Les « Trois d’Angola », plus de 40 ans d’acharnement et d’injustices. Le 17 avril 2014 a tristement marqué le 42e anniversaire du placement à l’isolement d’Albert Woodfox et d’Herman Wallace, dans la prison d’Angola, en l’État de Louisiane. 42 années qui témoignent de la volonté des autorités de réduire au silence et de déshumaniser
ces deux hommes.
Le combat pour les Trois d’Angola et contre la détention à l’isolement prolongé
1. Dossier
Le combat
pour les Trois d’Angola
et contre la détention
à l’isolement prolongé
Un dossier réalisé grâce aux contributions de :
Nathalie Berger
coordinatrice Etats-Unis, AI France
Tessa Murphy
chercheuse Etats-Unis sur la détention à l’isolement, AI
Nina Kowalska
coordinatrice de la Coalition Internationale pour les Trois d’Angola
Nicolas Krameyer
responsable de programme “personnes en danger”, AI France
3. Dossier
Leur dossier d’accusation semble avoir été monté de toutes pièces sur la base des témoi-
gnages de codétenus qui n’auraient jamais dû être pris en compte par la justice. Ainsi, l’un des
principaux témoins oculaires est aveugle tandis qu’un autre souffre de troubles psychiatriques
sévères.
Le témoignage central du principal accusateur, un certain Hezekiah Brown, décédé depuis, et
condamné à l’époque à la perpétuité pour de nombreux viols, a été par la suite totalement
discrédité : il a été révélé qu’Hezekiah Brown avait été récompensé pour sa déclaration, notam-
ment par une grâce et une libération anticipée, et divers avantages en prison en attendant.
De fait, il n’y a aucune preuve matérielle reliant Albert ou Herman au meurtre, et des éléments
de preuve susceptibles de les disculper ont été « perdus » par l’administration pénitentiaire.
Robert King ne passera jamais en procès pour cette affaire, mais sera condamné pour le meurtre
d’un codétenu un an plus tard, sur la base de témoignages peu crédibles.
Une détention à l’isolement indéfinie,
IllÉGALE même au regard du droit local
La décision d’enfermer Herman, Albert et Robert à l’isolement n’est pas d’origine judiciaire,
mais pénitentiaire. Pour Amnesty International, elle est directement liée, au moins pour partie,
à leur militantisme en prison.
De 1972 à aujourd’hui, la décision initiale de maintien à l’isolement d’Albert et d’Herman
a été renouvelée plus de 160 fois, plus de 100 fois pour Robert avant sa libération en 2001.
À l’issue de chaque examen, qui ne leur a jamais laissé la possibilité de prendre part à la
procédure ou de contester la décision, la commission a décidé de laisser Albert, Herman et
Robert à l’isolement en invoquant la « raison initiale du placement à l’isolement ». En 1996,
la politique carcérale de la Louisiane a été modifiée pour que la « raison initiale du placement
à l’isolement » ne soit plus un motif pour maintenir un détenu en isolement. Mais ce changement
n’a jamais été appliqué aux Trois d’Angola.
Les dossiers disciplinaires montrent que, pendant des décennies, aucun des trois hommes
n’a commis d’infraction disciplinaire grave, et les documents relatifs à leur santé mentale
indiquent qu’ils ne représentent aucune menace, ni pour eux-mêmes, ni pour autrui.
Amnesty International considère qu’aucun motif pénal légitime ne justifie la reconduction
systématique du maintien à l’isolement des deux hommes. Pendant 15 ans, sous la direction
de Burl Cain, qui estimait que l’absence d’infraction disciplinaire ne devait pas être prise
en compte, la commission de révision a ignoré de fait la politique carcérale en vigueur dans
l’État de Louisiane.
Pendant des dizaines d’années, en se contentant de revalider la décision initiale de placer
les deux hommes à l’isolement cellulaire, les commissions de révision successives ont soumis
Albert Woodfox et Herman Wallace à des conditions qu’on ne peut qualifier que de cruelles,
inhumaines et dégradantes.
Burl Cain, directeur de la prison d’Angola
à propos d’Herman Wallace en 2006 :« Son dossier disciplinaire […] importe peu, vraiment.
S’il est là, c’est en raison de sa condamnation initiale, c’est pour cela qu’il est ici, et c’est
pour cela qu’il va y rester. »
Et, en 2008, le même, à propos d’Albert Woodfox : « Je préfère le maintenir à l’isolement.
Je sais qu’il a une propension à la violence. Je sais aussi qu’il cherche toujours à mettre en
œuvre les idées des Black Panthers et je ne souhaite pas qu’il circule dans ma prison car il
essaierait de recruter parmi les jeunes détenus. J’aurais moi-même toutes sortes de pro-
blèmes, plus que je ne peux en gérer, et les Noirs seraient tous derrière lui. Ce serait le chaos
et le conflit, j’en suis convaincu. Il doit être confiné dans sa cellule tant qu’il est à Angola. »
9. Dossier
Une violation flagrante des droits humains
La dureté gratuite des conditions de vie dans les quartiers de très haute sécurité bafoue la
législation et les normes internationales mais elle est également contreproductive pour les
détenus, les institutions et la société en général. L’accent mis sur le châtiment plutôt que sur la
réhabilitation, les répercussions dévastatrices sur la santé mentale et physique, et les obstacles
au maintien des contacts avec les familles rendent plus difficiles une réintégration réussie des
prisonniers dans leurs communautés après leur libération.
Un prisonnier qui venait de sortir d’un quartier de très haute sécurité a expliqué : « Le plus
dur, quand tu es libéré après des années en quartier de très haute sécurité, c’est de trouver
un emploi sans compétences et sans réhabilitation. » Un autre détenu écrit : « Je ne vois pas
en quoi cela peut être utile à la société. La plupart des hommes vont passer des années en
cage, seuls, et seront relâchés dans la société avec toute une charge de haine et de rage.
C’est une vérité hideuse. Nous, en tant que pays, refusons de voir la réalité de notre système
pénitentiaire. »
Amnesty International a recueilli le témoignage d’un groupe de familles dont un membre se
trouve incarcéré dans des quartiers de très haute sécurité de Californie et leur a demandé de
citer une chose qui, selon elles, atténuerait un peu l’inhumanité des quartiers de très haute
sécurité. Leur réponse a été claire. Ce qu’elles voulaient, c’était communiquer : un contact
physique, pouvoir se serrer dans les bras, ainsi que la possibilité de téléphoner.
Le malheur infligé aux familles a été décrit par un détenu dans une lettre à Amnesty Interna-
tional : « Notre pays maintient des milliers de ses citoyens dans des cages en béton. Les années
passent, les vies passent. La souffrance, jamais. Ce sont nos familles qui souffrent le plus, à
nous regarder vieillir et devenir fous dans une cage. C’est ce qui me fait le plus mal, de savoir
que ma mère et ma sœur souffrent avec moi. »
Une pratique qui fait débat
Si le placement à l’isolement a été en vogue dans tout le pays dans les années 1980 et 1990,
il semble maintenant perdre du terrain puisqu’un certain nombre d’États ont commencé à
réduire cette pratique, ou à fermer complètement leurs unités d’isolement cellulaire.
Le recours à l’isolement ne fait ainsi plus consensus aux États-Unis. Certains États, qui ont
supprimé ces Supermax, ont montré que la violence au sein des prisons n’augmentait pas
mais souvent diminuait, que la sécurité n’en était pas affectée et que l’économie financière
réalisée était importante, permettant de réaffecter le budget à des dépenses liées, le plus
souvent, aux programmes de réinsertion.
Ces réformes sont en grande partie la conséquence d’ordonnances judiciaires imposant une
amélioration des conditions et des critères de placement à l’isolement, ou une réduction des
coûts élevés de ce type de détention. Si le balancier semble désormais pencher contre la
pratique du placement à l’isolement, la question est tout de même loin d’être réglée.
Différents comités de l’ONU, Amnesty International et d’autres associations de défense
des droits humains appellent les États-Unis à supprimer l’isolement cellulaire prolongé qui
s’apparente à un « châtiment ou traitement cruel, inhumain ou dégradant » au même titre
que la peine de mort ou la torture.
Albert Woodfox se présentera devant un tribunal au cours de l’année 2014 pour attaquer en
justice l’État de Louisiane au motif que les décennies qu’il a passées à l’isolement consti-
tuent un châtiment cruel et exceptionnel au regard de la Constitution des États-Unis. Il devra
convaincre le tribunal que, même si l’État l’a nourri et vêtu pendant ces années passées à
l’isolement, la souffrance mentale inhérente à cette situation constitue une violation de ses
droits constitutionnels. Il fera valoir que l’État de Louisiane l’a placé à l’isolement en 1972,
et à en quelque sorte jeté la clé de sa cellule puisqu’au cours des dizaines d’années qui ont
suivi, il n’a eu aucune chance d’en sortir, et que ce faisant, l’État l’a privé de ses droits à une
procédure régulière tels que garantis par la Constitution.
19. Dossier
POUR EN SAVOIR PLUS ET POUR AGIR :
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