré ». Après avoir distribué les
bons et mauvais points, le « dirlo »
à la cravate verte met sur le tapis
l’affaire du jour : le vol de bonbons
dans la classe de CP-CE 1 par des
aînés. Il recherche les coupables.
« Je sais que vous n’êtes pas lâches,
vous allez vous lever ! Vous avez
osé piquer des bonbons d’anniver-
saire, j’espère que vous avez mal au
cœur », martèle-t-il. Deux grands se
lèvent, avant finalement de se ré-
tracter. Le mystère des « bonbecs »
dérobés reste entier.
centre des apprentis d’Auteuil se
présente comme un « aristo de la
campagne bien fauché, très bien
avec mes gars de la banlieue ».
Il revendique sa culture catholi-
que et un sens de l’écoute. A son
bureau est affiché le portrait de
Jean-Paul II, près de celui de Mar-
tin Luther King ou de John Fitze-
rald Kennedy. Dans la salle des
profs trône une statue de la Vierge
portant l’Enfant Jésus. Pour autant,
l’institution, qui ouvre ses portes à
une majorité d’enfants musul-
mans, se présente comme
« aconfessionnel ». Il n’y a pas de
48heuresdansuneÉDUCATION.Promouvoirl’excellencedanslesquartiers.C’est
l’ambitiondecetétablissementprivépascommelesautressituéen
Seine-Saint-Denis.Deuxautresouvrirontleursportesàlarentrée.
LE DIRECTEUR Albéric de Ser-
rant orchestre au micro la séance
quotidienne des avis. Il réunit dans
la cour toutes les troupes en culot-
tes courtes pour rappeler publique-
ment à l’ordre les perturbateurs et
féliciter les bons éléments de ce
jeudi qui ont droit à une salve d’ap-
plaudissements. Il distille aussi une
leçon de morale. « Quand je suis
heureux, je ne casse pas, je cons-
truis, je grandis, je porte l’autre
dans la joie. Sinon, on va vous en-
fermer dans la caricature de cette
banlieue qui casse tout », sermon-
ne-t-il. Cet ancien responsable d’un
Leçondemorale
Montfermeil (Seine-Saint-Denis), le 4 juin. Chaque jour, Le directeur de l’école réunit les élèves dans la cour pour rappeler
publiquement à l’ordre les perturbateurs et féliciter les bons éléments.
DERRIÈRE la grille d’entrée verte,
Nathalie, agent d’escale, attend son
fiston Kylies. Elle ne tarit pas d’éloges
sur le cours Alexandre-Dumas. « J’aime
cette école qui revient en arrière, cette
école de l’autorité. J’adore l’uniforme et
le vouvoiement. Dans le public, c’était
une catastrophe, on ne respectait plus
les gamins, la classe était devenue une
garderie. Mon fils prend davantage
d’initiatives », décrit-elle alors que son
garçon, en CE 2, débarque. « Maman,
j’ai déjà fait tous mes devoirs »,
s’enthousiasme le petit qui a ainsi
planché durant l’étude surveillée.
Pour MBarka, maman de Meyssa, en
5e
, c’est aussi le jour et la nuit. « Je
n’ai pas senti d’écoute dans le
public quand ma fille
était en échec . Ici, on
met en valeur ses
progrès. Elle est
heureuse d’aller en
cours, elle est moins
stressée »,
observe cette
auxiliaire de
puériculture.
Fahra, en
CM 2, est
fière, elle,
d’avoir
décroché un
18/20 en
maths, la
meilleure note
de la classe. « Avant d’être ici, j’avais 1
ou 2/20 », se souvient-elle. Les
encouragements, ça marche. « Je leur
dis toujours : Vous pouvez aller très
loin », confie le directeur. Les parents
d’élèves paient chaque mois 75 € de
frais de scolarité. Pour certains qui
endurent le chômage (la moitié des
familles), c’est un sacré effort
financier. Cela n’empêche pas l’afflux
de candidatures. Pour la rentrée
prochaine, une centaine de
prétendants ont essuyé un refus
faute de places suffisantes.
Dans la cour, sous l’effet de la
chaleur, une bande de gamins
fait les 400 coups. « Vous
arrêtez de jouer avec
les toilettes,
saperlipopette ! »
ordonne le
directeur, très
légèrement
dépassé par les
événements
comme parfois
les enseignants
qui sont aussi
surveillants.
Lesparentsvoient
lechangement
Nathalie, la mère
de Kylies, ne tarit
pas d’éloges sur le
cours Alexandre-
Dumas.
ASSIS à une table-pupitre d’autrefois,
Ahmad, 6 ans, s’emmêle les crayons
dans l’exercice d’écriture de
majuscules F et D. « Ça, c’est ce que
je dois attendre d’Ahmad, je vous
dirais bien de tout barrer et de tout
recommencer », lui fait remarquer
Lore, la maîtresse de 23 ans. Fayçal,
lui, s’endort sur ses lauriers. « C’est
fini la nuit, Fayçal, on n’est plus dans
le lit, tenez-vous un peu plus droit ! »
le réveille l’institutrice sur un ton à la
fois autoritaire et bienveillant. Cette
classe à double niveau CP-CE 1 abrite
onze petits. « C’est complètement
personnalisé », résume Lore, adepte
des recettes à l’ancienne pour
apprendre à lire, notamment la
méthode syllabique Boscher. Ici,
les effectifs ne dépassent pas les
16 élèves en primaire, 18 au collège.
Et « le programme attend l’enfant, ce
n’est pas l’enfant qui court après le
programme ».
Les professeurs, tous jeunes, ont au
minimum une licence mais pas les
diplômes exigés (Capes, par exemple)
pour enseigner dans le public. Ils ont
en revanche un Bafa ou une expérience
dans le scoutisme qui leur confère des
qualités d’éducateur. Certains
cumulent les matières. Pierre-François
enseigne l’histoire-géo, les maths et la
biologie ! Ce jour-là, sa leçon sur les
Trente Glorieuses destinée aux 3e
est
« interactive ». Pour intéresser son
auditoire, il évoque son oncle agriculteur,
les films de Belmondo, la 4 CV de sa
maman… « Dans mon école avant, je ne
les aimais pas, les profs. Mais ici, j’ai
appris à les apprécier car ils me
respectent », encense Rayan, 15 ans. Les
éléments les plus en difficulté dans
chaque niveau sont, un temps,
« exfiltrés » de leur classe
et se retrouvent dans la même salle pour
progresser main dans la main. Difficile
d’évaluer les résultats de la pédagogie
maison (riche en devoirs surveillés pour
« désacraliser les notes ») et qui a été
contrôlée par l’inspection d’académie.
Seul indice de performance : les 3e
ont
quasiment tous décroché leur brevet
l’an dernier.
Onzeélèvesparclasse
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2. Le Parisien
Vendredi 26 juin 2015 11
MONSIEUR le directeur donne du sifflet pour l’ultime
regroupement de la semaine dans la cour. A tour de rôle,
les enfants clament leur cri d’équipe : « Du Guesclin, tous
pour un ! », « Sainte Geneviève, qu’elle nous élève »,
« Blanche de Castille, c’est nous, c’est nous ! »… Quatre
ambassadeurs des 3e
manquent à l’appel. Et pour cause :
après un rassemblement disciplinaire exceptionnel en
fin de matinée, ils ont été exclus de l’établissement pour
l’après-midi « parce que, en grève du stylo, ils refusaient
de bosser durant le cours de français ». Le maître des
lieux exige le silence. Une minute de reconnaissance
« envers nos parents et la République qui nous permet-
tent d’avoir cette semaine de scolarité » est observée à la
lettre. S’ensuit la descente des couleurs. L’étendard trico-
lore, qui avait été solennellement levé le lundi matin, est
désormais abaissé par l’élève méritant de la semaine.
« Cela lui montre qu’il a un rôle important », décrypte
Emilie, la prof de maths. C’est Nazan, en 6e
, qui est cette
fois honorée. « Elle a calmé la classe, a été assidue dans
son travail », applaudit Emilie. L’école mise sur les ré-
compenses pour stimuler les enfants. En CP-CE 1, le bon
élève du jour arbore un ruban « Numéro 1 ». Une médaille
« Winner » est remise à celui qui fait des efforts. Les
pensionnaires se sentent valorisés, à l’instar d’Elisa, en
6e
. « Avant, on me répétait que j’étais nulle, qu’on ne
pouvait rien faire pour moi parce que j’étais dysgraphi-
que. Ici, on m’a dit : toi aussi, tu peux le faire ! J’ai pris
confiance en moi. »
PENDANT que les garçons vont taper dans le bal-
lon, les filles, elles, s’engouffrent dans la forêt voisi-
ne pour la promenade de santé hebdomadaire. « On
a découvert plein d’arbres différents. Cette sortie, ça
fait respirer », souffle Shaima, en 6e
. « Le lion est
mort ce soir », entonne mademoiselle Marie-Jean-
ne, la maîtresse des CM 1 - CM 2 qui regrette, pour
cette balade, ses semelles compensées. Dans l’her-
be, c’est la pause-détente. Assis en cercle, un petit
groupe se lance dans un tomate-ketchup, un jeu de
ronde très populaire. Dans l’emploi du temps, les
activités physiques occupent cinq heures et demie
chaque semaine. Les profs mouillent le maillot dans
la cour de l’école. Même le directeur donne de sa
personne lors d’une balle au prisonnier endiablée.
écoleEspéranceBanlieues
que s’ils ne se sentent pas intégrés,
respectés, protégés. Il faut stimuler
l’adhésion à des valeurs communes
pour ces élèves qui ont des origines
diverses et un rapport lointain avec
la République », estime-t-il. Des
collégiens dégainent leur smart-
phone pour un selfie avec Harry.
« Ça y est, j’ai ma photo pour ma
page d’accueil Facebook », clairon-
ne un fan. La vedette du petit écran
enchaîne par une séance de dédica-
ces d’« Espérance banlieues » (Edi-
tions du Rocher, 16,90 €), le livre
dont il est coauteur à la gloire de ce
« nouveau modèle d’école ». La prof
de maths est sous le charme. Elle a
droit à son exemplaire, avec en pre-
mière page un petit mot gentil.
DES MEMBRES du Lions Club lo-
cal (association caritative de nota-
bles), qui ont offert un baptême de
l’air à 12 élèves, sont venus faire
une photo officielle aux côtés du
parrain de l’école : Harry Rosel-
mack. Le présentateur de l’émis-
sion dominicale « Sept à huit » a
découvert le cours Alexandre Du-
mas via une collégienne qui, dans
une vidéo sur Internet, expliquait
qu’elle rêvait de le rencontrer.
Il adhère aux « méthodes prag-
matiques » de la maison car « l’au-
torité est indispensable à l’appren-
tissage ». « Ma couleur de peau me
rapproche des problématiques aux-
quelles sont confrontés ces jeunes.
C’est dangereux pour la Républi-
UnselfieavecHarry
Montfermeil, le 5 juin. Harry Roselmack, le parrain de l’école,
a découvert le cours Alexandre-Dumas via une collégienne qui rêvait de le rencontrer
AU COURS Alexandre-Dumas, les enfants
apportent leur repas et déjeunent en
compagnie des profs. « C’est meilleur
qu’à la cantine », savoure Stella, qui
déguste des pâtes à la bolognaise.
L’uniforme, la demoiselle en CM 2 s’y est
faite. « Même si un jean slim orange, ça
changerait du pantalon noir tout le
temps », suggère cette fille de coiffeur et
d’esthéticienne. Une fois les estomacs
remplis vient le moment des « services ».
Les gamins sont de corvée de vaisselle. Ils
passent aussi à tour de rôle le balai.
Pendant ce temps, la cour de récré se
métamorphose en ruche avec des slaloms
de skate et de trottinettes. Mais aussi
des petites frictions entre camarades. « Il
y a plus de disputes que dans mon
ancienne école, mais c’est réglé plus
vite », constate une fillette.
Chouette,lacorvée
devaisselle !
Promenons-nous
danslesbois…
Montfermeil, le 5 juin. Les filles partent dans la forêt voisine
pour la promenade de santé hebdomadaire.
Ladescente
descouleurs
Montfermeil, le 5 juin. Nazan, en 6e
, est l’élève méritante de la semaine. Il lui revient de descendre les couleurs.
Montfermeil, le 5 juin. Une fois les estomacs remplis, les élèves font la vaisselle
et passent aussi à tour de rôle le balai.
Montfermeil (Seine-Saint-Denis),
le 4 juin. Lore, l’institutrice, est une
adepte des recettes à l’ancienne
pour apprendre à lire, notamment
la méthode syllabique Boscher.
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