4. !
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Août 1914, à quelques encablures du parvis de la Gare de l’Est : la mobilisation parisienne bat son
plein. Jacques Moreau, photographe et mobilisé lui aussi, a 27 ans quand il saisit cet événement
exceptionnel."
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Focalisé sur une famille - un couple avec un enfant en bas âge - entourée d’une foule compacte, son
cliché raconte une séparation. Un homme enlace sa femme et sa fille. Son visage, caché, très proche
de celui de sa conjointe, s’incline : le couple va s’embrasser. "
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Ce baiser suspendu semble indiquer que le couple surmonte dignement l’épreuve de la séparation.
Une sensation renforcée par la densité chaleureuse de la foule et les sourires contenus qu’affichent
les sujets qui la composent."
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Mais une seconde photo, prise quelques instants après la première et construite à l’identique, vient
noircir le tableau initial. L’homme s’est effondré. Tête baissée, yeux plissés : il pleure dans les bras de
sa femme, dans la rue, devant sa fille. "
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Le couple a beau être enveloppé par la même foule bienveillante, c’est dans l’abattement qu’il paraît
vivre l’instant. Un sentiment de gravité accru par le regard compatissant d’un vieil homme."
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Au-delà de leur qualité artistique et de l’émotion qui flirte, ces deux photographies cristallisent
l’instrumentalisation politique dont va faire l’objet la séparation du couple."
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5. !
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!En effet, comme le révèle l’examen de la presse de l’époque, la dignité qui traverse le couple sur la 1ère
photo incarne l’attitude étalon de la séparation. Une redondance iconographique qui servit à illustrer
l’état d’esprit volontaire de la population lors de l’entrée en guerre."
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Rien à voir avec la seconde image immortalisant les larmes d’un mobilisé de 1914, la seule à notre
connaissance ! Une rareté qui ne veut pas dire que les hommes ne pleuraient pas - ou en tous cas, pas
dans la rue, aux yeux de tous. Mais qui dit simplement combien les souffrances masculines étaient
taboues alors même que la guerre n’avait pas encore tué."
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Néanmoins, le couple séparé des photos de Moreau et de ses contemporains devient une nouvelle
entité visible d’ailleurs prise en compte par les politiques publiques. La loi du 5 août 1914 attribuant une
allocation journalière aux familles de mobilisés aura ainsi vocation à assurer la survie économique des
ménages. Quant à celle du 4 avril 1915 autorisant le mariage par procuration, elle devait endiguer la
catastrophe conjugale en cours. "