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Lutte d'influence et guerre de religion
dans le croissant chiite depuis l'invasion
américaine de l'Irak en 2003
Xavier-Loup Beirnaert
Master I – Relations Internationales
Année Universitaire 2015-2016
IRIS SUP' PARIS
MÉMOIRE DE RECHERCHE
Sous la direction de
Mr Nicolas Kazarian, chercheur associé à l’IRIS, en charge de l’Observatoire
géopolitique du religieux.
Imprimé en septembre 2016
- Page 1 -
Samarcande
La Perse est malade, [...]. Il y a plusieurs médecins à son chevet, modernes,
traditionnels, chacun propose ses remèdes, l'avenir est à celui qui obtiendra la guérison. Si
cette révolution triomphe, les mollahs devront se transformer en démocrates ; si elle échoue,
les démocrates devront se transformer en mollahs.
Amin Maalouf
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Sommaire
Introduction……………………………………………..…………………….…....…....4
I. Les raisons et conséquences directes de l'invasion de l'Irak en 2003.8
A. Les raisons de l'intervention en Irak et le statu-quo d'avant 2003………………………..8
B. Les conséquences directes du changement de régime en Irak…..…….….………….....12
C. La confessionnalisation du conflit…………………………………….……………….15
II. Affrontements idéologiques et économiques entre deux «blocs »...20
A. Les sphères d'influence « Sunnite » à travers le Moyen-Orient………………………...20
B. Les rivalités contemporaines entre sunnites et chiites………………………………..…23
C. La montée en puissance chiite de 2003 jusqu'aux printemps arabes.………………...…27
III. Le printemps arabe et les guerres par procuration………….…...28
A. Les changements de régimes direct et leur conséquences……….………….…………..28
B. Les contestations larvées par les ingérences étrangères………………………………...30
C. La guerre civile Syrienne …………………………………………………………........34
Conclusion……………………………………………………………....……..…….....40
Bibliographie………………………………………………………………………......42
Annexes…………………………………….…………………………....…….......…….45
- Page 3 -
Introduction
Le terme de «bipolarisation» a fait apparition du temps de la guerre froide afin
de désigner une opposition politique entre deux blocs, entités ou représentations liées
à ces mêmes blocs. D'un côté, les États-Unis et de l'autre l'Union soviétique. Utilisé
jusqu'au début des années 1990, celui-ci est récemment réapparu pour un contexte
cependant bien différent de celui que nous connaissions jusqu'alors. Dans le cadre de
notre recherche, cette bipolarisation sera ici représentée par l'Iran chiite d'un côté, et
l'Arabie Saoudite sunnite de l'autre. On notera que plus globalement, les pays du
Golfe ainsi que la Turquie peuvent être ajoutés au bloc « sunnite » bien que les
intérêts de ceux-ci divergents à divers égards de ceux des Saoudiens.
Le Moyen-Orient (traduction anglaise de Middle-East) est une zone
géographique et géopolitique comprise généralement1
entre la Turquie au nord-ouest,
l'égypte au sud-ouest, le Yémen au sud-est et l'Iran au nord-est, incluant de ce fait des
pays, des civilisations et des peuples reconnus à travers l'Histoire comme ayant des
rites orientaux, en opposition avec l'occident. Les termes de proche-orient et extrême-
orient y sont parfois associés, mais dans le cadre de notre recherche, seule la zone
citée et les pays compris dans cet espace géographique seront soumis à l'étude.
Si l'année 2003 sera le départ de notre recherche et un fil conducteur, il va sans
dire que quelques éléments et évènements qui se sont produits à des dates antérieures
à 2003 seront ici présentées afin d'optimiser la compréhension du lecteur et rendre
plus abordable la thématique.
L'Iran, importante puissance du moyen-orient, civilisation multi-millénaire, et
pays de 77 millions d'habitants, sera au coeur de notre sujet d'étude puisque c'est là
même le sujet de notre problématique et celle ci sera développée tout au long de notre
approche. Mais avant de nous pencher sur les disparitées économiques et politiques
de ce pays dans une région très hétérogène en terme de religiosité, il nous faut définir
un peu plus en détail ce qui fait la particularité de l'Iran, et, de fait, revenir un peu en
arrière dans l'Histoire pour comprendre la particularité du schisme dans l'Islam qui a
engendré le chiisme adopté par les Perses.
1 - Il n'est par ailleurs pas exclu d'inclure également l'Afghanistan et le Pakistan dans cette zone.
- Page 4 -
À l'origine de la différence entre les sunnites et les chiites, c'est tout d'abord
une question de succession. En 632, le prophète Mahomet décède et se pose alors la
question de son successeur en tant que nouveau commandeur des croyants, mais
également en tant qu'administrateur des territoires récemment conquis et sous
contrôle des musulmans. Trois grandes étapes sont retenues pour expliquer les
oppositions entre les deux courants.
Les chiites choisissent Ali qui est le cousin et le gendre du prophète (ayant
épousé sa fille Fatima) car pour eux, les liens du sang doivent prédominer, et la
famille du prophète fait le lien direct entre les hommes et Dieu. Tandis que les
sunnites choisissent Abu-Bakr, car il est le compagnon du prophète, et selon la
tradition tribale d'alors, c'est lui qui doit être le successeur du prophète Mahomet,
pour avoir été au plus près de sa vie et de ses actes. C'est d'ailleurs ce dernier qui est
nommé calife, comme successeur du prophète. Deux califes lui succèdent, puis en
656, Ali est désigné comme quatrième calife. Mais le gouverneur de Damas,
Muawiya refuse l'autorité d'Ali et le clivage entre les deux opposants se cristallise
entre d'une part les fidèles qui s'appuient sur la tradition du prophète, la « sunna »,
donc les sunnites, fidèles à Muawiya, et ceux d'Ali dits « chiias Ali » 2
donc les
« chiites », qui eux, s'appuient sur la famille du prophète.
En 661 Ali est assassiné, et Muawiya est désigné cinquième calife, inaugurant
par la même occasion la dynastie des Omeyyades donc la capitale sera Damas. En
680, Yazid a pris la succession de son père Muawiya, tandis que du côté des chiites,
Hussein, le fils d'Ali a lui également pris la suite de son père. Depuis la ville de Kufa,
en Irak actuel, Hussein lance une offensive contre son rival Yazid, mais il sera
massacré lui et ses hommes ainsi que sa famille à la bataille de Kerbala par les
armées Omeyyades. Le massacre de Hussein à Kerbala est dès lors perçue par les
chiites comme une catastrophe et un point de non-retour dans leur lutte contre les
sunnites et devient la deuxième étape de la fondation du chiisme.3
Pendant plus de huit siècles, les chiites vont être écartés des pouvoirs
politiques jusqu'en 1510 où en Perse, Ismaïl 1er
de la dynastie Safavide prend le
pouvoir et impose le chiisme comme religion d'État afin de se démarquer des
Ottomans sunnites qu'il combat. Cette démarcation religieuse n'étant cependant pas la
raison principale qui oppose les deux empires dans leur contentieux territoriaux et
politiques, mais elle marque la troisième étape des fondements historiques de la
séparation entre chiites et sunnites.
2 - « chiia Ali », issu de l'arabe.
3 - De nos jours, les chiites du monde entier commémorent toujours le martyr de Hussein avec des
séances de flagellations rituelles et une période de deuil appellée Achoura.
- Page 5 -
L'Iran devient majoritairement chiite au XIXème siècle, mais c'est vraiment la
Révolution islamique de 1979 qui déclenche les hostilités de tout bords et qui
exacerbe les tensions entre les deux factions. La Révolution islamique renverse non
seulement le régime autoritaire du Shah qui était pro-Américain, mais vient
chambouler un statu-quo jusqu'ici inébranlé où les religieux s'affairaient à leurs
affaires religieuses, et où désormais le clergé prend le contrôle politique du pays avec
Rouhollah Khomeini comme Guide suprême de la Révolution Islamique. L'ayatollah
Khomeini fonde ainsi le nouveau régime sur le principe du « gouvernement des
religieux ». Si ce principe est minoritaire chez les chiites qui prônent une séparation
claire entre les dirigeants religieux et politiques, les Iraniens décident de laisser le
clergé prendre le pouvoir, l'ayatollah Khomeini devient dès lors le nouveau leader du
pays.
Ainsi l'Iran qui était jusqu'ici un pays sous influence pro-occidentale du temps
du régime du Shah devient du jour au lendemain une République islamique où l'islam
chiite est au coeur de l'appareil Étatique.
Tout juste arrivé au pouvoir, l'ayatollah Khomeini appelle de ses vœux à ce que
la révolution islamique soit propagée aux autres pays musulmans, ce qui n'est pas vu
d'un bon œil par les pays de la région. Irak et Arabie Saoudite en tout premier lieu.
Les Saoudiens craignant que leur minorité chiite (représentant 10 à 15 % de sa
population) ne se rebelle, et les Irakiens que sa propre population chiite (majoritaire
en Irak) ne se voient flattée par les bonnes us des nouveaux maîtres de Téhéran.
Saddam Hussein ambitionne par ailleurs d'occuper les immenses zones pétrolifères
Iraniennes, et en particulier celles du Khuzestan qui font partie d'un contentieux
territorial avec son pays. Opposé à la propagation et à la diffusion du chiisme militant
qu'appelle de ses vœux Khomeini, l'Irak décide d'envahir l'Iran en 1980, cherchant à
affaiblir la République islamique fraîchement arrivée au pouvoir et dont les
institutions sont encore à tester. La guerre Iran-Irak4
durera jusqu'en 1988 sans que
l'Histoire ne puisse départager de grand vainqueur. Les deux belligérants se
considérant comme triomphants l'un de l'autre, la réalité veut-elle plutôt, que des
millions de jeunes soldats ont été tués, et que le souvenir de l'agression irakienne
demeure profondément ancré dans la mentalité Iranienne pour les décennies à venir.
C'est d'ailleurs avec des scènes de liesse que les Iraniens observent la chute de
Saddam Hussein en 2003, et l'influence de l'Iran n'aura dès lors de cesse de grandir
dans le pays nouvellement libéré de l'emprise du dictateur irakien.
Sans chercher ici à caricaturer de façon manichéenne deux peuples, deux
sectes, deux idées, l'une vainqueur, l'autre vaincue, notre étude démontrera qu'au
contraire, si l'Iran et le chiisme se retrouvent dans une position de force à partir de
2003, ce n'est pas sans faire face à de nombreux problèmes et catastrophes au cours
de la décennie à suivre. Et le sujet de notre étude ne cherche nullement à départager
4 - La guerre Iran – Irak de 1980 – 1988 est également appelée « première guerre du Golfe »
- Page 6 -
le bien-fondé des uns ou les méfaits des autres, mais plutôt à analyser de façon
constructive et le plus objectivement possible une succession d'évènements passés
dans le prisme de notre problématique.
Dans le cadre de cette recherche, le premier chapitre sera consacré à l'Irak en
sa presque intégralité. Ce pays étant situé au coeur du croissant chiite, nous ferons
état d'une rétrospective de son histoire récente afin de constater dans quelle situation
l'Irak se trouvait avant et surtout depuis l'invasion américaine de 2003. Il nous sera
alors plus facile de comprendre pourquoi le pays est d'une importance si
prépondérante dans les luttes géostratégiques, économiques, politiques, mais avant
tout religieuses de la région.
Une fois le sujet de l'Irak traité, nous serons en mesure de comprendre
comment les tensions entre chiites et sunnites ont-elles pu s'exacerber de façon si
rapide et brutale en une unité de temps aussi réduite. Ainsi nous serons plus à même
d'étudier en profondeur les dissensions fondamentales qui existent entre les deux
grands belligérants de cette guerre froide dont l'Histoire n'a pas encore su donner un
juste nom. Hormis qu'elle nous rappelle les grandes guerres de religions qu'a connu
l'europe au XVIème siècle entre catholiques et protestants aux résultats que nous
connaissons5
.
2011 et les printemps arabes sont ce que 2001 a été au terrorisme
contemporain, et 2003 à l'intervention américaine en Irak. Les différentes formes de
contestations observées dans les pays arabo-musulmans au printemps 2011, leurs
issues ou ce qui en découle formera notre troisième grand chapitre d'étude. Cristalisé
au coeur de l'actualité et des bouleversements que le moyen-orient traverse, ce
printemps de 2011 bouleversa et continue de modifier en profondeur un ordre établi
de longue date pour une région hyper-sensible et en proie aux conflits depuis des
décennies. Notre réflexion se penchera ici encore sur l'impact qu'ont eu les multiples
religions sur les évènements qui ont rythmé et continuent de rythmer pour certains,
des pays multi-confessionels, qui n'étaient pas forcément prédestinés à connaître une
situation si dramatique si des ingérences extérieures n'étaient venues influer ici ou là
afin de sauvegarder ou de gagner des intérêts, au détriment des populations civiles, et
souvent, des loies internationales.
La problématique principale que nous aborderons tout au long de notre
recherche sera axée sur la bipolarisation du Moyen-Orient depuis 2003, et avec des
études de cas, nous verront si celle-ci dessert les intérêts de l'Iran, et cela de façon
économique, politique mais avant tout religieuse.
5 - A la suite de la réforme protestante iniciée par Martin Luther en 1517, l'europe est victime d'une
succession de guerres meurtrières qui fait des milliers de morts et de déplacés sur le continent.
- Page 7 -
I. Les raisons et conséquences directes de
l'invasion de l'Irak en 2003
A. Les raisons de l'intervention en Irak et le statu-quo d'avant 2003
À l'origine, la première guerre du Golfe de 1990-1991, également appelée
« Guerre du Koweït » est déclenchée par les Irakiens lorsque ces derniers décident
d'envahir le Koweït sur ordre de Saddam Hussein, président de l'Irak et leader du
parti Baas. Les Irakiens sortent alors de huit ans de guerre avec l'Iran (1980-1988) et
font face à des infrastructures pétrolières en grande parties détériorées et à une dette
contractée au cours du conflit représentant 150 % du PIB qu'ils cherchent à
rembourser le plus rapidement possible. À ce titre, les autoritées Irakiennes voient
d'un mauvais œil que le Koweit, pays voisin et dont ils ont des visées territoriales
depuis toujours, ne respecte pas les règles fixées par l'OPEP en surproduisant du
pétrole, ce qui accentue le déficit budgétaire de Baghdad.
Baghdad s'affaire ainsi à amasser des troupes le long de sa frontière, menaçant
non seulement un État souverain, mais également l'un des acteurs principaux de
l'exportation du pétrole du Moyen-Orient. Lorsque le 25 juillet 1990, Saddam
Hussein rencontre l'ambassadrice américaine en Irak, April Glaspie, et celle-ci aurait
eu une position floue sur les intentions américaines au regard des évènements qui se
tramaient et dont les États-Unis étaient bien entendus au courant. Interprétant cette
entrevue et les paroles de l'ambassadrice comme une assurance de la part des États-
Unis que ceux-ci n'interviendraient pas en cas de conflit, Saddam Hussein se décide à
passer à l'action une semaine plus tard, et les troupes Irakiennes envahissent le
Koweït le 2 août de cette même année, devenant maîtres du pays en seulement
quelques heures. La déroute des Koweïtis est totale, et le gouvernement ainsi que la
famille royale s'exilent en Arabie Saoudite voisine.
La communauté internationale est consternée et appelle le régime Irakien à
quitter le Koweit, mais celui-ci ne veut rien entendre. À l'initiative des Américains,
une coalition d'une trentaine de pays se prépare à intervenir au Koweit afin de
contraindre l'armée irakienne à se retirer. En janvier et février 1991 a lieu l'offensive,
et les Irakiens battent en retraite. Le régime irakien sort ruiné et affaibli de cet
épisode désastreux, malgré le pillage des immenses richesses du Koweit qu'ils ont
contrôlé durant une demi-année. Les autorités irakiennes se seraient donc fourvoyées
en se lançant à la conquête d'un État voisin au titre d'une mauvaise interprétation de
la posture qu'adopterait les États-Unis en cas d'agression.
- Page 8 -
Sur fond de défaite militaire, une révolte populaire secoue l'Irak et vise à
renverser le régime baasiste, soutenues aux premières heures de la contestation par
les américains, les populations kurdes et chiites voient d'un bon œil l'occasion qui
s'offre à elles, et cherchent à déstabiliser le régime au cours du mois de mars 1991.
Finalement la répression sera écrasée dans le sang, face à l'inaction des occidentaux
qui au cours de ce conflit n'auront cherché qu'à affaiblir l'armée irakienne sans
planifier ni vouloir un changement de régime complet. Face à la férocité des forces
irakiennes dans le nord de l'Irak, les occidentaux instaureront une « no flying zone »
au deça du 36ème parallèle afin de protéger les populations kurdes des
bombardements Irakiens6
. Hormis cette particularité, le statu-quo pré invasion du
Koweit demeure.
La décision des occidentaux de ne pas renverser le régime irakien en 1991
devient le centre des débats pour les années à venir face à l'incontrolabilité de
Baghdad dans les nombreuses crises à venir dans la région En effet, les CIA aurait,
aux premières heures du conflit incités les populations chiites et kurdes à se rebeller
face au pouvoir central, sans chercher cependant à les mettre au pouvoir, abandonnant
semble-t-il en cours de route leur soutien à cette rébellion qui sera à la répression
dans le sang.
On peut voir dans cette prise de décision une crainte d'un bouleversement de
régime et de force en présence dans la région. En effet, si le régime Baasiste était
tombé en 1991, il est fort probable que la population chiite, majoritaire en Irak aurait
pris le pouvoir, appuyée par les Iraniens qui auraient vu en cela une occasion parfaite
de prendre leur revanche non seulement sur leur ancien ennemi Irakien, mais aussi
sur la légitimité de leur révolution islamique chiite qu'ils cherchent à exporter depuis
son avènement en 1979.
6 - Cette décision aura pour conséquence directe de donner un début d'autonomie aux Kurdes
irakiens et de se préparer à accéder à l'autonomie complète après 2003.
- Page 9 -
Si le régime Irakien est maintenu de justesse, le pays sort néanmoins fortement
affaibli sur le plan financier, militaire mais également diplomatique. Et c'est à titre un
véritable jeu du chat et de la souris qui va s'instaurer à la suite de la première guerre
du golfe entre les occidentaux et le régime Irakien. Diplomatiquement et
économiquement, les Irakiens sont placés sous étroite surveillance par la
communauté internationale qui ne lui fait pas confiance, crayant que le régime
cherche à se réarmer de façon massive et dangereuse avec des armes non
conventionelles 7
. Des sanctions internationales et un blocus est bientôt instauré à
l'encontre du régime afin de limiter ses apports en matériaux passiblement
transformables en armement lourd ou potentiellement menaçant. Pendant près d'une
décennie, les Irakiens tenteront de regagner une certaine forme d'autonomie face à ce
qu'ils considèrent comme une violation flagrante de leur droit de souveraineté. De
multiples mises en garde parviennent à Baghdad et bientôt des observateurs de
l'ONU8
sont deployés dans le pays afin de vérifier que les stocks d'armes répondrent
aux critères émis par les occidentaux qui cherchent à tout prix à brider l'armement des
Irakiens dans le cas où ceux-ci, devenus incontrôlables, chercheraient à nuire à
nouveau dans la région, en quête de revanche suite à la défaite de 1991.
les attentats du 11 septembre 2001 à New-York viennent bouleverser
l'échiquier géopolitique et presser le calendrier diplomatique et guerrier; Bientôt
Georges W. Bush s'élance dans une diatribe contre les forces du mal9
pointant du
doigt les États voyous dont l'Irak est en tête de liste avec l'afghanistan. Si ce dernier
pays est rapidement ciblé comme étant numéro un dans le soutien au terrorisme et en
particulier à Al-Qaeda qui est à l'origine des attentats ayant touché les États-Unis,
l'Irak n'est pas loin derrière.
Les raisons qui ont poussé les États-Unis et l'Angleterre en première ligne à
envahir l'Irak une nouvelle fois et à – cette fois – renverser le régime de Saddam
Hussein sont multiples et variées. A ce sujet les experts en géopolitique et les
historiens s'accordent désormais de façon quasi unanime à dire que la raison invoquée
des armes de destruction massive n'aura été au cours de toutes ces années
d'occupation qu'un leurre afin de dissimuler une vérité toute autre. Les forces
d'occupation durent d'ailleurs très rapidement se soumettre à la réalité de la situation
dans laquelle ils s'étaient mise; Nulle trace d'armes de destruction massive, mais un
régime renversé, et un pays occupé qui a besoin à présent d'être administré.
7 - Les occidentaux craignent que le régime Irakien ne fabrique et engrande des armes chimiques,
biologiques, ou à longue portée, capable de menacer la stabilité de la région.
8 - Mission d'observation des Nations unies en Irak et au Koweit (MONUIK/UNIKOM).
9 - Le fameux discours « Axis of Evil »du 29 janvier 2002
- Page 10 -
La volonté des faucons du Congrès Américain et en particulier du vice-
président Dick Cheney, qui sont dans l'entourage direct du président Bush ne fait
aucun doute à ce jour sur l'influence que ceux-ci ont eu dans la prise de décision
finale d'invasion. Mettre un terme au régime Baasiste de Saddam Hussein, chose
qu'ils n'avaient pas fait lors de la première guerre du Golfe de 1991 est devenue pour
beaucoup à Washington une priorité absolue afin de reprendre pied dans une région
hautement stratégique pour les occidentaux et dont le régime Irakien vient menacer
directement les intérêts. De même que de damer le pion aux vélléitées des Russes et
des Chinois qui commencent à y déployer des intérêts énergétiques et stratégiques
importants. Dorénavant, les occidentaux contrôlent une zone géostratégique et
énergétique de première importance pour la région et sont au coeur de la lutte contre
le terrorisme, en même temps qu'au milieu d'un nœud ethnico-religieux qu'ils vont
chercher à canaliser avec les résultats que l'on connaît.
Il est certes important pour notre analyse d'avoir toutes ces données en tête,
néanmoins ce qui nous intéresse principalement dans notre recherche, reste ici
l'analyse post-régime de Saddam Hussein ainsi que tout ce qui découle de
l'intervention occidentale de 2003. Ceci vaut pour l'Irak, mais également pour toute la
région du moyen-orient, et principalement les conséquences que cette intervention
eurent sur la mosaïque ethnique et religieuse du pays.
- Page 11 -
B. Les conséquences directes du changement de régime en Irak
Sur le peuple irakien, la première des conséquences du renversement du
dictateur Saddam Hussein est une période de festivité en raison des innombrables
exactions que le pouvoir d'alors a pu exercer sur son peuple au cours des dernières
décennies. Sur tous les écrans de télévision du monde entier, l'on voit des portraits du
dictateur brûlés, ses statues déboulonnées, et des colonnes de soldats baasistes faits
prisonniers. Cependant la fête est de courte durée, et la réalité vint rattraper les
Irakiens. Bientôt une guerre civile, d'abord de règlement de comptes puis
interconfessionelle s'abat sur le pays, en sus de l'occupation américaine qui se fait de
plus en plus pressante pour le peuple nouvellement libéré.
Très vite après la fin des combats déclarés le 1er
mai 2003, les forces
d'occupation cherchent à faire administrer le pays par une représentation autre que
celle de leur statut d'occupant d'un territoire national étranger. L'autorité provisoire de
la coalition est instaurée au lendemain de la fin des opérations principales dans le
pays et une fois la zone verte de Baghdad jugée suffisamment protégée, cela dans le
but de gérer les affaires courantes du pays. En juin 2004, Paul Bremer, administrateur
Américain du pays, signe le décret de transfert de l'autorité à un gouvernement
intérimaire Irakien qui sera en charge de préparer les élections de janvier 2005 ainsi
que de l'écriture d'une nouvelle constitution pour le pays.
À la suite de l'invasion occidentale en Irak, le président Saddam Hussein
s'enfuie de son palais de Baghdad, mais sera finalement rattrapé les forces spéciales
Américaines en décembre 2003. Jugé par un tribunal spécial Irakien qu'il ne
reconnaîtra d'ailleurs pas, l'ancien dictateur est finalement inculpé de crimes contre
l'humanité et crimes de guerre, il sera condamné à mort et exécuté en décembre 2006,
soit trois années après sa capture.
C'est Ibrahim Al-Jaafari qui est élu par l'assemblée constituante comme le 1er
ministre de l'ère post-Saddam Hussein. Ces premières élections libres en Irak depuis
la chute du régime sont en grande partie boycottées par la population sunnite10
. C'est
cependant l'accession au pouvoir de Nouri al-Maliki qui va provoquer un réel
changement dans l'attitude de l'Irak, pour les Irakiens eux-mêmes mais pour
l'influence grandissante des chiites dans le pays. Les forces de la coalition ayant pris
parti pour laisser la population irakienne décider par elle-même de son sort au cours
des élections, elles laissent donc le nouveau 1er
ministre administrer un pays qui a un
besoin urgent de se reconstruire et de se réorganiser.
10 - Ainsi, la province d'Al Anbar, majoritairement sunnite n'a vu que 2 % de sa population
participer au scrutin.
- Page 12 -
En parallèle de la transition démocratique qui opère à partir de 2005,
l'Irak se divise de plus en plus entre les différentes communautés qu'elle abrite, et en
l'absence d'un leader commun répondant aux attentes de chacune des communautés,
la société tribale irakienne prend lentement le dessus sur les institutions de la société
dont les institutions sont encore très fragiles.
A ce titre, les populations Kurdes qui peuplent le nord du pays et qui
bénéficiaient déjà d'une certaine forme d'autonomie depuis la première guerre de
golfe avec l'instauration d'une zone aérienne interdite aux forces armées irakiennes,
se soulèvent définitivement contre l’État central, et le président de l'autorité Kurde,
Massoud Barzani déclare l'indépendance de facto du Gouvernement Régional du
Kurdistan. La milice Kurde des Peshmergas11
sécurise la frontière de la région Kurde
devenue autonome avec le reste du pays, et les populations Kurdes s'auto-
administrent. Les Kurdes voient là l'occasion d'affirmer leur souveraineté sur les
territoires qu'ils contrôlent. Les populations se sentent non seulement libérées du joug
du tyran de Baghdad, mais également en proie à un futur fait de prospérité
économique et de stabilité politique. En effet, en 2005, la nouvelle constitution
Irakienne entre en vigueur, reconnaissant, de manière officielle cette fois, la légitimité
et la fédéralité de l’État irakien. La langue Kurde est alors promue comme langue
officielle au côté de l'arabe, et la mention de Komarê ʿIraq figure sur le passeport
national au côté de Jumhūrīyatu-l ʿirāq. En outre, le GRK dispose d'une importante
force armée qui varie selon les sources de 150.000 à 250.000 hommes et femmes
soldats. Parallèlement, les forces armées irakiennes ne sont pas autorisées de
quelconques façon à intervenir à l'intérieur du territoire kurde.
Les dimensions politiques cependant, ne peuvent être dissociées des raisons
économiques : Car c’est aussi grâce aux revenus de sa rente pétrolière que le GRK
peut se permettre une aussi florissante croissance depuis 2003 et agir en tant que
véritable acteur politique, capable d'interagir en égal avec ses plus proches voisins.
Ainsi, les autorités kurdes se passent désormais de l'accord de Bagdad pour passer de
juteux contrats pétroliers avec des compagnies étrangères et notamment Turques, vers
lesquelles elles exportent directement leurs barils.
C'est autour d'une forme de rassemblement structurel religieux que la majorité
arabe chiite de la population va se souder face aux anciens cadres du parti Baas et des
populations sunnites qui les avaient durant des décennies au pouvoir, gouverné,
maltraités et marginalisés. Une atmosphère de règlement de comptes et des scènes de
terreur se multiplient dans le pays, malgré la présence des forces d'occupation qui
tentent d'instaurer un calme relatif. Par ailleurs, si à l'origine, la chute et la capture du
dirigeant Saddam Hussein avait été globalement bien accueilli par la population
irakienne, les attentats et les scènes de guérillas à l'encontre des forces d'occupations
se multiplient dans le pays dès les premiers mois de l'occupation.
11 - Ceux qui vont au-delà de la mort, en kurde.
- Page 13 -
À partir de l'année 2004, la population Arabe sunnite, minoritaire dans le pays,
mais qui avait toujours jouie d'avantages durant l'ancien régime, se voit de plus en
plus marginalisée face aux chiites qui sont en charge de former un nouveau
gouvernement, et l'on voit se former des groupes de rebelles de plus en plus
fermement opposés non seulement aux forces de la coalition encore présentes en
nombre dans le pays, mais également aux populations chiites.
À ce titre, les deux batailles de Falloujah12
entre ces groupes de rebelles
sunnites dont Al-Qaeda, et les forces armées de la coalition alliées à la nouvelle
armée Irakienne provisoire font grand bruit dans la presse internationale. On
commence alors à percevoir que la tache s'annonce rude pour pacifier, démocratiser
et unifier un pays dont la guerre civile et confessionnelle s'annonce longue et
violente. Ce que les Américains appellent le triangle sunnite, partant du nord de l' Irak
jusqu'à Baghdad via la province à l'ouest d'Al-Anbar est bientôt soumise à une
période d'insurrection féroce qui sera au centre de la guerre civile qui suit
l'intervention occidentale dans le pays.
L'opération Bashaer al-Kheir lancée à partir de juillet 2008 a pour but de
mettre un terme à cette insurrection et à redonner le contrôle à l’État central dans ces
régions instables. 50.000 soldats des forces irakiennes accompagnés par des unités
d'élite de l'armée américaine participent aux opérations qui visent à sécuriser la zone.
C'est pour le nouvel homme fort du pays, Nouri Al-Maliki, un moyen non seulement
d'accroitre son influence sur des régions dont son gouvernement n'a pas de contrôle
depuis son arrivée au pouvoir, mais également de donner au monde l'image d'un pays
dont les institutions et l'armée sont renforcées. C'est également pour lui le moyen de
s'imposer face aux multiples partis et innombrables acteurs de la société sur la scène
politique Irakienne, comme étant un rempart face aux cellules terroristes sunnites qui
sévissent dans ces régions hors de contrôle. L'opération remplie une partie de ses
objectifs mais est interrompue face à l'intransigeance des opposants à l’État central,
vendu aux Américains aux yeux de certains, ou non reconnus comme équitables, pour
une bonne partie de la population sunnite ou kurde.
Malgré les multiples efforts et opérations lancées par le gouvernement irakien
et les forces américaines, le pays ne cesse d'être soumis à des vagues d'attentats qui
ensanglantent les différentes communautés.
12 - D'avil à mai 2004 puis en novembre 2004
- Page 14 -
C. La confessionnalisation du confit
1. Première guerre civile Irakienne
En février 2006, l'attentat perpétré contre le sanctuaire Al-Askari de Samarra
provoque le début d'un conflit inter confessionnel qui, s'il s'est en partie résorbé à
partir de 2008, continue encore aujourd'hui de jouer sur les affaires internes du pays
et cristalliser de sérieuses tensions communautaires. Il est aujourd'hui difficile de
chiffrer avec précision le nombre exact de victimes mais celui-ci s'élève à des
centaines de milliers de morts. En 2008, les quartiers chiites sont épurés des sunnites,
et inversement, les quartiers sunnites des chiites. La capitale du pays qui avait
toujours été pluriconfessionnelle voit ses quartiers mixtes se réduire à vue d'oeil au fil
du temps et des murs de séparation anti-attentats s'ériger comme des frontières entre
les différentes communautés (cf Annexe n°1).
La guerre civile que connaît l'Irak à partir de 2003 ne fait pas uniquement des
victimes entre deux rangs bien distincts, et il serait faux de considérer le conflit
comme étant seulement celui de deux factions distinctes entre sunnites et chiites.
L'attaque terroriste la plus meurtrière intervient en effet dans la ville de Qahtaniya
dans le nord ouest du pays, où vit la communauté Yézidie, ethniquement Kurdes mais
adeptes d'une religion pré islamiste indo-européenne inspirée du Zoroastrianisme,
l'ancienne religion des Perses. Le 14 août 2007, des attaques simultanées font 572
morts et plus de 1500 blessés. Un groupuscule qui fera parler de lui à l'international
quelques années plus tard revendique les attentats contre cette minorité jugée anti-
islamique et adorateurs du diable. « L’État islamique en Irak et au Levant » était dors
et déjà actif dans une région où elle ne cesserait de monter en puissance jusqu'à son
avènement en 2014, profitant de la guerre civile en Syrie voisine pour s'y renforcer et
ensuite prendre le contrôle d'immenses portions de territoires à cheval sur les deux
pays.
- Page 15 -
Parmi les dirigeants du paysage communautaire de l'Irak de l'ère post Saddam
Hussein, un homme, Moqtada Al-Sadr s'avère être un personnage de la plus grande
importance, puisque c'est lui qui, avec l'appui de miliciens chiites voués à sa cause et
réunis autour de l' « armée du Mahdi » se sont diamétralement opposés à la présence
des forces d'occupation dès leur arrivée dans le pays en 2003. Répondant au rang de
Sayyed13
, Al-Sadr exerce une influence très importante sur la population chiite
Irakienne au même titre que l'ayatollah Al-Sistani, figure emblématique et plus haute
autorité du clergé chiite Irakien. Si les preuves ont toujours manqué, il semblerait que
le régime de Saddam Hussein ait fait assassiner le père de Moqtada Al-Sadr ainsi que
ses deux frères en 1999. L'influence que la famille Al-Sadr exerce sur la population
chiite Irakienne était déjà importante du temps de l'ancien régime, elle l'est d'autant
plus après 2003 lorsque l'armée du Mahdi s'efforce de combattre la tutelle des forces
d'occupations. Les sunnites Irakiens jusqu'à Saddam Hussein lui-même verront dans
Al-Sadr un opposant d'importance première. L'ancien dictateur évoquant le nom de
Moqtada jusqu'à ses dernières paroles sur l'échafaud qui allait le faire pendre en
200614
.
Dans le même temps, l'Iran profite également de la fin du régime de Saddam
Hussein pour commencer à investir dans les zones chiites (cf. annexe n°2)
2. Seconde guerre civile Irakienne
A partir de 2011, la guerre civile qui fait rage en Syrie voisine continue de
creuser le fossé entre les sunnites et les chiites, les premiers reprochant aux seconds
de soutenir le régime Syrie en laissant un accès à l'espace aérien irakien aux Iraniens
qui ravitaillent leur allié de Damas. En 2013, de violentes manifestations éclatent
dans tout le pays, demandant le départ du président Al-Maliki qui fait réprimer les
manifestations au coût de centaines de morts. A la fin de l'année 2013, la province
d'Al-Anbar se soulève et s'allie à l'État islamique en Irak et au Levant qui s'empare
bientôt de grandes villes comme Ramadi et da la majorité de la grande province
sunnite du pays, marquant un tournant dans l'histoire du pays.
13 - C'est à dire un descendant de la famille du prophète, un rang honorifique très respecté en islam.
14 - Issu de la vidéo pirate lors de la pendaison de Saddam Hussein.
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Engagée dans la campagne Syrienne contre les forces gouvernementales
Syriennes, mais également contre des rebelles plus modérés ainsi que les kurdes
Syriens, l’État islamique en Irak et au Levant lance une grande offensive en Irak et
parvient à s'emparer en quelques jours seulement de Mossoul, la seconde ville d'Irak,
à majorité sunnite. L'armée Irakienne déserte ses bases militaires et la ville, sans
même combattre. On assistera là aux premiers massacres d'envergures de la deuxième
guerre civile Irakienne. Près de 700 jeunes recrues15
de l'armée de l'air Irakienne
basées au camp Speicher sont ainsi brutalement assassinées à bout portant par les
balles des djihadistes et enterrées dans des fosses communes ou jetées directement
dans le Tigre. La particularité de ces évènements est que les djihadistes affichent
clairement leur implacable rigueur à éliminer tout chiites qui tombent entre leurs
mains.
3. État islamique
Le 29 juin 2014, le chef de l’État islamique en Irak et au Levant, Abou Bakr al-
Baghdadi al-Husseini al-Qurashi déclare depuis la grande mosquée de Mossoul le
retour du califat et s'auto-proclame calife, commandeur de tous les musulmans de par
le monde, appelant ceux-ci à se joindre à sa cause. Cette déclaration est bien entendue
déclarée nulle et non avenue par la plupart des observateurs musulmans, mais
néanmoins cet évènement surprend par la rapidité avec laquelle les forces djihadistes
ont pu prendre Mossoul, la pillant de ses devises et de ses immenses ressources en
armes abandonnées par les forces de sécurité Irakiennes. On estime à ce propos que
les djihadistes s'emparèrent pour plusieurs milliards de dollars en armes et munitions,
rien que dans la province de Ninive16
.
15 - Principalement de jeunes recrues chiites sans grande expérience militaire.
16 - Ainsi que des réserves de devises de la banque centrale de Mossoul, elles aussi estimées à
plusieurs milliards de dollars.
- Page 17 -
Le sort des chrétiens d'Irak ou de Syrie n'est pas non plus à envier à celui des
chiites. Si leur statut de « gens du livre » devrait en théorie leur attribuer le titre de
« dhimmis » en s'acquittant d'un impôt et en jurant de ne pas faire de prosélytisme,
les djihadistes se montrent particulièrement intransigeants envers les minorités
chrétiennes, multipliant les destructions, pogroms, viols et kidnapping de cette
population vulnérable. Ainsi la plaine de Ninive qui abritait près d'un million de
chrétiens avant la guerre est-elle dévastée par l'arrivée des djihadistes, et vidée de ses
habitants qui s'enfuient pour la plupart à l'étranger ou dans la région autonome Kurde
qui leur apporte leur protection.
La minorité Yézidie n'est pas non plus à envier. Cette religion multi-millénaire
issue d'anciennes croyances irano-kurdes est particulièrement persécutée par les
djihadistes qui prennent d'assaut la ville de Sindjar en août 2014, chef-lieu des
Yézidis, faisant des milliers de morts17
et de prisonniers et créant l'émoi dans la
communauté internationale.
Le conflit Syrien issu du printemps arabe de 2011 déborde ainsi sur l'Irak
voisine, et bientôt une coalition internationale à nouveau guidée par les Américains
qui avaient quitté le pays en décembre 2011, s'attaque à cette nouvelle entité terroriste
qui menace l'Irak. Les forces aériennes occidentales soutiennent les Peshmergas
Kurdes, qui sont en première ligne face aux djihadistes dans le nord, aussi bien que
l'armée Irakienne, de plus en plus formée par un noyau dur de chiites, alliés à des
miliciens venus en nombre combattre le groupe terroriste.
17 - L’État islamique a une haine particulière envers la communauté Yézidie dont elle annihile la
population, tuant les hommes et revendant les femmes comme esclaves sexuelles.
- Page 18 -
Les Iraniens, alliés du gouvernement de Damas ainsi que de celui de Baghdad,
ne voient pas d'un bon œil l'avènement de l’État islamique, et se décide également à
intervenir dans le pays voisin afin de protéger leurs intérêts dans les zones chiites,
mais également en appuyant leurs alliés face à la menace que le groupe sunnite
brandit au quotidien contre ceux-ci. Des milices Iraniennes comme « Kataïeb
Hezbollah » ou encore « Asa'ib Ahl Al-Haq » sont directement financées et armées
par Téhéran qui prodigue également de l'aide au gouvernement central de Baghdad à
partir de 2014 dans le cadre de la contre offensive contre l’État islamique. L'ancienne
armée du Mahdi qui avait déposée les armes en 2008 à la fin de la première guerre
civile se reforme à partir de 2014 et participe notamment aux côtés de forces
Iraniennes qui les finance à la reprise de Tikrit aux mains de l’État islamique.
Renommée pour l'occasion « Compagnies de la paix », elles s'illustrent dans diverses
batailles contre l'entité sunnite et se dresse comme un rempart aux côtés des forces
irakiennes dans la sécurisation de la ligne de front et la reprise de villes stratégiques.
Néanmoins des observateurs internationaux pointent régulièrement du doigt ces
milices chiites qui une fois entrées dans les villes reprises à l’État islamique se
vengent sur les populations civiles sunnites en pillant et brûlant leurs maisons ou en
tuant des civils soupçonnés de collusion avec l'ennemi18
.
18 - https://www.hrw.org/fr/news/2015/09/20/irak-les-exactions-des-milices-affaiblissent-la-lutte-
contre-letat-islamique
- Page 19 -
II. Affrontements idéologiques et économiques
entre les 2 blocs
A. Les sphères d'influence sunnites à travers le Moyen-Orient
Si la religion musulmane représente en 2016 environ 1,6 milliard d'individus, il
n'en demeure pas moins que les sunnites forment l'immense majorité de ceux-ci, avec
un pourcentage tournant autour des 75 à 80 %. Sur ce total, les sunnites sont
également divisés en plusieurs grandes écoles, les hanafites, les malikites, les
chaféites et les hanbalistes. A cela, il faut ajouter que les divers peuples, ethnies et
langues qui pratiquent l'islam ne sont pas limités à l'arabe et aux peuples Arabes. De
même, les intérêts de chacun ne font pas toujours consensus lorsqu'il s'agit de
perspectives économiques ou politiques.
Restons cependant dans le Moyen-Orient et excluons de fait les musulmans
d'Asie de notre recherche, qui même s'ils représentent la majorité des musulmans du
monde par leur poids démographique, ne sont pas liés aux conflits qui animent le
croissant chiite. De même, en dehors de l'Egypte et du Maroc qui font partie de la
coalition militaire intervenant au Yémen aux côtés de l'Arabie Saoudite, les pays
africains musulmans ne s'intéressent que de loin aux problèmes qui opposent les
sunnites aux chiites du moyen-orient.
Si la plupart des protagonistes musulmans sunnites intervenant de près ou de
loin voient d'un mauvais œil l'expansion du chiisme dans le croissant et derrière cela,
l'influence de l'Iran sur toute la région, les alliances ne se retrouvent pas forcément
toujours là où on pourrait les attendre, tant les intérêts et buts recherchés divergent
parfois.
A ce titre, au cours du printemps arabe de 2011, l'Egypte est en proie à de
violentes manifestations qui parviennent à faire tomber le régime de Hosni
Moubarak, et un an plus tard, Mohamed Morsi qui est issu des Frères Musulmans est
élu président de la république au suffrage universel. Le Qatar qui est l'un des
principaux pourvoyeur de fonds de la confrérie islamiste voit donc son influence
renforcée en Afrique du nord et trouve en Morsi un interlocuteur particulièrement
sensible à ses intérêts19
. A l'inverse, l'Arabie Saoudite voit en la confrérie soutenue
par son petit voisin une menace à sa toute puissance idéologique et une contestation
de son autorité au sein des grandes puissances sunnites
19 - http://www.lepoint.fr/monde/comment-le-qatar-et-arabie-saoudite-s-affrontent-en-egypte-21-
08-2013-1716008_24.php
- Page 20 -
C'est ainsi que la seconde révolution égyptienne qui intervient un an plus tard
en juin 2013 est soutenue par l'Arabie Saoudite, de même que le chef d’État major
des armées égyptiennes qui prend le pouvoir lors du coup d’État de la même année.
Les Saoudiens multiplient les financements du nouveau régime et les investissements
depuis l'élection du président Abdel Fateh Al-Sissi, et notamment l'accord et le
financement de la construction d'un immense pont au dessus de la mer rouge afin de
relier le royaume Saoudien avec la république égyptienne. Récupérant son influence
sur le pays et minimisant de fait celle que le Qatar avait obtenue la personne du déchu
président Morsi, l'Arabie Saoudite s'impose comme une superpuissance du sunnisme
dont l'autorité est assumée et revendiquée par celle-ci.
Lorsque l'on observe le positionnement de l'Arabie Saoudite dans les conflits
qui ont lieu à ses frontières directes, il est intéressant de constater que les moyens
déployés pour contrer les forces Houthis au Yémen sont diamétralement plus
importantes que celles mises à la disposition de la coalition en Irak et qui a pour but
de contrer l’État islamique. Bien que menacé à plusieurs reprises territorialement par
ce même État islamique, le Royaume Saoudien considère qu'il est un moindre mal en
comparaison avec une influence du chiisme couverte par l'Iran. La minorité chiite qui
vit dans le royaume (10% environ) est d'ailleurs surveillée avec attention par le
régime.
La République turque est composée à plus de 95 % de musulmans dont on
dénombre environ 20 % d'Alévis, une branche du chiisme. Mais l'histoire récente de
ce pays et la multitude de minorités religieuses en font une puissance régionale
sunnite à part mais qui ne doit cependant pas être minimisée. En effet, durant toute la
période de l'Histoire couvrant la suprématie de l'empire Ottoman, les Turcs exerçaient
de fait une tutelle directe des grandes instances de l'islam, ses lieux saints et une
autorité puissante pour la région. Néanmoins de nos jours, les intérêts de la Turquie
divergent fondamentalement de ceux des Saoudiens ou autres pays du Golfe. Recep
Tayyip Erdogan, 1er
ministre puis président de la Turquie depuis 2003 n'a eu de cesse
de faire valoir le côté islamique (et sunnite) de son pays, mais également Turc de
celui-ci, rejetant d'office les revendications culturelles, linguistiques et territoriales
des minorités que comporte la mosaïque ethnico religieuse du pays. Ainsi, les Alévis
chiites sont ils discriminés dans le pays, au même titre que les minorités chrétiennes20
ou encore yézidie. Il est cependant primordial de souligner, si l'on veut comprendre
les intérêts géostratégiques de la Turquie, que la minorité Kurde représentant 15
millions de personnes est la principale préoccupation des autorités d'Ankara.
20 - Les minorités chrétiennes sont nombreuses dans la région, on peut citer à titre d'exemple les
rites syriaques, arméniennes, grecques-orthodoxes et grecques-catholiques de rite latin.
- Page 21 -
Et bien que les Kurdes soient pour leur immense majorité des musulmans
sunnites, le gouvernement Turc s'efforce d'utiliser son influence pour contrer des
velléités indépendantistes à ses frontières intérieures et extérieures à la seule
exception du Gouvernorat Régional Kurde Irakien.
La Turquie cherche à minimaliser les revendications de sa minorité Kurde mais
n'hésite ainsi pas en revanche à apporter son soutien au Gouvernorat Régional du
Kurdistan de l'autre côté de sa frontière avec l'Irak. Ainsi à partir de 2011, un
rapprochement spectaculaire a eu lieu entre la Turquie du Premier ministre Recep
Tayyip Erdogan et le GRK du président Massoud Barzani. Aussi inattendu que
prolifique, ce rapprochement eut lieu en particulier à cause de deux facteurs. Le
premier étant bien entendu d'ordre économique, Le GRK souhaitant exploiter de
manière plus importante ses ressources en pétrole, n'a pas énormément de choix ni
d'interlocuteurs privilégiés vers qui se tourner. Baghdad étant farouchement opposé à
tout contrat pétrolier passé sans son contrôle, l'Iran étant sous le coup d'un embargo
imposé par l'allié Américain, et le régime Baasiste Syrien, s'il n'est pas encore trop
ébranlé à l'époque par la guerre civile n'est lui non plus pas, ou peu enclin à aider son
voisin Kurde dont il voit l'indépendance territoriale de mauvaise augure pour sa
propre minorité Kurde.
Deuxième facteur, la Turquie n'a pas vraiment eu son mot à dire lors de
l'instauration -voulue ou non- par la coalition occidentale d'un kurdistan indépendant,
et ne cherche qu'à tirer son épingle du jeu en s'attirant la sympathie et peut-être la
compréhension de son voisin avec lequel il devra négocier s'il veut affaiblir
durablement ou éradiquer les bases du PKK abritées dans le GRK dans les montagnes
du Qandil21
et qui menacent directement son intégrité territoriale.
Pour ce qui est de la position de ces protagonistes envers la Syrie et sur ce qui
en découle depuis le début de la guerre civile en 2011, un sous-chapitre complet sera
consacré à cette étude dans la troisième partie de notre recherche.
On l'a vu, tous les États dont la population est entièrement ou en partie issue de
la communauté musulmane sunnite n'ont pas que des intérêts communs dans le
conflit qui oppose les chiites à leurs congénères, néanmoins tous ces États fournissent
des ressources humaines en djihadistes pour combattre en Syrie et en Irak contre des
régimes ou des populations chiites considérées comme infidèles, et avec objectif de
s'installer dans les zones contrôlées par l’État islamique.
21 - Les montagnes du Qandil sont un bastion Kurde du PKK et une base arrière dans la lutte de
l'organisation contre la Turquie.
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B. Les rivalités contemporaines entre sunnites et chiites
1. Économique
La guerre froide que se livrent l'Iran et l'Arabie Saoudite ne peut être réduite à
une grille de lecture aussi manichéenne et simpliste que "chiites contre sunnites".
Certes, les tensions confessionnelles existent et sont réellement là, mais le clivage
chiite-sunnite est avant tout un puissant outil dans cette lutte d'influence économique,
politique, géostratégique et religieuse pour la région du moyen-orient. La crise
actuelle est fortement liée au résultat de l'état de panique dans lequel l'Arabie
Saoudite se trouve, et qui assiste de manière totalement impuissante au
bouleversement géopolitique d'une région dans laquelle elle avait il y a encore peu
une quasi-totale maitrise. Encouragés par l'accord sur le nucléaire signé entre Téhéran
occidentaux le 14 juillet 2015 et qui marque la déclassification de la République
islamique d'Iran comme État infréquentable, et son grand retour sur le devant de la
scène internationale.
En faisant des concessions sur son plan nucléaire et grâce à l'accord obtenu le
14 juillet 2015 avec les occidentaux, l'Iran parvient à revenir sur le devant de la scène
internationale, non seulement diplomatiquement mais aussi sur le plan économique.
Le dégel de ses actifs à l'étranger, l'embargo qui s'amenuise au fil des mois, et les
nouveaux accords commerciaux stratégiques à venir sont autant de rentrées d'argent
pour la République islamique que de tracas dans la tête des dirigeants Saoudiens qui
pensaient pouvoir empêcher cet accord qui vient directement revigorer son vieil
ennemi dans la région. A ce titre, les Saoudiens auront jusqu'au bout tenté de faire
pression sur la décision des occidentaux, multipliant les rencontres diplomatiques de
haut niveau afin de tuer dans l'oeuf le dégel amorcé des relations entre l'Iran et les
occidentaux.
D'un point de vue économique tout d'abord, cette évolution est plutôt un point
négatif pour le royaume Saoudien déjà confronté à une baisse du prix du pétrole
depuis quelques années, ce qui a fait drastiquement baisser son budget. En effet, le
ralentissement de la croissance Chinoise et donc de sa demande en matières
premières, les nouvelles exploitations de gaz de schiste aux États-Unis ainsi que la
surproduction des membres de l'OPEP pour pallier à la baisse du prix du baril de
pétrole sont autant de mauvaises nouvelles pour les Saoudiens. Suite à l'accord sur le
nucléaire obtenu avec l'Iran, le retour devant de la scène internationale permet
également au pays de faire son grand retour sur le marché des producteurs de pétrole.
Et Téhéran l'a clairement annoncé, sa production va augmenter jusqu'à retrouver un
niveau au moins comparable avec celui qu'elle avait sur le marché avant le début de
l'embargo.
- Page 23 -
Il est important de noter également que l'Iran a le contrôle du détroit d'Ormouz
au sud du Golfe Persique, par lequel transite près d'un tiers du traffic mondial de
pétrole et la République islamique a par plusieurs fois dans le passé brandie la
menace de bloquer le détroit en cas d'ingérences trop importantes dans ses intérêts.
L'accord trouvé en 2015 aura peut-être été en partie également influencé par cette
donnée qui aurait pu paralyser l'économie mondiale sur décision Iranienne. Tout cela
au grand dam des Israëliens et Saoudiens, alliés de circonstances sur le dossier
Iranien.
2. Religieuse
En matière de fraternité religieuse, les musulmans du monde entier sont quasi
unanimes sur le sort qui a été réservé aux peuple Palestinien, et celui-ci est vécu
comme une injustice. l'Iran ayant depuis bien longtemps compris cela, n'a cessé de
joindre l'acte aux paroles en finançant et en armant toute entité politique qui
s'opposerait à Israël et qui la combattrait. Cas très rare voire unique pour la région,
des chiites se sont accordés à travailler avec des sunnites, en l'occurrence ici avec
l'organisation du Hamas qui par sa réthorique et ses actions, a les mêmes ambitions
que les Iraniens. Celle de rétablir la Palestine telle qu'elle était avant la création de
l’État d'Israël. Si le soutien de l'Iran au régime Alaouite Syrien a été un sujet de
discorde avec les Palestiniens majoritairement sunnites, l'aide apportée par les
Iraniens au Hamas et au Jihad Islamique Palestinien a été durant de longue année
fondée sur des intérêts religieux et politique convergents. Des États sunnites comme
le Qatar semblent cependant prendre progressivement le relais sur l'Iran en se
rapprochant de ces mouvements afin d'étendre leur zone d'influence dans la région22
.
Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être citées, le parti de Dieu, le
Hezbollah Libanais dirigé par Hassan Nasrallah a été fondé en 1982 en réaction à
l'invasion Israélienne au sud-Liban et financé par l'Iran dès ses débuts. A l'inverse du
Hamas qui est une faction sunnite, le Hezbollah est un parti chiite, et très largement
influencé par la Révolution Islamique Iranienne de 1979, considérée comme un
modèle pour de nombreux chiites Libanais. Considéré comme un tête de pont pour
les Iraniens par les observateurs de tout bord, le Liban offre un accès à la mer
Méditérannée et depuis 2006, le Hezbollah joui d'une certaine popularité au Liban et
dans le monde musulman en général pour avoir su tenir tête à l'armée Israélienne et
mettre en échec ses opérations dans le sud-Liban.
22 - http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/23/01003-20121023ARTFIG00323-l-emir-du-
qatar-affiche-son-parti-pris-pro-hamas-a-gaza.php
- Page 24 -
Il est cependant nécessaire de ne pas faire d'amalgame dans cette guerre qui
pourrait paraître civilisationnelle. Il n'en est rien. Le Hezbollah est un allié de l'Iran
car leurs origines et intérêts sont communs dans certains domaines, mais même si les
chiites Libanais recherchent une stabilité politique et religieuse, ils ont à cela de
particulier qu'ils respectent profondément la pluri confessionnalité du pays. A ce titre,
ils s'arrogent même la liberté de s'allier avec les chrétiens contre les sunnites dans
certains domaines politiques23
.
De vives tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite ont éclaté en septembre 2015
lorsqu'un mouvement de foule massif fit plus de 2000 morts lors du pèlerinage à la
Mecque dont plus de 450 Iraniens. Après ce drame, les deux puissances régionales ne
sont pas parvenues à trouver un accord pour l'organisation de la sécurité lors du
pèlerinage qui doit se dérouler en 2016, empêchant de fait les Iraniens à se joindre au
pèlerinage.
Les lieux saints de l'islam que sont la Mecque et Médine sont d'ailleurs une
pomme de discorde entre les chiites du monde et l'Arabie Saoudite. Le chef du
Hezbollah Libanais, Hassan Nasrallah considère que la famille royale Saoudienne est
usurpatrice du titre qu'elle donne à la péninsule en donnant son nom au territoire qui
abrite les lieux saints. Le guide Ali Khamenei estime par ailleurs que les Saoudiens
ne méritent pas de gérer les lieux saints et appelle à un changement complet du mode
de gestion des villes saintes ainsi que du Hajj (pèlerinage à la Mecque, et cinquième
commandement de l'islam). En réponse, le grand mufti d'Arabie Saoudite Abdel Aziz
Ben al-Cheikh déclare que les Iraniens ne sont pas des musulmans et qu'ils n'ont,
partant de ce constat, aucun droit de revendication ni de contestation24
.
3. Politique
Extérieurement, l'Arabie Saoudite multiplie les coups de force en soutenant des
groupes rebelles sunnites en Irak et en Syrie ou encore en intervenant militairement
au Yémen, cependant intérieurement, le gouvernement est depuis toujours confronté à
la crainte que la minorité chiite d'Arabie Saoudite (environ 10%) ne se soulève contre
le régime et fasse le jeu de l'Iran qui cherche à propager sa révolution islamique dans
la région. La région du Hasa par exemple, située en Arabie Saoudite, région qui
concentre l’essentiel des gisements de pétrole du Royaume, est principalement
peuplée de chiites, et l'Arabie Saoudite est souvent pointée du doigt par les Iraniens
pour la marginalisation de cette population dont fait preuve le régime.
23 - http://www.lefigaro.fr/international/2006/08/07/01003-20060807ARTFIG90130-
les_chretiens_de_syrie_applaudissent_le_hezbollah.php
24 - http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/09/10/l-iran-relance-la-guerre-des-mots-
contre-son-ennemi-saoudien_4995565_3218.html?xtmc=pelerinage&xtcr=2
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En janvier 2016, l'Arabie Saoudite fait exécuter, en même temps qu'une
quarantaine de terroristes sunnites, le cheikh Nimr Baqr Al-Nimr, opposant et
dignitaire chiite, de citoyenneté Saoudienne. Formé en Iran et opposant considéré
comme modéré, il est élevé au rang de martyr par Ali Khamenei au lendemain de sa
mort. Celui-ci appelant à la vengeance de sa mort, l'annonce de son exécution fait
l'effet d'une bombe dans les milieux chiites où les manifestations ne désemplissent
pas durant des jours. Des chiites du monde entier se mobilisent pour dénoncer un acte
commis non contre un opposant politique considéré comme terroriste par Rihad, mais
contre la communauté chiite toute entière. Diplomatiquement, de nombreux pays
condamnent cette décision lourde de conséquence, qui est bien évidemment vécue
comme une provocation par l'Iran et par les milieux chiites en général.
A la suite de l'exécution du cheikh Al-Nimr l'ambassade d'Arabie Saoudite à
Téhéran ainsi que le consulat de Mashaad en janvier 2016 sont mises à sac par des
manifestants monstres, sous l'oeil avisé des autorité qui décident de laisser faire la
foule. Une grave crise diplomatique s'ensuit, et les autorités Saoudiennes décident de
rompre toute relations avec l'Iran, ce qui aggrave encore un petit peu plus la situation
régionale, où les deux principaux protagonistes de la région refusent désormais toute
forme de dialogue.
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C. La montée en puissance chiite de 2003 jusqu'aux printemps arabes
La notion même de « croissant chiite » nous vient du roi Abdallah II de
Jordanie. Le souverain Hachémite mettait en garde dès 2004 contre l'ingérence
Iranienne dans les pays de la région dont elle pourrait s'appuyer sur les minorités
chiites, et développer son influence jusqu'à obtenir un certain contrôle sur une région
qui partirait d'Afghanistan (la minorité Hazara étant chiite et ayant recouvré un peu
d'autonomie depuis la chute du régime des Talibans en 2001) jusqu'à la mer
Méditérannée. Il semblerait que les prédictions du monarque au jour d'aujourd'hui
aient été de la plus grande clairvoyance puisque l'Iran chiite est alliée du
gouvernement central Irakien, chiite également. Malgré la guerre civile Syrienne en
cours, l'Iran est un allié indéfectible du régime Alaouite chiite de Bashar Al-Assad et
lui prodigue conseils, armes et munitions, ressources humaines en combattants et
logistique appuyée dans sa lutte contre les groupes djihadistes sunnites et les
populations rebelles. Au Liban, le Hezbollah qui est un allié de Téhéran se livre
également volontiers à une aide militaire au régime Syrien voisin, et le leader Hassan
Nasrallah qui a été formé à Qom en Iran, reste sous influence et dépendance de son
parrain Perse.
Avec la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, les Iraniens prennent
d'une certaine manière leur revanche sur celui qui avait été l'agresseur dans la guerre
qui les a opposés à l'Irak de 1980 à 1988. De même que la population chiite Irakienne
accueille la liberté retrouvée en 2003 à la chute du dictateur, les Iraniens se mettent à
intensifier les investissements financiers dans le pays voisin et cela se voit
particulièrement dans les zones considérées comme saintes par les chiites. Les lieux
saints de Kerbala et de Najaf font preuve d'une attention toute particulière avec des
investissements Iraniens colossaux qui rénovent et enrichissent le patrimoine chiite
dont recèle l'Irak25
.
Faisant suite à la révolution islamique de 1979 dont le leader Khomeini avait
clairement annoncé que celle-ci avait pour vocation d'être exportée, l'Iran se retrouve
en position de force sur le plan religieux à partir de 2003 date où elle peut étendre son
emprise sur les populations chiites marginalisées d'Irak, dont elle est pour beaucoup
un leader reconnu, étant le seul État chiite à l'international, et disposant de ressources
qu'elle n'hésite pas à consacrer à un prosélytisme parfois outrancier qu'elle utilise à
des fins géostratégiques. La carte du « panchiisme » est ici clairement jouée par l'Iran
qui se présente comme le fer de lance de la défense des croyants d'obédience chiite.
Son clergé et ses centres de formation est à ce titre unique, et permet de former des
élites chiites qui, retournant dans leurs pays respectifs demeurent sous influence
directe de Téhéran qui étend ses réseaux.
25 - http://www.lefigaro.fr/international/2011/07/10/01003-20110710ARTFIG00219-l-iran-etend-
son-emprise-sur-l-irak.php
- Page 27 -
III. Le printemps arabe et les guerres par
procuration
A. Les changements de régime direct et leur conséquences
A partir de fin 2010, un élan de contestation secoue le Moyen-Orient et en
particulier certains pays arabes où les régimes, pour certains installés au pouvoir
depuis des décennies, se voient contraints de laisser le pouvoir, par démission, ou
poussés par la rue ou la force d'intervention occidentale. Ces contestations et
bouleversements ainsi que leurs répercussions sont ici fortement intéressants pour
situer dans certains cas le caractère religieux et les différentes influences octroyées
par des pays en théorie extérieur aux affaires internes de ces pays.
A l'origine, l'immolation d'un jeune Tunisien répondant du nom de Mohamed
Bouazizi à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010 vectorise la colère de la population
Tunisienne dont la jeunesse est fortement atteinte par le chômage, et la société par la
corruption. La date du 17 décembre 2010 est d'ailleurs retenue comme étant
l'étincelle des contestations qui vont secouer le monde arabe pendant l'année 2011 et
les nombreux bouleversements que ceux-ci apportèrent. Les nombreuses
manifestations qui secouent le pays se répètent et prennent de l'ampleur de jour en
jour à partir de la mort du jeune Bouazizi, et celles-ci finirent par avoir raison du
président Tunisien Zine Ben Ali qui s'enfuit le 14 janvier 2011 en Arabie Saoudite au
plus fort de la contestation. Cet évènement correspond à un bouleversement énorme
pour les dirigeants arabes voisins, et un espoir pour leurs peuples qui se diffuse à
travers tout le moyen-orient pour un changement en profondeur dans la société arabe
soumise depuis des décennies à des dirigeants la plupart du temps issues de
l'oligarchie ou de l'armée et usant de leur pouvoir de façon féroce pour réprimer les
populations.
- Page 28 -
Si cela reste anecdotique dans le cadre de notre recherche, il demeure
intéressant de noter ici que si les réactions internationales au mouvement
contestataire qui secoue la Tunisie en janvier 2011 commencent à prendre forme, la
France représentée par sa ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, qui
étant alors en vacances en Tunisie proposa d'apporter au régime Tunisien l'aide et les
compétences de la police française afin de réprimer de façon plus efficace les
protestations qui mènerait quelque jours plus tard au départ du gouvernement
Tunisien26
. Cet épisode fut vécu dans le monde et dans les pays arabe comme un
comble de l'ironie face au positionnement prit par les occidentaux dans le cadre des
changements de régime de 2011 au moyen-orient.
La contestation qui avait débutée initialement en Tunisie touche bientôt
l'Egypte et les manifestations secouent le régime d'Hosni Moubarak qui est obligé de
faire des concessions en changeant son Premier ministre. Rien n'y fait, et le vieux
dirigeant qui gouvernait seul l'Egypte depuis 30 ans est obligé de capituler face à la
pression de la rue le 11 février 2011.
En Libye voisine, le colonel Kadhafi réprime dans le sang les violentes
manifestations qui secouent son pays à partir du début de l'année 2011, il sera
finalement capturé par l'opposition armée le 20 octobre de la même année après que
l'ONU ait voté en faveur d'une exclusion aérienne sur le territoire Libyen et appuyé
de facto les forces d'opposition au régime du Guide Libyen en place au pouvoir
depuis quatre décennies.
De multiples manifestations et grèves secouent un peu partout le moyen-orient,
passant par le Maroc, l'Algérie, la Jordanie, la Palestine et le Liban. A Oman ou au
Koweit, sans que cette colère de la rue ne soit suffisament forte pour être entendue
par les dirigeants de ces pays, ou bien sans qu'elle n'y prête suffisamment attention.
Le point commun néanmoins fortement intéressant ici est que mis à part le Liban et
oman, ces pays sont tous issus de populations arabes et sunnites dont les querelles
d'influences entre chiites et sunnites n'ont absolument pas lieu d'être dans la société.
Les printemps arabes de 2011 et les bouleversements sociétaux qui en
découlent ont eu cela de particulier qu'hormis l'intervention occidentale en Libye,
elles se sont toutes déroulées rapidement dans le temps, et engagées par des forces
intérieures. La jeunesse des populations et leur soif de liberté conjuguées à la rapidité
de circulation de l'information à l'ère du numérique ont fait de ces évènements une
première dans l'histoire par leur ampleur et leurs répercussions.
26 - http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/13/tunisie-les-propos-effrayants-d-alliot-marie-
suscitent-la-polemique_1465278_3212.html
- Page 29 -
B. Les contestations larvées par les ingérences étrangères
1. Libye
Nous l'avons vu, la Libye n'a pas échappé au vent de contestation et de soif de
liberté qui souffla sur les côtes nord-africaines en ce printemps 2011, mais la
particularité de la fin du régime Libyen de Mouhammar Kadhafi est qu'elle n'aurait
peut-être jamais eu lieu sans l'intercession des membres du conseil de l'ONU qui sont
intervenues par la voie des airs dans le pays afin de protéger les civils qui étaient
victimes d'un matraquage quasi systématique par les forces gouvernementales au
cours de l'année 2011. Ce particularisme se ressent également dans la période post-
régime dans le fait que les forces d'oppositions ainsi que les nombreuses milices
tribales de Misrata, Benghazi et Tripoli ne parviennent pas à trouver un accord vers
une transition démocratique commune. A cela l'Histoire retiendra qu'à la suite des
printemps arabes souffle l'hiver islamiste. Le pays devient bientôt la proie de luttes
fratricides entre diverses factions sunnites plus ou moins intégristes pour certaines,
démocratiques pour d'autres et carrément islamistes avec la montée en puissance de
l’État islamique dans le pays à partir de 2014.
2. Yémen
Au début de l'année 2011, dans la suite des précédents Tunisiens et égyptiens,
le peuple du Yémen est dans la rue. Le mouvement de contestation prend de
l'ampleur et celui-ci qui était à l'origine cantonné à la capitale Sana'a se propage aux
grandes villes du pays. Les manifestants, s'inspirant des même raisons eet
revendications que les pays voisins, réclament une application réelle de la démocratie
et que la corruption qui gangrène la société yéménite soit combattue avec fermeté.
Enfin, le Yémen est l'un des pays arabes les plus pauvres, et le peuple souhaite
obtenir des conditions de vie plus hautes, ainsi que le départ du président Ali
Abdallah Saleh qui semble figé au pouvoir depuis plus de 20 ans. Si les
manifestations se veulent à l'origine pacifique, leur ampleur et recrudescences vont
basculer le gouvernement dans le camp de la violence qui fait tirer sur la foule le 18
mars 2011. L’État d'urgence est alors décrété et l'enlisement de la situation avec la
montée en puissance des opposants au régime ainsi que l'influence de la société
tribale yéménite font dégénérer la contestation pacifique en un conflit armé. Le palais
présidentiel est victime d'un bombardement le 3 juin et le président Saleh qui est
blessé dans l'attaque s'enfuie en Arabie Saoudite pour s'y faire soigner. A son retour
de convalescence, le président accepte de démissionner et le 21 février 2012, le vice-
président Abd Rabbo Mansour Hadi est élu nouveau président de la République du
Yémen.
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Jusqu'ici, on pourrait croire que les évènements de l'année 2011 survenus au
Yémen et jusqu'à l'élection du président Hadi en 2012 n'ont rien de particulier dans le
prisme des changements de régime des printemps arabes. A cela près que l'influence
de l'Arabie Saoudite dans ce qu'elle considère son arrière-cour n'a cessée de grandir
au cours des évènements, appuyant intialement le président Saleh avec qui elle
entretenait de bonnes relations au cours de son règne, et avec le président Hadi sont
elle a saluée l'élection dans le cadre d'un processus démocratique qu'elle avait elle-
même proposé27
.Il semblerait cependant que les conséquences de la révolution
yéménite se sont fait sentir avec le coût humain28
, de même que sur le plan
économique. Le Yémen était déjà le pays le plus pauvre de la péninsule arabique,
mais bientôt une rude inflation de 40% sur les denrées alimentaires et de près de
600% sur les ressources énergétiques vient frapper le pays et son très précaire
gouvernement.
Il faut savoir que si le Yémen est un pays pauvre au sein de la péninsule
arabique, ses élites, elles étaient fort bien loties jusqu'à la révolution de 2011, ce qui
n'était pas le cas de l'immense majorité de la population qui demeure par ailleurs,
multiconfessionnelle. La particularité de la répartition démographique et
géographique du Yémen est tout d'abord que 90% de la population y vit sur le tiers
ouest, et du nord au sud sur les hauteurs des monts Sarawat jusqu'au port côtier
d'Aden. La population est divisée entre une moitié sunnite majoritaire (55%) et une
autre, de très peu minoritaire (45% environ) d'obédience chiite zaydite vit dans le
nord. Et c'est précisément cette population chiite qui se sent marginalisée sur le plan
politique, économique et religieux depuis toujours qui déclenche à partir de 2004 la
guerre du Sa'dah qui n'aura de cesse de prendre de l'ampleur au cours de la décennie
jusqu'à prendre contrôle du pays tout entier en 2015.
Fondée et dirigée par le leader Abdul-Malik al-Houthi qui donne son nom aux
rebelles, les Houthis. Cette insurrection serait soutenue par l'Iran, et si quelques
preuves sont parvenues jusqu'à nous, les autorités de Téhéran ont jusqu'ici toujours
été très discrètes quant à leur implication réelle dans le conflit communautaire qui
secoue le Yémen. Néanmoins, le 23 janvier 2013, les autorités yéménites déclarent
avoir saisi un navire de contrebande où étaient dissimulées des armes, incluant des
missiles anti-aériens en grande quantité, et dont la provenance semble tout droite
venue d'Iran29
.
27 - En accord avec le plan des monarchies du Golfe pour un mandat intérimaire de deux ans. En
échange, Saleh reçoit une amnistie.
28 - Plus de 2000 morts dénombrés et 10 fois de bléssés.
29 - http://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-Yemen-confirme-la-saisie-d-armes-a-bord-d-
un-navire-iranien--16006148/
- Page 31 -
A partir de la révolution yéménite, la rébellion Houthiste qui jusqu'ici se
cantonnait à son fief de Sa'dah prend progressivement de l'ampleur jusqu'à venir
menacer directement la capitale Sana'a qu'ils finissent par occuper militairement. La
rébellion prend de l'ampleur et s'illustre dans le coup d’État de janvier 2015 visant le
Président démocratiquement élu Abd-Rabbo Mansour Hadi. Le cousin du fondateur
de la rébellion Houthi, Mohammed Ali al-Houthi est nommé président du comité
révolutionnaire de République du Yémen.
Dès mars 2015, des accords de partenariat sont signés entre les nouveaux
maîtres de Sana'a et la république islamique d'Iran. Un avion iranien atterit dans la
capitale yéménite pour la première fois depuis 1990, et le président Iranien salue la
prise de pouvoir des Houthis, soutenant qu'ils sont un vecteur de stabilité et de paix
pour le pays30
. Le président du parlement Iranien déclarera également que le coup
d’État était une suite de la révolution islamique de 1979 et ouvrait un nouveau
chapitre des relations entre l'Iran et ce pays.
Le président Hadi, reconnu comme seul légitime président en exercice parvient
à fuir Saan'a vers le port côtier d'Aden. L'Arabie Saoudite qui a toujours pris parti
pour ce dernier, se décide à intervenir militairement au Yémen, et forme une coalition
d'une dizaine de pays sunnites afin de chasser les Houthis, cherchant à récupérer son
emprise sur le pays en rétablissant le président devenu de facto déchu, depuis la prise
de la capitale par les rebelles. L'opération « Tempête décisive » débute le 25 mars
2015, et le gouvernement Iranien voit alors dans cette intervention une attaque des
Arabes sunnites contre les Arabes chiites, et le chef d’État-major des armées parle de
terrorisme d’État, en désignant le Royaume Saoudien. Le 21 avril 2015, l'opération
militaire toujours dirigée par les Saoudiens « Restaurer l'espoir » succède à la
première opération qu'ils avaient lancée un mois plus tôt, et se veut dans la continuité
de celle-ci. Cherchant à détruire les infrastructures des Houthis et à limiter autant que
possible l'influence que la rébellion chiite, au mépris des règles d'engagement
militaires et civiles. Des ONGs comme Human Right Watch pointent régulièrement
du doigt les bombardements civils de la coalition31
.
30 - http://www.middleeasteye.net/news/iran-supporting-stability-yemen-rouhani-2123987899
31 - https://www.hrw.org/fr/news/2016/05/04/yemen-il-faut-aborder-la-question-des-crimes-de-
guerre
- Page 32 -
3. Bahreïn
Dans la foulée de la vague de contestation des printemps arabes, le cas de
Bahreïn est assez particulier dans la mesure où le pays est majoritairement chiite
(environ 65%), mais dirigé par la famille royale Al-Khalifa d'obédience sunnite et
alliée de l'Arabie Saoudite et des États-Unis. Là encore, les manifestants demandent
plus de démocratie et de liberté, une meilleure répartition des immenses richesses du
pays. Si la religiosité des revendications ne sont pas principales, il est commun de
simplifier parfois un peu trop rapidement l'opposition entre le pouvoir sunnite
minoritaire et la population chiite majoritaire. En réalité, si les revendications des
manifestants étaient plutôt d'ordre socio-économique, le contexte régional vint
rapidement s'immiscer dans la contestation et les manifestants appelèrent à la
destitution de leur souverain, ne se sentant pas représentés par celui-ci. Après trois
semaines de manifestations, l’État d'urgence est instauré, et des forces de sécurités
Saoudiennes et émiraties interviennent à Bahrein pour écraser la rebellion32
, ce qui
donnera lieu à des condamnations de par le monde, à commencer par l'Iran. Les
Saoudiens cherchant avec cet interventionnisme limiter les possibilités d'extension
d'influence de l'Iran dans le petit royaume du Golfe.
32 - http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/14/01003-20110314ARTFIG00623-les-forces-
saoudiennes-penetrent-a-bahrein.php
- Page 33 -
C. La guerre civile Syrienne
1. La contestation de la rue devient une guerre civile
Dans la foulée des printemps arabes qui secouent la région en ce début d'année
2011, le régime Baassiste Syrien doit lui aussi faire face à une vague de contestation
populaire dont les revendications sociales et politiques sont sans précédent. A l'instar
de la Tunisie ou de l'Egypte, les demandes principales des manifestants sont des
réformes permettant une démocratie réelle et appliquée, et une meilleure combativité
envers la corruption qui gangrène tous les échelons de la vie politique jusqu'à la vie
sociale Syrienne. À partir du vendredi 18 mars 2011, des milliers de manifestants se
rassemblent dans les villes de Damas, de Homs, de Banias mais également à Deraa
qui sera l'un des foyers de la contestation.
Le Président Syrien Bachar el-Assad ordonne alors la répression de ces
manifestations, ce qui entraînera des centaines de morts et des milliers de blessés dès
les premières semaines de la contestation populaire. Dans la population, ce sont des
dizaines d’opposants au régime qui sont arrêtés et envoyés dans les geoles du régime.
À partir du 25 mars, et malgré la féroce répression qui s'orchestre, le mouvement
commence à s'étendre aux principales villes du pays. Dans le même laps de temps,
des manifestations pro-gouvernementales sont organisées à Damas.
Face à la férocité du régime envers les manifestants, de plus en plus de soldats
de l'armée arabe Syrienne font défection et vont rejoindre les rangs des manifestants
et bientôt un point de non-retour est atteint. Face à l'armée qui est de plus en plus
mobilisée à travers le pays pour contrer les manifestations qui se font de plus en plus
violentes en réponse aux attaques armées du régime, le mouvement contestataire se
mue progressivement en une guérilla armée. Les déserteurs de l'armée ainsi que de
nombreux civils rejoignent ce qui devient l'armée Syrienne libre. Au fil des jours,
certains quartiers des villes rebelles sont pilonnés par les obus de mortier ou sont
bombardés par des avions de chasse de l'armée de l'air Syrienne. Juillet 2012, près de
six mois après le début de la contestation pacifique, la Croix-Rouge et le Croissant
Rouge déclarent le pays en état de guerre civile et tirent la sonnette d'alarme face à ce
qu'ils considèrent comme étant une grave crise humanitaire en devenir33
.
33 - https://www.icrc.org/fre/resources/documents/update/2012/syria-update-2012-07-17.htm
- Page 34 -
En juillet 2013, les Nations Unis estiment que la guerre civile qui fait rage
depuis déjà plus d'un an en Syrie a fait plus de 100 000 morts, et moins d'un an plus
tard, en avril 2014, l'OSDH, une ONG Syrienne rebelle qui tient lieu de source
d'information privilégiée des occidentaux, en dénombre plus de 150 000. Ce nombre
augmente à près de 300.000 morts à l'été 2016 ainsi que plus de deux millions de
blessés, cinq millions de réfugiés ainsi que plus de huit millions de déplacés à
l'intérieur même des frontières du pays. Ces chiffres accumulés représentent plus de
la moitié de la population totale de Syrie recensée avant le début du conflit.
2. Le conflit vu dans son ensemble
Si la contestation du régime Syrien avait à l'origine pour but d'obtenir des
réformes socio-éconmique revendiquées par le peuple Syrien de façon pacifique, de
nombreux facteurs vinrent rapidement chambouler une situation qui pouvait paraître
anodine dans le contexte des contestations populaires qui secouent le moyen-orient.
La brutalité avec laquelle le régime a réprimé ces manifestations tout d'abord, a fait
en sorte que les revendications des manifestants ont vite évoluées vers un
changement clair de régime, et vers la démission ou la chute du Président Bashar Al-
Assad.
Dans la foulée de la formation de groupes de rebelles armés qui étaient à la
base tous ligués contre le régime, on s'aperçoit qu'assez rapidement, ces groupes de
rebelles ne répondent pas forcément tous aux mêmes aspirations ni aux mêmes
objectifs dans l'hypothèse d'une déchéance du régime. L'Armée Syrienne Libre dite
modérée qui est encore jusqu'en 2012 l'une des constituantes principale de la
rébellion se fait de plus en plus supplanter par des groupes rebelles islamistes tels que
le front Al-Nosra qui s'implante durablement dans la région d'Alep.
Dès juillet 2012, L'armée Syrienne se retire du Kurdistan Syrien, dans le nord
du pays afin de se redéployer à Alep et sur d'autres fronts considérés comme plus
urgents et vitaux pour le régime34
.
34 - Tel que la zone côtière et la région de Tartous, la ville de Lattaquié, ou encore à Damas.
- Page 35 -
Dans la Syrie en guerre, de plus en plus de ces groupes de rebelles islamistes
apparaissent au cours de l'année 2013 et le président Bashar el-Assad se présente
comme un rempart de la nation laïque face à ces extrémistes. Il est néanmoins accusé
de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par l'ONU pour des attaques
chimiques commises à l'encontre de la population civile35
. Depuis le début du conflit,
l'une des armes de prédilection du régime est de jeter du haut d'hélicoptères des barils
remplis d'explosifs sur des quartiers rebelles, ce qui témoigne de la non-considération
des dirigeants du pays pour sa population civile, même face à des groupes rebelles
armés.
Le 14 février 2013, le Front al-Nosra s'empare de points stratégiques dans la
région du nord-est, et progressivement l'armée Syrienne déserte la région, gardant une
garnison à Hassaké et une autre à Deir-ez-zor. Le mois suivant, le chef-lieu de la
province de Raqqa tombe aux mains d'une coalition de rebelles islamistes ou modérés
tels que Ahrar al-Sham, al-Farouq et Ahfad al-Rassoul de l'ASL et du Front al-Nosra.
C'est là un tournant majeur du conflit puisque les rebelles sont parvenus à conquérir
une ville d'importance stratégique et à en nettoyer complètement toute trace du
gouvernement central.
A partir d'avril 2013, et face à tant de groupes rebelles morcelés à travers le
territoire, le groupe État islamique en Irak et au Levant fait son apparition en Syrie,
s'implantant progressivement à Raqqa qui deviendra à partir de juin 2014 la capitale
de son auto-proclamé Caliphat. Le groupe est considéré comme terroriste par la
totalité des belligérants du conflit et s'illustre par de très violentes batailles contre
tous ceux qui refusent leur visions et leurs règles. Ces règles étant de suivre un islam
sunnite épuré de toute évolution, un strict retour à la charia du temps du prophète
(VIIème siècle) et une propagation de la doctrine partout dans le monde.
En 2016 date de notre recherche, la Syrie est toujours morcelée en de multiples
zones contrôlées par le régime, des rebelles, modérés ou islamistes, des Kurdes dans
la zone du Rojava déclaré indépendant de facto par la minorité Kurde en novembre
2013, ainsi qu'un immense territoire contrôlé par l’État islamique réparti à cheval
entre la Syrie et l'Irak voisine.
35 - http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/retour-sur-l-attaque-chimique-du-21-
aout-a-damas_3467538_3218.html
- Page 36 -
L'une des composantes de la guerre civile Syrienne est sans aucun doute son
caractère confessionel qui se retrouve dans les revendications de part et d'autres des
belligérants. Le régime Syrien issu du parti Baas se veut laïc, et protecteur des
minorités religieuses nombreuses en Syrie, néanmoins une grande partie de
l'administration et la quasi totalité des postes clés sont confiés à la minorité Alalouite
chiite, ce qui a eu don de cristalliser les rancoeurs envers cette population qui ne
représente que 10 à 15 % de la population Syrienne. La grande majorité de la
population étant de confession sunnite. Et si l'on ne peut objectivement et
raisonnablement pas confiner le conflit Syrien en une guerre qui opposerait les chiites
aux sunnites, il n'en demeure pas moins qu'au fil des années de guerre, une rancoeur
particulière s'est créée contre la communauté alaouites et contre leurs alliés chiites
d'une façon plus générale. Parmi les forces d'opposition, la quasi-totalité sont des
musulmans sunnites, mais il existe également de nombreux sunnites qui restent
loyalistes et vivent dans des zones tenues par les forces gouvernementales et restent
au contact des chrétiens et des chiites sans que cela ne génère des sources de conflits.
3. Ingérences étrangères dans le conflit (cf. annexe n° 3)
Parmi les soutiens étrangers de la première heure au régime Syrien, on peut
compter le Hezbollah Libanais, voisin direct, proche géographiquement mais
également culturellement. Les cadres du régime Syrien étant chiites, tout comme le
sont ceux du Hezbollah qui intervient au côté de son allié dès 2012 en fournissant des
milliers de combattants.
Le Hezbollah étant lui-même soutenu par les Iraniens, ces derniers sont
également un allié indéfectible au régime alaouite avec lequels ils travaillent
étroitement depuis le début de la contestation. Fournissant armes, logistique,
informations et combattants, les Iraniens sont présents en Syrie dès le début de la
contestation et cherchent à tout prix à conserver leur allié stratégique dans la région
dont il perdrait toute influence si le régime basculait. Des miliciens du « Corps des
Gardiens de la révolution islamique » qui sont sous ordre direct du Guide de la
Révolution Ali Khomenei, sont déployés en Syrie dès 2011 et continuent à se battre
au côté des troupes gouvernementales tout au long du conflit. Le général Iranien
Qasem Soleimani36
en est l'un des dirigeants sur le front Syrien.
36 - http://www.bbc.com/news/world-middle-east-27883162
- Page 37 -
L'Iran est également le parrain de nombreuses milices chiites issues du moyen-
orient telles que Hezbollah, mais également l'Organisation Badr Irakienne et elle
organise la logistique pour ces miliciens et leur affrétement vers la Syrie. De
nombreuses troupes de l'armée Syrienne sont également entraînées les Gardiens de la
Révolution Iranienne. Enfin, l'Iran fournit à la Syrie une aide financière annuelle pour
l'aider à se maintenir à flot dans un pays dont elle ne contrôle plus qu'une partie
réduite, et aux infrastructures détruites dans leur quasi-intégralité.
La Russie est, enfin, l'un des autres grands soutiens du régime Syrien. Alliés
depuis l'époque de la Guerre-Froide, les Russes entretiennent avec les Syriens une
relation indéfectible depuis le début du conflit, jusqu'à intervenir militairement en sa
faveur à partir du 30 septembre 201537
sur le théâtre des opérations en Syrie. Le port
côtier de Tartous étant la dernière base navale dont dispose les Russes en mer
Méditérannée, il va sans dire que le maintien en place du régime Syrien est
primordial dans les intérêts géostratégiques des Russes. Ainsi c'est elle qui déjà en
2012 refroidie les velléitées d'interventionnisme de la part des Français et des
Américains, en s'opposant à toutes sanctions contre le régime qu'elle soutient. A partir
de l'été 2015, la Russie alimente le régime Syrien en armes et intervient militairement
afin de protéger les zones considérées comme primordiales et « vitales » du régime
qui commençaient à devenir dangereusement menacées par les rebelles, notamment le
long de la côte, bastion de la communauté Alaouite.
Du côté de l'opposition, l'Armée Syrienne Libre qui avait pris le contrôle de
différents bastions la première année du conflit s'est morcelée au fil du temps en une
myriade de groupes de combattants agissant principalement autour de la zone allant
de Alep jusqu'à Damas et qui est soutenue outre les occidentaux, par la Turquie et les
monarchies du Golfe.
37 - http://www.rfi.fr/moyen-orient/20160210-intervention-russe-syrie-bouleverse-echiquier-
bachar-rebelles
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Face à l'expansionnisme jugé dangereux et menaçant de l’État islamique à
partir de l'été 2014, les Américains forment une coalition occidentale et débutent une
campagne d'intervention aérienne à partir du 23 septembre 2014, principalement en
soutien aux milices kurdes et rebelles modérées qui combattent l’État islamique38
. La
France se joindra à la coalition en frappant des éléments de l'organisation terroriste à
la suite des attentats dont elle fut victime en 2015. Par ailleurs les occidentaux
financent, entrainent et soutiennent diverses factions de rebelles modérés au sol, en
plus des YPG kurdes dans le nord de la Syrie, dans le but premier de combattre l'EI.
Si la Turquie voyait aux premières de la contestation en Syrie une occasion
pour elle de changer un régime avec lequel elle entretient des relations rarement au
beau fixe, celle-ci a fait volte face en 2016 à la faveur d'un retournement d'alliance
progressif avec la Russie dont elle s'est rapprochée au printemps 2016 mais surtout
face à l'expansionnisme des populations kurdes dans le nord de la Syrie. Elle
intervient au sein de la coalition occidentale menée par les États-Unis, mais
également au sol depuis août 2016 dans le nord de la Syrie où elle entend créer une
zone tampon avec le Rojava Kurde. La Turquie a longtemps été accusée de collusion
avec l’État islamique dont les relations ambigües ont jeté le trouble sur les réelles
intentions d'Ankara dans la lutte contre l'organisation terroriste.
Le jeu de l'arabie Saoudite est trouble dans le cadre de son ingérence supposée
dans le cadre de la guerre civile Syrienne. Le Royaume Saoudien tient
particulièrement à contenir et si possible à contrer par tous les moyens possibles
l'influence grandissante de l'Iran dans la région. S'appuyant sur les conservateurs
sunnites, la société tribale et les officiers déserteurs, les Saoudiens soutiennent
également des groupes salafistes qu'ils diligentent contre le régime Syrien. Face à la
montée en puissance des groupes de salafistes et de djihadistes qu'ils ont eux-mêmes
financés, ils finissent par se désolidariser de ceux-ci, craignant que la contestation de
la légitimité du régime Saoudien ne devienne leur prochaine cible, ce qui pourrait
affaiblir voire déstabiliser le royaume.
Chacun allant de pair avec ses alliés et défendant ses intérêts, le territoire Syrie
se voit de plus en plus morcelé au cours des six années de guerre civile où s'affrontent
par factions interposés les luttes d'intérêts entre toute cette multitude de protagonistes.
38 - La bataille de Kobane dans la région Kurde au nord de la Syrie, joue ici un rôle primordial dans
le début des interventions occidentales en Syrie en 2014.
http://www.lemonde.fr/international/visuel/2014/10/15/comprendre-la-bataille-de-kobane-en-
quatre-cartes_4506678_3210.html
- Page 39 -
Conclusion
L'invasion américaine de l'Irak en 2003 eut pour conséquence principale, outre
la guerre civile qui s'ensuivit dans le pays, de renverser un équilibre jusqu'ici bien
établi des influences qu'exercent les puissances sunnites et chiites de la région. Sans
forcément avoir toujours des liens entre eux, la succession d'évènements dont nous
avons parlé au cours de cette recherche est d'une importance majeure pour quiconque
cherche à comprendre la situation dans laquelle se trouve les deux principales forces
en présence dans la région que sont l'Iran et l'Arabie Saoudite.
Face à ces deux « blocs » qui se font face, l'un chiite et l'autre sunnite, une
véritable lutte d'influence et guerre de religion se déchaîne depuis 2003. La chute du
régime Baasiste de Saddam Hussein, sa capture et sa pendaison, ayant bouleversé
l'échiquier géopolitique, l'Iran cherche à étendre son influence et trouve dans le
gouvernement chiite de Nouri Al-Maliki, 1er ministre de l'Irak de 2006 à 2014 un
allié de poids. Cherchant à développer son influence dans la région, les Iraniens
parviennent à petit à petit à investir dans les infrastructures du pays, gagnant la
sympathie de la population chiite qui trouve en son grand voisin un parrain et un
protecteur face aux extrémistes sunnites qui les menacent de plus en plus. En 2014,
un point culminant est atteint avec l'arrivée en Irak de l'organisation de l’État
islamique qui s'empare de pans entiers du territoire irakien, cristallisant une fois de
plus les tensions dans la population.
Le parrainage iranien du Hezbollah libanais offrait déjà avant 2003 un allié
pour l'Iran dans la région, mais c'est véritablement au cours de la guerre civile
syrienne que l'Iran s'illustre comme un protagoniste influant et extrêmement puissant
pour la région. Dans le même temps, l'Arabie Saoudite ainsi que les pays sunnites du
Golfe et la Turquie financent et arment des groupes combattants le régime syrien. Dès
lors que les deux blocs s'affrontent sur un territoire extérieur, c'est bien une guerre de
« proxys » qui se joue pour obtenir l'hégémonie dans une région très hétérogène en
terme de religions. L'avantage de l'Iran face à son rival est certainement d'être le seul
pays de la région à être constitué presque uniquement de chiite et d'être présenté
comme le représentant des chiites du monde. Le Guide de la Révolution étant une
autorité respectée bien au-delà des frontières de l'Iran, et tout particulièrement en ces
périodes de crise et de contestations.
- Page 40 -
Si l'Iran a réussi à prendre un certain avantage dans des pays comme l'Irak ou
la Syrie, il n'en reste pas moins que son rival saoudien n'entend pas perdre
complètement le contrôle, ainsi l'Arabie Saoudite intervient-elle militairement au
Yémen contre les Houthis chiites avec une coalition militaire de pays sunnites qu'elle
dirige. Il en fut de même à Bahreïn en 2011 lorsque la population chiite contestait le
pouvoir en place, tandis les Saoudiens vinrent en renfort au gouvernement de la
famille al-Khalifa, sunnite.
Si l'Arabie Saoudite est de longue date un allié privilégié des occidentaux, au
même titre que les Qataris ou de nombreux pays de la région d'origine sunnite, elle se
voie directement menacée en 2015 face à l'accord sur le nucléaire Iranien qui non
seulement propulse son rival sur le devant de la scène internationale, mais vient
directement menacer son économie. Le dégel des sanctions et l'embargo infligé à
l'Iran, fait réintégrer le pays de fait dans le cercle des pays producteurs de pétrole.
Économiquement, c'est un coup de massue sur la tête du Royaume Saoudien qui doit
faire face déjà à une diminution de son budget, rimant avec la diminution des coûts
du pétrole qu'elle exporte massivement et dont son économie dépend. A l'inverse,
c'est une excellente nouvelle pour les Iraniens qui entendent récupérer la place qui
était la leur avant le début des sanctions occidentales, c'est à dire être le troisième
pays producteur de pétrole au monde et autant de devises qui rentrent pour la
République islamique.
Politiquement enfin, l'Iran semble de plus en plus sortir du club des
infréquentables comme cela le fut tout au long de ce début de millénaire. Alliés des
Russes qui sont également un protagoniste de la première importance dans le conflit
qui se joue en Syrie, la communauté internationale a bien compris que la guerre civile
qui fait rage en Syrie ainsi que le problème que pose l’État islamique ne se
résoudraient pas sans intégrer les chiites dans le dialogue. A contrario, si le
« renouveau » iranien depuis quelques années a pu accroître son influence, il a
également eu le don de cristalliser des tensions déjà sensibles entre les sunnites et les
chiites.
La géopolitique est un sujet d'étude qui n'a de cesse d'évoluer, et force est de
constater que le statu-quo opérait encore en 2003 a bel et bien volé en éclat. Le roi
Abdallah II de Jordanien lorsqu'il parlait de l'influence iranienne dans le croissant
chiite n'aurait pu être meilleur prophète en son temps à ce sujet. L'influence dans la
région du croissant chiite depuis quelques années de l'Iran est indéniable. Jouant sur
la carte du « panchiisme » elle représente un leader incontesté et continue de se forger
des intérêts et une emprise en constante augmentation sur des régions entières de pays
qui dépendaient autrefois de dirigeants sunnites. En 2016 et pour les décennies encore
à venir, la République islamique d'Iran tiendra un rôle prédominant dans la résolution
des immenses défis qui attendent la région du Moyen-Orient, et tout particulièrement
au sein de « son » croissant chiite.
- Page 41 -
Bibliographie :
1. Ouvrages
- BADIE Bertrand - Le Temps des Humiliés, Odile Jacob, Paris 2014
- BOZO, Frédéric - Histoire secrète de la crise irakienne : La France, les États-
Unis et l’Irak (1991-2003), Perrin, Paris 2013
- COLOSIMI Jean-François - Le Paradoxe persan. Un carnet iranien, Fayard 2009
- JAHANCHAHI Amir – L'Hitler Iranien. En finir avec la dictature d'Ahmadinejad,
Jean-Claude Gawsewitch, Paris 2009
- MAALOUF Amin – Les identités meutrières, Grasset. Paris 1998
- VARENNE Jean – Zoroastre, le prophète de l'Iran. Dervy Poche, Paris 2012
2. Documentaires
- Kamal Redouani. Islam contre Islam. TAC PRESSE - Diffusé sur : Spécial
Investigation, Canal + (France, 2015,50 min)
- FRITEL Jérôme - Daech, naissance d’un État terroriste. Coproduction : ARTE
GEIE, Pac Presse (France, 2014, 52mn)
- Page 42 -
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Mémoire Xavier-Loup Beirnaert - IRIS SUP Septembre 2016

  • 1. Lutte d'influence et guerre de religion dans le croissant chiite depuis l'invasion américaine de l'Irak en 2003 Xavier-Loup Beirnaert Master I – Relations Internationales Année Universitaire 2015-2016 IRIS SUP' PARIS MÉMOIRE DE RECHERCHE Sous la direction de Mr Nicolas Kazarian, chercheur associé à l’IRIS, en charge de l’Observatoire géopolitique du religieux. Imprimé en septembre 2016 - Page 1 -
  • 2. Samarcande La Perse est malade, [...]. Il y a plusieurs médecins à son chevet, modernes, traditionnels, chacun propose ses remèdes, l'avenir est à celui qui obtiendra la guérison. Si cette révolution triomphe, les mollahs devront se transformer en démocrates ; si elle échoue, les démocrates devront se transformer en mollahs. Amin Maalouf - Page 2 -
  • 3. Sommaire Introduction……………………………………………..…………………….…....…....4 I. Les raisons et conséquences directes de l'invasion de l'Irak en 2003.8 A. Les raisons de l'intervention en Irak et le statu-quo d'avant 2003………………………..8 B. Les conséquences directes du changement de régime en Irak…..…….….………….....12 C. La confessionnalisation du conflit…………………………………….……………….15 II. Affrontements idéologiques et économiques entre deux «blocs »...20 A. Les sphères d'influence « Sunnite » à travers le Moyen-Orient………………………...20 B. Les rivalités contemporaines entre sunnites et chiites………………………………..…23 C. La montée en puissance chiite de 2003 jusqu'aux printemps arabes.………………...…27 III. Le printemps arabe et les guerres par procuration………….…...28 A. Les changements de régimes direct et leur conséquences……….………….…………..28 B. Les contestations larvées par les ingérences étrangères………………………………...30 C. La guerre civile Syrienne …………………………………………………………........34 Conclusion……………………………………………………………....……..…….....40 Bibliographie………………………………………………………………………......42 Annexes…………………………………….…………………………....…….......…….45 - Page 3 -
  • 4. Introduction Le terme de «bipolarisation» a fait apparition du temps de la guerre froide afin de désigner une opposition politique entre deux blocs, entités ou représentations liées à ces mêmes blocs. D'un côté, les États-Unis et de l'autre l'Union soviétique. Utilisé jusqu'au début des années 1990, celui-ci est récemment réapparu pour un contexte cependant bien différent de celui que nous connaissions jusqu'alors. Dans le cadre de notre recherche, cette bipolarisation sera ici représentée par l'Iran chiite d'un côté, et l'Arabie Saoudite sunnite de l'autre. On notera que plus globalement, les pays du Golfe ainsi que la Turquie peuvent être ajoutés au bloc « sunnite » bien que les intérêts de ceux-ci divergents à divers égards de ceux des Saoudiens. Le Moyen-Orient (traduction anglaise de Middle-East) est une zone géographique et géopolitique comprise généralement1 entre la Turquie au nord-ouest, l'égypte au sud-ouest, le Yémen au sud-est et l'Iran au nord-est, incluant de ce fait des pays, des civilisations et des peuples reconnus à travers l'Histoire comme ayant des rites orientaux, en opposition avec l'occident. Les termes de proche-orient et extrême- orient y sont parfois associés, mais dans le cadre de notre recherche, seule la zone citée et les pays compris dans cet espace géographique seront soumis à l'étude. Si l'année 2003 sera le départ de notre recherche et un fil conducteur, il va sans dire que quelques éléments et évènements qui se sont produits à des dates antérieures à 2003 seront ici présentées afin d'optimiser la compréhension du lecteur et rendre plus abordable la thématique. L'Iran, importante puissance du moyen-orient, civilisation multi-millénaire, et pays de 77 millions d'habitants, sera au coeur de notre sujet d'étude puisque c'est là même le sujet de notre problématique et celle ci sera développée tout au long de notre approche. Mais avant de nous pencher sur les disparitées économiques et politiques de ce pays dans une région très hétérogène en terme de religiosité, il nous faut définir un peu plus en détail ce qui fait la particularité de l'Iran, et, de fait, revenir un peu en arrière dans l'Histoire pour comprendre la particularité du schisme dans l'Islam qui a engendré le chiisme adopté par les Perses. 1 - Il n'est par ailleurs pas exclu d'inclure également l'Afghanistan et le Pakistan dans cette zone. - Page 4 -
  • 5. À l'origine de la différence entre les sunnites et les chiites, c'est tout d'abord une question de succession. En 632, le prophète Mahomet décède et se pose alors la question de son successeur en tant que nouveau commandeur des croyants, mais également en tant qu'administrateur des territoires récemment conquis et sous contrôle des musulmans. Trois grandes étapes sont retenues pour expliquer les oppositions entre les deux courants. Les chiites choisissent Ali qui est le cousin et le gendre du prophète (ayant épousé sa fille Fatima) car pour eux, les liens du sang doivent prédominer, et la famille du prophète fait le lien direct entre les hommes et Dieu. Tandis que les sunnites choisissent Abu-Bakr, car il est le compagnon du prophète, et selon la tradition tribale d'alors, c'est lui qui doit être le successeur du prophète Mahomet, pour avoir été au plus près de sa vie et de ses actes. C'est d'ailleurs ce dernier qui est nommé calife, comme successeur du prophète. Deux califes lui succèdent, puis en 656, Ali est désigné comme quatrième calife. Mais le gouverneur de Damas, Muawiya refuse l'autorité d'Ali et le clivage entre les deux opposants se cristallise entre d'une part les fidèles qui s'appuient sur la tradition du prophète, la « sunna », donc les sunnites, fidèles à Muawiya, et ceux d'Ali dits « chiias Ali » 2 donc les « chiites », qui eux, s'appuient sur la famille du prophète. En 661 Ali est assassiné, et Muawiya est désigné cinquième calife, inaugurant par la même occasion la dynastie des Omeyyades donc la capitale sera Damas. En 680, Yazid a pris la succession de son père Muawiya, tandis que du côté des chiites, Hussein, le fils d'Ali a lui également pris la suite de son père. Depuis la ville de Kufa, en Irak actuel, Hussein lance une offensive contre son rival Yazid, mais il sera massacré lui et ses hommes ainsi que sa famille à la bataille de Kerbala par les armées Omeyyades. Le massacre de Hussein à Kerbala est dès lors perçue par les chiites comme une catastrophe et un point de non-retour dans leur lutte contre les sunnites et devient la deuxième étape de la fondation du chiisme.3 Pendant plus de huit siècles, les chiites vont être écartés des pouvoirs politiques jusqu'en 1510 où en Perse, Ismaïl 1er de la dynastie Safavide prend le pouvoir et impose le chiisme comme religion d'État afin de se démarquer des Ottomans sunnites qu'il combat. Cette démarcation religieuse n'étant cependant pas la raison principale qui oppose les deux empires dans leur contentieux territoriaux et politiques, mais elle marque la troisième étape des fondements historiques de la séparation entre chiites et sunnites. 2 - « chiia Ali », issu de l'arabe. 3 - De nos jours, les chiites du monde entier commémorent toujours le martyr de Hussein avec des séances de flagellations rituelles et une période de deuil appellée Achoura. - Page 5 -
  • 6. L'Iran devient majoritairement chiite au XIXème siècle, mais c'est vraiment la Révolution islamique de 1979 qui déclenche les hostilités de tout bords et qui exacerbe les tensions entre les deux factions. La Révolution islamique renverse non seulement le régime autoritaire du Shah qui était pro-Américain, mais vient chambouler un statu-quo jusqu'ici inébranlé où les religieux s'affairaient à leurs affaires religieuses, et où désormais le clergé prend le contrôle politique du pays avec Rouhollah Khomeini comme Guide suprême de la Révolution Islamique. L'ayatollah Khomeini fonde ainsi le nouveau régime sur le principe du « gouvernement des religieux ». Si ce principe est minoritaire chez les chiites qui prônent une séparation claire entre les dirigeants religieux et politiques, les Iraniens décident de laisser le clergé prendre le pouvoir, l'ayatollah Khomeini devient dès lors le nouveau leader du pays. Ainsi l'Iran qui était jusqu'ici un pays sous influence pro-occidentale du temps du régime du Shah devient du jour au lendemain une République islamique où l'islam chiite est au coeur de l'appareil Étatique. Tout juste arrivé au pouvoir, l'ayatollah Khomeini appelle de ses vœux à ce que la révolution islamique soit propagée aux autres pays musulmans, ce qui n'est pas vu d'un bon œil par les pays de la région. Irak et Arabie Saoudite en tout premier lieu. Les Saoudiens craignant que leur minorité chiite (représentant 10 à 15 % de sa population) ne se rebelle, et les Irakiens que sa propre population chiite (majoritaire en Irak) ne se voient flattée par les bonnes us des nouveaux maîtres de Téhéran. Saddam Hussein ambitionne par ailleurs d'occuper les immenses zones pétrolifères Iraniennes, et en particulier celles du Khuzestan qui font partie d'un contentieux territorial avec son pays. Opposé à la propagation et à la diffusion du chiisme militant qu'appelle de ses vœux Khomeini, l'Irak décide d'envahir l'Iran en 1980, cherchant à affaiblir la République islamique fraîchement arrivée au pouvoir et dont les institutions sont encore à tester. La guerre Iran-Irak4 durera jusqu'en 1988 sans que l'Histoire ne puisse départager de grand vainqueur. Les deux belligérants se considérant comme triomphants l'un de l'autre, la réalité veut-elle plutôt, que des millions de jeunes soldats ont été tués, et que le souvenir de l'agression irakienne demeure profondément ancré dans la mentalité Iranienne pour les décennies à venir. C'est d'ailleurs avec des scènes de liesse que les Iraniens observent la chute de Saddam Hussein en 2003, et l'influence de l'Iran n'aura dès lors de cesse de grandir dans le pays nouvellement libéré de l'emprise du dictateur irakien. Sans chercher ici à caricaturer de façon manichéenne deux peuples, deux sectes, deux idées, l'une vainqueur, l'autre vaincue, notre étude démontrera qu'au contraire, si l'Iran et le chiisme se retrouvent dans une position de force à partir de 2003, ce n'est pas sans faire face à de nombreux problèmes et catastrophes au cours de la décennie à suivre. Et le sujet de notre étude ne cherche nullement à départager 4 - La guerre Iran – Irak de 1980 – 1988 est également appelée « première guerre du Golfe » - Page 6 -
  • 7. le bien-fondé des uns ou les méfaits des autres, mais plutôt à analyser de façon constructive et le plus objectivement possible une succession d'évènements passés dans le prisme de notre problématique. Dans le cadre de cette recherche, le premier chapitre sera consacré à l'Irak en sa presque intégralité. Ce pays étant situé au coeur du croissant chiite, nous ferons état d'une rétrospective de son histoire récente afin de constater dans quelle situation l'Irak se trouvait avant et surtout depuis l'invasion américaine de 2003. Il nous sera alors plus facile de comprendre pourquoi le pays est d'une importance si prépondérante dans les luttes géostratégiques, économiques, politiques, mais avant tout religieuses de la région. Une fois le sujet de l'Irak traité, nous serons en mesure de comprendre comment les tensions entre chiites et sunnites ont-elles pu s'exacerber de façon si rapide et brutale en une unité de temps aussi réduite. Ainsi nous serons plus à même d'étudier en profondeur les dissensions fondamentales qui existent entre les deux grands belligérants de cette guerre froide dont l'Histoire n'a pas encore su donner un juste nom. Hormis qu'elle nous rappelle les grandes guerres de religions qu'a connu l'europe au XVIème siècle entre catholiques et protestants aux résultats que nous connaissons5 . 2011 et les printemps arabes sont ce que 2001 a été au terrorisme contemporain, et 2003 à l'intervention américaine en Irak. Les différentes formes de contestations observées dans les pays arabo-musulmans au printemps 2011, leurs issues ou ce qui en découle formera notre troisième grand chapitre d'étude. Cristalisé au coeur de l'actualité et des bouleversements que le moyen-orient traverse, ce printemps de 2011 bouleversa et continue de modifier en profondeur un ordre établi de longue date pour une région hyper-sensible et en proie aux conflits depuis des décennies. Notre réflexion se penchera ici encore sur l'impact qu'ont eu les multiples religions sur les évènements qui ont rythmé et continuent de rythmer pour certains, des pays multi-confessionels, qui n'étaient pas forcément prédestinés à connaître une situation si dramatique si des ingérences extérieures n'étaient venues influer ici ou là afin de sauvegarder ou de gagner des intérêts, au détriment des populations civiles, et souvent, des loies internationales. La problématique principale que nous aborderons tout au long de notre recherche sera axée sur la bipolarisation du Moyen-Orient depuis 2003, et avec des études de cas, nous verront si celle-ci dessert les intérêts de l'Iran, et cela de façon économique, politique mais avant tout religieuse. 5 - A la suite de la réforme protestante iniciée par Martin Luther en 1517, l'europe est victime d'une succession de guerres meurtrières qui fait des milliers de morts et de déplacés sur le continent. - Page 7 -
  • 8. I. Les raisons et conséquences directes de l'invasion de l'Irak en 2003 A. Les raisons de l'intervention en Irak et le statu-quo d'avant 2003 À l'origine, la première guerre du Golfe de 1990-1991, également appelée « Guerre du Koweït » est déclenchée par les Irakiens lorsque ces derniers décident d'envahir le Koweït sur ordre de Saddam Hussein, président de l'Irak et leader du parti Baas. Les Irakiens sortent alors de huit ans de guerre avec l'Iran (1980-1988) et font face à des infrastructures pétrolières en grande parties détériorées et à une dette contractée au cours du conflit représentant 150 % du PIB qu'ils cherchent à rembourser le plus rapidement possible. À ce titre, les autoritées Irakiennes voient d'un mauvais œil que le Koweit, pays voisin et dont ils ont des visées territoriales depuis toujours, ne respecte pas les règles fixées par l'OPEP en surproduisant du pétrole, ce qui accentue le déficit budgétaire de Baghdad. Baghdad s'affaire ainsi à amasser des troupes le long de sa frontière, menaçant non seulement un État souverain, mais également l'un des acteurs principaux de l'exportation du pétrole du Moyen-Orient. Lorsque le 25 juillet 1990, Saddam Hussein rencontre l'ambassadrice américaine en Irak, April Glaspie, et celle-ci aurait eu une position floue sur les intentions américaines au regard des évènements qui se tramaient et dont les États-Unis étaient bien entendus au courant. Interprétant cette entrevue et les paroles de l'ambassadrice comme une assurance de la part des États- Unis que ceux-ci n'interviendraient pas en cas de conflit, Saddam Hussein se décide à passer à l'action une semaine plus tard, et les troupes Irakiennes envahissent le Koweït le 2 août de cette même année, devenant maîtres du pays en seulement quelques heures. La déroute des Koweïtis est totale, et le gouvernement ainsi que la famille royale s'exilent en Arabie Saoudite voisine. La communauté internationale est consternée et appelle le régime Irakien à quitter le Koweit, mais celui-ci ne veut rien entendre. À l'initiative des Américains, une coalition d'une trentaine de pays se prépare à intervenir au Koweit afin de contraindre l'armée irakienne à se retirer. En janvier et février 1991 a lieu l'offensive, et les Irakiens battent en retraite. Le régime irakien sort ruiné et affaibli de cet épisode désastreux, malgré le pillage des immenses richesses du Koweit qu'ils ont contrôlé durant une demi-année. Les autorités irakiennes se seraient donc fourvoyées en se lançant à la conquête d'un État voisin au titre d'une mauvaise interprétation de la posture qu'adopterait les États-Unis en cas d'agression. - Page 8 -
  • 9. Sur fond de défaite militaire, une révolte populaire secoue l'Irak et vise à renverser le régime baasiste, soutenues aux premières heures de la contestation par les américains, les populations kurdes et chiites voient d'un bon œil l'occasion qui s'offre à elles, et cherchent à déstabiliser le régime au cours du mois de mars 1991. Finalement la répression sera écrasée dans le sang, face à l'inaction des occidentaux qui au cours de ce conflit n'auront cherché qu'à affaiblir l'armée irakienne sans planifier ni vouloir un changement de régime complet. Face à la férocité des forces irakiennes dans le nord de l'Irak, les occidentaux instaureront une « no flying zone » au deça du 36ème parallèle afin de protéger les populations kurdes des bombardements Irakiens6 . Hormis cette particularité, le statu-quo pré invasion du Koweit demeure. La décision des occidentaux de ne pas renverser le régime irakien en 1991 devient le centre des débats pour les années à venir face à l'incontrolabilité de Baghdad dans les nombreuses crises à venir dans la région En effet, les CIA aurait, aux premières heures du conflit incités les populations chiites et kurdes à se rebeller face au pouvoir central, sans chercher cependant à les mettre au pouvoir, abandonnant semble-t-il en cours de route leur soutien à cette rébellion qui sera à la répression dans le sang. On peut voir dans cette prise de décision une crainte d'un bouleversement de régime et de force en présence dans la région. En effet, si le régime Baasiste était tombé en 1991, il est fort probable que la population chiite, majoritaire en Irak aurait pris le pouvoir, appuyée par les Iraniens qui auraient vu en cela une occasion parfaite de prendre leur revanche non seulement sur leur ancien ennemi Irakien, mais aussi sur la légitimité de leur révolution islamique chiite qu'ils cherchent à exporter depuis son avènement en 1979. 6 - Cette décision aura pour conséquence directe de donner un début d'autonomie aux Kurdes irakiens et de se préparer à accéder à l'autonomie complète après 2003. - Page 9 -
  • 10. Si le régime Irakien est maintenu de justesse, le pays sort néanmoins fortement affaibli sur le plan financier, militaire mais également diplomatique. Et c'est à titre un véritable jeu du chat et de la souris qui va s'instaurer à la suite de la première guerre du golfe entre les occidentaux et le régime Irakien. Diplomatiquement et économiquement, les Irakiens sont placés sous étroite surveillance par la communauté internationale qui ne lui fait pas confiance, crayant que le régime cherche à se réarmer de façon massive et dangereuse avec des armes non conventionelles 7 . Des sanctions internationales et un blocus est bientôt instauré à l'encontre du régime afin de limiter ses apports en matériaux passiblement transformables en armement lourd ou potentiellement menaçant. Pendant près d'une décennie, les Irakiens tenteront de regagner une certaine forme d'autonomie face à ce qu'ils considèrent comme une violation flagrante de leur droit de souveraineté. De multiples mises en garde parviennent à Baghdad et bientôt des observateurs de l'ONU8 sont deployés dans le pays afin de vérifier que les stocks d'armes répondrent aux critères émis par les occidentaux qui cherchent à tout prix à brider l'armement des Irakiens dans le cas où ceux-ci, devenus incontrôlables, chercheraient à nuire à nouveau dans la région, en quête de revanche suite à la défaite de 1991. les attentats du 11 septembre 2001 à New-York viennent bouleverser l'échiquier géopolitique et presser le calendrier diplomatique et guerrier; Bientôt Georges W. Bush s'élance dans une diatribe contre les forces du mal9 pointant du doigt les États voyous dont l'Irak est en tête de liste avec l'afghanistan. Si ce dernier pays est rapidement ciblé comme étant numéro un dans le soutien au terrorisme et en particulier à Al-Qaeda qui est à l'origine des attentats ayant touché les États-Unis, l'Irak n'est pas loin derrière. Les raisons qui ont poussé les États-Unis et l'Angleterre en première ligne à envahir l'Irak une nouvelle fois et à – cette fois – renverser le régime de Saddam Hussein sont multiples et variées. A ce sujet les experts en géopolitique et les historiens s'accordent désormais de façon quasi unanime à dire que la raison invoquée des armes de destruction massive n'aura été au cours de toutes ces années d'occupation qu'un leurre afin de dissimuler une vérité toute autre. Les forces d'occupation durent d'ailleurs très rapidement se soumettre à la réalité de la situation dans laquelle ils s'étaient mise; Nulle trace d'armes de destruction massive, mais un régime renversé, et un pays occupé qui a besoin à présent d'être administré. 7 - Les occidentaux craignent que le régime Irakien ne fabrique et engrande des armes chimiques, biologiques, ou à longue portée, capable de menacer la stabilité de la région. 8 - Mission d'observation des Nations unies en Irak et au Koweit (MONUIK/UNIKOM). 9 - Le fameux discours « Axis of Evil »du 29 janvier 2002 - Page 10 -
  • 11. La volonté des faucons du Congrès Américain et en particulier du vice- président Dick Cheney, qui sont dans l'entourage direct du président Bush ne fait aucun doute à ce jour sur l'influence que ceux-ci ont eu dans la prise de décision finale d'invasion. Mettre un terme au régime Baasiste de Saddam Hussein, chose qu'ils n'avaient pas fait lors de la première guerre du Golfe de 1991 est devenue pour beaucoup à Washington une priorité absolue afin de reprendre pied dans une région hautement stratégique pour les occidentaux et dont le régime Irakien vient menacer directement les intérêts. De même que de damer le pion aux vélléitées des Russes et des Chinois qui commencent à y déployer des intérêts énergétiques et stratégiques importants. Dorénavant, les occidentaux contrôlent une zone géostratégique et énergétique de première importance pour la région et sont au coeur de la lutte contre le terrorisme, en même temps qu'au milieu d'un nœud ethnico-religieux qu'ils vont chercher à canaliser avec les résultats que l'on connaît. Il est certes important pour notre analyse d'avoir toutes ces données en tête, néanmoins ce qui nous intéresse principalement dans notre recherche, reste ici l'analyse post-régime de Saddam Hussein ainsi que tout ce qui découle de l'intervention occidentale de 2003. Ceci vaut pour l'Irak, mais également pour toute la région du moyen-orient, et principalement les conséquences que cette intervention eurent sur la mosaïque ethnique et religieuse du pays. - Page 11 -
  • 12. B. Les conséquences directes du changement de régime en Irak Sur le peuple irakien, la première des conséquences du renversement du dictateur Saddam Hussein est une période de festivité en raison des innombrables exactions que le pouvoir d'alors a pu exercer sur son peuple au cours des dernières décennies. Sur tous les écrans de télévision du monde entier, l'on voit des portraits du dictateur brûlés, ses statues déboulonnées, et des colonnes de soldats baasistes faits prisonniers. Cependant la fête est de courte durée, et la réalité vint rattraper les Irakiens. Bientôt une guerre civile, d'abord de règlement de comptes puis interconfessionelle s'abat sur le pays, en sus de l'occupation américaine qui se fait de plus en plus pressante pour le peuple nouvellement libéré. Très vite après la fin des combats déclarés le 1er mai 2003, les forces d'occupation cherchent à faire administrer le pays par une représentation autre que celle de leur statut d'occupant d'un territoire national étranger. L'autorité provisoire de la coalition est instaurée au lendemain de la fin des opérations principales dans le pays et une fois la zone verte de Baghdad jugée suffisamment protégée, cela dans le but de gérer les affaires courantes du pays. En juin 2004, Paul Bremer, administrateur Américain du pays, signe le décret de transfert de l'autorité à un gouvernement intérimaire Irakien qui sera en charge de préparer les élections de janvier 2005 ainsi que de l'écriture d'une nouvelle constitution pour le pays. À la suite de l'invasion occidentale en Irak, le président Saddam Hussein s'enfuie de son palais de Baghdad, mais sera finalement rattrapé les forces spéciales Américaines en décembre 2003. Jugé par un tribunal spécial Irakien qu'il ne reconnaîtra d'ailleurs pas, l'ancien dictateur est finalement inculpé de crimes contre l'humanité et crimes de guerre, il sera condamné à mort et exécuté en décembre 2006, soit trois années après sa capture. C'est Ibrahim Al-Jaafari qui est élu par l'assemblée constituante comme le 1er ministre de l'ère post-Saddam Hussein. Ces premières élections libres en Irak depuis la chute du régime sont en grande partie boycottées par la population sunnite10 . C'est cependant l'accession au pouvoir de Nouri al-Maliki qui va provoquer un réel changement dans l'attitude de l'Irak, pour les Irakiens eux-mêmes mais pour l'influence grandissante des chiites dans le pays. Les forces de la coalition ayant pris parti pour laisser la population irakienne décider par elle-même de son sort au cours des élections, elles laissent donc le nouveau 1er ministre administrer un pays qui a un besoin urgent de se reconstruire et de se réorganiser. 10 - Ainsi, la province d'Al Anbar, majoritairement sunnite n'a vu que 2 % de sa population participer au scrutin. - Page 12 -
  • 13. En parallèle de la transition démocratique qui opère à partir de 2005, l'Irak se divise de plus en plus entre les différentes communautés qu'elle abrite, et en l'absence d'un leader commun répondant aux attentes de chacune des communautés, la société tribale irakienne prend lentement le dessus sur les institutions de la société dont les institutions sont encore très fragiles. A ce titre, les populations Kurdes qui peuplent le nord du pays et qui bénéficiaient déjà d'une certaine forme d'autonomie depuis la première guerre de golfe avec l'instauration d'une zone aérienne interdite aux forces armées irakiennes, se soulèvent définitivement contre l’État central, et le président de l'autorité Kurde, Massoud Barzani déclare l'indépendance de facto du Gouvernement Régional du Kurdistan. La milice Kurde des Peshmergas11 sécurise la frontière de la région Kurde devenue autonome avec le reste du pays, et les populations Kurdes s'auto- administrent. Les Kurdes voient là l'occasion d'affirmer leur souveraineté sur les territoires qu'ils contrôlent. Les populations se sentent non seulement libérées du joug du tyran de Baghdad, mais également en proie à un futur fait de prospérité économique et de stabilité politique. En effet, en 2005, la nouvelle constitution Irakienne entre en vigueur, reconnaissant, de manière officielle cette fois, la légitimité et la fédéralité de l’État irakien. La langue Kurde est alors promue comme langue officielle au côté de l'arabe, et la mention de Komarê ʿIraq figure sur le passeport national au côté de Jumhūrīyatu-l ʿirāq. En outre, le GRK dispose d'une importante force armée qui varie selon les sources de 150.000 à 250.000 hommes et femmes soldats. Parallèlement, les forces armées irakiennes ne sont pas autorisées de quelconques façon à intervenir à l'intérieur du territoire kurde. Les dimensions politiques cependant, ne peuvent être dissociées des raisons économiques : Car c’est aussi grâce aux revenus de sa rente pétrolière que le GRK peut se permettre une aussi florissante croissance depuis 2003 et agir en tant que véritable acteur politique, capable d'interagir en égal avec ses plus proches voisins. Ainsi, les autorités kurdes se passent désormais de l'accord de Bagdad pour passer de juteux contrats pétroliers avec des compagnies étrangères et notamment Turques, vers lesquelles elles exportent directement leurs barils. C'est autour d'une forme de rassemblement structurel religieux que la majorité arabe chiite de la population va se souder face aux anciens cadres du parti Baas et des populations sunnites qui les avaient durant des décennies au pouvoir, gouverné, maltraités et marginalisés. Une atmosphère de règlement de comptes et des scènes de terreur se multiplient dans le pays, malgré la présence des forces d'occupation qui tentent d'instaurer un calme relatif. Par ailleurs, si à l'origine, la chute et la capture du dirigeant Saddam Hussein avait été globalement bien accueilli par la population irakienne, les attentats et les scènes de guérillas à l'encontre des forces d'occupations se multiplient dans le pays dès les premiers mois de l'occupation. 11 - Ceux qui vont au-delà de la mort, en kurde. - Page 13 -
  • 14. À partir de l'année 2004, la population Arabe sunnite, minoritaire dans le pays, mais qui avait toujours jouie d'avantages durant l'ancien régime, se voit de plus en plus marginalisée face aux chiites qui sont en charge de former un nouveau gouvernement, et l'on voit se former des groupes de rebelles de plus en plus fermement opposés non seulement aux forces de la coalition encore présentes en nombre dans le pays, mais également aux populations chiites. À ce titre, les deux batailles de Falloujah12 entre ces groupes de rebelles sunnites dont Al-Qaeda, et les forces armées de la coalition alliées à la nouvelle armée Irakienne provisoire font grand bruit dans la presse internationale. On commence alors à percevoir que la tache s'annonce rude pour pacifier, démocratiser et unifier un pays dont la guerre civile et confessionnelle s'annonce longue et violente. Ce que les Américains appellent le triangle sunnite, partant du nord de l' Irak jusqu'à Baghdad via la province à l'ouest d'Al-Anbar est bientôt soumise à une période d'insurrection féroce qui sera au centre de la guerre civile qui suit l'intervention occidentale dans le pays. L'opération Bashaer al-Kheir lancée à partir de juillet 2008 a pour but de mettre un terme à cette insurrection et à redonner le contrôle à l’État central dans ces régions instables. 50.000 soldats des forces irakiennes accompagnés par des unités d'élite de l'armée américaine participent aux opérations qui visent à sécuriser la zone. C'est pour le nouvel homme fort du pays, Nouri Al-Maliki, un moyen non seulement d'accroitre son influence sur des régions dont son gouvernement n'a pas de contrôle depuis son arrivée au pouvoir, mais également de donner au monde l'image d'un pays dont les institutions et l'armée sont renforcées. C'est également pour lui le moyen de s'imposer face aux multiples partis et innombrables acteurs de la société sur la scène politique Irakienne, comme étant un rempart face aux cellules terroristes sunnites qui sévissent dans ces régions hors de contrôle. L'opération remplie une partie de ses objectifs mais est interrompue face à l'intransigeance des opposants à l’État central, vendu aux Américains aux yeux de certains, ou non reconnus comme équitables, pour une bonne partie de la population sunnite ou kurde. Malgré les multiples efforts et opérations lancées par le gouvernement irakien et les forces américaines, le pays ne cesse d'être soumis à des vagues d'attentats qui ensanglantent les différentes communautés. 12 - D'avil à mai 2004 puis en novembre 2004 - Page 14 -
  • 15. C. La confessionnalisation du confit 1. Première guerre civile Irakienne En février 2006, l'attentat perpétré contre le sanctuaire Al-Askari de Samarra provoque le début d'un conflit inter confessionnel qui, s'il s'est en partie résorbé à partir de 2008, continue encore aujourd'hui de jouer sur les affaires internes du pays et cristalliser de sérieuses tensions communautaires. Il est aujourd'hui difficile de chiffrer avec précision le nombre exact de victimes mais celui-ci s'élève à des centaines de milliers de morts. En 2008, les quartiers chiites sont épurés des sunnites, et inversement, les quartiers sunnites des chiites. La capitale du pays qui avait toujours été pluriconfessionnelle voit ses quartiers mixtes se réduire à vue d'oeil au fil du temps et des murs de séparation anti-attentats s'ériger comme des frontières entre les différentes communautés (cf Annexe n°1). La guerre civile que connaît l'Irak à partir de 2003 ne fait pas uniquement des victimes entre deux rangs bien distincts, et il serait faux de considérer le conflit comme étant seulement celui de deux factions distinctes entre sunnites et chiites. L'attaque terroriste la plus meurtrière intervient en effet dans la ville de Qahtaniya dans le nord ouest du pays, où vit la communauté Yézidie, ethniquement Kurdes mais adeptes d'une religion pré islamiste indo-européenne inspirée du Zoroastrianisme, l'ancienne religion des Perses. Le 14 août 2007, des attaques simultanées font 572 morts et plus de 1500 blessés. Un groupuscule qui fera parler de lui à l'international quelques années plus tard revendique les attentats contre cette minorité jugée anti- islamique et adorateurs du diable. « L’État islamique en Irak et au Levant » était dors et déjà actif dans une région où elle ne cesserait de monter en puissance jusqu'à son avènement en 2014, profitant de la guerre civile en Syrie voisine pour s'y renforcer et ensuite prendre le contrôle d'immenses portions de territoires à cheval sur les deux pays. - Page 15 -
  • 16. Parmi les dirigeants du paysage communautaire de l'Irak de l'ère post Saddam Hussein, un homme, Moqtada Al-Sadr s'avère être un personnage de la plus grande importance, puisque c'est lui qui, avec l'appui de miliciens chiites voués à sa cause et réunis autour de l' « armée du Mahdi » se sont diamétralement opposés à la présence des forces d'occupation dès leur arrivée dans le pays en 2003. Répondant au rang de Sayyed13 , Al-Sadr exerce une influence très importante sur la population chiite Irakienne au même titre que l'ayatollah Al-Sistani, figure emblématique et plus haute autorité du clergé chiite Irakien. Si les preuves ont toujours manqué, il semblerait que le régime de Saddam Hussein ait fait assassiner le père de Moqtada Al-Sadr ainsi que ses deux frères en 1999. L'influence que la famille Al-Sadr exerce sur la population chiite Irakienne était déjà importante du temps de l'ancien régime, elle l'est d'autant plus après 2003 lorsque l'armée du Mahdi s'efforce de combattre la tutelle des forces d'occupations. Les sunnites Irakiens jusqu'à Saddam Hussein lui-même verront dans Al-Sadr un opposant d'importance première. L'ancien dictateur évoquant le nom de Moqtada jusqu'à ses dernières paroles sur l'échafaud qui allait le faire pendre en 200614 . Dans le même temps, l'Iran profite également de la fin du régime de Saddam Hussein pour commencer à investir dans les zones chiites (cf. annexe n°2) 2. Seconde guerre civile Irakienne A partir de 2011, la guerre civile qui fait rage en Syrie voisine continue de creuser le fossé entre les sunnites et les chiites, les premiers reprochant aux seconds de soutenir le régime Syrie en laissant un accès à l'espace aérien irakien aux Iraniens qui ravitaillent leur allié de Damas. En 2013, de violentes manifestations éclatent dans tout le pays, demandant le départ du président Al-Maliki qui fait réprimer les manifestations au coût de centaines de morts. A la fin de l'année 2013, la province d'Al-Anbar se soulève et s'allie à l'État islamique en Irak et au Levant qui s'empare bientôt de grandes villes comme Ramadi et da la majorité de la grande province sunnite du pays, marquant un tournant dans l'histoire du pays. 13 - C'est à dire un descendant de la famille du prophète, un rang honorifique très respecté en islam. 14 - Issu de la vidéo pirate lors de la pendaison de Saddam Hussein. - Page 16 -
  • 17. Engagée dans la campagne Syrienne contre les forces gouvernementales Syriennes, mais également contre des rebelles plus modérés ainsi que les kurdes Syriens, l’État islamique en Irak et au Levant lance une grande offensive en Irak et parvient à s'emparer en quelques jours seulement de Mossoul, la seconde ville d'Irak, à majorité sunnite. L'armée Irakienne déserte ses bases militaires et la ville, sans même combattre. On assistera là aux premiers massacres d'envergures de la deuxième guerre civile Irakienne. Près de 700 jeunes recrues15 de l'armée de l'air Irakienne basées au camp Speicher sont ainsi brutalement assassinées à bout portant par les balles des djihadistes et enterrées dans des fosses communes ou jetées directement dans le Tigre. La particularité de ces évènements est que les djihadistes affichent clairement leur implacable rigueur à éliminer tout chiites qui tombent entre leurs mains. 3. État islamique Le 29 juin 2014, le chef de l’État islamique en Irak et au Levant, Abou Bakr al- Baghdadi al-Husseini al-Qurashi déclare depuis la grande mosquée de Mossoul le retour du califat et s'auto-proclame calife, commandeur de tous les musulmans de par le monde, appelant ceux-ci à se joindre à sa cause. Cette déclaration est bien entendue déclarée nulle et non avenue par la plupart des observateurs musulmans, mais néanmoins cet évènement surprend par la rapidité avec laquelle les forces djihadistes ont pu prendre Mossoul, la pillant de ses devises et de ses immenses ressources en armes abandonnées par les forces de sécurité Irakiennes. On estime à ce propos que les djihadistes s'emparèrent pour plusieurs milliards de dollars en armes et munitions, rien que dans la province de Ninive16 . 15 - Principalement de jeunes recrues chiites sans grande expérience militaire. 16 - Ainsi que des réserves de devises de la banque centrale de Mossoul, elles aussi estimées à plusieurs milliards de dollars. - Page 17 -
  • 18. Le sort des chrétiens d'Irak ou de Syrie n'est pas non plus à envier à celui des chiites. Si leur statut de « gens du livre » devrait en théorie leur attribuer le titre de « dhimmis » en s'acquittant d'un impôt et en jurant de ne pas faire de prosélytisme, les djihadistes se montrent particulièrement intransigeants envers les minorités chrétiennes, multipliant les destructions, pogroms, viols et kidnapping de cette population vulnérable. Ainsi la plaine de Ninive qui abritait près d'un million de chrétiens avant la guerre est-elle dévastée par l'arrivée des djihadistes, et vidée de ses habitants qui s'enfuient pour la plupart à l'étranger ou dans la région autonome Kurde qui leur apporte leur protection. La minorité Yézidie n'est pas non plus à envier. Cette religion multi-millénaire issue d'anciennes croyances irano-kurdes est particulièrement persécutée par les djihadistes qui prennent d'assaut la ville de Sindjar en août 2014, chef-lieu des Yézidis, faisant des milliers de morts17 et de prisonniers et créant l'émoi dans la communauté internationale. Le conflit Syrien issu du printemps arabe de 2011 déborde ainsi sur l'Irak voisine, et bientôt une coalition internationale à nouveau guidée par les Américains qui avaient quitté le pays en décembre 2011, s'attaque à cette nouvelle entité terroriste qui menace l'Irak. Les forces aériennes occidentales soutiennent les Peshmergas Kurdes, qui sont en première ligne face aux djihadistes dans le nord, aussi bien que l'armée Irakienne, de plus en plus formée par un noyau dur de chiites, alliés à des miliciens venus en nombre combattre le groupe terroriste. 17 - L’État islamique a une haine particulière envers la communauté Yézidie dont elle annihile la population, tuant les hommes et revendant les femmes comme esclaves sexuelles. - Page 18 -
  • 19. Les Iraniens, alliés du gouvernement de Damas ainsi que de celui de Baghdad, ne voient pas d'un bon œil l'avènement de l’État islamique, et se décide également à intervenir dans le pays voisin afin de protéger leurs intérêts dans les zones chiites, mais également en appuyant leurs alliés face à la menace que le groupe sunnite brandit au quotidien contre ceux-ci. Des milices Iraniennes comme « Kataïeb Hezbollah » ou encore « Asa'ib Ahl Al-Haq » sont directement financées et armées par Téhéran qui prodigue également de l'aide au gouvernement central de Baghdad à partir de 2014 dans le cadre de la contre offensive contre l’État islamique. L'ancienne armée du Mahdi qui avait déposée les armes en 2008 à la fin de la première guerre civile se reforme à partir de 2014 et participe notamment aux côtés de forces Iraniennes qui les finance à la reprise de Tikrit aux mains de l’État islamique. Renommée pour l'occasion « Compagnies de la paix », elles s'illustrent dans diverses batailles contre l'entité sunnite et se dresse comme un rempart aux côtés des forces irakiennes dans la sécurisation de la ligne de front et la reprise de villes stratégiques. Néanmoins des observateurs internationaux pointent régulièrement du doigt ces milices chiites qui une fois entrées dans les villes reprises à l’État islamique se vengent sur les populations civiles sunnites en pillant et brûlant leurs maisons ou en tuant des civils soupçonnés de collusion avec l'ennemi18 . 18 - https://www.hrw.org/fr/news/2015/09/20/irak-les-exactions-des-milices-affaiblissent-la-lutte- contre-letat-islamique - Page 19 -
  • 20. II. Affrontements idéologiques et économiques entre les 2 blocs A. Les sphères d'influence sunnites à travers le Moyen-Orient Si la religion musulmane représente en 2016 environ 1,6 milliard d'individus, il n'en demeure pas moins que les sunnites forment l'immense majorité de ceux-ci, avec un pourcentage tournant autour des 75 à 80 %. Sur ce total, les sunnites sont également divisés en plusieurs grandes écoles, les hanafites, les malikites, les chaféites et les hanbalistes. A cela, il faut ajouter que les divers peuples, ethnies et langues qui pratiquent l'islam ne sont pas limités à l'arabe et aux peuples Arabes. De même, les intérêts de chacun ne font pas toujours consensus lorsqu'il s'agit de perspectives économiques ou politiques. Restons cependant dans le Moyen-Orient et excluons de fait les musulmans d'Asie de notre recherche, qui même s'ils représentent la majorité des musulmans du monde par leur poids démographique, ne sont pas liés aux conflits qui animent le croissant chiite. De même, en dehors de l'Egypte et du Maroc qui font partie de la coalition militaire intervenant au Yémen aux côtés de l'Arabie Saoudite, les pays africains musulmans ne s'intéressent que de loin aux problèmes qui opposent les sunnites aux chiites du moyen-orient. Si la plupart des protagonistes musulmans sunnites intervenant de près ou de loin voient d'un mauvais œil l'expansion du chiisme dans le croissant et derrière cela, l'influence de l'Iran sur toute la région, les alliances ne se retrouvent pas forcément toujours là où on pourrait les attendre, tant les intérêts et buts recherchés divergent parfois. A ce titre, au cours du printemps arabe de 2011, l'Egypte est en proie à de violentes manifestations qui parviennent à faire tomber le régime de Hosni Moubarak, et un an plus tard, Mohamed Morsi qui est issu des Frères Musulmans est élu président de la république au suffrage universel. Le Qatar qui est l'un des principaux pourvoyeur de fonds de la confrérie islamiste voit donc son influence renforcée en Afrique du nord et trouve en Morsi un interlocuteur particulièrement sensible à ses intérêts19 . A l'inverse, l'Arabie Saoudite voit en la confrérie soutenue par son petit voisin une menace à sa toute puissance idéologique et une contestation de son autorité au sein des grandes puissances sunnites 19 - http://www.lepoint.fr/monde/comment-le-qatar-et-arabie-saoudite-s-affrontent-en-egypte-21- 08-2013-1716008_24.php - Page 20 -
  • 21. C'est ainsi que la seconde révolution égyptienne qui intervient un an plus tard en juin 2013 est soutenue par l'Arabie Saoudite, de même que le chef d’État major des armées égyptiennes qui prend le pouvoir lors du coup d’État de la même année. Les Saoudiens multiplient les financements du nouveau régime et les investissements depuis l'élection du président Abdel Fateh Al-Sissi, et notamment l'accord et le financement de la construction d'un immense pont au dessus de la mer rouge afin de relier le royaume Saoudien avec la république égyptienne. Récupérant son influence sur le pays et minimisant de fait celle que le Qatar avait obtenue la personne du déchu président Morsi, l'Arabie Saoudite s'impose comme une superpuissance du sunnisme dont l'autorité est assumée et revendiquée par celle-ci. Lorsque l'on observe le positionnement de l'Arabie Saoudite dans les conflits qui ont lieu à ses frontières directes, il est intéressant de constater que les moyens déployés pour contrer les forces Houthis au Yémen sont diamétralement plus importantes que celles mises à la disposition de la coalition en Irak et qui a pour but de contrer l’État islamique. Bien que menacé à plusieurs reprises territorialement par ce même État islamique, le Royaume Saoudien considère qu'il est un moindre mal en comparaison avec une influence du chiisme couverte par l'Iran. La minorité chiite qui vit dans le royaume (10% environ) est d'ailleurs surveillée avec attention par le régime. La République turque est composée à plus de 95 % de musulmans dont on dénombre environ 20 % d'Alévis, une branche du chiisme. Mais l'histoire récente de ce pays et la multitude de minorités religieuses en font une puissance régionale sunnite à part mais qui ne doit cependant pas être minimisée. En effet, durant toute la période de l'Histoire couvrant la suprématie de l'empire Ottoman, les Turcs exerçaient de fait une tutelle directe des grandes instances de l'islam, ses lieux saints et une autorité puissante pour la région. Néanmoins de nos jours, les intérêts de la Turquie divergent fondamentalement de ceux des Saoudiens ou autres pays du Golfe. Recep Tayyip Erdogan, 1er ministre puis président de la Turquie depuis 2003 n'a eu de cesse de faire valoir le côté islamique (et sunnite) de son pays, mais également Turc de celui-ci, rejetant d'office les revendications culturelles, linguistiques et territoriales des minorités que comporte la mosaïque ethnico religieuse du pays. Ainsi, les Alévis chiites sont ils discriminés dans le pays, au même titre que les minorités chrétiennes20 ou encore yézidie. Il est cependant primordial de souligner, si l'on veut comprendre les intérêts géostratégiques de la Turquie, que la minorité Kurde représentant 15 millions de personnes est la principale préoccupation des autorités d'Ankara. 20 - Les minorités chrétiennes sont nombreuses dans la région, on peut citer à titre d'exemple les rites syriaques, arméniennes, grecques-orthodoxes et grecques-catholiques de rite latin. - Page 21 -
  • 22. Et bien que les Kurdes soient pour leur immense majorité des musulmans sunnites, le gouvernement Turc s'efforce d'utiliser son influence pour contrer des velléités indépendantistes à ses frontières intérieures et extérieures à la seule exception du Gouvernorat Régional Kurde Irakien. La Turquie cherche à minimaliser les revendications de sa minorité Kurde mais n'hésite ainsi pas en revanche à apporter son soutien au Gouvernorat Régional du Kurdistan de l'autre côté de sa frontière avec l'Irak. Ainsi à partir de 2011, un rapprochement spectaculaire a eu lieu entre la Turquie du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le GRK du président Massoud Barzani. Aussi inattendu que prolifique, ce rapprochement eut lieu en particulier à cause de deux facteurs. Le premier étant bien entendu d'ordre économique, Le GRK souhaitant exploiter de manière plus importante ses ressources en pétrole, n'a pas énormément de choix ni d'interlocuteurs privilégiés vers qui se tourner. Baghdad étant farouchement opposé à tout contrat pétrolier passé sans son contrôle, l'Iran étant sous le coup d'un embargo imposé par l'allié Américain, et le régime Baasiste Syrien, s'il n'est pas encore trop ébranlé à l'époque par la guerre civile n'est lui non plus pas, ou peu enclin à aider son voisin Kurde dont il voit l'indépendance territoriale de mauvaise augure pour sa propre minorité Kurde. Deuxième facteur, la Turquie n'a pas vraiment eu son mot à dire lors de l'instauration -voulue ou non- par la coalition occidentale d'un kurdistan indépendant, et ne cherche qu'à tirer son épingle du jeu en s'attirant la sympathie et peut-être la compréhension de son voisin avec lequel il devra négocier s'il veut affaiblir durablement ou éradiquer les bases du PKK abritées dans le GRK dans les montagnes du Qandil21 et qui menacent directement son intégrité territoriale. Pour ce qui est de la position de ces protagonistes envers la Syrie et sur ce qui en découle depuis le début de la guerre civile en 2011, un sous-chapitre complet sera consacré à cette étude dans la troisième partie de notre recherche. On l'a vu, tous les États dont la population est entièrement ou en partie issue de la communauté musulmane sunnite n'ont pas que des intérêts communs dans le conflit qui oppose les chiites à leurs congénères, néanmoins tous ces États fournissent des ressources humaines en djihadistes pour combattre en Syrie et en Irak contre des régimes ou des populations chiites considérées comme infidèles, et avec objectif de s'installer dans les zones contrôlées par l’État islamique. 21 - Les montagnes du Qandil sont un bastion Kurde du PKK et une base arrière dans la lutte de l'organisation contre la Turquie. - Page 22 -
  • 23. B. Les rivalités contemporaines entre sunnites et chiites 1. Économique La guerre froide que se livrent l'Iran et l'Arabie Saoudite ne peut être réduite à une grille de lecture aussi manichéenne et simpliste que "chiites contre sunnites". Certes, les tensions confessionnelles existent et sont réellement là, mais le clivage chiite-sunnite est avant tout un puissant outil dans cette lutte d'influence économique, politique, géostratégique et religieuse pour la région du moyen-orient. La crise actuelle est fortement liée au résultat de l'état de panique dans lequel l'Arabie Saoudite se trouve, et qui assiste de manière totalement impuissante au bouleversement géopolitique d'une région dans laquelle elle avait il y a encore peu une quasi-totale maitrise. Encouragés par l'accord sur le nucléaire signé entre Téhéran occidentaux le 14 juillet 2015 et qui marque la déclassification de la République islamique d'Iran comme État infréquentable, et son grand retour sur le devant de la scène internationale. En faisant des concessions sur son plan nucléaire et grâce à l'accord obtenu le 14 juillet 2015 avec les occidentaux, l'Iran parvient à revenir sur le devant de la scène internationale, non seulement diplomatiquement mais aussi sur le plan économique. Le dégel de ses actifs à l'étranger, l'embargo qui s'amenuise au fil des mois, et les nouveaux accords commerciaux stratégiques à venir sont autant de rentrées d'argent pour la République islamique que de tracas dans la tête des dirigeants Saoudiens qui pensaient pouvoir empêcher cet accord qui vient directement revigorer son vieil ennemi dans la région. A ce titre, les Saoudiens auront jusqu'au bout tenté de faire pression sur la décision des occidentaux, multipliant les rencontres diplomatiques de haut niveau afin de tuer dans l'oeuf le dégel amorcé des relations entre l'Iran et les occidentaux. D'un point de vue économique tout d'abord, cette évolution est plutôt un point négatif pour le royaume Saoudien déjà confronté à une baisse du prix du pétrole depuis quelques années, ce qui a fait drastiquement baisser son budget. En effet, le ralentissement de la croissance Chinoise et donc de sa demande en matières premières, les nouvelles exploitations de gaz de schiste aux États-Unis ainsi que la surproduction des membres de l'OPEP pour pallier à la baisse du prix du baril de pétrole sont autant de mauvaises nouvelles pour les Saoudiens. Suite à l'accord sur le nucléaire obtenu avec l'Iran, le retour devant de la scène internationale permet également au pays de faire son grand retour sur le marché des producteurs de pétrole. Et Téhéran l'a clairement annoncé, sa production va augmenter jusqu'à retrouver un niveau au moins comparable avec celui qu'elle avait sur le marché avant le début de l'embargo. - Page 23 -
  • 24. Il est important de noter également que l'Iran a le contrôle du détroit d'Ormouz au sud du Golfe Persique, par lequel transite près d'un tiers du traffic mondial de pétrole et la République islamique a par plusieurs fois dans le passé brandie la menace de bloquer le détroit en cas d'ingérences trop importantes dans ses intérêts. L'accord trouvé en 2015 aura peut-être été en partie également influencé par cette donnée qui aurait pu paralyser l'économie mondiale sur décision Iranienne. Tout cela au grand dam des Israëliens et Saoudiens, alliés de circonstances sur le dossier Iranien. 2. Religieuse En matière de fraternité religieuse, les musulmans du monde entier sont quasi unanimes sur le sort qui a été réservé aux peuple Palestinien, et celui-ci est vécu comme une injustice. l'Iran ayant depuis bien longtemps compris cela, n'a cessé de joindre l'acte aux paroles en finançant et en armant toute entité politique qui s'opposerait à Israël et qui la combattrait. Cas très rare voire unique pour la région, des chiites se sont accordés à travailler avec des sunnites, en l'occurrence ici avec l'organisation du Hamas qui par sa réthorique et ses actions, a les mêmes ambitions que les Iraniens. Celle de rétablir la Palestine telle qu'elle était avant la création de l’État d'Israël. Si le soutien de l'Iran au régime Alaouite Syrien a été un sujet de discorde avec les Palestiniens majoritairement sunnites, l'aide apportée par les Iraniens au Hamas et au Jihad Islamique Palestinien a été durant de longue année fondée sur des intérêts religieux et politique convergents. Des États sunnites comme le Qatar semblent cependant prendre progressivement le relais sur l'Iran en se rapprochant de ces mouvements afin d'étendre leur zone d'influence dans la région22 . Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être citées, le parti de Dieu, le Hezbollah Libanais dirigé par Hassan Nasrallah a été fondé en 1982 en réaction à l'invasion Israélienne au sud-Liban et financé par l'Iran dès ses débuts. A l'inverse du Hamas qui est une faction sunnite, le Hezbollah est un parti chiite, et très largement influencé par la Révolution Islamique Iranienne de 1979, considérée comme un modèle pour de nombreux chiites Libanais. Considéré comme un tête de pont pour les Iraniens par les observateurs de tout bord, le Liban offre un accès à la mer Méditérannée et depuis 2006, le Hezbollah joui d'une certaine popularité au Liban et dans le monde musulman en général pour avoir su tenir tête à l'armée Israélienne et mettre en échec ses opérations dans le sud-Liban. 22 - http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/23/01003-20121023ARTFIG00323-l-emir-du- qatar-affiche-son-parti-pris-pro-hamas-a-gaza.php - Page 24 -
  • 25. Il est cependant nécessaire de ne pas faire d'amalgame dans cette guerre qui pourrait paraître civilisationnelle. Il n'en est rien. Le Hezbollah est un allié de l'Iran car leurs origines et intérêts sont communs dans certains domaines, mais même si les chiites Libanais recherchent une stabilité politique et religieuse, ils ont à cela de particulier qu'ils respectent profondément la pluri confessionnalité du pays. A ce titre, ils s'arrogent même la liberté de s'allier avec les chrétiens contre les sunnites dans certains domaines politiques23 . De vives tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite ont éclaté en septembre 2015 lorsqu'un mouvement de foule massif fit plus de 2000 morts lors du pèlerinage à la Mecque dont plus de 450 Iraniens. Après ce drame, les deux puissances régionales ne sont pas parvenues à trouver un accord pour l'organisation de la sécurité lors du pèlerinage qui doit se dérouler en 2016, empêchant de fait les Iraniens à se joindre au pèlerinage. Les lieux saints de l'islam que sont la Mecque et Médine sont d'ailleurs une pomme de discorde entre les chiites du monde et l'Arabie Saoudite. Le chef du Hezbollah Libanais, Hassan Nasrallah considère que la famille royale Saoudienne est usurpatrice du titre qu'elle donne à la péninsule en donnant son nom au territoire qui abrite les lieux saints. Le guide Ali Khamenei estime par ailleurs que les Saoudiens ne méritent pas de gérer les lieux saints et appelle à un changement complet du mode de gestion des villes saintes ainsi que du Hajj (pèlerinage à la Mecque, et cinquième commandement de l'islam). En réponse, le grand mufti d'Arabie Saoudite Abdel Aziz Ben al-Cheikh déclare que les Iraniens ne sont pas des musulmans et qu'ils n'ont, partant de ce constat, aucun droit de revendication ni de contestation24 . 3. Politique Extérieurement, l'Arabie Saoudite multiplie les coups de force en soutenant des groupes rebelles sunnites en Irak et en Syrie ou encore en intervenant militairement au Yémen, cependant intérieurement, le gouvernement est depuis toujours confronté à la crainte que la minorité chiite d'Arabie Saoudite (environ 10%) ne se soulève contre le régime et fasse le jeu de l'Iran qui cherche à propager sa révolution islamique dans la région. La région du Hasa par exemple, située en Arabie Saoudite, région qui concentre l’essentiel des gisements de pétrole du Royaume, est principalement peuplée de chiites, et l'Arabie Saoudite est souvent pointée du doigt par les Iraniens pour la marginalisation de cette population dont fait preuve le régime. 23 - http://www.lefigaro.fr/international/2006/08/07/01003-20060807ARTFIG90130- les_chretiens_de_syrie_applaudissent_le_hezbollah.php 24 - http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/09/10/l-iran-relance-la-guerre-des-mots- contre-son-ennemi-saoudien_4995565_3218.html?xtmc=pelerinage&xtcr=2 - Page 25 -
  • 26. En janvier 2016, l'Arabie Saoudite fait exécuter, en même temps qu'une quarantaine de terroristes sunnites, le cheikh Nimr Baqr Al-Nimr, opposant et dignitaire chiite, de citoyenneté Saoudienne. Formé en Iran et opposant considéré comme modéré, il est élevé au rang de martyr par Ali Khamenei au lendemain de sa mort. Celui-ci appelant à la vengeance de sa mort, l'annonce de son exécution fait l'effet d'une bombe dans les milieux chiites où les manifestations ne désemplissent pas durant des jours. Des chiites du monde entier se mobilisent pour dénoncer un acte commis non contre un opposant politique considéré comme terroriste par Rihad, mais contre la communauté chiite toute entière. Diplomatiquement, de nombreux pays condamnent cette décision lourde de conséquence, qui est bien évidemment vécue comme une provocation par l'Iran et par les milieux chiites en général. A la suite de l'exécution du cheikh Al-Nimr l'ambassade d'Arabie Saoudite à Téhéran ainsi que le consulat de Mashaad en janvier 2016 sont mises à sac par des manifestants monstres, sous l'oeil avisé des autorité qui décident de laisser faire la foule. Une grave crise diplomatique s'ensuit, et les autorités Saoudiennes décident de rompre toute relations avec l'Iran, ce qui aggrave encore un petit peu plus la situation régionale, où les deux principaux protagonistes de la région refusent désormais toute forme de dialogue. - Page 26 -
  • 27. C. La montée en puissance chiite de 2003 jusqu'aux printemps arabes La notion même de « croissant chiite » nous vient du roi Abdallah II de Jordanie. Le souverain Hachémite mettait en garde dès 2004 contre l'ingérence Iranienne dans les pays de la région dont elle pourrait s'appuyer sur les minorités chiites, et développer son influence jusqu'à obtenir un certain contrôle sur une région qui partirait d'Afghanistan (la minorité Hazara étant chiite et ayant recouvré un peu d'autonomie depuis la chute du régime des Talibans en 2001) jusqu'à la mer Méditérannée. Il semblerait que les prédictions du monarque au jour d'aujourd'hui aient été de la plus grande clairvoyance puisque l'Iran chiite est alliée du gouvernement central Irakien, chiite également. Malgré la guerre civile Syrienne en cours, l'Iran est un allié indéfectible du régime Alaouite chiite de Bashar Al-Assad et lui prodigue conseils, armes et munitions, ressources humaines en combattants et logistique appuyée dans sa lutte contre les groupes djihadistes sunnites et les populations rebelles. Au Liban, le Hezbollah qui est un allié de Téhéran se livre également volontiers à une aide militaire au régime Syrien voisin, et le leader Hassan Nasrallah qui a été formé à Qom en Iran, reste sous influence et dépendance de son parrain Perse. Avec la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, les Iraniens prennent d'une certaine manière leur revanche sur celui qui avait été l'agresseur dans la guerre qui les a opposés à l'Irak de 1980 à 1988. De même que la population chiite Irakienne accueille la liberté retrouvée en 2003 à la chute du dictateur, les Iraniens se mettent à intensifier les investissements financiers dans le pays voisin et cela se voit particulièrement dans les zones considérées comme saintes par les chiites. Les lieux saints de Kerbala et de Najaf font preuve d'une attention toute particulière avec des investissements Iraniens colossaux qui rénovent et enrichissent le patrimoine chiite dont recèle l'Irak25 . Faisant suite à la révolution islamique de 1979 dont le leader Khomeini avait clairement annoncé que celle-ci avait pour vocation d'être exportée, l'Iran se retrouve en position de force sur le plan religieux à partir de 2003 date où elle peut étendre son emprise sur les populations chiites marginalisées d'Irak, dont elle est pour beaucoup un leader reconnu, étant le seul État chiite à l'international, et disposant de ressources qu'elle n'hésite pas à consacrer à un prosélytisme parfois outrancier qu'elle utilise à des fins géostratégiques. La carte du « panchiisme » est ici clairement jouée par l'Iran qui se présente comme le fer de lance de la défense des croyants d'obédience chiite. Son clergé et ses centres de formation est à ce titre unique, et permet de former des élites chiites qui, retournant dans leurs pays respectifs demeurent sous influence directe de Téhéran qui étend ses réseaux. 25 - http://www.lefigaro.fr/international/2011/07/10/01003-20110710ARTFIG00219-l-iran-etend- son-emprise-sur-l-irak.php - Page 27 -
  • 28. III. Le printemps arabe et les guerres par procuration A. Les changements de régime direct et leur conséquences A partir de fin 2010, un élan de contestation secoue le Moyen-Orient et en particulier certains pays arabes où les régimes, pour certains installés au pouvoir depuis des décennies, se voient contraints de laisser le pouvoir, par démission, ou poussés par la rue ou la force d'intervention occidentale. Ces contestations et bouleversements ainsi que leurs répercussions sont ici fortement intéressants pour situer dans certains cas le caractère religieux et les différentes influences octroyées par des pays en théorie extérieur aux affaires internes de ces pays. A l'origine, l'immolation d'un jeune Tunisien répondant du nom de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010 vectorise la colère de la population Tunisienne dont la jeunesse est fortement atteinte par le chômage, et la société par la corruption. La date du 17 décembre 2010 est d'ailleurs retenue comme étant l'étincelle des contestations qui vont secouer le monde arabe pendant l'année 2011 et les nombreux bouleversements que ceux-ci apportèrent. Les nombreuses manifestations qui secouent le pays se répètent et prennent de l'ampleur de jour en jour à partir de la mort du jeune Bouazizi, et celles-ci finirent par avoir raison du président Tunisien Zine Ben Ali qui s'enfuit le 14 janvier 2011 en Arabie Saoudite au plus fort de la contestation. Cet évènement correspond à un bouleversement énorme pour les dirigeants arabes voisins, et un espoir pour leurs peuples qui se diffuse à travers tout le moyen-orient pour un changement en profondeur dans la société arabe soumise depuis des décennies à des dirigeants la plupart du temps issues de l'oligarchie ou de l'armée et usant de leur pouvoir de façon féroce pour réprimer les populations. - Page 28 -
  • 29. Si cela reste anecdotique dans le cadre de notre recherche, il demeure intéressant de noter ici que si les réactions internationales au mouvement contestataire qui secoue la Tunisie en janvier 2011 commencent à prendre forme, la France représentée par sa ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie, qui étant alors en vacances en Tunisie proposa d'apporter au régime Tunisien l'aide et les compétences de la police française afin de réprimer de façon plus efficace les protestations qui mènerait quelque jours plus tard au départ du gouvernement Tunisien26 . Cet épisode fut vécu dans le monde et dans les pays arabe comme un comble de l'ironie face au positionnement prit par les occidentaux dans le cadre des changements de régime de 2011 au moyen-orient. La contestation qui avait débutée initialement en Tunisie touche bientôt l'Egypte et les manifestations secouent le régime d'Hosni Moubarak qui est obligé de faire des concessions en changeant son Premier ministre. Rien n'y fait, et le vieux dirigeant qui gouvernait seul l'Egypte depuis 30 ans est obligé de capituler face à la pression de la rue le 11 février 2011. En Libye voisine, le colonel Kadhafi réprime dans le sang les violentes manifestations qui secouent son pays à partir du début de l'année 2011, il sera finalement capturé par l'opposition armée le 20 octobre de la même année après que l'ONU ait voté en faveur d'une exclusion aérienne sur le territoire Libyen et appuyé de facto les forces d'opposition au régime du Guide Libyen en place au pouvoir depuis quatre décennies. De multiples manifestations et grèves secouent un peu partout le moyen-orient, passant par le Maroc, l'Algérie, la Jordanie, la Palestine et le Liban. A Oman ou au Koweit, sans que cette colère de la rue ne soit suffisament forte pour être entendue par les dirigeants de ces pays, ou bien sans qu'elle n'y prête suffisamment attention. Le point commun néanmoins fortement intéressant ici est que mis à part le Liban et oman, ces pays sont tous issus de populations arabes et sunnites dont les querelles d'influences entre chiites et sunnites n'ont absolument pas lieu d'être dans la société. Les printemps arabes de 2011 et les bouleversements sociétaux qui en découlent ont eu cela de particulier qu'hormis l'intervention occidentale en Libye, elles se sont toutes déroulées rapidement dans le temps, et engagées par des forces intérieures. La jeunesse des populations et leur soif de liberté conjuguées à la rapidité de circulation de l'information à l'ère du numérique ont fait de ces évènements une première dans l'histoire par leur ampleur et leurs répercussions. 26 - http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/01/13/tunisie-les-propos-effrayants-d-alliot-marie- suscitent-la-polemique_1465278_3212.html - Page 29 -
  • 30. B. Les contestations larvées par les ingérences étrangères 1. Libye Nous l'avons vu, la Libye n'a pas échappé au vent de contestation et de soif de liberté qui souffla sur les côtes nord-africaines en ce printemps 2011, mais la particularité de la fin du régime Libyen de Mouhammar Kadhafi est qu'elle n'aurait peut-être jamais eu lieu sans l'intercession des membres du conseil de l'ONU qui sont intervenues par la voie des airs dans le pays afin de protéger les civils qui étaient victimes d'un matraquage quasi systématique par les forces gouvernementales au cours de l'année 2011. Ce particularisme se ressent également dans la période post- régime dans le fait que les forces d'oppositions ainsi que les nombreuses milices tribales de Misrata, Benghazi et Tripoli ne parviennent pas à trouver un accord vers une transition démocratique commune. A cela l'Histoire retiendra qu'à la suite des printemps arabes souffle l'hiver islamiste. Le pays devient bientôt la proie de luttes fratricides entre diverses factions sunnites plus ou moins intégristes pour certaines, démocratiques pour d'autres et carrément islamistes avec la montée en puissance de l’État islamique dans le pays à partir de 2014. 2. Yémen Au début de l'année 2011, dans la suite des précédents Tunisiens et égyptiens, le peuple du Yémen est dans la rue. Le mouvement de contestation prend de l'ampleur et celui-ci qui était à l'origine cantonné à la capitale Sana'a se propage aux grandes villes du pays. Les manifestants, s'inspirant des même raisons eet revendications que les pays voisins, réclament une application réelle de la démocratie et que la corruption qui gangrène la société yéménite soit combattue avec fermeté. Enfin, le Yémen est l'un des pays arabes les plus pauvres, et le peuple souhaite obtenir des conditions de vie plus hautes, ainsi que le départ du président Ali Abdallah Saleh qui semble figé au pouvoir depuis plus de 20 ans. Si les manifestations se veulent à l'origine pacifique, leur ampleur et recrudescences vont basculer le gouvernement dans le camp de la violence qui fait tirer sur la foule le 18 mars 2011. L’État d'urgence est alors décrété et l'enlisement de la situation avec la montée en puissance des opposants au régime ainsi que l'influence de la société tribale yéménite font dégénérer la contestation pacifique en un conflit armé. Le palais présidentiel est victime d'un bombardement le 3 juin et le président Saleh qui est blessé dans l'attaque s'enfuie en Arabie Saoudite pour s'y faire soigner. A son retour de convalescence, le président accepte de démissionner et le 21 février 2012, le vice- président Abd Rabbo Mansour Hadi est élu nouveau président de la République du Yémen. - Page 30 -
  • 31. Jusqu'ici, on pourrait croire que les évènements de l'année 2011 survenus au Yémen et jusqu'à l'élection du président Hadi en 2012 n'ont rien de particulier dans le prisme des changements de régime des printemps arabes. A cela près que l'influence de l'Arabie Saoudite dans ce qu'elle considère son arrière-cour n'a cessée de grandir au cours des évènements, appuyant intialement le président Saleh avec qui elle entretenait de bonnes relations au cours de son règne, et avec le président Hadi sont elle a saluée l'élection dans le cadre d'un processus démocratique qu'elle avait elle- même proposé27 .Il semblerait cependant que les conséquences de la révolution yéménite se sont fait sentir avec le coût humain28 , de même que sur le plan économique. Le Yémen était déjà le pays le plus pauvre de la péninsule arabique, mais bientôt une rude inflation de 40% sur les denrées alimentaires et de près de 600% sur les ressources énergétiques vient frapper le pays et son très précaire gouvernement. Il faut savoir que si le Yémen est un pays pauvre au sein de la péninsule arabique, ses élites, elles étaient fort bien loties jusqu'à la révolution de 2011, ce qui n'était pas le cas de l'immense majorité de la population qui demeure par ailleurs, multiconfessionnelle. La particularité de la répartition démographique et géographique du Yémen est tout d'abord que 90% de la population y vit sur le tiers ouest, et du nord au sud sur les hauteurs des monts Sarawat jusqu'au port côtier d'Aden. La population est divisée entre une moitié sunnite majoritaire (55%) et une autre, de très peu minoritaire (45% environ) d'obédience chiite zaydite vit dans le nord. Et c'est précisément cette population chiite qui se sent marginalisée sur le plan politique, économique et religieux depuis toujours qui déclenche à partir de 2004 la guerre du Sa'dah qui n'aura de cesse de prendre de l'ampleur au cours de la décennie jusqu'à prendre contrôle du pays tout entier en 2015. Fondée et dirigée par le leader Abdul-Malik al-Houthi qui donne son nom aux rebelles, les Houthis. Cette insurrection serait soutenue par l'Iran, et si quelques preuves sont parvenues jusqu'à nous, les autorités de Téhéran ont jusqu'ici toujours été très discrètes quant à leur implication réelle dans le conflit communautaire qui secoue le Yémen. Néanmoins, le 23 janvier 2013, les autorités yéménites déclarent avoir saisi un navire de contrebande où étaient dissimulées des armes, incluant des missiles anti-aériens en grande quantité, et dont la provenance semble tout droite venue d'Iran29 . 27 - En accord avec le plan des monarchies du Golfe pour un mandat intérimaire de deux ans. En échange, Saleh reçoit une amnistie. 28 - Plus de 2000 morts dénombrés et 10 fois de bléssés. 29 - http://www.zonebourse.com/actualite-bourse/Le-Yemen-confirme-la-saisie-d-armes-a-bord-d- un-navire-iranien--16006148/ - Page 31 -
  • 32. A partir de la révolution yéménite, la rébellion Houthiste qui jusqu'ici se cantonnait à son fief de Sa'dah prend progressivement de l'ampleur jusqu'à venir menacer directement la capitale Sana'a qu'ils finissent par occuper militairement. La rébellion prend de l'ampleur et s'illustre dans le coup d’État de janvier 2015 visant le Président démocratiquement élu Abd-Rabbo Mansour Hadi. Le cousin du fondateur de la rébellion Houthi, Mohammed Ali al-Houthi est nommé président du comité révolutionnaire de République du Yémen. Dès mars 2015, des accords de partenariat sont signés entre les nouveaux maîtres de Sana'a et la république islamique d'Iran. Un avion iranien atterit dans la capitale yéménite pour la première fois depuis 1990, et le président Iranien salue la prise de pouvoir des Houthis, soutenant qu'ils sont un vecteur de stabilité et de paix pour le pays30 . Le président du parlement Iranien déclarera également que le coup d’État était une suite de la révolution islamique de 1979 et ouvrait un nouveau chapitre des relations entre l'Iran et ce pays. Le président Hadi, reconnu comme seul légitime président en exercice parvient à fuir Saan'a vers le port côtier d'Aden. L'Arabie Saoudite qui a toujours pris parti pour ce dernier, se décide à intervenir militairement au Yémen, et forme une coalition d'une dizaine de pays sunnites afin de chasser les Houthis, cherchant à récupérer son emprise sur le pays en rétablissant le président devenu de facto déchu, depuis la prise de la capitale par les rebelles. L'opération « Tempête décisive » débute le 25 mars 2015, et le gouvernement Iranien voit alors dans cette intervention une attaque des Arabes sunnites contre les Arabes chiites, et le chef d’État-major des armées parle de terrorisme d’État, en désignant le Royaume Saoudien. Le 21 avril 2015, l'opération militaire toujours dirigée par les Saoudiens « Restaurer l'espoir » succède à la première opération qu'ils avaient lancée un mois plus tôt, et se veut dans la continuité de celle-ci. Cherchant à détruire les infrastructures des Houthis et à limiter autant que possible l'influence que la rébellion chiite, au mépris des règles d'engagement militaires et civiles. Des ONGs comme Human Right Watch pointent régulièrement du doigt les bombardements civils de la coalition31 . 30 - http://www.middleeasteye.net/news/iran-supporting-stability-yemen-rouhani-2123987899 31 - https://www.hrw.org/fr/news/2016/05/04/yemen-il-faut-aborder-la-question-des-crimes-de- guerre - Page 32 -
  • 33. 3. Bahreïn Dans la foulée de la vague de contestation des printemps arabes, le cas de Bahreïn est assez particulier dans la mesure où le pays est majoritairement chiite (environ 65%), mais dirigé par la famille royale Al-Khalifa d'obédience sunnite et alliée de l'Arabie Saoudite et des États-Unis. Là encore, les manifestants demandent plus de démocratie et de liberté, une meilleure répartition des immenses richesses du pays. Si la religiosité des revendications ne sont pas principales, il est commun de simplifier parfois un peu trop rapidement l'opposition entre le pouvoir sunnite minoritaire et la population chiite majoritaire. En réalité, si les revendications des manifestants étaient plutôt d'ordre socio-économique, le contexte régional vint rapidement s'immiscer dans la contestation et les manifestants appelèrent à la destitution de leur souverain, ne se sentant pas représentés par celui-ci. Après trois semaines de manifestations, l’État d'urgence est instauré, et des forces de sécurités Saoudiennes et émiraties interviennent à Bahrein pour écraser la rebellion32 , ce qui donnera lieu à des condamnations de par le monde, à commencer par l'Iran. Les Saoudiens cherchant avec cet interventionnisme limiter les possibilités d'extension d'influence de l'Iran dans le petit royaume du Golfe. 32 - http://www.lefigaro.fr/international/2011/03/14/01003-20110314ARTFIG00623-les-forces- saoudiennes-penetrent-a-bahrein.php - Page 33 -
  • 34. C. La guerre civile Syrienne 1. La contestation de la rue devient une guerre civile Dans la foulée des printemps arabes qui secouent la région en ce début d'année 2011, le régime Baassiste Syrien doit lui aussi faire face à une vague de contestation populaire dont les revendications sociales et politiques sont sans précédent. A l'instar de la Tunisie ou de l'Egypte, les demandes principales des manifestants sont des réformes permettant une démocratie réelle et appliquée, et une meilleure combativité envers la corruption qui gangrène tous les échelons de la vie politique jusqu'à la vie sociale Syrienne. À partir du vendredi 18 mars 2011, des milliers de manifestants se rassemblent dans les villes de Damas, de Homs, de Banias mais également à Deraa qui sera l'un des foyers de la contestation. Le Président Syrien Bachar el-Assad ordonne alors la répression de ces manifestations, ce qui entraînera des centaines de morts et des milliers de blessés dès les premières semaines de la contestation populaire. Dans la population, ce sont des dizaines d’opposants au régime qui sont arrêtés et envoyés dans les geoles du régime. À partir du 25 mars, et malgré la féroce répression qui s'orchestre, le mouvement commence à s'étendre aux principales villes du pays. Dans le même laps de temps, des manifestations pro-gouvernementales sont organisées à Damas. Face à la férocité du régime envers les manifestants, de plus en plus de soldats de l'armée arabe Syrienne font défection et vont rejoindre les rangs des manifestants et bientôt un point de non-retour est atteint. Face à l'armée qui est de plus en plus mobilisée à travers le pays pour contrer les manifestations qui se font de plus en plus violentes en réponse aux attaques armées du régime, le mouvement contestataire se mue progressivement en une guérilla armée. Les déserteurs de l'armée ainsi que de nombreux civils rejoignent ce qui devient l'armée Syrienne libre. Au fil des jours, certains quartiers des villes rebelles sont pilonnés par les obus de mortier ou sont bombardés par des avions de chasse de l'armée de l'air Syrienne. Juillet 2012, près de six mois après le début de la contestation pacifique, la Croix-Rouge et le Croissant Rouge déclarent le pays en état de guerre civile et tirent la sonnette d'alarme face à ce qu'ils considèrent comme étant une grave crise humanitaire en devenir33 . 33 - https://www.icrc.org/fre/resources/documents/update/2012/syria-update-2012-07-17.htm - Page 34 -
  • 35. En juillet 2013, les Nations Unis estiment que la guerre civile qui fait rage depuis déjà plus d'un an en Syrie a fait plus de 100 000 morts, et moins d'un an plus tard, en avril 2014, l'OSDH, une ONG Syrienne rebelle qui tient lieu de source d'information privilégiée des occidentaux, en dénombre plus de 150 000. Ce nombre augmente à près de 300.000 morts à l'été 2016 ainsi que plus de deux millions de blessés, cinq millions de réfugiés ainsi que plus de huit millions de déplacés à l'intérieur même des frontières du pays. Ces chiffres accumulés représentent plus de la moitié de la population totale de Syrie recensée avant le début du conflit. 2. Le conflit vu dans son ensemble Si la contestation du régime Syrien avait à l'origine pour but d'obtenir des réformes socio-éconmique revendiquées par le peuple Syrien de façon pacifique, de nombreux facteurs vinrent rapidement chambouler une situation qui pouvait paraître anodine dans le contexte des contestations populaires qui secouent le moyen-orient. La brutalité avec laquelle le régime a réprimé ces manifestations tout d'abord, a fait en sorte que les revendications des manifestants ont vite évoluées vers un changement clair de régime, et vers la démission ou la chute du Président Bashar Al- Assad. Dans la foulée de la formation de groupes de rebelles armés qui étaient à la base tous ligués contre le régime, on s'aperçoit qu'assez rapidement, ces groupes de rebelles ne répondent pas forcément tous aux mêmes aspirations ni aux mêmes objectifs dans l'hypothèse d'une déchéance du régime. L'Armée Syrienne Libre dite modérée qui est encore jusqu'en 2012 l'une des constituantes principale de la rébellion se fait de plus en plus supplanter par des groupes rebelles islamistes tels que le front Al-Nosra qui s'implante durablement dans la région d'Alep. Dès juillet 2012, L'armée Syrienne se retire du Kurdistan Syrien, dans le nord du pays afin de se redéployer à Alep et sur d'autres fronts considérés comme plus urgents et vitaux pour le régime34 . 34 - Tel que la zone côtière et la région de Tartous, la ville de Lattaquié, ou encore à Damas. - Page 35 -
  • 36. Dans la Syrie en guerre, de plus en plus de ces groupes de rebelles islamistes apparaissent au cours de l'année 2013 et le président Bashar el-Assad se présente comme un rempart de la nation laïque face à ces extrémistes. Il est néanmoins accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité par l'ONU pour des attaques chimiques commises à l'encontre de la population civile35 . Depuis le début du conflit, l'une des armes de prédilection du régime est de jeter du haut d'hélicoptères des barils remplis d'explosifs sur des quartiers rebelles, ce qui témoigne de la non-considération des dirigeants du pays pour sa population civile, même face à des groupes rebelles armés. Le 14 février 2013, le Front al-Nosra s'empare de points stratégiques dans la région du nord-est, et progressivement l'armée Syrienne déserte la région, gardant une garnison à Hassaké et une autre à Deir-ez-zor. Le mois suivant, le chef-lieu de la province de Raqqa tombe aux mains d'une coalition de rebelles islamistes ou modérés tels que Ahrar al-Sham, al-Farouq et Ahfad al-Rassoul de l'ASL et du Front al-Nosra. C'est là un tournant majeur du conflit puisque les rebelles sont parvenus à conquérir une ville d'importance stratégique et à en nettoyer complètement toute trace du gouvernement central. A partir d'avril 2013, et face à tant de groupes rebelles morcelés à travers le territoire, le groupe État islamique en Irak et au Levant fait son apparition en Syrie, s'implantant progressivement à Raqqa qui deviendra à partir de juin 2014 la capitale de son auto-proclamé Caliphat. Le groupe est considéré comme terroriste par la totalité des belligérants du conflit et s'illustre par de très violentes batailles contre tous ceux qui refusent leur visions et leurs règles. Ces règles étant de suivre un islam sunnite épuré de toute évolution, un strict retour à la charia du temps du prophète (VIIème siècle) et une propagation de la doctrine partout dans le monde. En 2016 date de notre recherche, la Syrie est toujours morcelée en de multiples zones contrôlées par le régime, des rebelles, modérés ou islamistes, des Kurdes dans la zone du Rojava déclaré indépendant de facto par la minorité Kurde en novembre 2013, ainsi qu'un immense territoire contrôlé par l’État islamique réparti à cheval entre la Syrie et l'Irak voisine. 35 - http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/08/28/retour-sur-l-attaque-chimique-du-21- aout-a-damas_3467538_3218.html - Page 36 -
  • 37. L'une des composantes de la guerre civile Syrienne est sans aucun doute son caractère confessionel qui se retrouve dans les revendications de part et d'autres des belligérants. Le régime Syrien issu du parti Baas se veut laïc, et protecteur des minorités religieuses nombreuses en Syrie, néanmoins une grande partie de l'administration et la quasi totalité des postes clés sont confiés à la minorité Alalouite chiite, ce qui a eu don de cristalliser les rancoeurs envers cette population qui ne représente que 10 à 15 % de la population Syrienne. La grande majorité de la population étant de confession sunnite. Et si l'on ne peut objectivement et raisonnablement pas confiner le conflit Syrien en une guerre qui opposerait les chiites aux sunnites, il n'en demeure pas moins qu'au fil des années de guerre, une rancoeur particulière s'est créée contre la communauté alaouites et contre leurs alliés chiites d'une façon plus générale. Parmi les forces d'opposition, la quasi-totalité sont des musulmans sunnites, mais il existe également de nombreux sunnites qui restent loyalistes et vivent dans des zones tenues par les forces gouvernementales et restent au contact des chrétiens et des chiites sans que cela ne génère des sources de conflits. 3. Ingérences étrangères dans le conflit (cf. annexe n° 3) Parmi les soutiens étrangers de la première heure au régime Syrien, on peut compter le Hezbollah Libanais, voisin direct, proche géographiquement mais également culturellement. Les cadres du régime Syrien étant chiites, tout comme le sont ceux du Hezbollah qui intervient au côté de son allié dès 2012 en fournissant des milliers de combattants. Le Hezbollah étant lui-même soutenu par les Iraniens, ces derniers sont également un allié indéfectible au régime alaouite avec lequels ils travaillent étroitement depuis le début de la contestation. Fournissant armes, logistique, informations et combattants, les Iraniens sont présents en Syrie dès le début de la contestation et cherchent à tout prix à conserver leur allié stratégique dans la région dont il perdrait toute influence si le régime basculait. Des miliciens du « Corps des Gardiens de la révolution islamique » qui sont sous ordre direct du Guide de la Révolution Ali Khomenei, sont déployés en Syrie dès 2011 et continuent à se battre au côté des troupes gouvernementales tout au long du conflit. Le général Iranien Qasem Soleimani36 en est l'un des dirigeants sur le front Syrien. 36 - http://www.bbc.com/news/world-middle-east-27883162 - Page 37 -
  • 38. L'Iran est également le parrain de nombreuses milices chiites issues du moyen- orient telles que Hezbollah, mais également l'Organisation Badr Irakienne et elle organise la logistique pour ces miliciens et leur affrétement vers la Syrie. De nombreuses troupes de l'armée Syrienne sont également entraînées les Gardiens de la Révolution Iranienne. Enfin, l'Iran fournit à la Syrie une aide financière annuelle pour l'aider à se maintenir à flot dans un pays dont elle ne contrôle plus qu'une partie réduite, et aux infrastructures détruites dans leur quasi-intégralité. La Russie est, enfin, l'un des autres grands soutiens du régime Syrien. Alliés depuis l'époque de la Guerre-Froide, les Russes entretiennent avec les Syriens une relation indéfectible depuis le début du conflit, jusqu'à intervenir militairement en sa faveur à partir du 30 septembre 201537 sur le théâtre des opérations en Syrie. Le port côtier de Tartous étant la dernière base navale dont dispose les Russes en mer Méditérannée, il va sans dire que le maintien en place du régime Syrien est primordial dans les intérêts géostratégiques des Russes. Ainsi c'est elle qui déjà en 2012 refroidie les velléitées d'interventionnisme de la part des Français et des Américains, en s'opposant à toutes sanctions contre le régime qu'elle soutient. A partir de l'été 2015, la Russie alimente le régime Syrien en armes et intervient militairement afin de protéger les zones considérées comme primordiales et « vitales » du régime qui commençaient à devenir dangereusement menacées par les rebelles, notamment le long de la côte, bastion de la communauté Alaouite. Du côté de l'opposition, l'Armée Syrienne Libre qui avait pris le contrôle de différents bastions la première année du conflit s'est morcelée au fil du temps en une myriade de groupes de combattants agissant principalement autour de la zone allant de Alep jusqu'à Damas et qui est soutenue outre les occidentaux, par la Turquie et les monarchies du Golfe. 37 - http://www.rfi.fr/moyen-orient/20160210-intervention-russe-syrie-bouleverse-echiquier- bachar-rebelles - Page 38 -
  • 39. Face à l'expansionnisme jugé dangereux et menaçant de l’État islamique à partir de l'été 2014, les Américains forment une coalition occidentale et débutent une campagne d'intervention aérienne à partir du 23 septembre 2014, principalement en soutien aux milices kurdes et rebelles modérées qui combattent l’État islamique38 . La France se joindra à la coalition en frappant des éléments de l'organisation terroriste à la suite des attentats dont elle fut victime en 2015. Par ailleurs les occidentaux financent, entrainent et soutiennent diverses factions de rebelles modérés au sol, en plus des YPG kurdes dans le nord de la Syrie, dans le but premier de combattre l'EI. Si la Turquie voyait aux premières de la contestation en Syrie une occasion pour elle de changer un régime avec lequel elle entretient des relations rarement au beau fixe, celle-ci a fait volte face en 2016 à la faveur d'un retournement d'alliance progressif avec la Russie dont elle s'est rapprochée au printemps 2016 mais surtout face à l'expansionnisme des populations kurdes dans le nord de la Syrie. Elle intervient au sein de la coalition occidentale menée par les États-Unis, mais également au sol depuis août 2016 dans le nord de la Syrie où elle entend créer une zone tampon avec le Rojava Kurde. La Turquie a longtemps été accusée de collusion avec l’État islamique dont les relations ambigües ont jeté le trouble sur les réelles intentions d'Ankara dans la lutte contre l'organisation terroriste. Le jeu de l'arabie Saoudite est trouble dans le cadre de son ingérence supposée dans le cadre de la guerre civile Syrienne. Le Royaume Saoudien tient particulièrement à contenir et si possible à contrer par tous les moyens possibles l'influence grandissante de l'Iran dans la région. S'appuyant sur les conservateurs sunnites, la société tribale et les officiers déserteurs, les Saoudiens soutiennent également des groupes salafistes qu'ils diligentent contre le régime Syrien. Face à la montée en puissance des groupes de salafistes et de djihadistes qu'ils ont eux-mêmes financés, ils finissent par se désolidariser de ceux-ci, craignant que la contestation de la légitimité du régime Saoudien ne devienne leur prochaine cible, ce qui pourrait affaiblir voire déstabiliser le royaume. Chacun allant de pair avec ses alliés et défendant ses intérêts, le territoire Syrie se voit de plus en plus morcelé au cours des six années de guerre civile où s'affrontent par factions interposés les luttes d'intérêts entre toute cette multitude de protagonistes. 38 - La bataille de Kobane dans la région Kurde au nord de la Syrie, joue ici un rôle primordial dans le début des interventions occidentales en Syrie en 2014. http://www.lemonde.fr/international/visuel/2014/10/15/comprendre-la-bataille-de-kobane-en- quatre-cartes_4506678_3210.html - Page 39 -
  • 40. Conclusion L'invasion américaine de l'Irak en 2003 eut pour conséquence principale, outre la guerre civile qui s'ensuivit dans le pays, de renverser un équilibre jusqu'ici bien établi des influences qu'exercent les puissances sunnites et chiites de la région. Sans forcément avoir toujours des liens entre eux, la succession d'évènements dont nous avons parlé au cours de cette recherche est d'une importance majeure pour quiconque cherche à comprendre la situation dans laquelle se trouve les deux principales forces en présence dans la région que sont l'Iran et l'Arabie Saoudite. Face à ces deux « blocs » qui se font face, l'un chiite et l'autre sunnite, une véritable lutte d'influence et guerre de religion se déchaîne depuis 2003. La chute du régime Baasiste de Saddam Hussein, sa capture et sa pendaison, ayant bouleversé l'échiquier géopolitique, l'Iran cherche à étendre son influence et trouve dans le gouvernement chiite de Nouri Al-Maliki, 1er ministre de l'Irak de 2006 à 2014 un allié de poids. Cherchant à développer son influence dans la région, les Iraniens parviennent à petit à petit à investir dans les infrastructures du pays, gagnant la sympathie de la population chiite qui trouve en son grand voisin un parrain et un protecteur face aux extrémistes sunnites qui les menacent de plus en plus. En 2014, un point culminant est atteint avec l'arrivée en Irak de l'organisation de l’État islamique qui s'empare de pans entiers du territoire irakien, cristallisant une fois de plus les tensions dans la population. Le parrainage iranien du Hezbollah libanais offrait déjà avant 2003 un allié pour l'Iran dans la région, mais c'est véritablement au cours de la guerre civile syrienne que l'Iran s'illustre comme un protagoniste influant et extrêmement puissant pour la région. Dans le même temps, l'Arabie Saoudite ainsi que les pays sunnites du Golfe et la Turquie financent et arment des groupes combattants le régime syrien. Dès lors que les deux blocs s'affrontent sur un territoire extérieur, c'est bien une guerre de « proxys » qui se joue pour obtenir l'hégémonie dans une région très hétérogène en terme de religions. L'avantage de l'Iran face à son rival est certainement d'être le seul pays de la région à être constitué presque uniquement de chiite et d'être présenté comme le représentant des chiites du monde. Le Guide de la Révolution étant une autorité respectée bien au-delà des frontières de l'Iran, et tout particulièrement en ces périodes de crise et de contestations. - Page 40 -
  • 41. Si l'Iran a réussi à prendre un certain avantage dans des pays comme l'Irak ou la Syrie, il n'en reste pas moins que son rival saoudien n'entend pas perdre complètement le contrôle, ainsi l'Arabie Saoudite intervient-elle militairement au Yémen contre les Houthis chiites avec une coalition militaire de pays sunnites qu'elle dirige. Il en fut de même à Bahreïn en 2011 lorsque la population chiite contestait le pouvoir en place, tandis les Saoudiens vinrent en renfort au gouvernement de la famille al-Khalifa, sunnite. Si l'Arabie Saoudite est de longue date un allié privilégié des occidentaux, au même titre que les Qataris ou de nombreux pays de la région d'origine sunnite, elle se voie directement menacée en 2015 face à l'accord sur le nucléaire Iranien qui non seulement propulse son rival sur le devant de la scène internationale, mais vient directement menacer son économie. Le dégel des sanctions et l'embargo infligé à l'Iran, fait réintégrer le pays de fait dans le cercle des pays producteurs de pétrole. Économiquement, c'est un coup de massue sur la tête du Royaume Saoudien qui doit faire face déjà à une diminution de son budget, rimant avec la diminution des coûts du pétrole qu'elle exporte massivement et dont son économie dépend. A l'inverse, c'est une excellente nouvelle pour les Iraniens qui entendent récupérer la place qui était la leur avant le début des sanctions occidentales, c'est à dire être le troisième pays producteur de pétrole au monde et autant de devises qui rentrent pour la République islamique. Politiquement enfin, l'Iran semble de plus en plus sortir du club des infréquentables comme cela le fut tout au long de ce début de millénaire. Alliés des Russes qui sont également un protagoniste de la première importance dans le conflit qui se joue en Syrie, la communauté internationale a bien compris que la guerre civile qui fait rage en Syrie ainsi que le problème que pose l’État islamique ne se résoudraient pas sans intégrer les chiites dans le dialogue. A contrario, si le « renouveau » iranien depuis quelques années a pu accroître son influence, il a également eu le don de cristalliser des tensions déjà sensibles entre les sunnites et les chiites. La géopolitique est un sujet d'étude qui n'a de cesse d'évoluer, et force est de constater que le statu-quo opérait encore en 2003 a bel et bien volé en éclat. Le roi Abdallah II de Jordanien lorsqu'il parlait de l'influence iranienne dans le croissant chiite n'aurait pu être meilleur prophète en son temps à ce sujet. L'influence dans la région du croissant chiite depuis quelques années de l'Iran est indéniable. Jouant sur la carte du « panchiisme » elle représente un leader incontesté et continue de se forger des intérêts et une emprise en constante augmentation sur des régions entières de pays qui dépendaient autrefois de dirigeants sunnites. En 2016 et pour les décennies encore à venir, la République islamique d'Iran tiendra un rôle prédominant dans la résolution des immenses défis qui attendent la région du Moyen-Orient, et tout particulièrement au sein de « son » croissant chiite. - Page 41 -
  • 42. Bibliographie : 1. Ouvrages - BADIE Bertrand - Le Temps des Humiliés, Odile Jacob, Paris 2014 - BOZO, Frédéric - Histoire secrète de la crise irakienne : La France, les États- Unis et l’Irak (1991-2003), Perrin, Paris 2013 - COLOSIMI Jean-François - Le Paradoxe persan. Un carnet iranien, Fayard 2009 - JAHANCHAHI Amir – L'Hitler Iranien. En finir avec la dictature d'Ahmadinejad, Jean-Claude Gawsewitch, Paris 2009 - MAALOUF Amin – Les identités meutrières, Grasset. Paris 1998 - VARENNE Jean – Zoroastre, le prophète de l'Iran. Dervy Poche, Paris 2012 2. Documentaires - Kamal Redouani. Islam contre Islam. TAC PRESSE - Diffusé sur : Spécial Investigation, Canal + (France, 2015,50 min) - FRITEL Jérôme - Daech, naissance d’un État terroriste. Coproduction : ARTE GEIE, Pac Presse (France, 2014, 52mn) - Page 42 -