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42 DOSSIER
ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF
RECHERCHE EN FINANCE SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ?
s
DIDIER COUTTON EST MEMBRE
DE LA SFAF, DOCTEUR EN
SCIENCES DE GESTION ET
ENSEIGNANT CHERCHEUR
(DIRECTEUR MSC BANQUE & ASSURANCE ; MSC
INGÉNIERIE COMMERCIALE ET MANAGEMENT
DE PROJET GROUPE INSEEC).
Spécialiste de l’investissement dans la valeur, il a traduit de
nombreux ouvrages dont Security Analysis - L'analyse et
l'évaluation financières des valeurs mobilières de Benjamin
Graham et David L. Dodd (Valor Éditions) ; Les Écrits de
Warren Buffett - Traduction de The Essays of Warren Buffett :
Lessons for Corporate America de Lawrence Cunningham ;
L'Interprétation des États Financiers - Traduction de The
Interpretation of Financial Statements de Benjamin Graham et
Spencer B. Meredith ; Investir dans la Valeur - Traduction de
Value Investing : From Graham to Buffett and Beyond de Bruce
C. N. Greenwald.
Security Analysis1
de Benjamin Graham et David
Dodd, l’ouvrage fondateur de l’analyse financière, a
été publié pour la première fois en 1934. Il est enfin
disponible en français. Pourquoi tant d’attente ?
Ce n’est pas par manque d’intérêt que le livre n’a pas été traduit
en français, puisqu’il a été publié à plus d’un million d’exemplaires
dans le monde. C’est sans doute l’épaisseur de
l’ouvrage qui a refroidi plus d’un candidat à sa
traduction : 1 300 heures de travail sur cinq ans
auront été nécessaires pour assimiler, décrypter
et traduire les 700 pages de l’ouvrage.
Pourquoi Security Analysis est-il
considéré comme la « bible » de la
finance ?
Pour comprendre le caractère fondateur de
l’ouvrage, il faut replacer le livre et ses auteurs
dans le contexte de l’époque. Les marchés finan-
ciers américains des années 1930 n’étaient pas
aussi vastes qu’aujourd’hui, mais ils étaient déjà
sophistiqués. En effet, le marché obligataire et
le compartiment des titres hybrides – actions de
préférence ou obligations assorties d’une option
– étaient très actifs, car le système bancaire n’était pas aussi déve-
loppé qu’aujourd’hui. En revanche, les normes comptables restaient
à la discrétion des entreprises qui n’hésitaient pas à les utiliser à
leur avantage.
Benjamin Graham et David Dodd ont été les premiers à montrer
comment analyser, expliquer et repérer les incohérences des états
SECURITY ANALYSIS,
UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ?
Pour Didier Coutton, traducteur de la version
française de l’ouvrage Security Analysis, la
méthode de Benjamin Graham et David Dood
reste d’actualité. Car aujourd’hui plus que jamais,
un retour aux fondamentaux de l’analyse finan-
cière et à l’étude du bilan s’imposeraient.
JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60
financiers. Ils sont aussi à l’origine de l’analyse comparative avec
l’usage des ratios et de l’analyse dynamique avec l’étude historique
des résultats.
Graham et Dodd sont aussi des précurseurs, car ils vont tracer la
voie à des innovations financières majeures. Ils montrent, 15 ans
avant Markowitz, tout l’intérêt de la diversification pour réduire le
risque. Ils s’interrogent, 20 ans avant Modigliani
et Miller, sur l’incidence de la structure financière
dans la valeur de l’entreprise et montrent l’intérêt
du levier financier qu’ils assimilent à un achat à
découvert. Ils expliquent bien avant Modigliani,
Miller, Treynor, Sharpe, Litner et d’autres com-
ment interpréter les politiques d’investissement
et de financement. Ils s’aventurent sur la valo-
risation des options et proposent, 30 ans avant
les découvertes de Merton, Black et Scholes, une
démarche qualitative d’évaluation des options en
s’intéressant à trois des cinq variables du fameux
modèle de Black & Scholes. Ils décrivent le rôle
et les obligations du gérant de portefeuille et
montrent aussi les limites de l’analyse fondamen-
tale et de l’analyse graphique.
Se sont-ils aussi intéressés à la finance
comportementale ?
Oui. La finance comportementale peut leur être reconnaissante
d’avoir mis en évidence plusieurs biais comportementaux comme
l’excès d’optimisme, qui conduit à vendre les titres gagnants et à
conserver les titres perdants, ou la sur-réaction à la publication des
43
E
trouve dans l’analyse du bilan, pas dans le compte de résultat et
encore moins dans les perspectives de résultat qui ne sont que pures
spéculations.
Aujourd’hui, Graham et Dodd seraient ravis d’avoir à disposition des
bilans de meilleure qualité, intégrant tous les engagements, valori-
sant les actifs en juste valeur et permettant la comparabilité. Leur
travail s’en trouverait simplifié. Si leur ouvrage est toujours d’actua-
lité, c’est parce que Graham et Dodd ne seraient pas gênés par les
taux d’intérêt que nous connaissons, car ils n’utiliseraient proba-
résultats. Ils font également référence au comportement grégaire des
investisseurs dans la formation des bulles spéculatives en évoquant
la « psychologie d’un marché haussier ». Dans leur célèbre citation
« Le marché se comporte comme une machine à compter les
suffrages exprimés, pas comme un outil de mesure », ils recon-
naissent implicitement que les marchés ne sont pas parfaitement
efficients, même s’ils admettent que les prix intègrent assez bien l’in-
formation disponible. Ils sont convaincus que seul l’analyste financier
peut tirer parti de la divergence persistante entre prix et valeur. C’est
ainsi qu’ils opposent deux notions : l’investissement à long terme, peu
risqué, à la spéculation à court terme, risquée. Investir, c’est acheter
dans une perspective de long terme, à un cours inférieur à la valeur
de l’actif sous-jacent avec une marge de sécurité suffisante pour ne
pas risquer une perte en capital. Là est tout le savoir-faire des inves-
tisseurs dans la valeur comme Warren Buffett qui fut l’employé de
Graham ! Benjamin Graham et David Dodd ont donc pavé la route à
plusieurs générations de financiers et d’universitaires.
L’ouvrage est-il encore d’actualité ?
Plus que jamais. Les exemples servis sont désuets, mais Graham
et Dodd décrivent une approche de l’analyse financière où le bilan
prime sur le compte de résultat pour valoriser les capitaux propres.
Leur méthode est même novatrice puisque, sans le savoir, ils uti-
lisent la théorie des options, estimant que la valeur de l’action est
égale à la valeur de l’actif économique diminuée de celle de la dette,
à laquelle s’ajoute la valeur d’une option de vente sur l’actif écono-
mique. Ne sachant pas évaluer précisément cette option de vente,
ils en concluent que la valeur des capitaux propres est la différence
entre l’actif économique et la dette réévaluée, après avoir pris une
« marge de sécurité ». Pour résumer leur point de vue, la valeur se
Les exemples servis sont
désuets, mais Graham et Dodd
décrivent une approche de
l’analyse financière où le bilan
prime sur le compte de résultat
pour valoriser les capitaux
propres. Leur méthode est
même novatrice puisque, sans
le savoir, ils utilisent la théorie
des options, estimant que la
valeur de l’action est égale à
la valeur de l’actif économique
diminuée de celle de la dette,
à laquelle s’ajoute la valeur
d’une option de vente sur l’actif
économique.
SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ?
JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60
BENJAMINGRAHAM,LEPÈREDEL’ANALYSEFINANCIÈRE.
Benjamin Graham est né le 9 mai 1894 à Londres avant de déménager à
New York, où il passera une grande partie de sa vie. Très jeune, il montre
un intérêt pour la littérature, les langues (il étudie le français à partir de
douze ans), les mathématiques, la philosophie, la littérature anglaise, le
grec et la musique. À l’âge de neuf ans, il perd son père. Pourtant encore
très jeune, il est marqué par le krach de 1907 où sa mère perd toutes ses
économies. Il étudie à Columbia où il se fait remarquer par le doyen de
l’université qui lui conseille de se diriger dans le secteur de la finance. À
20 ans, il rejoint une société d’investissement où ses capacités d’analyse
lui valent de grimper rapidement les échelons pour devenir associé six
ans plus tard. En 1923, à 29 ans, il crée sa propre société de gestion où
il vole de succès en succès. Il refuse de s’associer à Bernard Baruch,
célèbre investisseur, et mène grande vie. À partir de 1928 et jusqu’en
1954, il enseigne à l’Université de Columbia où il crée un cours d’analyse
financière, toujours dispensé aujourd’hui. À la veille du krach de 1929, il
se montre inquiet, mais laisse une bonne partie de son portefeuille en
Bourse. Il perdra près de 70 % de son capital entre 1929 et 1932. Il ne
lui faudra que quatre ans pour récupérer ses pertes et rembourser ses
associés. En 1935, il participe à la fondation de la première association
d’analystes financiers (Chartered Financial Analysts). Il ne cessera alors
d’œuvrer pour la professionnalisation du métier d’analyste, préconisant
de mettre en place une certification professionnelle et des standards
pour l’exercice de la profession. En 1954, il embauche Warren Buffett
et ferme son fonds deux ans plus tard, pour prendre une retraite dorée.
Francophile et remarié à une Française, il meurt le 21 septembre 1976 à
Aix-en-Provence. D. Coutton
DOSSIER
ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF
RECHERCHE EN FINANCE
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E
JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60
blement pas les modèles actuariels. Graham critique en effet ces
modèles. Un peu d’histoire pour le comprendre.
L’origine des modèles d’actualisation des flux de trésorerie est à
mettre au crédit de John Burr Williams, auteur peu connu alors qu’on
lui doit beaucoup. Il a construit une Théorie de la valeur (Theory of
Investment Value, 1938) via laquelle il montre que la valeur d’un
actif est égale à la somme actualisée de ses revenus futurs et illustre
sa thèse en appliquant son modèle à la valorisation d’une action par
l’actualisation des dividendes et à la valorisation d’une obligation par
l’actualisation des coupons et de sa valeur de remboursement.
Ce qui est amusant, c’est que Benjamin Graham a été le rapporteur
de l’article de Williams publié dans le Journal of Political Economy
en 1939. Si Williams estime que la formulation mathématique de la
valeur sonnera la fin des bulles spéculatives, Graham ne partage pas
cette opinion, soulignant que ce modèle est fondé sur des hypothèses
– les flux de trésorerie et le taux d’actualisation – par définition incer-
taines. Il écrit : « On peut se demander s’il n’y a pas une discor-
dance trop grande entre le nécessaire manque de fiabilité de ces
hypothèses et l’extrême subtilité mathématique à les utiliser ». Il
termine son rapport en félicitant Williams pour son approche nova-
trice, tout en ajoutant : « La prudence n’est pas implicite dans les
formules de l’auteur, mais si grâce à cet outillage mathématique,
l’investisseur peut être convaincu de rester raisonnable dans
l’évaluation du cours des actions, alors en qualité de rappor-
teur, je vote haut et fort pour cette formule algébrique ».
L’histoire a donné raison à Graham, en montrant que la modélisation
de la valeur d’un actif ou d’un contrat crée une illusion de contrôle et
un excès de confiance – des biais bien connus en finance comporte-
mentale. Les modèles actuariels donnent en effet l’impression que les
résultats obtenus sont robustes, même si les hypothèses sont irréa-
listes. Sans compter qu’aujourd’hui, ils sont délicats à utiliser, car des
taux nuls ne peuvent pas traduire la « juste valeur » du risque.
Voilà pourquoi dans un tel contexte, il serait utile de revenir aux
fondamentaux de l’analyse financière prônés par Graham et Dodd :
s’intéresser au bilan pour investir et garder le compte de résultat et
les résultats prévisionnels pour spéculer. Quant aux modèles mathé-
matiques, il faut s’en méfier.
Quelle place accorder aux nouveaux canaux
d’information et au Big data dans le domaine de
l’analyse financière des sociétés ?
Si vous faites référence aux réseaux sociaux, leur intérêt est de for-
mer une opinion générale, un sentiment de marché, guère plus. Ils
créent du bruit et peuvent détourner l’attention des analystes des
fondamentaux de l’entreprise. Quant au Big data, j’ai un avis critique.
En effet, le Big data est souvent utilisé dans une approche inductive,
c’est-à-dire que l’analyste tente de bâtir un modèle à partir de l’obser-
vation. Or, le volume considérable de données et la puissance infor-
matique permettent toujours d’établir une corrélation entre plusieurs
variables. Par exemple, nous constatons que le taux de chômage est
corrélé avec la température. Peut-on pour autant en conclure que le
chômage va augmenter avec le réchauffement climatique ? Évidem-
ment non. Le chômage augmente l’été avec l’arrivée de nouveaux
demandeurs d’emploi sortant de l’école ou de l’université ! Atten-
tion, corrélation ne signifie pas causalité. En revanche, un Big data
« déductif » pour vérifier une théorie ou une « intuition » reste utile.
Quelles sont les directions prises par la recherche en
finance ?
Trois conceptions permettent d’appréhender le processus de prise de
décision, mais aussi l’évolution de la recherche en finance. D’abord,
l’analyse normative qui se cantonne à la recherche d’une solution
rationnelle à un problème. La finance classique couvre désormais
très bien cette perspective. Ensuite, l’analyse descriptive qui s’inté-
resse à la prise de décision dans le monde réel. La finance compor-
tementale a déblayé ce champ dans les 30 dernières années, mais il
reste encore à faire. Enfin, l’analyse prescriptive qui s’intéresse aux
outils ou aux modèles d’aide à la décision visant à offrir des résultats
proches de la réalité. C’est dans cette voie que se trouve le futur de
la recherche en finance ; dans des modèles prescriptifs réconciliant la
finance classique et la finance comportementale. n
(1) Voir la rubrique “Lu pour vous” dans la revue Analyse financière édition N° 58, p.112.
DOSSIER
ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF
RECHERCHE EN FINANCE
L’histoire a donné raison à
Graham, en montrant que
la modélisation de la valeur
d’un actif ou d’un contrat
crée une illusion de contrôle
et un excès de confiance
– des biais bien connus en
finance comportementale.
Les modèles actuariels
donnent en effet l’impression
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sont robustes, même si les
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SFAF Revue d'Analyse Financière 201607

  • 1. 42 DOSSIER ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF RECHERCHE EN FINANCE SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ? s DIDIER COUTTON EST MEMBRE DE LA SFAF, DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION ET ENSEIGNANT CHERCHEUR (DIRECTEUR MSC BANQUE & ASSURANCE ; MSC INGÉNIERIE COMMERCIALE ET MANAGEMENT DE PROJET GROUPE INSEEC). Spécialiste de l’investissement dans la valeur, il a traduit de nombreux ouvrages dont Security Analysis - L'analyse et l'évaluation financières des valeurs mobilières de Benjamin Graham et David L. Dodd (Valor Éditions) ; Les Écrits de Warren Buffett - Traduction de The Essays of Warren Buffett : Lessons for Corporate America de Lawrence Cunningham ; L'Interprétation des États Financiers - Traduction de The Interpretation of Financial Statements de Benjamin Graham et Spencer B. Meredith ; Investir dans la Valeur - Traduction de Value Investing : From Graham to Buffett and Beyond de Bruce C. N. Greenwald. Security Analysis1 de Benjamin Graham et David Dodd, l’ouvrage fondateur de l’analyse financière, a été publié pour la première fois en 1934. Il est enfin disponible en français. Pourquoi tant d’attente ? Ce n’est pas par manque d’intérêt que le livre n’a pas été traduit en français, puisqu’il a été publié à plus d’un million d’exemplaires dans le monde. C’est sans doute l’épaisseur de l’ouvrage qui a refroidi plus d’un candidat à sa traduction : 1 300 heures de travail sur cinq ans auront été nécessaires pour assimiler, décrypter et traduire les 700 pages de l’ouvrage. Pourquoi Security Analysis est-il considéré comme la « bible » de la finance ? Pour comprendre le caractère fondateur de l’ouvrage, il faut replacer le livre et ses auteurs dans le contexte de l’époque. Les marchés finan- ciers américains des années 1930 n’étaient pas aussi vastes qu’aujourd’hui, mais ils étaient déjà sophistiqués. En effet, le marché obligataire et le compartiment des titres hybrides – actions de préférence ou obligations assorties d’une option – étaient très actifs, car le système bancaire n’était pas aussi déve- loppé qu’aujourd’hui. En revanche, les normes comptables restaient à la discrétion des entreprises qui n’hésitaient pas à les utiliser à leur avantage. Benjamin Graham et David Dodd ont été les premiers à montrer comment analyser, expliquer et repérer les incohérences des états SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ? Pour Didier Coutton, traducteur de la version française de l’ouvrage Security Analysis, la méthode de Benjamin Graham et David Dood reste d’actualité. Car aujourd’hui plus que jamais, un retour aux fondamentaux de l’analyse finan- cière et à l’étude du bilan s’imposeraient. JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60 financiers. Ils sont aussi à l’origine de l’analyse comparative avec l’usage des ratios et de l’analyse dynamique avec l’étude historique des résultats. Graham et Dodd sont aussi des précurseurs, car ils vont tracer la voie à des innovations financières majeures. Ils montrent, 15 ans avant Markowitz, tout l’intérêt de la diversification pour réduire le risque. Ils s’interrogent, 20 ans avant Modigliani et Miller, sur l’incidence de la structure financière dans la valeur de l’entreprise et montrent l’intérêt du levier financier qu’ils assimilent à un achat à découvert. Ils expliquent bien avant Modigliani, Miller, Treynor, Sharpe, Litner et d’autres com- ment interpréter les politiques d’investissement et de financement. Ils s’aventurent sur la valo- risation des options et proposent, 30 ans avant les découvertes de Merton, Black et Scholes, une démarche qualitative d’évaluation des options en s’intéressant à trois des cinq variables du fameux modèle de Black & Scholes. Ils décrivent le rôle et les obligations du gérant de portefeuille et montrent aussi les limites de l’analyse fondamen- tale et de l’analyse graphique. Se sont-ils aussi intéressés à la finance comportementale ? Oui. La finance comportementale peut leur être reconnaissante d’avoir mis en évidence plusieurs biais comportementaux comme l’excès d’optimisme, qui conduit à vendre les titres gagnants et à conserver les titres perdants, ou la sur-réaction à la publication des
  • 2. 43 E trouve dans l’analyse du bilan, pas dans le compte de résultat et encore moins dans les perspectives de résultat qui ne sont que pures spéculations. Aujourd’hui, Graham et Dodd seraient ravis d’avoir à disposition des bilans de meilleure qualité, intégrant tous les engagements, valori- sant les actifs en juste valeur et permettant la comparabilité. Leur travail s’en trouverait simplifié. Si leur ouvrage est toujours d’actua- lité, c’est parce que Graham et Dodd ne seraient pas gênés par les taux d’intérêt que nous connaissons, car ils n’utiliseraient proba- résultats. Ils font également référence au comportement grégaire des investisseurs dans la formation des bulles spéculatives en évoquant la « psychologie d’un marché haussier ». Dans leur célèbre citation « Le marché se comporte comme une machine à compter les suffrages exprimés, pas comme un outil de mesure », ils recon- naissent implicitement que les marchés ne sont pas parfaitement efficients, même s’ils admettent que les prix intègrent assez bien l’in- formation disponible. Ils sont convaincus que seul l’analyste financier peut tirer parti de la divergence persistante entre prix et valeur. C’est ainsi qu’ils opposent deux notions : l’investissement à long terme, peu risqué, à la spéculation à court terme, risquée. Investir, c’est acheter dans une perspective de long terme, à un cours inférieur à la valeur de l’actif sous-jacent avec une marge de sécurité suffisante pour ne pas risquer une perte en capital. Là est tout le savoir-faire des inves- tisseurs dans la valeur comme Warren Buffett qui fut l’employé de Graham ! Benjamin Graham et David Dodd ont donc pavé la route à plusieurs générations de financiers et d’universitaires. L’ouvrage est-il encore d’actualité ? Plus que jamais. Les exemples servis sont désuets, mais Graham et Dodd décrivent une approche de l’analyse financière où le bilan prime sur le compte de résultat pour valoriser les capitaux propres. Leur méthode est même novatrice puisque, sans le savoir, ils uti- lisent la théorie des options, estimant que la valeur de l’action est égale à la valeur de l’actif économique diminuée de celle de la dette, à laquelle s’ajoute la valeur d’une option de vente sur l’actif écono- mique. Ne sachant pas évaluer précisément cette option de vente, ils en concluent que la valeur des capitaux propres est la différence entre l’actif économique et la dette réévaluée, après avoir pris une « marge de sécurité ». Pour résumer leur point de vue, la valeur se Les exemples servis sont désuets, mais Graham et Dodd décrivent une approche de l’analyse financière où le bilan prime sur le compte de résultat pour valoriser les capitaux propres. Leur méthode est même novatrice puisque, sans le savoir, ils utilisent la théorie des options, estimant que la valeur de l’action est égale à la valeur de l’actif économique diminuée de celle de la dette, à laquelle s’ajoute la valeur d’une option de vente sur l’actif économique. SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ? JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60 BENJAMINGRAHAM,LEPÈREDEL’ANALYSEFINANCIÈRE. Benjamin Graham est né le 9 mai 1894 à Londres avant de déménager à New York, où il passera une grande partie de sa vie. Très jeune, il montre un intérêt pour la littérature, les langues (il étudie le français à partir de douze ans), les mathématiques, la philosophie, la littérature anglaise, le grec et la musique. À l’âge de neuf ans, il perd son père. Pourtant encore très jeune, il est marqué par le krach de 1907 où sa mère perd toutes ses économies. Il étudie à Columbia où il se fait remarquer par le doyen de l’université qui lui conseille de se diriger dans le secteur de la finance. À 20 ans, il rejoint une société d’investissement où ses capacités d’analyse lui valent de grimper rapidement les échelons pour devenir associé six ans plus tard. En 1923, à 29 ans, il crée sa propre société de gestion où il vole de succès en succès. Il refuse de s’associer à Bernard Baruch, célèbre investisseur, et mène grande vie. À partir de 1928 et jusqu’en 1954, il enseigne à l’Université de Columbia où il crée un cours d’analyse financière, toujours dispensé aujourd’hui. À la veille du krach de 1929, il se montre inquiet, mais laisse une bonne partie de son portefeuille en Bourse. Il perdra près de 70 % de son capital entre 1929 et 1932. Il ne lui faudra que quatre ans pour récupérer ses pertes et rembourser ses associés. En 1935, il participe à la fondation de la première association d’analystes financiers (Chartered Financial Analysts). Il ne cessera alors d’œuvrer pour la professionnalisation du métier d’analyste, préconisant de mettre en place une certification professionnelle et des standards pour l’exercice de la profession. En 1954, il embauche Warren Buffett et ferme son fonds deux ans plus tard, pour prendre une retraite dorée. Francophile et remarié à une Française, il meurt le 21 septembre 1976 à Aix-en-Provence. D. Coutton DOSSIER ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF RECHERCHE EN FINANCE
  • 3. 44 E JUILLET AOÛT SEPTEMBRE 2016 ANALYSE FINANCIÈRE N° 60 blement pas les modèles actuariels. Graham critique en effet ces modèles. Un peu d’histoire pour le comprendre. L’origine des modèles d’actualisation des flux de trésorerie est à mettre au crédit de John Burr Williams, auteur peu connu alors qu’on lui doit beaucoup. Il a construit une Théorie de la valeur (Theory of Investment Value, 1938) via laquelle il montre que la valeur d’un actif est égale à la somme actualisée de ses revenus futurs et illustre sa thèse en appliquant son modèle à la valorisation d’une action par l’actualisation des dividendes et à la valorisation d’une obligation par l’actualisation des coupons et de sa valeur de remboursement. Ce qui est amusant, c’est que Benjamin Graham a été le rapporteur de l’article de Williams publié dans le Journal of Political Economy en 1939. Si Williams estime que la formulation mathématique de la valeur sonnera la fin des bulles spéculatives, Graham ne partage pas cette opinion, soulignant que ce modèle est fondé sur des hypothèses – les flux de trésorerie et le taux d’actualisation – par définition incer- taines. Il écrit : « On peut se demander s’il n’y a pas une discor- dance trop grande entre le nécessaire manque de fiabilité de ces hypothèses et l’extrême subtilité mathématique à les utiliser ». Il termine son rapport en félicitant Williams pour son approche nova- trice, tout en ajoutant : « La prudence n’est pas implicite dans les formules de l’auteur, mais si grâce à cet outillage mathématique, l’investisseur peut être convaincu de rester raisonnable dans l’évaluation du cours des actions, alors en qualité de rappor- teur, je vote haut et fort pour cette formule algébrique ». L’histoire a donné raison à Graham, en montrant que la modélisation de la valeur d’un actif ou d’un contrat crée une illusion de contrôle et un excès de confiance – des biais bien connus en finance comporte- mentale. Les modèles actuariels donnent en effet l’impression que les résultats obtenus sont robustes, même si les hypothèses sont irréa- listes. Sans compter qu’aujourd’hui, ils sont délicats à utiliser, car des taux nuls ne peuvent pas traduire la « juste valeur » du risque. Voilà pourquoi dans un tel contexte, il serait utile de revenir aux fondamentaux de l’analyse financière prônés par Graham et Dodd : s’intéresser au bilan pour investir et garder le compte de résultat et les résultats prévisionnels pour spéculer. Quant aux modèles mathé- matiques, il faut s’en méfier. Quelle place accorder aux nouveaux canaux d’information et au Big data dans le domaine de l’analyse financière des sociétés ? Si vous faites référence aux réseaux sociaux, leur intérêt est de for- mer une opinion générale, un sentiment de marché, guère plus. Ils créent du bruit et peuvent détourner l’attention des analystes des fondamentaux de l’entreprise. Quant au Big data, j’ai un avis critique. En effet, le Big data est souvent utilisé dans une approche inductive, c’est-à-dire que l’analyste tente de bâtir un modèle à partir de l’obser- vation. Or, le volume considérable de données et la puissance infor- matique permettent toujours d’établir une corrélation entre plusieurs variables. Par exemple, nous constatons que le taux de chômage est corrélé avec la température. Peut-on pour autant en conclure que le chômage va augmenter avec le réchauffement climatique ? Évidem- ment non. Le chômage augmente l’été avec l’arrivée de nouveaux demandeurs d’emploi sortant de l’école ou de l’université ! Atten- tion, corrélation ne signifie pas causalité. En revanche, un Big data « déductif » pour vérifier une théorie ou une « intuition » reste utile. Quelles sont les directions prises par la recherche en finance ? Trois conceptions permettent d’appréhender le processus de prise de décision, mais aussi l’évolution de la recherche en finance. D’abord, l’analyse normative qui se cantonne à la recherche d’une solution rationnelle à un problème. La finance classique couvre désormais très bien cette perspective. Ensuite, l’analyse descriptive qui s’inté- resse à la prise de décision dans le monde réel. La finance compor- tementale a déblayé ce champ dans les 30 dernières années, mais il reste encore à faire. Enfin, l’analyse prescriptive qui s’intéresse aux outils ou aux modèles d’aide à la décision visant à offrir des résultats proches de la réalité. C’est dans cette voie que se trouve le futur de la recherche en finance ; dans des modèles prescriptifs réconciliant la finance classique et la finance comportementale. n (1) Voir la rubrique “Lu pour vous” dans la revue Analyse financière édition N° 58, p.112. DOSSIER ENTRETIEN AVEC DIDIER COUTTON PAR MICHÈLE HÉNAFF RECHERCHE EN FINANCE L’histoire a donné raison à Graham, en montrant que la modélisation de la valeur d’un actif ou d’un contrat crée une illusion de contrôle et un excès de confiance – des biais bien connus en finance comportementale. Les modèles actuariels donnent en effet l’impression que les résultats obtenus sont robustes, même si les hypothèses sont irréalistes. SECURITY ANALYSIS, UN OUVRAGE D’ACTUALITÉ ?