Ce document a été réalisé avec LaTeX. Tous les fichiers sources sont disponibles à cette adresse : http://pear.ly/cH09v. Il est le résultat d'un travail d'édition que j'ai réalisé durant mon Master en Archives numériques à l'enssib. Il s'agit en fait de la thèse de doctorat revue et corrigée d'Odile Tresch, Maître de conférences Langue et Littérature grecques à l'Université de Nantes. Il ne contient pour le moment qu'une partie de la thèse car il s'agit d'un travail au long cours. Pour information, les indices ne portent que sur le premier chapitre de la première partie. Il est sous licence Creative Commons CC-BY-NC-SA 3.0 FR.
Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes d'après la littérature et les inscriptions grecques
1. Rites et pratiques religieuses
dans la vie intime des femmes
d’après la littérature
et les inscriptions grecques
Odile Tresch
2.
3. en mémoire de Claude Meillier
« [. . . ] θνῄσκειν μὴ λέγε το`ς ἀγαθούς »
υ
Callimaque, Épigrammes, IX, v. 2
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
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6. Note sur l’édition
Cette création est mise à disposition selon le contrat CC BY-NC-SA 3.0 FR :
Paternité - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes
conditions 3.0 France disponible en ligne : http://creativecommons.
org/licenses/by-nc-sa/3.0/fr/.
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7. Préface
Le travail édité numériquement ici par Aurélia Houdayer est une version
revue et augmentée de ma thèse de doctorat, commencée en 1997 et soutenue
en 2001, à l’École Pratique des Hautes Études de Paris, Section des Sciences
Historiques et Philologiques, sous le titre « Rites et pratiques religieuses dans
la vie intime des femmes d’après la littérature et les inscriptions grecques ».
À l’époque, il s’agissait d’un sujet original et, à bien des égards, délicat à traiter. Colliger les sources littéraires, épigraphiques, archéologiques
et iconographiques a été un travail minutieux que les conditions restrictives
ou fastidieuses d’accès aux documents dans les bibliothèques universitaires
françaises rendaient ardu et pénible. Sans mes séjours réguliers aux Écoles
Française d’Archéologie et Américaine à Athènes, et, en France, à la Bibliothèque des Sciences de l’Antiquité de l’Université de Lille III 1 , c’est-à-dire
sans un investissement considérable de mon temps de vie et de mes ressources
personnelles, qui me paraît, avec le recul, proprement insensé et que je ne
souhaite donc à personne, il m’eût été impossible de poser les bases mêmes
de cette thèse. En dix-quinze ans, la science informatique et numérique a
radicalement transformé notre potentiel de diffusion des documents et donc
de leur accès, et les ouvertures que ce changement crée sont absolument passionnantes. Grâce à ce vaste et riche support d’informations à partager et
échanger, osons espérer que les savoirs, anciens et actuels, des sciences humaines deviennent accessibles à tous, librement, facilement, à moindre coût.
Osons également espérer que ces Humanités numériques apportent une saine
opportunité de réflexions, redéfinitions, réorientations individuelles et collectives autour de la question de la nature fondamentale des sciences humaines
et de la façon de les orienter vers leur but : servir utilement l’humanité actuelle.
1. Tous mes remerciements amicaux à son bibliothécaire Christophe Hugot pour avoir
construit de sa créative intelligence et de sa fidèle passion pour les mondes anciens une
bibliothèque ainsi qu’un blog aussi précieux que rares.
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
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8. C’est donc très naturellement et avec grand plaisir que j’ai offert le manuscrit de ce travail volontairement inédit à Aurélia Houdayer afin qu’elle
en expérimente l’édition numérique dans le cadre de son Master 2 à l’enssib
(Villeurbanne). Aurélia est une ancienne étudiante du département de lettres
classiques de l’université de Nantes. Je l’ai suivie au long de son cursus, notamment en la dirigeant dans ses recherches de master qui portaient sur les
Amazones et qu’elle a menées avec l’originalité et la perspicacité ainsi que
l’indépendance d’esprit et le bon sens qui sont les siens et qui sont aussi des
qualités essentielles pour un chercheur humaniste authentique. Étant donné
sa personnalité, je ne fus pas étonnée de la voir s’engager dans la voie novatrice des archives numériques, où elle n’hésite pas à combiner écriture antique et langage informatique, à faire exploser les cloisons des siècles et des
domaines de savoir si fortement encore séparés, voire opposés. Choisir la voie
de la nouveauté et de l’unification est une démarche courageuse et audacieuse
dont je la félicite ici-même. Je la remercie très sincèrement pour son investissement et pour avoir fait en sorte que ce livre puisse être utile et accessible
à tous, pratique et aussi esthétique.
Son intérêt principal réside, pour le lecteur intéressé, en ce qu’il rassemble,
sur le sujet, de nombreuses sources, notamment des textes avec des traductions inédites. Quant aux analyses proposées, elles doivent être lues et comprises dans leur contexte, celui d’une thèse de doctorat d’une époque donnée.
Depuis, ma manière de penser a naturellement beaucoup évolué, de sorte qu’à
bien des égards, beaucoup d’éléments me semblent obsolètes. Néanmoins, ils
ont fait partie de mon parcours, c’est-à-dire constitué une étape qui, peutêtre, pourra être utile à d’autres, selon là où chacun en est dans son cheminement.
J’ai, en tout cas, beaucoup apprécié de collaborer ainsi avec une ancienne
étudiante et de mimer ainsi ce dont la dernière partie du livre parle, la transmission naturelle des anciennes aux plus jeunes, ce qui est à la base même
du mouvement de la vie.
Merci, Aurélia !
Odile Tresch
janvier 2014.
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9. Remerciements
Cet ouvrage est issu d’une thèse de doctorat menée sous la direction
du Professeur Laurent Dubois et soutenue en décembre 2001 à l’École Pratique des Hautes Études sous le même titre. Elle a été mise à jour, enrichie
et complétée d’une quatrième partie ; la réalisation de ce travail et son accomplissement n’auraient pu advenir sans l’aide précieuse de mon Maître,
du Professeur Laurent Dubois, qui m’a accompagnée de sa généreuse présence érudite dans mon cheminement d’helléniste, des personnes qui m’ont
fait l’amitié de me faire partager leurs réflexions et de relire ce travail, notamment Christophe Hugot, Bibliothécaire des Sciences de l’Antiquité de
l’Université de Lille III. Mes remerciements vont également aux membres de
mon jury, Mesdames Les Professeurs Catherine Dobias et Stella Georgoudi
et Monsieur Le Professeur Paul Demont. Je dédie cet ouvrage à mon premier
Maître en littérature grecque, Claude Meillier, Professeur à Lille III.
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10.
11. Introduction
Le foisonnement impressionnant des réflexions, des groupes d’études et
d’ouvrages qui, depuis quelques décennies, se sont penchés sur le vaste problème des femmes dans la Grèce antique1 incite à se demander s’il vaut bien
la peine de revenir sur ce sujet dans le cadre d’une thèse. Soudainement devenue le point de mire après de sombres siècles passés dans les oubliettes de
l’érudition, la femme grecque n’en finit pas de susciter un intérêt passionné,
voire passionnel : la discussion a d’abord porté sur son statut social, donnant
naissance à des débats houleux, car, à l’aube du troisième millénaire et sur
le chemin qui allait nous mener à la parité hommes/femmes, on se devait
pour le moins de constater avec désolation quel triste sort était accordé à
la misérable femme grecque, confinée au gynécée2 , sinon de dénoncer vigoureusement l’affligeante condition féminine dans cette civilisation, pourtant
si brillante, scandaleusement marquée par le « règne du phallus », pour reprendre le titre provocateur de l’ouvrage d’Eva Keuls [Keuls, 1985]. L’esprit
de cet ouvrage est, à mon sens, parfaitement résumé par l’avis de Marilyn
Arthur-Katz [Arthur-Katz, 1989] : The Reign of the Phallos is a "misandrist" interpretation of ancient Greece (p. 178). On a ainsi largement jeté
l’opprobre sur ce peuple de vilains misogynes, oppresseurs d’une population
féminine soumise, sans indépendance économique, sans identité au sein de la
polis.
Cette vision véhiculée, avec plus ou moins de violence, sous l’influence
des courants post-féministes anglo-saxons, héritiers d’une tradition solidement ancrée3 , a été heureusement quelque peu nuancée à partir du moment
où les données du problème en lui-même et les méthodes d’approche d’un
tel sujet ont été redéfinies4 : d’une part, il a bien fallu admettre que toute
démarche qui consiste à porter un jugement sur une civilisation antique et
méditerranéenne d’après des critères correspondant à des idéaux modernes
et occidentaux conduit fatalement à des assertions aberrantes5 ; d’autre part,
il faut reconnaître que les polémiques ont parfois développé une interprétation qui reposait en réalité sur un seul type de sources6 , après une sélection
arbitraire réductrice qui, de surcroît, ne tenait absolument pas compte de la
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12. nature de ces témoignages : avec une telle méthode, on ne peut qu’aboutir
à des conclusions erronées, en tout cas, à une vision forcément partielle qui
n’a, de plus, pas conscience des raccourcis qu’elle utilise.
Depuis quelques années, les spécialistes s’accordent à recadrer l’approche
de la femme grecque dans le schéma méditerranéen, qui, au reste, perdure
dans les sociétés traditionnelles7 , de division des rôles masculins et féminins,
d’attribution de la sphère du public aux hommes et de la sphère du privé
aux femmes, cette opposition fondamentale public/privé8 ayant pour corollaire immédiat une autre distinction tout aussi essentielle qui est celle de
l’extérieur/intérieur9 . En tout état de cause, il est vain de chercher à appréhender la femme dans la sphère publique. S’il est un domaine dans lequel on
puisse trouver la femme grecque, c’est indéniablement celui du privé, de l’intérieur, du quotidien, voire de l’intime. Or, ce champ a été très peu exploré, à
la fois parce que l’attention s’est portée de façon quasi-exclusive sur l’absence
féminine de la sphère publique, et parce que les témoignages dont on dispose
n’incitent, à vrai dire, guère à chercher en ce sens. Nos sources d’informations
sont, en effet, pour une très grande majorité d’entre elles, d’origine masculine. Le fait que les témoignages sur les femmes proviennent d’hommes est
une caractéristique essentielle qui a deux conséquences directes : il ne faut
jamais perdre de vue que l’on manipule des données qui « ne » sont « que »
représentations masculines, regard d’hommes sur les femmes – nous touchons
là à la difficulté et à la limite de l’étude sur les femmes10 : il n’est possible de
connaître la femme grecque qu’au travers de textes écrits par des hommes,
au travers de lois rédigées par des hommes, au travers d’une imagerie iconographique produite par des hommes11 . La seconde conséquence est que les
indications sur les femmes dans leur vie quotidienne seront terriblement réduites, et qu’elles le seront sans doute un peu moins, si l’on s’intéresse à des
questions qui, tout en étant des questions de femmes, concernaient plus ou
moins indirectement les hommes et la cité.
Parallèlement, des travaux bien plus constructifs se sont orientés vers des
secteurs où apparaît la femme grecque, afin de déterminer quel rôle, autre
que politique et économique, lui était assigné et, par conséquent, quelle définition on donnait de l’être féminin dans la civilisation grecque. Ainsi, de
fructueuses recherches ont porté sur la religion12 où la présence frappante
des femmes et l’importance des charges qui leur sont confiées conduisent à
y voir un domaine d’activité privilégié qui leur confère une « citoyenneté
cultuelle »13 , forme de reconnaissance du principe féminin14 . Là encore, les
analyses ont traité prioritairement, ce qui n’enlève rien à leur valeur, les
prêtrises féminines [Turner, 1983], les grandes fêtes religieuses « publiques »
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13. [Lefkowitz, 1996b] ou réservées aux femmes comme les Thesmophories15 , les
Adonies, ou les pratiques dionysiaques16 , ou bien encore les rituels « civiques »
accomplis par classes d’âges, comme l’Arkteia17 et autres actes cultuels appelés « rites de passage », qui sanctionnent toute transition d’un statut social
à un autre, et qui, pour les femmes, tournent autour du mariage dont le but
est la procréation.
Car, en définitive, le statut social féminin est indissociable de sa physiologie. Le corps de la femme est essentiel dans la mesure où c’est ce corps qui
permettra à toute femme d’accomplir sa fonction ontologique qui est d’assurer le renouvellement de la cité. Dans cette optique, on comprend pourquoi
le corps féminin a occasionné tant de discours philosophiques et médicaux
à partir desquels, depuis quelques années, s’élaborent des analyses extrêmement intéressantes sur la définition de l’identité biologique de la femme18 .
C’est dans cette brèche que constituent la physiologie féminine et la religion que je me propose donc d’explorer les rites qu’accomplissent les Grecques
dans leur vie intime, marquée par les différentes étapes de leur évolution
physiologique, dans leur vie de jeune fille, d’épouse et de mère, et de vieille
femme. Ce travail exclut, par conséquent, les fêtes religieuses officielles qui
sont fixées par un calendrier rituel et qui se déroulent à une date déterminée : ces célébrations relèvent davantage de la vie publique et sont des repères
socioculturels qui ne concordent pas automatiquement avec les repères physiologiques. Selon le même principe, je n’évoque pas en détail tous les rites
maritaux19 , mais seulement ceux qui concernent intimement la fiancée ou
la jeune mariée et qui sont éclairés par les autres phénomènes religieux. Je
m’arrête, en revanche, sur les rituels dont l’exécution est en rapport avec les
différents événements biologiques qui jalonnent l’existence d’une femme et
sur les moments de la vie d’une femme qui impliquent son exclusion des activités religieuses. Quels rites accomplit la jeune fille lorsqu’elle est réglée pour
la première fois, signe qu’elle entre dans la catégorie des filles « mariables »,
capables de procréer ? Peut-elle accéder au sanctuaire en période menstruelle
et pourquoi ? Quels sont les actes cultuels qui la préparent à quitter l’enfance
pour se marier, c’est-à-dire pour assurer dans un cadre bien défini la reproduction de la cité ? Car l’objectif du mariage est bien ciblé : la procréation.
Dans le meilleur des cas, la jeune mariée est rapidement enceinte : comment
se concilie-t-elle les puissances divines ? Est-elle exclue de certains rites en
début de grossesse ou lorsqu’elle arrive à terme ? En quoi l’accouchement
lui apporte-t-il une souillure dont elle se débarrasse lors des relevailles ? Est
retracé ainsi le cheminement « idéal » de la petite fille qui, devenant pubère,
doit se préparer à la fécondité et à la sexualité qui s’exprimera dans le cadre
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14. socialisé du mariage, pour parvenir à l’accomplissement de son être : être
mère. Après ces deux parties centrées sur les deux événements biologiques et
sociaux les plus importants, la puberté et l’enfantement, une troisième traite
des rites qui consistent pour les femmes à éviter cette forme de mort sociale
qu’est la perte de la fertilité : d’une part, une fois que l’on a atteint ce but
que constitue la maternité et que l’on est une « femme » à part entière, il
faut continuer à être féconde : un seul enfant, surtout s’il s’agit d’une fille,
ne suffit pas. Dans cette perspective, préserver son couple et sa fertilité est
essentiel et passe par une attention particulière à la bonne entente conjugale
et au bon fonctionnement des organes génitaux. Cette dernière préoccupation rejoint celle des femmes pour lesquelles tout ne se passe pas aussi bien
que dans le trajet modèle exposé précédemment : de nombreux problèmes
se posent, de la stérilité aux affections diverses dont témoignent les ex-voto
anatomiques représentant les organes génitaux. Parmi ces accidents de parcours, qu’en est-il de la fausse-couche et de l’avortement ? Comment se passe
également la mort en couches, handicap terrible pour la cité ? Enfin, que devient toute femme qui avance en âge ? Les vieilles femmes sont ainsi l’objet
d’une quatrième partie où est posée la question de leur statut social et du
rôle religieux qui leur est imparti une fois qu’elles franchissent cette autre
étape de vie que constitue la ménopause.
À toutes ces interrogations on ne peut apporter des éléments de réponse
qu’en s’appuyant sur les témoignages antiques. Or, il reste que le problème
majeur est sans nul doute celui des sources. Les types de sources qui sont à
notre disposition sont les suivants :
– la littérature20
Outre la littérature « classique » très variée – les auteurs tragiques et
comiques font parfois mention d’usages cultuels féminins, les poètes hellénistiques, les historiographes sont curieux des coutumes locales, les philosophespolymathes ont abordé la physiologie féminine –, il paraît essentiel d’exploiter
des textes qui ont été parfois marginalisés. Ainsi en est-il des textes scientifiques que sont les traités médicaux, particulièrement ceux du corpus hippocratique21 et de Soranos d’Éphèse, qui vécut au début du deuxième siècle
de notre ère et qui fut le premier à faire de la gynécologie une spécialité médicale22 . Leur lecture est d’autant plus précieuse que les informations qu’ils
dispensent sont probablement largement issues d’une tradition orale féminine, fait assez exceptionnel étant donné l’exclusivité masculine dans toute
autre source23 .
Dans un autre registre, il est parfois également opportun d’utiliser les rubriques des divers grammairiens, lexicographes et paroemiographes lorsqu’il
s’agit de traditions cultuelles pour lesquelles ils sont pratiquement les seuls
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
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15. à fournir des éléments d’informations. Évidemment, il faut tenir compte de
l’époque dans laquelle ils s’inscrivent : il va sans dire qu’une extrême prudence s’impose dans l’approche et l’exploitation de sources si tardives24 , dont
la confusion témoigne parfois d’une mécompréhension de phénomènes devenus étrangers aux coutumes du moment.
Enfin, surtout, je n’hésite pas à profiter des ressources exceptionnelles
qu’offre l’Anthologie Palatine dont on a longtemps sous-estimé l’intérêt. Ce
recueil est composé d’épigrammes dont la date s’échelonne entre le VIIe s.
av. J.-C. et le Xe ap. J.-C. D’époques diverses, elles ne s’en rattachent pas
moins à une caractéristique commune qui répond au critère essentiel de l’esthétique de l’époque hellénistique où elles se sont d’ailleurs très largement
développées. Ce genre a, en effet, trouvé son inspiration dans le détail et le
pittoresque, dans tout ce qui relevait du quotidien, du familier, du modeste,
chez les personnes les plus humbles, celles dont on ne parlait jamais, en particulier les enfants et les femmes. Ainsi, ces épigrammes nous sont précieuses
parce qu’elles nous offrent une peinture de la réalité familière, domestique et
individuelle. À qui objecterait qu’il ne s’agit pas de réalité, mais de fiction,
on répondra qu’il faut bien évidemment que la spécificité des épigrammes
soit prise en considération : à l’origine inscription gravée pour accompagner
un ex-voto, elle est devenue à l’époque hellénistique un genre et un jeu littéraire ; autrement dit, l’épigramme devint une poésie qui était à la fois poésie
de circonstances réelles ou fictives et à la fois poésie de prouesse artistique
où la brièveté et l’élégance étaient essentielles, conformément à l’esthétique
alexandrine. Toutes les épigrammes ne correspondent, par conséquent, pas à
des dédicaces réelles ; nombre d’entre elles, au contraire, sont fictives, d’où
la récurrence de topoi, la reprise de thèmes, comme celui de la courtisane
qui, quand sonne l’heure de sa retraite forcée, dédie à Aphrodite son miroir.
Néanmoins ces épigrammes, qui, certes, n’accompagnent pas de véritables
ex-voto, sont calquées par nécessité sur des épigrammes réelles et, à travers
des parodies, sont le reflet d’une part de réalité. Les livres les plus intéressants pour notre sujet d’étude sont les livres VI et VII25 de l’Anthologie
Palatine. Le livre VI collige les épigrammes votives, qui sont inestimables
parce que, se présentant comme des dédicaces d’offrandes en l’honneur de
divinités diverses, elles nous montrent quels objets les femmes consacraient,
à quelle divinité et en quelles circonstances : ces témoignages littéraires sont
d’ailleurs corroborés par les données archéologiques26 et même pallient la carence de ces dernières sources en ce qui concerne les offrandes périssables27 .
Quant au livre VII, il rassemble les épigrammes funéraires : celles-ci sont
riches de renseignements dans la mesure où, non seulement, par l’évocation
des qualités de la défunte, elles nous montrent quelle était, pour les hommes,
la représentation d’une bonne épouse28 , mais en outre, elles mettent en scène
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16. des femmes mortes en couches au sujet desquelles les autres sources, mises à
part les sculptures tombales, observent un silence unanime.
– l’épigraphie, l’archéologie, l’iconographie
À ces sources littéraires très diversifiées s’ajoutent des données épigraphiques. Car, pour notre étude, l’épigraphie est un champ de prospection
particulièrement précieux à plus d’un titre29 . D’une part, on y trouve des
lois sacrées, qui réglementent l’entrée du sanctuaire, déterminent les cas de
souillure rituelle interdisant toute participation à la vie religieuse et précisent le délai et les purifications nécessaires avant de reprendre une activité
cultuelle normale. Or, ces règlements édictent souvent des prescriptions en
rapport avec la physiologie féminine : règles, accouchement, parfois même interruption de grossesse et allaitement ; ces inscriptions nous permettent ainsi
d’aborder le problème de l’impureté féminine. Par ailleurs, parallèllement aux
épigrammes littéraires qui nous renseignent sur la mort en couches et sur les
offrandes votives, les inscriptions funéraires de la tradition épigraphique ainsi
que les inscriptions dédicatoires et les listes d’inventaires des sanctuaires se
révèlent très estimables, dans la mesure où elles viennent confirmer, ou infirmer, les informations fournies par l’Anthologie Palatine.
Parfois, ces données épigraphiques vont de pair avec les vestiges archéologiques30 : on peut très bien disposer du témoignage d’une dédicace conservée
uniquement dans l’inventaire d’un sanctuaire comme à Délos sans avoir l’objet, mais aussi inversement disposer d’objets votifs sans avoir d’inscription.
L’analyse des dépôts des grands sanctuaires de fréquentation principalement
féminine permet alors de compléter les autres sources. De même, les représentations iconographiques31 sont essentielles car elles seules nous livrent des
images pour certains thèmes que la littérature et les lois sacrées abordent
peu. Tel est le cas en particulier pour le sujet de la mort en couches : seuls
les lécythes et reliefs funéraires nous donnent à voir cet instant cruel.
En d’autres termes, j’ai décidé d’exploiter des sources diverses à la fois
par leur nature, puisqu’elles peuvent être littéraires, épigraphiques, archéologiques, iconographiques, et par leur datation qui s’avère, pour certains témoignages lexicographiques et épigraphiques, passablement tardive. Pourquoi
ne pas se limiter à des informations appartenant à un seul domaine et une
seule époque ? Ne risque-t-on pas l’éparpillement, l’incohérence et le manque
d’unité ? Il est évident que dans l’état où se trouvent ces indices, qui sont fragmentaires, dispersés, parfois confus, il serait stérile, voire erroné, de vouloir
restreindre le champ d’inspection ou éliminer des éléments, qui constituent
parfois les seules confirmations d’existence d’un rituel faiblement attesté par
ailleurs, sous prétexte qu’ils apparaissent dans des textes postérieurs aux
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17. époques classiques et hellénistiques. Prendre en compte des testimonia de
nature différente et les mettre face à face permet néanmoins d’avoir une vision un peu moins partielle et sans soute plus juste du sujet32 . Prendre en
compte des testimonia disséminés sur plusieurs siècles, c’est décider de ne
pas mettre de côté, pour ce qui relève de traditions cultuelles dont on s’accorde à reconnaître les constances, ce qui peut s’appuyer dans une certaine
mesure sur une réalité antérieure : ce choix est ainsi justifié par la lenteur des
évolutions comportementales dans les civilisations anciennes. Aucune source
n’est à exclure à condition de les exploiter avec bon sens, en tenant compte
de la spécificité de chacune, quant à leur nature et leur datation. Car chacune fonctionne comme autant de pièces d’un puzzle qui, prises isolément,
n’auraient aucun sens mais qui, mises les unes à côté des autres, permettent
de donner globalement un aperçu des choses. Je dis bien « aperçu ». Car
des pièces manquent et il est certain que ce travail ne saurait prétendre à
l’exhaustivité parce que les témoignages sont parcellaires et épars et que les
champs d’investigation sont si vastes que de multiples éléments d’information viendront, à coup sûr, s’ajouter, compléter, éventuellement modifier tel
aspect de quelque rite qui est abordé dans cette étude.
Notes
1
Pour ne citer que les plus importants : guide précieux, l’ouvrage récent de Nadine Bernard [Bernard, 2003a] ; [Cameron et Kuhrt, 1983], [Peradotto et Sullivan, 1984],
[Pomeroy, 1991b], [Duby et Perrot, 1991], [Fantham et al., 1994], [Hawley et Levick, 1995],
[Lefkowitz, 1996a], [Larsson-Lovén, 1998]. Notons l’originalité de l’ouvrage de Beate WagnerHasel [Wagner-Hasel, 1992] regroupement d’articles divers sur le matriarcat. Quelques
repères pour s’orienter dans la bibliographie dédaléenne sur la femme dans l’antiquité
grecque ; on pourra consulter les articles qui se livrent à un recensement des ouvrages
parus à des dates déterminées : pour les ouvrages parus avant 1973, voir [Pomeroy, 1973],
repris et complété sous le titre Selected Bibliography on Women in Classical Antiquity
[Pomeroy, 1984] ; pour les ouvrages parus de 1979 à 1984, voir [Fantham, 1986] ; pour les
ouvrages parus jusqu’en 1986, outil bibliographique indispensable : [Vérilhac, 1990] ; pour
les ouvrages parus de 1986 à 1990, voir [Motte et al., 1998]. Voir aussi [Furiani, 1986], pour
un compte-rendu de trois ouvrages italiens majeurs : [Campese et al., 1983], [Arrigoni, 1985],[Savalli, 1983].
2
Voir les diverses références aux ouvrages de la première moitié du XXe siècle [Richter, 1971].
L’auteur est sans doute l’un des premiers érudits à s’opposer à the seclusion thesis, en arguant de la distinction essentielle entre représentation et réalité d’un phénomène.
3
B. S. Thornton retrace remarquablement l’historique de ces théories : voir [Thornton, 1997]
p. 251-253.
4
En la matière, John P. Gould, dont on ne pourra que conseiller la lecture de l’excellent article, « Law, custom and myth : aspects of the social position of women in classical
Athens » [Gould, 1980] est un précurseur : il constate avec lucidité qu’aucun progrès n’a
été véritablement fait dans l’étude des femmes antiques depuis plus de cinquante ans, et
il attribue cet état misérable des choses à des erreurs méthodologiques auxquelles il tente
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18. de proposer des solutions en avançant des orientations d’analyse souvent très pertinentes.
Pour lui, poser la question du statut de la femme dans l’antiquité dans les termes « les
femmes sont-elles méprisées ou respectées par les hommes ? » est procéder à une simplification naïve et insensée du problème. Roger Just, dans le chapitre introductif, intitulé « the
"Problem" of Women », [Just, 1989] p. 1-12, fournit une excellente mise au point méthodologique. Pour une « histoire » de l’histoire sur les femmes, voir [Schmitt-Pantel, 1991].
Voir aussi l’introduction de l’ouvrage de Laura K. McClure, [McClure, 2002] p. 2-5, ainsi
que l’introduction de Nadine Bernard, [Bernard, 2003a] p. 1-6, qui traite de « la femme
dans l’histoire », des nouvelles perspectives offertes par les Women’s Studies et la Gender
History, et de l’histoire des femmes en France.
5
[Just, 1989] p. 4-7.
6
[Gould, 1980] p. 39 ; [Pomeroy, 1973] spécialement p. 141-143 et [Pomeroy, 1975] p.
58-60 ; [Just, 1989] p. 5.
7
Voir à ce sujet les analyses de Pierre Bourdieu [Bourdieu, 1998].
8
Sur les notions de privé et de public dans l’antiquité, problématiques car elles ne
concordent pas vraiment avec les nôtres, voir [Pomeroy, 1997] p. 17-19, [Cohen, 1991] p.
70-97, [Frei-Stolba et al., 2003], notamment les articles fondamentaux sur la question de
Martin Steinrück [Steinrück, 2003] et d’Alice Pechriggl [Pechriggl, 2003], qui aboutit à une
répartition tripartite oikos/sphère privée, agora/sphère publique-privée, ekklésia/sphère
publique.
9
Séparation des sphères d’activité et différence n’entraînent pas forcément infériorisation. Voir [Gould, 1980] p. 46 et [Cohen, 1996].
10
Voir [Just, 1989] p. 2-5. Voir les remarques similaires de Pauline Schmitt-Pantel
[Duby et Perrot, 1991] p. 493-502 qui insiste sur le fait que « l’essentiel de nos sources
livre donc un regard d’hommes sur les femmes et sur le monde ».
11
Voir [Harvey, 1988] et l’article de François Lissarague, « Femmes au figuré » [Duby et Perrot, 1991].
12
Les pratiques religieuses d’une société sont le reflet de ses structures sociales, d’où l’intérêt d’examiner les différences des fonctions et comportements cultuels des hommes et des
femmes : voir [Cole, 1984a] p. 231. Dans le même sens, voir [Kron, 1996] et [Blundell et Williamson, 1998].
13
Selon la formule de François de Polignac [François de Polignac, 1984] reprise par
[Bruit-Zaidman, 2001].
14
[Blundell, 1995] chap. 14 : « Women and Religion » p. 160-169.
15
Entre autres [Versnel, 1996] et [Lowe, 1998].
16
[Seaford, 1998], [Bremmer, 1984], [Jaccottet, 2003b]. Anne-Françoise Jaccottet [Jaccottet, 2003a]
insiste dans le chapitre consacré au « Dionysisme au féminin, dionysisme au masculin »
sur le rôle médiateur de la femme dans le rituel dionysiaque et dans l’accueil du dieu.
17
Sur ce rituel, voir [Sourvinou-Inwood, 1988] et l’excellent article de Susan Guettel
Cole [Cole, 1984b] ; une version italienne de cet article est publiée par Giampiera Arrigoni
[Arrigoni, 1985], ouvrage dont le sujet d’étude est « le donne dei "margini" e le donne
"speciali" », sous le titre « Ragazzi e raggaze ad Atene : koùreion e arktèia », p. 1532 ; voir dans ce même recueil l’article de Claude Calame sur les initiations spartiates,
« Iniziazioni femminili spartane : stupro, danza, ratto, metamorfosi e morte iniziatica »,
p. 33-54.
18
Sur la notion de genre gender en lien avec le corps, voir la section « revue thématique » de l’ouvrage édité par Maria Wyke dans la partie « Re(ge)ndering Gender(ed)
Studies », p. 179-190, Alison Sharrock offre un compte-rendu de six livres parus entre 1992
et 1996 : [Cohen, 1996], [Archer et al., 1994], [Hawley et Levick, 1995], [Richlin, 1992],
[Rabinowitz et Richlin, 1993] et [Reeder, 1995]. Dans cette même revue thématique, « Reading the Female Body » d’Helen King [King, 1998], expose avec clarté les trois orien-
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
xvi
19. tations développées autour du thème du corps féminin dans les études de Joan Cadden [Cadden, 1993], de Lesley Ann Dean-Jones [Dean-Jones, 1994] et de Nancy Demand
[Demand, 1994]. Enfin, les internautes pourront utiliser avec profit les précieux repères
donnés par John G. Younger sur les sites abordant la question du genre et de la sexualité, « Gender and Sexuality on the Internet » [Younger, 1997]. Voir aussi [Wyke, 1998b],
[Porter, 1999] et l’ouvrage le plus récent sur le corps des jeunes filles [Klapisch-Zuber et al., 2001].
Voir aussi le dernier livre de Susan Guettel Cole [Cole, 2004], notamment le chapitre
consacré au « Ritual Body », p. 92-145. Sur le corps en rapport avec la sexualité, voir
[Arthur-Katz, 1989] p. 167-179 : l’auteur y retrace les différents débats théoriques qui ont
entouré le thème de la sexualité et du corps. On y trouvera le contenu et une critique
souvent juste des publications concernant le sujet. Voir aussi [Winkler, 1990]. Ouvrages
collectifs autour de la notion de gender : [Bettini, 1993] et [Koloski-Ostrow et Lyons, 1997].
Cf. aussi [McClure, 2002], p. 6-7.
19
Les dimensions stratégiques, législatives du mariage ne seront pas envisagées. Voir
sur ces points [Cox, 1998].
20
Cf. [Bernard, 2003a] p. 7-15 : « les sources littéraires ».
21
« Les médecins hippocratiques ont consacré environ un quart de leurs écrits à la
médecine de la femme » : voir [Byl, 1998] p. 100. Les traités consacrés à la gynécologie et à
l’obstétrique sont les suivants : Maladie des femmes I et II, Femmes stériles, Génération,
Nature de l’enfant et Maladies IV, Nature de la femme, Superfétation, Excision du foetus,
Maladies des jeunes filles.
22
Les études sur la médecine antique abondent. La revue Society for Ancient Medicine
[Hanson, 1995b] donne un excellent rapport des publications sur la médecine, classées
thématiquement. Voir en particulier la partie « Greek and Roman Gynecology », assurée par Ann Ellis Hanson et Helen King, avec les contributions d’Alain Touwaide et de
Leslie Maccoull, p. 94–105 pour les articles et livres parus de 1993 à 1996 sur le sujet.
[Eijk et al., 1995].
23
Voir [Rousselle, 1980], en particulier p. 1091-1092 : « les traités cnidiens sur les femmes
transmettent une tradition orale féminine ».
24
Le grammairien Harpocration et le lexicographe Pollux [Pollux grammaticus, 1998],
du IIe siècle de notre ère, sont les plus anciens ; Hésychius est un lexicographe du Ve siècle,
dont l’œuvre a servi de fondement pour les compilations de Photius au IXe siècle et de la
Souda [Adler, 2004] au Xe siècle ; enfin, Apostolius [Apostolius, 1965] de Byzance, le plus
tardif, est un paroemiographe du XVe siècle.
25
Ces livres VI et VII correspondent respectivement aux tomes III et IV-V de l’édition
de Pierre Waltz [Waltz, 1960a], [Waltz, 1960b]. Pour toutes les épigrammes citées dans cet
ouvrage, j’utilise le texte établi par Pierre Waltz mais je livre une traduction personnelle
ou modifiée.
26
Pierre Waltz montre bien quel est leur intérêt : « l’épigramme (...) est restée la poésie
des humbles ; aucune forme de l’activité humaine ne lui a jamais semblé indigne de retenir
son attention ; voilà pourquoi aucune oeuvre antique ne nous renseigne autant sur la vie
privée des Grecs, ne nous offre une peinture aussi exacte de la société grecque et des diverses
classes qui la composaient. Non seulement les archéologues peuvent souvent demander à
l’Anthologie un commentaire pour illustrer ou interpréter quelqu’une de leurs trouvailles,
trouvaille qui, de son côté, démontre parfois lumineusement la réalité d’un objet décrit dans
une épigramme ; mais c’est aux yeux de tous ses lecteurs qu’elle dévoile les aspects les plus
pittoresques et les moins connus de la vie antique. C’est là ce qui donne à cette oeuvre son
caractère le plus original, ce qui en fait l’intérêt tout particulier ; et c’est là, malgré des
faiblesses indéniables, malgré l’abus de lieux communs et des répétitions, malgré bien des
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
xvii
20. froideurs et parfois même des platitudes, justifie la faveur dont l’Anthologie jouit toujours
auprès du public lettré ».
27
Voir [Pirenne-Delforge, 1994a] : l’auteur relève, d’une part, que les dédicaces mentionnées dans l’Anthologie Palatine sont identiques à celles qui sont issues des fouilles,
et, d’autre part, que ces sources littéraires permettent de connaître les circonstances de
consécration, ce qui n’est pas toujours le cas pour les données archéologiques, et les dédicaces périssables. « Les offrandes destinées à Aphrodite intégraient également bon nombre
d’objets périssables qui n’ont pas matériellement traversé les siècles, mais dont le souvenir
a été conservé par la littérature. L’Anthologie Palatine pallie avec bonheur l’absence de
vestiges concrets et permet de définir des catégories de dédicaces très significatives pour
l’étude des divers aspects des cultes. (. . . ) Les occasions de ces diverses consécrations littéraires sont connues, contrairement aux raisons qui ont pu amener, dans les sanctuaires,
les offrandes entassées dans les dépôts votifs quand elles ne s’accompagnaient pas d’une
inscription. » (p. 378).
28
Voir [Vérilhac, 1985a].
29
Nadine Bernard insiste à juste titre sur l’intérêt absolument essentiel des sources
épigraphiques « voie d’accès privilégiée pour appréhender les catégories sociales, mal représentées dans les sources littéraires ». Cf. [Bernard, 2003a] p. 15-16.
30
L’intérêt, voire la nécessité, de prendre en compte les sources archéologiques pour
l’étude des femmes est souligné par Brunilde Sismondo Ridgway [Ridgway, 1987] : Most
such studies, however, have based their conclusions on literary sources, which by their
very nature either dramatize or are slanted according to a specific bias (p. 399). Il conclut
de ses recherches que the role of the common woman should therefore not be sought in
the histories, the trial cases, or even in the tragedies. (. . . ) But it is in the individual
dedications, the votive reliefs, the funerary monuments, the statue bases, perhaps even the
buildings, that the role of women should be traced, where the likelihood exists for a more
balanced, composite picture. Sur le gender et l’archéologie, cf. [Stig Sørensen, 2000].
31
Cf. [Bernard, 2003a] p. 16-19 : « les sources iconographiques ». Le premier ouvrage
véritable traitant des femmes à partir des sources iconographiques est celui de Sian Lewis,
[Lewis, 2002]. Il insiste à juste titre sur les précautions à prendre pour manipuler ces
témoignages spécifiques : Ceramic evidence, just like literature, is partial, p. 13.
32
Voir [Arthur-Katz, 1989] : elle relève en particulier que the interpretation of female
sexuality in Greek Antiquity must reckon with the well established tendency to read social
reality directly from literature and especially to construct the portrait of the ancient Greek
woman in love on the basis of the violent passions of the female figures of Greek tragedy et
se félicite de voir que des recherches se sont focalisées sur des documents, écrits médicaux
et papyri grecs magiques, dont la relation avec les realia est moins complexe.
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
xviii
21. Première partie
Rites et pratiques religieuses dans
la vie intime des jeunes filles
fécondables
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
1
22. Chapitre 1
ις
De la πα˜ à la παρθένος : la
puberté
Introduction : l’événement biologique et son importance
L’événement biologique
Comme chacun sait, la puberté se manifeste pour les filles par l’arrivée des
règles ; l’examen des diverses sources fournies essentiellement par les traités
médicaux montre que, dans l’antiquité, la mènarchè survient pour les jeunes
filles grecques dans leur quatorzième année, c’est-à-dire aux environs de l’âge
de treize ans1 , âge évidemment aléatoire si tant est que l’on puisse bien en
définir un2 .
Il semble que ce phénomène physiologique féminin ne soit pas clairement
expliqué par les Grecs. « L’opinion générale semble être qu’il provient de
l’ensemble du corps, s’accumule dans la matrice avant de se déverser à intervalles plus ou moins réguliers, en quantité variable selon les personnes, leur
nature et leurs activités. »3 Les noms utilisés pour désigner les menstrues
sont particulièrement éclairants sur la façon dont on les définissait : se répartissant en trois champs lexicaux, ils se réfèrent soit à la féminité, soit à la
purification ou encore au mois lunaire4 . Ainsi, les menstruations sont « choses
féminines » : τὰ γυναικε˜ 5 ; les saignements sont perçus comme une « puriια
6
fication » : κάθαρσις ; cet écoulement se reproduit tous les mois : ἔμμηνον,
ἔμμηνα, καταμήνιον, καταμήνια7 , ἐπιμήνιον, ἐπιμήνια8 , ou τὰ μηνια˜ dérivés de
ια,
μήν, μηνός, le préfixe κατα- indiquant une idée de distributivité, ἐν- et ἐπιsituant le phénomène « dans le mois »9 .
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
2
23. Importance de cet événement biologique féminin
Effectivement, les règles sont « des choses qui arrivent aux femmes » ;
elles constituent même l’événement biologique qui fait d’une fille une femme
potentielle. Car, pour reprendre la formule par laquelle Soranos d’Éphèse10
conclut sa question intitulée « la menstruation est–elle bénéfique ? » :
χωρὶς γὰρ τ˜ς καθάρσεως σύλληψις οὺ γίνεται.
η
« il n’y a pas de conception sans menstruation ! »
Dans l’antiquité grecque est une γυνή tout être féminin qui enfante et assure ainsi la reproduction de la société. L’arrivée des règles représente donc
la première des transitions qui conduit la petite fille à être une παρθένος,
c’est-à-dire une jeune fille « mariable », qui connaîtra son accomplissement
lorsqu’elle deviendra une mère dans le cadre du mariage. Or, alors qu’il s’agit
d’un moment capital, elle est sans doute l’étape qui échappe le plus à un
possible contrôle d’hommes11 ; ce phénomène se déclenche sans aucune intervention masculine, non seulement dans sa première manifestation, mais aussi
dans sa répétition mensuelle, contrairement à la procréation12 .
En tout cas, les menstruations laissent les hommes bien muets. On comprend l’absence de testimonia archéologiques et iconographiques. Mais à quoi
attribuer la relative rareté des témoignages littéraires ?
Est-ce que parce que les règles sont étrangères aux hommes, qu’elles se
situent hors de portée d’un quelconque pouvoir masculin, et qu’elles sont
finalement empreintes d’un mystère obscur que les écrivains, et même les
auteurs comiques qui n’éprouvent aucune réserve à exploiter les fonctions
biologiques les plus primaires, se taisent à ce sujet13 ? Ou au contraire, ce
silence correspond-il à une indifférence vis-à-vis de ce qui serait une manifestation naturelle et, en définitive, banale ? Du deuxième type de référence
servant à les nommer, celui de la purification, on serait tenté de déduire
qu’elles constituent un phénomène en relation avec la pureté et l’impureté.
Fort heureusement, dans un domaine où les informations font tant défaut,
nous disposons de textes épigraphiques relatifs aux menstruations. Il s’agit
de lois sacrées interdisant l’accès au temple en période de règles et l’autorisant après une période d’exclusion sous certaines conditions ; l’étude de ces
inscriptions est assurément très précieuse pour aborder la délicate question
de savoir quel regard les Grecs portaient sur les règles. Car, toute souillure
étant en rapport étroit et complexe avec le sacré, si les règles sont effectivement un principe polluant, elles devaient être accompagnées de rituels précis,
surtout lors de leur première manifestation. Des hypothèses audacieuses ont
été avancées en ce sens, selon lesquelles les premières règles étaient l’occasion
d’offrandes à Artémis, divinité qui préside à chaque étape biologique de la
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
3
24. vie féminine et dont l’association avec la lune la situe en position privilégiée pour veiller sur cet événement mensuel. Nous retracerons les débats et
essaierons d’apporter des données supplémentaires afin de déterminer si les
femmes accomplissaient des gestes cultuels à ce moment de leur vie intime
et quelles étaient ces pratiques religieuses.
1.1
Impureté relative aux menstruations et interdits rituels qui en découlent
Penchons-nous d’abord sur les lois sacrées qui citent les règles comme
circonstance nécessitant des ordonnances purificatoires spéciales imposant de
se tenir à l’écart du sanctuaire pendant une certaine durée, et qui permettent
de voir quels étaient les interdits rituels visant les femmes indisposées. Les
voici14 :
1.1.1
Les lois sacrées relatives aux menstruations
– Mégalopolis. Loi sacrée d’Isis, Sarapis, et Anubis [Te Riele, 1978] p.
325-331 :
Vers 200 av. J.-C.,
lignes 8-9
(. . . ) ἀπὸ δὲ τ˜ [ν]
ω
φυσικ˜ ν ἑβδομαίαν (. . . )
ω
« (on ne peut pénétrer dans le temple qu’à la condition de se
purifier, . . . )15 après les règles, le septième jour »
Autres cas d’impureté envisagés par cette loi : accouchement (neuvième
jour, l. 5-6), interruption de grossesse (quarante-quatre jours, l. 6-8), effusion
de sang (sept jours, l. 9-10), relations sexuelles (le jour même après ablution,
l. 13-15).
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
4
25. – Délos. Règlement relatif à la pureté rituelle, culte d’une divinité syrienne LSS 54 :
Fin du IIe siècle
av. J.-C., lignes 7-8
(. . . ) ἀπὸ γυναικείων ἐναταίους.
« après les règles, le neuvième jour ».
Autres cas d’impureté envisagés par cette loi : relations sexuelles (troisième jour, l. 4), accouchement (septième jour, l. 5), interruption de grossesse
(quarantième jour, l. 6-7).
– Ptolémaïs en Égypte (ou en Cyrénaïque). Règlement cultuel LSS 119 :
Ier siècle
av. J.-C., ligne 13
ἀπὸ καταμηνίων ζ
« après des règles, sept jours »
Autres cas d’impureté envisagés par cette loi : relations sexuelles (deux
jours, l. 7-9), interruption de grossesse (quarante jours pour la femme, l. 10 ;
durée indéterminée pour toute personne à son contact, l. 5), accouchement et
allaitement (durées indéterminées, l. 6 et l. 11), exposition d’enfant (quatorze
jours, l. 7, et durée indéterminée l. 12).
– Attique. Règlement relatif au culte de Mên.LSCG 55 (= LGS II 49) :
IIe siècle
ap. J.-C., lignes 5-6
καὶ ἐκ τ˜ ν γυναικέων διὰ ἑπτὰ ἡμερ˜ ν λουσαμένην κ[ατα]ω
ω
κέφαλα εἰσπορεύεσθαι αὐθημερόν
« après les règles, au bout de sept jours, se laver de la tête aux
pieds16 et entrer dans le sanctuaire le jour même »
Autres cas d’impureté envisagés par cette loi : relations sexuelles (le jour
même après ablution, l. 4-5), deuil (dix jours, l. 6), interruption de grossesse
(quarante jours, l. 7).
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
5
26. – Rhodes : Lindos. Règlement cultuel LSS 91 :
IIIe siècle
ap. J.-C, ligne 16
[ἀ]πὸ [. . ]ατ[ . . . . . ]ς γυνὴ σμησαμένη.
« après les règles ( ?), toute femme une fois qu’elle s’est essuyée ».
La ligne 16 pose problème : la première partie est sérieusement endommagée. La restitution καταμηνίων généralement adoptée est contestée par
Franciszek Sokolowski, qui la juge trop longue et avance l’hypothèse d’un καταφορ˜ς, « descente, flux ». En tout état de cause, ces deux lectures restent
α
de l’ordre de l’hypothèse.
Autres cas d’impureté envisagés par cette loi : fausse-couche (quarante
jours, l. 11), diakoreusis 17 (quarante et un jours, l. 12), deuil d’un proche
(quarante et un jours, l. 13), accouchement (trois jours ; pour une accouchée,
vingt et un jours, l. 15), relations sexuelles (purification, l. 17 ; pour des
relations avec une hétaïre, trente jours, l. 18).
Ces cinq lois sacrées contiennent des prescriptions cathartiques relatives
aux menstruations18 . Les règles constituent une source de souillure dont on
se défait après une exclusion du temple d’une durée de six ou sept jours,
parfois de neuf. Si l’on compare cette durée au laps de temps nécessaire pour
recouvrer sa pureté après les deux grands autres principes polluants que
représentent la parturition et l’activité sexuelle, on peut dire que le miasme
menstruel se situe, dans un ordre croissant de salissure, entre les relations
sexuelles19 et l’accouchement20 .
Qui est visé par ces ordonnances, autrement dit qui est souillé ? S’agit-il
d’un miasme contagieux, la transmission du principe contaminant s’apparentant à celle de l’enfantement21 ? La question est loin d’être inopportune,
car le sens des prépositions qui introduisent les termes désignant les menstruations n’est pas toujours très net22 . Afin de déterminer si les prescriptions
concernent des hommes ou des femmes, on peut s’appuyer sur le genre des
participes ou adjectifs qui s’appliquent aux fidèles. Dans deux inscriptions
figurent des adjectifs en -α˜ : ἑβδομαίαν23 et ἐναταίους24 . La construction
ιος
est à éclaircir. À quoi, en effet, se rapporte cet adjectif dérivé de l’ordinal ?
Renvoie-t-il aux sujets des propositions infinitives, c’est-à-dire aux fidèles qui
doivent se soumettre au règlement, ou alors au jour, avec un accusatif de durée et le terme ἡμέραν ou ἡμέρας sous-entendu ? L’ambiguïté est levée grâce
à d’autres lois qui utilisent une construction directe : ces adjectifs sont alors
au nominatif25 et se rapportent incontestablement à la personne à laquelle
s’applique l’ordonnance. Si l’on revient à nos témoignages, il semble que les
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
6
27. prescriptions concernent, pour la majorité des inscriptions, la femme réglée.
Certaines lois ne laissent aucun doute : dans le règlement de Mégalopolis26 ,
et celui de l’Attique27 , les désinences féminines de l’adjectif ἑβδομαίαν et du
participe λουσαμένην prouvent que la loi s’adresse aux femmes en période
menstruelle ; la même remarque s’impose pour le règlement cultuel de Lindos28 , où la ligne 16, quelle qu’en soit la restitution adoptée, est destinée aux
femmes ; dans la loi sacrée de Ptolémaïs29 , la prescription apparaît dans la
section réservée aux recommandations adressées aux femmes ; apparemment,
seule pose problème la loi délienne30 où l’adjectif masculin ἐναταίους incite
à songer à une souillure masculine contractée au contact de femmes réglées
et à émettre l’hypothèse31 que la loi envisage le cas de rapport sexuel avec
une femme indisposée32 . Néanmoins, deux remarques d’ordre grammatical
peuvent modifier cette première supposition. D’une part, comme le note à
juste titre Robert Parker, le masculin peut n’être qu’un phénomène d’attraction dans ce contexte de loi sacrée rédigée par des hommes et d’un culte dont
les fidèles sont essentiellement des hommes33 . Dans le même ordre d’idée,
il faut également avoir à l’esprit que de nombreux adjectifs en –α˜ sont
ιος
épicènes : ἐναταίους n’est donc pas forcément un masculin. Il est par conséquent excessif de déduire de cet adjectif que la loi délienne aborde un cas de
souillure différent des autres témoignages épigraphiques d’autant qu’elle est,
à peu de chose près34 , similaire aux autres textes de lois sacrées quant aux
autres sources de miasme.
À ces lois s’ajoute un sixième texte épigraphique35 épineux mais qui mérite sans doute d’être invoqué ici. En voici la proposition de lecture offerte
par H. R. Immerwahr, dans un article intitulé « A Purity Regulation from
Therasia Purified », in Hesperia 40, 1971, p. 235-238 :
- - ]ος ἄν ΔΕΜΕΒΟ[- - - τ˜ ν] καταμηνίων ἢ [- ω
- -] ᾔ ὑὸς καθάρῃ με[τὰ το˜ ?]
υ
καθαρμο[˜].
υ
Dans cet article, H. R. Immerwahr retrace the curious history de cette
inscription, datée du IIe ou IIIe siècle ap. J.-C., et des débats qui ont entouré
son origine et son contenu. On a d’abord pensé qu’elle venait de Céos36 et
qu’il s’agissait d’un texte médical évoquant une méthode d’expulsion d’un fœtus mort en provoquant les règles37 . Identifiée ensuite comme passage d’une
loi sacrée par J. Zingerle pour qui elle traite de l’avortement, c’est-à-dire de
l’expulsion d’un fœtus vivant en provoquant les règles par l’ellébore, elle est
republiée dans le corpus de lois sacrées de Fr. Sokolowski, qui y voit, avec une
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
7
28. réserve certaine, un règlement relatif à la pureté rituelle en cas d’avortement :
une femme qui a avorté est impure et recouvrera sa pureté au bout de quarante jours38 . L’inscription sera enfin reconsidérée par H. R. Immerwahr, qui
rectifiera sa provenance, son texte, et, partant, l’interprétation qui peut en
être déduite. Tout en refusant de se lancer dans une reconstitution spéculative de l’ensemble de l’inscription, il apporte deux corrections essentielles : il
restitue le génitif pl. καταμηνίων au lieu de l’accusatif sg. καταμηνίην, l’oméga
étant très net sur la pierre, et élimine la possibilité d’avoir à la troisième ligne
κύος, la lettre précédant l’upsilon ne pouvant être un kappa, ce qui, pour le
coup, anéantit les hypothèses interprétatives avancées antérieurement, qui reposaient précisément sur ce dernier terme « fœtus ». Les trois autres lettres,
ne faisant l’objet d’aucun doute, donnent ὑός, génitif de ˜ le « porc » ou
υς,
῾
« la truie » à sacrifier.
Mais, pour H. R. Immerwahr, il n’est pas certain que cette inscription soit
une loi sacrée relative à la pureté rituelle : l’ensemble dépend de la première
ligne, où se trouve un ME, soit με ou ἐμέ, pronom de la première personne
qui n’a pas lieu d’être dans un règlement cultuel et auquel les érudits précédents, par commodité, ont substitué μή. Il évoque dès lors la possibilité
qu’il s’agisse d’une inscription funéraire, suggestion imputable à A. E. Raubitschek. La volonté de l’auteur de s’en tenir au texte tel qu’on peut le lire
sans surinterprétation est certes louable. Cependant, il faut avouer que l’on
imagine bien mal une épitaphe comportant les mots « règles » et « porc »39 !
En revanche, plusieurs lois sacrées examinent non loin l’un de l’autre les
cas de souillures engendrées par cet animal et une femme réglée. Ainsi, la
loi de l’Attique réglementant le culte de Mên du IIe siècle ap. J.-C.40 s’intéresse en premier lieu aux modalités de recouvrement de la pureté après
consommation d’ail, de viande de porc et après contact avec une femme (ἀπὸ
σκόρδων καὶ χοιρέων καὶ γυναικός l. 3-4) avant de considérer le délai d’exclusion du sanctuaire à la suite des menstruations (ἐκ τ˜ ν γυναικέων l. 5).
ω
e
De même, le règlement délien de la fin du II siècle av. J.-C.41 spécifie que,
pour le culte d’une divinité syrienne, le sanctuaire n’est accessible que sous
certaines conditions après absorption de la viande de porc (ἀπὸ ὑείου l. 3),
et, plus loin, après les menstruations (ἀπὸ γυναικείων l. 8-9). En outre, la
loi sacrée de Mégalopolis datée des environs de 200 av. J.-C.42 , qui envisage
l’impureté issue des règles, prévoit également l’élimination de la pollution
entraînée par la consommation non plus de porc, mais de chèvre et de mouton, puis d’autres aliments (ἀπὸ δὲ αἰγέου καὶ προβατέου l. 10-11, ἀπὸ δὲ τ˜ ν
ω
λοιπ˜ ν βρωμάτων l. 11-12). C’est également la chèvre qui est interdite sous
ω
toutes ses formes, en particulier la peau de chèvre dans les vêtements, dans
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
8
29. la loi sacrée de Lindos du IIIe siècle ap. J.-C. (l. 6-10, surtout l. 9 : μηδέ
τι αἴγιον ἔχοντας), celle-là même qui prescrit aux femmes de s’essuyer après
leurs règles43 . En somme, toutes les lois sacrées qui mentionnent l’impureté
menstruelle évoquent également la souillure contractée après un usage alimentaire, voire vestimentaire, de porc ou de chèvre. Mise à part la loi LSS
119 qui, notons-le, est lacunaire, on trouve dans ces lois les termes désignant
les règles et le porc ou la chèvre au génitif, puisque la chose d’où la souillure
est issue est introduite d’une manière systématique par ἀπὸ + génitif. Le sens
des deux termes lus dans l’inscription de Thérasia, leur cas, et la présence de
vocabulaire de la purification conduisent donc à croire qu’il s’agit bien là de
quelques lignes appartenant à une loi sacrée.
1.1.2
Valeur et pertinence de ces témoignages épigraphiques ?
On a parfois voulu atténuer la pertinence de ces témoignages épigraphiques et limiter les conclusions qu’on pouvait en tirer sur l’idée que les
Grecs se faisaient des menstruations44 . À l’origine de ces réserves : le type de
culte que réglementent ces lois sacrées et leur date.
Quatre de ces inscriptions régissent des cultes de divinités d’origine étrangère : Isis, Sarapis et Anubis à Mégalopolis45 , divinités syriennes à Délos46 ,
divinité égyptienne à Ptolémaïs47 , Mên en Attique48 , si bien que l’on peut
penser que la notion d’impureté liée aux règles a été introduite en Grèce en
même temps que ces divinités et que les lois ont été soumises à des influences
orientales49 .
En ce qui concerne la date, aucune loi n’est antérieure au IIe siècle av.
J.-C., la plus ancienne remontant aux environs de 200 av. J.-C.50 et les règlements d’Attique, de Lindos et de Thérasia se situant aux IIe et IIIe siècles ap.
J.-C. Purity from menstrual contamination only appears as a condition for
entering a temple in late sacred laws of non-Greek cults, affirme R. Parker51 .
Peut-être faudrait-il ne pas oublier que nous disposons numériquement de
peu de lois sacrées relatives aux conditions de pureté rituelle en relation avec
la physiologie féminine qui soient antérieures au IIe siècle av. J.C. Certaines,
comme la loi cathartique de Cyrène, ont été gravées au IVe siècle, mais elles
sont souvent lacunaires. Par ailleurs, les inscriptions mises au jour et déchiffrées peuvent évidemment être des « rééditions »se substituant à des textes
plus anciens trop endommagés. À ce titre, il n’est sans doute pas inopportun de souligner que les termes employés pour désigner les règles dans ces
sources épigraphiques sont précisément ceux qu’utilisent Hippocrate et Aristote52 . En outre, on s’est beaucoup attardé sur la date des inscriptions sans
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
9
30. attacher d’importance à leur provenance géographique : ces lois viennent de
régions très diverses, d’Arcadie, de Délos, d’Égypte, d’Attique, de Lindos et
de Thérasia, ce qui prouve au moins que cette interdiction de pénétrer dans
un temple en période menstruelle et que cette conception des menstruations
comme principe polluant étaient répandues dans l’ensemble du monde grec53 .
Qu’en est-il dans les sources littéraires ?
Cette notion d’impureté qui entache les femmes réglées et les oblige à
attendre entre six et neuf jours avant de participer à la vie religieuse semble
trouver écho dans la littérature où les menstrues sont associées sinon à la
souillure, du moins à la magie.
1.1.3
Les menstrues, sources de souillure dans les sources
littéraires
On retrouve, en effet, dans deux textes des interdictions rituelles liées
aux menstruations. Ainsi, Héliodore raconte que les femmes ne pouvaient
assister aux sacrifices accomplis en l’honneur des divinités Hélios et Séléné,
« pour éviter aux victimes une souillure54 même involontaire »(το˜ μή τινα
υ
καὶ ἀκούσιόν ποτε γενέσθαι μολυσμὸν το˜ ἱερείοις)55 , ce qui constitue vraiις
semblablement une allusion aux règles, seul type de miasme incontrôlable.
Quant à Porphyre56 , lorsqu’il recense les sources d’impureté que le personnel religieux doit absolument éviter, il énonce les femmes indisposées
(ἐμμήνων) au même titre que les autres principes porteurs de souillure « classiques »(ἀκαθάρτους), comme le sont la mort ou encore les relations sexuelles.
À ces deux passages vient s’ajouter un extrait du Roman de Leucippé et
Clitophon 57 , où Ménélas cherche à tenir éloignée Leucippé de Charmidès qui,
fou d’amour pour la demoiselle, veut passer une nuit avec elle : il avance le
prétexte qu’elle est réglée et que, par conséquent, Charmidès ne peut faire
l’amour avec elle.
Βούλει τὴν ἀλήθειαν ἀκο˜σαι τ˜ς ἀναβολ˜ς ; ῾Η γὰρ αὕτη χθὲς
υ
η
η
αφ˜κε τὰ ἐμμηνα, καὶ ἀνδρὶ συνελθε˜ οὐ θέμις.
η
ιν
Tu veux connaître la vraie raison du délai ? C’est qu’hier elle a
commencé à avoir ses règles, et qu’il ne lui est pas permis de s’unir
à un homme.
Si, selon ce témoignage, les rapports sexuels sont interdits en période
menstruelle, en revanche, il est permis à un homme de voir, de parler, d’écouter, et de toucher un femme réglée puisque Charmidès répond à Ménélas :
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
10
31. Οὐκο˜ν ἀναμενο˜μεν, ὁ Χαρμίδης ε˜πεν, ἐντα˜θα τρε˜ ἡμέρας ἢ
ι
῾
υ
υ
υ
ις
˜
τέτταρας, αυται γὰρ ἱκαναί. ῝Ο δὲ ἔξεστιν αἰτ˜ παρ΄ αὐτ˜ς · εἰς
῾
ω
η
ὀφθαλμοὺς ἡκέτω τοὺς ἐμοὺς καὶ λόγων μεταδότω · ἀκο˜σαι θέλω
υ
˜
φων˜ς, χειρὸς θιγε˜ ψα˜σαι σώματος : αυται γὰρ ἐρώντων παραη
ιν, υ
῾
μυθίαι. ῎Εξεστι δὲ αὐτῃ καὶ φιλ˜σαι : το˜το γὰρ οὐ κεκώλυκεν ἡ
η
υ
γαστήρ.
Eh bien, nous attendrons, reprend Charmidès, ici même, trois
ou quatre jours ; ils suffiront. Mais je lui demande ce qui lui est
permis : qu’elle vienne sous mes yeux, qu’elle s’entretienne avec
moi ; je désire entendre sa voix, toucher sa main, effleurer son
corps, car ce sont des consolations pour les amoureux. Il lui est
aussi permis de donner des baisers : à cela son ventre ne fait pas
obstacle.
Mais là encore ces témoignages ont été l’objet de suspicion à cause de
leur date tardive et à cause d’autres textes plus anciens qui, à première vue,
seraient en contradiction avec eux et prouveraient qu’il s’est produit une évolution des mentalités soumises aux influences étrangères58 . Ainsi, R. Parker59
estime que l’interdiction formulée chez Achille Tatius relève d’une autre tradition, parce que certains passages d’Aristote60 et du traité hippocratique61
montrent, selon lui, que les relations sexuelles pendant les règles ne constituaient pas un tabou pour les Grecs62 .
Deux points méritent d’être éclaircis, et d’abord les notions de tabou et
de souillure : on a nié l’existence de rituels se rapportant aux menstruations
en avançant cet argument selon lequel les Grecs ne les tabouaient pas. Il me
semble que ce débat est un faux débat parce qu’il y a confusion entre ce qui
relève du tabou et de la souillure63 . Prenons l’exemple des relations sexuelles :
on ne peut pas dire qu’elles sont taboues car elles ne sont pas interdites
en elles-mêmes, mais elles entraînent un état de souillure qui empêche tout
contact avec le sacré ; il est donc évident qu’elles sont interdites dans le cas
où l’on doit procéder à un rituel. Il en est de même pour les autres sources
d’impureté, tel que l’accouchement, qui exigent des actes cultuels déterminés.
Ce qui nous importe est bien de déterminer si les règles étaient effectivement
sources d’impureté pour les Grecs.
Par ailleurs, que signifient les témoignages d’Aristote et du traité hippocratique sur les relations sexuelles en période menstruelle ? D’après ces
auteurs, les époques sont le moment qui semble le plus favorable à la procréation issue, pour Aristote, de la rencontre entre le sperme et le flux menstruel.
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
11
32. Cela ne signifie pas que les menstruations n’étaient pas considérées comme
un phénomène porteur de souillure. Il s’agit là d’une vision scientifique de la
conception, qui, pour les médecins antiques, ne peut pas se produire lorsque
la matrice est emplie du sang des règles. Aussi faut-il attendre l’écoulement
des règles, tout en évitant son début qui, trop abondant, diluerait le sperme.
Le moment idéal pour concevoir est, par conséquent, lorsque le flux menstruel s’atténue64 . L’acte sexuel à la fin des règles est donc préconisé par les
médecins grecs en vue d’une fécondité maximale, et non pas parce que les
règles sont perçues comme un phénomène qui n’engendre aucune souillure
particulière. Aristote, pour en revenir à lui, ne continue-t-il pas son traité
De la génération des animaux en définissant les règles comme une sorte de
sperme impur : ῎Εστι γὰρ τὰ καταμήνια σπέρμα οὐ καθαρὸν, (. . . )65 ?
1.1.4
Le pouvoir magique des menstrues
Elles représentent une force fécondante mystérieuse à tel point qu’il leur
attribue des pouvoirs magiques. Ainsi, toujours d’après Aristote66 , lorsqu’une
femme réglée se regarde dans un miroir de bronze, un nuage de sang se forme
à sa surface67 et la tache est alors d’autant plus incrustée que le miroir est pur.
Nous connaissons d’autres propriétés magiques détenues par les menstrues :
ces vertus particulières expliquent la défiance qu’on a, ou alors, l’usage qu’on
fait des écoulements menstruels. Le principal informateur68 est Pline l’Ancien
qui, par bonheur, précise qu’il s’appuie sur des sources grecques antérieures :
écrivains, mais aussi sages-femmes et courtisanes. Il consacre en particulier
les chapitres XX à XXIV du XXVIIIe livre de son Histoire Naturelle aux remèdes issus de la femme, en précisant à son lecteur que « les remèdes qu’on dit
tirés du corps de la femme approchent des plus monstrueux prodiges, même
sans parler des criminels dépècements des enfants nés avant terme, des abominables usages du sang menstruel et de mainte autre pratique révélée tant
par les sages-femmes que par les courtisanes elles-mêmes »69 . Il détaille ensuite les effets surnaturels des menstruations. Ils sont parfois positifs : une
femme indisposée qui se dénude chasse la grêle et la tempête ; les menstrues
ont un pouvoir insecticide tel que des femmes réglées se promenant nues dans
un champ provoquent la mort des chenilles, vers et scarabées70 , propriétés
pesticides également remarquées par Columelle à la suite de Démocrite71 . En
revanche, leur puissance maléfique est funeste et invincible lorsqu’elles coïncident avec une éclipse de lune ou de soleil si bien que le coït est mortel pour
le mâle72 ; elles gâtent les jeunes plants de vigne, la rue73 et le lierre74 ; si les
dames indisposées touchent une ruche, les abeilles n’y retournent pas ; à leur
contact, le lin noircit et le cuivre rouille75 ; réduit en poudre, le sang mensOdile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
12
33. truel décolore les vêtements76 . La proximité d’une femme réglée provoque
également l’avortement de juments pleines, qui peut même se produire par
un simple regard lorsqu’il s’agit des premières menstruations77 . Les menstrues ont donc des propriétés magiques encore plus puissantes lorsqu’elles
se manifestent pour la première fois78 . Le sang menstruel peut déclencher
aussi l’avortement d’une femme enceinte si on l’en frotte ou si elle-même
passe par-dessus cette matière maléfique79 . Laïs donnait des recettes abortives, contraceptives, ou même inversement fécondantes, comprenant du sang
menstruel80 ; car celui-ci est également employé pour ses vertus médicinales
comme traitement de la goutte, de l’écrouelle, de la parotidite, des furoncles
. . . 81 ; il fait revenir à eux les épileptiques si on en badigeonne la plante des
pieds82 ; réduit en poudre, il entre dans la composition de remèdes pour soigner les ulcères des bêtes de somme et les maux de tête surtout féminins83 .
Enfin, outre la faculté de pouvoir attaquer le bitume de Judée84 , un fil ou un
morceau d’étoffe imprégné de sang menstruel guérit les morsures de chiens
enragés85 , dissipe le dégoût pour l’eau après toute morsure canine86 , soigne
les fièvres tierces et quartes, ces dernières pouvant être également traitées
par un coït au début des règles87 .
Tous ces exemples montrent à quel point on considérait que les menstrues, surtout les premières, détenaient des puissances extraordinaires et des
propriétés magico-religieuses sans limite qui en faisaient un ingrédient indispensable de la pharmacopée88 . On connaît bien les liens étroits qui unissent
la magie à la souillure. Ce qui pollue a des vertus magiques et purificatoires
et les menstrues entrent ainsi dans le cadre de ce que Heinrich Von Staden89
appelle la « thérapeutique excrémentielle », qui consiste à utiliser les immondices et divers éléments impurs contre d’autres principes perturbateurs et
destructeurs (maladies, insectes . . . ). Y participe également l’affirmation du
Pseudo-Démocrite selon laquelle, dans le traitement des fièvres, « le miasma
est nécessaire, par exemple celui du sang versé, du sang menstruel, celui de la
chair des oiseaux sacrés ou des animaux qu’il est interdit de manger, et celui
du sang que l’on boit ” 90 . En tant que souillure utéro-vaginale, les menstrues
acquièrent un pouvoir spécial en rapport avec le sacré car, pour reprendre
la formule de Robert Parker, » l’impur, évité dans les conditions normales,
devient sacré dans la mesure où il se distingue comme chargé d’un pouvoir,
par opposition avec les objets non souillés d’usage courant »91 .
Il est donc légitime de se demander si les menstrues, génératrices de
souillure et détentrices d’un pouvoir magico-religieux exceptionnel, notamment si on les recueille sur des morceaux d’étoffe, donnaient lieu à des rituels
particuliers.
Dans les Propos de table de Plutarque92 , la conversation en vient à évoOdile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
13
34. quer le cas de la grêle (τὴν χάλαζαν) « que les spécialistes conjurent avec du
sang de taupe ou des linges féminins souillés » (τὴν ὑπὸ τ˜ ν χαλαζοφυλάκων
ω
αἵματι σπάλακος ἢ ῥακίοις γυναικείοις ἀποτρεπομένην). L’utilisation du terme
ῥάκιον, diminutif de τὸ ῥάκος, pour désigner les linges souillés est particulièrement intéressante, car il est au cœur d’un débat sur la question de savoir
s’il existait des actes cultuels relatifs aux menstruations, phénomène à la fois
polluant et sacré. En effet, si l’interprétation avancée par Karl Kérényi sur
les Thesmophories comme fêtes de réclusion de femmes lors de leurs règles
est sans doute quelque peu exubérante93 , en revanche, l’hypothèse de dédicaces des linges ayant reçu les premiers écoulements menstruels mérite d’être
examinée.
1.2
Existe-t-il des rituels consécutifs aux premières règles ?
Les premières règles, événement particulièrement important94 , étaientelles l’occasion de gestes rituels spécifiques ?
1.2.1
Données du débat : dédicaces de ῥάκος, sorte de
serviette périodique, dans les inscriptions brauroniennes ?
Lancée par A. Mommsen95 à la fin du siècle dernier, l’audacieuse suggestion selon laquelle le terme ῥάκος figurant dans les inventaires d’offrandes
désignerait des linges souillés par les premières règles et offerts à Artémis a
suscité une polémique discrète. La question est d’ailleurs loin d’être close et
a été relancée depuis que Tullia Linders96 a soutenu que les ῥακή de l’inscription IG II2 1524, B, 3, 140 ne sont en aucun cas des serviettes périodiques
usagées, mais les vêtements mentionnés dans l’inscription précédente (IG II2
1525, 5, 13), devenus des haillons par l’usure du temps.
Souvent citée, rarement étudiée en détail, l’inscription brauronienne où
ῥάκος apparaît à maintes reprises vaut qu’on s’y arrête. Il s’agit de l’inscription IG II2 1524 : les lignes 129 à 238 de la face B contiennent l’inventaire des
vêtements consacrés à Artémis Brauronia. En voici un extrait de la colonne
II, la mieux conservée. De ce passage difficile contenant des abréviations
très fréquentes, je livre une traduction hypothétique, car subsiste un certain
nombre d’incertitudes sur l’identification d’articles textiles mentionnés, et sur
le sens exact de termes rares, qui sont parfois des hapax. L’examen de cette
inscription fondamentale pour la compréhension du terme ῥάκος s’imposait
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
14
36. avec des incrustations dorées, rakos ; dans un coffret, une tunique
mouchetée, avec des manches : consécration de Ménékratéa, rakos ; Ménékratéa, épouse de Diphilos, un chitôn d’étoupe, rakos ;
Hégésilla, un chitôn d’étoupe, rakos ; Phanagora, un vêtement
moucheté ; Aristomachè, une petite tunique blanche ; Télésô, une
petite tunique vert grenouille, rakos, (Télésô) femme de Kallistratos d’OEè, une offrande bigarrée, une ceinture blanche, la
même dédicante ; Kallippè, une petite tunique blanche, mêlée de
pourpre97 , rakos ; une tunique d’étoupe, la même dédicante ; Kallippè une petite tunique de couleur glauque, une petite tunique bigarrée, bordée d’une bande de pourpre, rakos ; l’épouse de Kallistratos d’Aphidna, un thôrax 98 moucheté ; Hédylè, de Phréarrhes,
une tunique de lin d’Amorgos, rakos ; Thallis, une parure en lin
d’Amorgos, aux contours bariolés, rakos ; une résille bigarrée, Minylla ; Thallis, une petite tunique à manches, aux contours bariolés, rakos ; Mnésistratè, femme d’Aisimos, une petite tunique
vert grenouille aux contours bariolés, rakos ; Myrrhinè, une parure ; Phanodikè, épouse de Néandros, un vêtement moucheté,
rakos ; la même, une petite tunique d’homme, rakos ; Phainippè,
une tunique d’étoupe, mouchetée ; une robe que la statue porte,
la fille de Moschos, épouse de Léôsthénos, l’a consacrée ; Lysimachè un voile ; une robe que la statue porte, Philè, épouse de
Dèmocharidos ; un manteau blanc, disposé autour de la statue,
rakos, un vêtement blanc, sans inscription, disposé autour de la
statue érigée, rakos, une petite tunique ornée d’une bordure, rakos, une tunique mouchetée, ces offrandes ont été consacrées par
Nikomakè ; Xénokratéa, un manteau blanc et une petite tunique ;
Mémippè une tunique de lin d’Amorgos ; Phainarétè les franges
d’une petite tunique dentelée, rakos ; Nikomachè, une petite tunique à moitié-tissée, rakos. (. . . )
Le substantif ῥάκος n’est jamais employé seul pour désigner des haillons,
il accompagne toujours les vêtements consacrés en occupant la fonction d’attribut. L’emploi formulaire est : « X., épouse de Y., (s.e. : a consacré) tel
textile ayant telle caractéristique (matière ou couleur précisées par des adjectifs), ῥάκος ». Le terme rakos désigne-t-il simplement l’état du vêtement
cité : « état en lambeaux » ? Dans ce cas, pourquoi utilise-t-on le nom et
pas l’adjectif ? Pourquoi parallèlement n’a-t-on pas d’expression indiquant
« en bon état » ? Le terme s’applique en tout cas à tout type de vêtement :
manteaux (χλανίς, l. 179 ), robes (κάνδυς, l. 180), tuniques (ξυστιδωτός, l.
182-183, χιτών, l. 184, 185, 194, χιτωνίσκος, l. 187, 189, 191-192, 196-197,
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
16
37. 198), parure (τρύφημα, l. 195), ou vêtement sans précision (juste κατάστικτον, l. 200). Quatre emplois sont particulièrement remarquables.
Premièrement, le terme rakos renvoie aux franges d’une tunique dentelée
(Φαιναρέτη χιτωνίσκου κτενωτο˜ πτέρυγας, ῥάκος, l. 211-212). Si rakos désiυ
gnait simplement le fait que le vêtement est en lambeaux, on aurait affaire à
des franges en lambeaux, et l’article doit être en piteux état ; en revanche, cet
exemple pourrait corroborer l’hypothèse de A. Mommsen : les franges d’un
ancien vêtement ont pu être utilisées comme compresses destinées à recueillir
des écoulements menstruels ou lochiaux.
Le deuxième emploi intéressant est celui où rakos s’applique à une tunique
d’homme : ἡ αὐτὴ χιτωνίσκον ἄνδρ˜ον, ῥάκος, l. 200-201. Il est, en effet, préε
cisé à plusieurs reprises dans l’inscription si le vêtement est un article textile
masculin, féminin ou d’enfant : articles masculins (Χρυσὶς χλανίδα ἀνδρεί.,
« Chrysis un manteau d’homme », l. 143–144 ; Μελίτη χιτωνίσκον ἀνδρε., ἡ
αὐτὴ ἕτερον χιτωνίσκον ἀνδρ., « Mélitè, une petite tunique d’homme, la même
une autre petite tunique d’homme », l. 145–146) ; articles d’enfant (παιδίου
χιτώνιον διπλο˜ν λευκ. ἀνεπίγραφον., ῥάκ., « une petite tunique blanche d’enυ
fant, qu’on met en double, sans inscription, rakos », l. 133–134 ; Καλλίππη
ἱμάτιον παιδε˜ παραλουργ., ῥάκος, « Kallippè, un manteau d’enfant, bordé
ι
d’une bande de pourpre, rakos » l. 139–140 ; χλανίσκιον παιδε., « un petit
manteau d’enfant », l. 165) ; articles de femme (Μύρτα ζ˜ μα γυναικ., « Myrta,
ω
une ceinture de femme », l. 167 ; χιτωνίσκος γυναικε., « une petite tunique
de femme »). À chaque fois, c’est une femme qui consacre cet article.
Le troisième emploi est celui ou rakos désigne une tunique à moitié tissée
(χιτωνίσκον ἡμιυφ˜, l. 213). À quoi renvoient ces vêtements à moitié tissés ?
η
Ils disent eux-mêmes qu’ils sont inachevés : pourquoi employer un terme
synonyme ? Le terme « à moitié tissé » se retrouve dans deux formules, celle
où il renvoie à un vêtement précisé comme étant un rakos, et celle où il
désigne un vêtement qui est consacré avec de la laine et du fil (l. 162-163,
γυνὴ ἱστὸν ἐρεο˜ν ἡμιυψφ˜ καὶ ἔρια καὶ κρόκην, « une femme, un vêtement de
υ
η
laine à moitié tissé avec de la laine et du fil »). Faut-il croire qu’il s’agit là
d’habits inachevés de femmes mortes en couches99 ? Doit-on penser qu’étant
inachevées, ce sont des pièces qui n’ont jamais été utilisées ? On pourrait
imaginer que la fidèle n’a pas eu le temps de finir son ouvrage, mais s’en
est quand même servi pour l’occasion à laquelle elle le destinait, mais dans
ce cas, il a servi à un autre usage que vestimentaire. Elle n’a pas porté le
vêtement en question, mais il a peut-être été utilisé lors de l’accouchement,
par exemple. En revanche, les tissus à moitié tissés offerts avec de la laine et
du fil ne sont jamais appelés ῥάκη. S’agit-il d’ouvrages qu’une femme n’a pas
eu le temps d’achever, qu’elle ne terminera jamais et qui, à la différence de
ceux ci-dessus, n’ont pas été utilisés, peut-être parce que la dame en question
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
17
38. est morte prématurément ?
Enfin, il est intéressant de noter que le terme rakos désigne également les
vêtements qui sont déposés sur la statue d’Artémis (l. 205-209). Que déduire
du fait que la statue d’Artémis était couverte de vêtements ῥάκη ? Si ces
vêtements étaient véritablement des haillons, pourquoi n’a-t-on pas disposé
d’autres offrandes en meilleur état sur la statue ?
Le terme ῥάκος dans les inscriptions désigne-t-il les bouts d’étoffe souillés
par les premières règles, comme l’a pressenti A. Mommsen, ou par l’accouchement, ou alors sert-il à décrire l’état loqueteux des vêtements enregistrés ? En
tout état de cause, il me semble très difficile de déterminer avec exactitude le
sens de rakos. Certaines offrandes qualifiées de ῥάκη sont « sans inscription »
(ἀνεπίγραφ., l. 207) : l’article ne donne pas le nom de la dédicante ; le terme
rakos tient donc à la description de l’objet. Désigne-t-il la fonction d’un tissu,
ou la façon dont il a été utilisé, cette fonction ou cette utilisation se devinant
d’après l’état du vêtement : ce serait un vêtement taché des miasmes des
menstrues ou des lochies ? Il semble certain que le terme rakos ne désigne
pas que des bandages, mais aussi des vêtements entiers, consacrés par des
jeunes filles, et aussi par des épouses à Artémis Brauronia.
On retrouve des listes de dépôts votifs vestimentaires dans d’autres inscriptions de sanctuaires d’Artémis, notamment à Milet, où de nombreux
objets sont recensés avec la précision de l’état dans lequel ils sont lors de
l’inventaire et non lors de leur consécration initiale ; déposés depuis de nombreuses années dans le sanctuaire, beaucoup sont vieux, altérés par le temps,
effilochés100 . La dégradation de leur état n’implique évidemment pas un retrait du sanctuaire de ces offrandes devenues sacrées. La grande similitude
entre les témoignages milésiens et brauroniens conduit à penser que le terme
ῥάκος servirait à décrire l’état loqueteux des vêtements enregistrés.
Néanmoins, si les ῥάκη sont, en effet, des vieux habits consacrés, on s’interroge : comment se fait-il, dans ce cas, que des vêtements tout aussi anciens
ne soient pas désignés par ce même terme101 ? La vérité est que l’on ignore
quel est le sens exact du nom ῥάκος, et cet embarras terminologique s’applique tout aussi bien aux deux hypothèses.
Mais, même si, dans ces testimonia épigraphiques, il est question d’offrandes abîmées, faut-il pour autant exclure en bloc les propositions d’A.
Mommsen et la possibilité qu’il y ait eu des offrandes de tissus ayant recueilli
le premier écoulement menstruel ? La difficulté réside encore dans le manque
d’indices réels confirmant cette hypothèse. Sur ce point, ne faut-il pas considérer que l’absence de témoignage précis concernant ce type de consécration
ne doit pas forcément être interprétée comme une preuve de son inexistence
mais qu’elle peut aussi simplement correspondre à un silence pudique sur ce
Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
18
39. qui se rapporte aux menstrues ? Pour tenter d’y voir plus clair, deux orientations sont à suivre : il convient de se pencher avec attention sur les mentions,
aussi allusives soient-elles, de rituels en relation avec la puberté, d’envisager l’éventualité de ces rituels au regard des autres consécrations de type
vestimentaire qui accompagnent les autres événements biologiques féminins,
et aussi d’étudier plus précisément le sens du mot ῥάκος, notamment dans
les traités gynécologiques, qui sont le plus à même d’évoquer ce genre de
pratique.
1.2.2
Détour : extrait du traité hippocratique Περὶ παρθενίων
Avant de revenir sur ce terme ῥάκος, faisons un détour par un extrait du
traité gynécologique du corpus hippocratique Περὶ παρθενίων, c’est-à-dire Des
maladies des filles célibataires 102 , où le médecin s’insurge contre l’absurdité
des pratiques religieuses préconisées face aux maladies dont sont atteintes les
jeunes filles au moment de la puberté. Il met en doute l’efficacité de ces rites
qui consistent précisément en dédicaces vestimentaires.
Αἱ δὲ παρθένοι, ὁκόσῃσιν ὥρη γάμου, παρανδρούμεναι, το˜το μ˜λλον
υ
α
πάσχουσιν ἅμα τ˜ καθόδῳ τ˜ ν ἐπιμηνίων, πρότερον οὐ μάλα τα˜τα
η
ͺ
ω
υ
˜μα ξυλλείβεται ἐς τὰς μήτρας,
κακοπαθέουσαι · ὕστερον γὰρ τὸ αι
῾
ὡς ἀπορρευσόμενον · ὁκόταν ο˜ τὸ στόμα τ˜ς ἐξόδου μὴ ˜ ἀνεσυν
᾿
η
ͺ᾿
η
˜μα πλέον ἐπιρρέῃ διά τε τὰ σιτία καὶ τὴν αὔξησιν
τομωμένον, τὸ δὲ αι
῾
το˜ σώματος, τηνικα˜τα οὐκ ἔχον τὸ α˜μα ἔκρουν ἀνα¨
υ
υ
ι
῾
ıσσει ὑπὸ
΄
πλήθεος ἐς τὴν καρδίην καὶ ἐς τὴν διάφραξιν · ὁκόταν ο˜ τα˜τα
υν υ
᾿
˜τα ἐκ τ˜ς μωρώσιος νάρκης ·
πληρωθέωσιν, ἐμωρώθη ἡ καρδίη · ε ᾿
ι
η
ε˜τ΄ ἐκ τ˜ς νάρκης παράνοια ἔλαβεν. (. . . ) ῾Οκόταν δὲ πληρωθέωσι
᾿
ι
η
τα˜τα τὰ μέρεα, καὶ φρίκη ξὺν πυρεττ˜ ἀνα¨
υ
ω
ͺ
ıσσει · πλανήτας τοὺς πυ΄
˜
ρετοὺς καλέουσιν. ᾿Εχόντων δὲ τουτέων ωδε, ὑπὸ μὲν τ˜ς ὀξυφλεγ῾
η
μασίης μαίνεται, ὑπὸ δὲ τ˜ς σηπεδόνος φον˜ , ὑπὸ δὲ το˜ ζοφερο˜
η
α
ͺ
υ
υ
φοβέεται καὶ δέδοικεν, ὑπὸ δὲ τ˜ς περὶ τὴν καρδίην πιέξιος ἀγχόνας
η
κραίνουσιν, ὑπὸ δὲ τ˜ς κακίης το˜ αἵματος ἀλύων καὶ ἀδημονέων
η
υ
ὁ θυμὸς κακὸν ἐφέλκεται · ἕτερον δὲ καὶ φοβερὰ ὀνομάζει · καὶ κελεύουσιν ἅλλεσθαι καὶ καταπίπτειν ἐς τὰ φρέατα καὶ ἄγχεσθαι, ἅτε
ἀμείνονά τε ἐόντα καὶ χρείην ἔχοντα παντοίην · ὀκότε δὲ ἄνευ φαντασμάτων, ἡδονή τις, ἀφ΄ ˜ ἐρ˜ το˜ θανάτου ὥσπέρ τινος ἀγαθο˜.
ης α υ
῾
ͺ
υ
Φρονησάσης δὲ τ˜ς ἀνθρώπου, τ˜ ᾿Αρτέμιδι αἱ γυνα˜
η
η
ͺ
ικες ἄλλα τε
πολλὰ, ἀλλὰ δὴ καὶ τὰ πουλυτελέστατα τ˜ ν ἱματίων καθιερο˜σι τ˜ ν
ω
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γυναικείων, κελευόντων τ˜ ν μάντεων, εξαπατεώμεναι. ῾Η δὲ τ˜σδε
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Odile Tresch | Rites et pratiques religieuses dans la vie intime des femmes
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40. ἀπαλλαγὴ, ὁκόταν τι μὴ ἐμποδίζῃ το˜ αἵματος τὴν ἀπόρρυσιν. Κευ
λεύω δ΄ ἔγωγε τὰς παρθένους, ὁκόταν τὸ τοιο˜τον πάσχωσιν, ὡς
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τάχιστα ξυνοικ˜σαι ἀνδράσιν · ἢν γὰρ κυήσωσιν, ὑγιέες γίνονται ·
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εἰ δὲ μὴ, ἢ αὐτίκα ἅμα τ˜ ἥβῃ ἢ ὀλίγον ὕστερον ἁλώσεται, εἴπερ
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μὴ ἑτέρῃ νούσῳ : τών δὲ ἠνδρωμένων γυναικ˜ ν αἱ στε˜ μ˜λλον
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τα˜τα πάσχουσιν.
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Les jeunes filles, quand vient l’époque du mariage, ne se mariant
pas, éprouvent de préférence, à la première éruption des règles,
ces accidents auxquels auparavant elles n’étaient guère exposées.
Car, à ce moment, le sang se porte à la matrice, comme pour
s’écouler au-dehors. Ainsi donc, quand l’orifice de l’issue n’est pas
ouvert, et que le sang arrive en plus grande abondance, tant par
les aliments que par l’accroissement, alors le sang, n’ayant point
de sortie, s’élance, vu la quantité, sur le cœur et le diaphragme.
Ces parties étant remplies, le cœur devient torpide ; à la torpeur
succède l’engourdissement, et à l’engourdissement le délire. (. . . )
Quand ces parties ont été remplies, le frisson avec la fièvre se
manifeste ; ces fièvres sont appelées erratiques. Les choses étant
ainsi, la femme a le transport à cause de l’inflammation aiguë,
l’envie de tuer à cause de la putridité, des craintes et des frayeurs
à cause des ténèbres, le désir de s’étrangler à cause de la pression
autour du cœur. Le sens intime, troublé et dans l’angoisse en raison de la perversion du sang, se pervertit à son tour. La malade
dit des choses terribles. Les visions lui ordonnent de sauter, de
se jeter dans les puits, de s’étrangler, comme étant meilleur et
ayant toute sorte d’utilité. Quand il n’y a pas de visions, il y a
un certain plaisir qui fait souhaiter la mort comme quelque chose
de bon. Au retour de la raison, les femmes consacrent à Artémis beaucoup d’objets, et surtout les plus magnifiques de leurs
vêtements, sur l’ordre des devins qui les trompent. Elles sont délivrées de cette maladie, quand rien n’empêche l’éruption du sang.
Je recommande aux jeunes filles, éprouvant des accidents pareils,
de se marier le plus tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent ; dans le cas contraire, à l’époque même
de la puberté, ou peu après, elles seront prises de cette affection,
sinon d’une autre. Parmi les femmes mariées, les stériles y sont
plus exposées.103
Ce passage104 évoque donc les accidents pathologiques – épilepsie (περὶ τ˜ς
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ἱερ˜ς νούσου καλεομένης), pertes de connaissances (περὶ τ˜ ν ἀποπλήκτων),
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41. et terreurs (περὶ τ˜ ν δειμάτων) – qui peuvent survenir aux célibataires (αἱ
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παρθένοι), nubiles (ὁκόσῃσιν ὥρη γάμου παρανδρούμεναι) lorsqu’elles ont leurs
premières règles (ἅμα τ˜ καθόδῳ τ˜ ν ἐπιμηνίων). Le texte insiste bien sur le
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fait qu’elles ne sont pas sujettes à ces troubles avant ce moment crucial de
la puberté (πρότερον οὐ μάλα τα˜τα κακοπαθέουσαι). Les filles qui ne sont
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pas mariées courent le risque de tomber gravement malades à la venue de
leurs règles car, l’orifice de sortie n’étant pas ouvert (ὁκόταν ο˜ τὸ στόμα
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τ˜ς ἐξόδου μὴ ˜ ἀνεστομωμένον), le sang ne peut s’écouler et remonte vers
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le cœur et le diaphragme (τηνικα˜τα οὐκ ἔχον τὸ α˜μα ἔκρουν ἀνα¨
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πλήθεος ἐς τὴν καρδίην καὶ ἐς τὴν διάφραξιν), provoquant en réaction en chaîne
torpeur, engourdissement, et délire (ἐμωρώθη ἡ καρδίη · ε˜τα ἐκ τ˜ς μωρώσιος
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˜τ΄ ἐκ τ˜ς νάρκης παράνοια ἔλαβεν), qui conduisent la malade, victime
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de frayeurs (φοβέεται καὶ δέδοικεν) et de visions, à avoir des envies morbides
de meurtre (φον˜ ) et de suicide (ἡδονή τις, ἀφ΄ ˜ ἐρ˜ το˜ θανάτου ὥσπέρ
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τινος ἀγαθο˜), notamment par pendaison (ἀγχόνας κραίνουσιν, ἄγχεσθαι).
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Voilà quelles sont les terribles menaces qui pèsent sur les célibataires
quand arrivent leurs règles. Quand la malade revient à la raison (φρονησάσης
δὲ τ˜ς ἀνθρώπου), c’est-à-dire vraisemblablement lorsque le sang réussit à
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s’écouler et que la jeune fille a enfin ses règles, c’est à Artémis que les femmes
consacrent bien des objets, mais surtout les plus beaux des vêtements de
femmes (᾿Αρτέμιδι αἱ γυνα˜
ικες ἄλλα τε πολλὰ, ἄλλὰ δὴ καὶ τὰ πουλυτελέστατα
τ˜ ν ἱματίων καθιερο˜σι τ˜ ν γυναικείων), suivant les recommandations des
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devins alors qu’ils les trompent (κελευόντων τ˜ ν μάντεων, ἐξαπατεώμεναι).
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Car, pour le médecin, la divinité n’est en aucun cas responsable du recouvrement des sens de la jeune fille : il faut guérir la maladie en en soignant la
cause. Si ces pathologies se développent parce que le flux sanguin est bloqué,
il faut évidemment « débloquer » l’orifice de sortie au plus vite. L’accouchement provoquant l’élargissement des veines106 , le médecin prescrit comme
remède définitif la procréation dans le cadre du mariage107 , et pas seulement
le mariage, puisqu’il est bien précisé que les femmes mariées sont atteintes du
même mal si elles sont stériles. En exposant cette solution rationnelle à un
problème d’origine physiologique et en la confrontant aux conseils trompeurs
donnés par les devins, l’auteur du traité, en les dénonçant, atteste l’existence
de rituels propitiatoires pour la venue des règles.
Dans ses propos, cependant, un détail est quelque peu obscur : qui procède
aux consécrations ? La structure de la phrase distingue bien la malade (génitif
absolu) et les fidèles qui apportent les offrandes à Artémis : cela signifie-t-il
que, lorsque la jeune fille reprend ses esprits, ce sont les femmes de son entourage, ses parentes proches, qui se rendent au temple consacrer les vêtements à
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