1. Giuseppe,
le
jardinier
du
Vatican
Urbi
et
orbi.
Dimanche
31
mars
2013,
cité
du
Vatican.
Les
cloches
sonnent
à
toute
volée,
je
n’entends
même
pas
la
voix
de
Jean,
mon
amoureux,
qui
essaie
de
me
lire
les
indications
de
notre
guide
sur
les
collections
du
musée
du
Vatican
devant
lequel
nous
faisons
la
queue.
Je
me
sens
délicieusement
bien,
à
goûter
au
soleil
de
Rome,
accrochée
à
son
bras.
Nos
engueulades
et
stress
parisiens
semblent
loin.
J’avais
raison,
nos
quatre
jours
en
Italie
remplissent
leur
promesse
de
nous
retrouver.
Nous
repartons
ce
soir,
mais,
pour
l’heure,
je
m’abandonne,
blottie
contre
son
épaule.
Et
dire
que
c’eût
pu
être
Séville.
Début
mars,
cherchant
sur
Internet
et
en
urgence
le
moyen
de
sauver
notre
amour
du
marasme
parisien,
j’optai
pour
un
séjour
à
Rome.
Je
ne
souhaitais
pas
particulièrement
que
notre
couple
bénéficie
d’une
bénédiction
papale
sous
le
balcon
de
saint
Pierre.
Le
monde
ne
savait
alors
pas
quel
pape
célébrerait
Pâques
et
je
voulais
davantage
une
destination
sexy
que
tournée
vers
la
prière.
Mais
difficile
d’y
couper
à
cette
saison
:
l’Andalousie
dont
je
rêvais
a
la
mauvaise
habitude
de
doubler
tous
ses
tarifs
pour
les
mythiques
processions
pascales
en
chasubles
et
bonnets
pointus
qui
viennent
s’admirer
du
monde
entier.
La
réception
du
premier
tiers
provisionnel
des
impôts
eut
raison
de
la
folie
que
j’étais
prête
à
faire
pour
un
dépaysement
romantique.
L’Italie
m’apparut
comme
le
recours
sans
risque
pour
une
coupure
alliant
dépaysement,
culture,
bons
produits
dans
l’assiette,
et
crapulerie
dans
la
sieste.
Je
ne
veux
pas
dépeindre
par
le
programme
un
week-‐end
en
amoureux,
mais
témoigner
ici
d’un
vrai
miracle
de
Pâques
qui
précisément
n’était
pas
programmé.
Nous
avons
prévu
de
voir
le
musée
du
Vatican
pendant
la
bénédiction
du
dimanche,
pensant
que
l’attractivité
d’un
nouveau
locataire
place
Saint-‐Pierre
assure
une
attente
moins
longue
pour
les
toiles
et
les
fresques.
Peu
de
temps
dans
la
queue,
mais
des
heures
les
yeux
rivés
à
des
merveilles
dans
les
galeries
me
laissent
un
peu
cotonneuse.
Je
ne
retrouve
pas
Jean
au
moment
de
sortir
et,
plutôt
que
d’attendre
et
de
m’énerver
contre
lui
comme
souvent,
je
continue
de
marcher
dans
un
long
couloir.
La
tête
dans
les
nuages
de
Michel-‐Ange
et
le
nez
dans
mon
guide,
je
m’égare
et
quitte
doucement
le
brouhaha
d’une
trentaine
de
Chinois
se
regroupant.
Le
calme
me
fait
lever
la
tête
face
à
deux
portes,
l’une
s’intitule
Uscita
et
je
pousse
l’autre
machinalement.
Cinq
marches
me
conduisent
dans
un
péristyle
de
moins
en
moins
sombre
et
je
comprends
qu’un
jardin
s’ouvre
juste
derrière
le
musée.
À
deux
pas
de
la
Création
de
la
chapelle
Sixtine
se
trouve
un
Éden
invisible
aux
touristes.
J’y
marche,
emplie
de
la
pureté
de
l’endroit
qui
fixe
sur
mon
visage
un
sourire
béat.
La
douceur
du
printemps
me
fait
goûter
à
un
parfait
moment
de
paix.
Le
parc
a
des
dimensions
incroyables
en
pleine
ville
et
je
m’avance
entre
les
haies
et
les
pelouses,
surprise
qu’il
soit
entièrement
vide.
Personne
ici,
alors
qu’au
loin
je
perçois
les
clameurs
régulières
de
la
foule
venue
recevoir
la
bénédiction
de
ce
jour
de
résurrection.
La
cérémonie
a
vidé
les
musées
des
touristes,
mais
aussi
la
cité
de
son
clergé
et
de
ses
gardes
colorés.
J’oublie
alors
le
temps
et
me
promène
dans
les
méandres
du
jardin
sans
me
soucier
de
mon
compagnon.
La
lumière
est
crue
et,
passant
sous
une
voûte
en
cyprès,
je
suis
presque
éblouie
par
le
soleil
et
ferme
un
instant
les
yeux
pour
apprécier
sa
chaleur
sur
mon
visage.
Le
bruit
2. régulier
d’un
sécateur
me
sort
de
ma
rêverie
et
j’avance
un
peu
plus
vers
un
haut
massif
de
roses.
Un
jardinier
se
tient
de
dos,
un
large
chapeau
de
paille
le
protège
et
il
porte
une
ample
chemise
de
lin.
Entendant
mes
pas
sur
le
gravier
il
se
retourne
et
son
sourire
remplace
la
coupe
des
fleurs.
-‐ Buongiorno.
Vous
avez
vu
ce
ciel
magnifique
?
J’ai
l’impression
de
connaître
cet
homme
parlant
spontanément
ma
langue,
mais
son
accent
me
trouble,
je
ne
peux
l’identifier.
-‐ Oui,
mais
comment
savez-‐vous
que
je
suis
française
?
-‐ Croyez-‐moi,
votre
allure
ne
laisse
pas
de
place
au
doute,
vous
êtes
parfaitement
française.
Il
sourit
et
ajoute
:
et
puis
nous
nous
connaissons.
-‐ Ah
bon,
mais
comment
vous
appelez-‐vous
?
Je
suis
déstabilisée
à
la
fois
par
l’accent
très
parisien
utilisé
dans
ce
«
Ah
bon
?
»
idiot
qui
lui
donne
raison
et
par
mon
incompréhension.
-‐ Appelez-‐moi
Giuseppe,
je
suis
le
jardinier
de
Sa
Sainteté.
Sa
dernière
intonation
révèle
l’incroyable
:
devant
moi
se
tient
le
Benoît
XVI
qu’il
n’est
plus.
L’étonnement
ne
s’arrête
pas
là.
Comme
je
recule
d’un
pas
un
peu
incrédule,
la
vue
d’une
bêche
adossée
à
un
tronc
m’éclaire
tout
à
fait.
Il
y
a
une
heure,
j’admirais
la
même
scène
dans
un
tableau
:
le
Christ
apparaissant
en
jardinier
à
Marie-‐Madeleine
venue
au
tombeau.
Il
avait
une
bêche
et
un
chapeau
tressé
comme
devant
moi
le
pape.
Je
ne
pratique
pas
beaucoup
la
religion
de
ma
culture,
mais
plusieurs
notions
se
rappellent
alors
à
moi.
Le
jour
de
la
résurrection
du
Christ,
ses
disciples
le
pleuraient
sans
savoir
ce
qu’il
était
advenu
de
son
corps.
Aujourd’hui,
je
suis
seule
à
assister
à
une
sorte
d’ubiquité
papale
avec
la
voix
de
l’un
au
loin
et
devant
moi
celui
que
nous
ne
verrons
plus.
Le
parallèle
me
trouble
tellement
que
je
m’apprête
à
lui
demander
bêtement
s’il
est
ressuscité,
mais
heureusement
je
transforme
en
larmes
ma
fébrilité.
-‐ Ne
pleure
pas,
Émilie
!
Il
ajoute
à
ma
confusion
en
reprenant
les
paroles
exactes
du
Christ
à
Marie-‐Madeleine,
mais,
surtout,
il
devine
mon
prénom.
J’en
ris
d’étonnement
:
-‐ Vous
avez
raison,
nous
nous
connaissons.
Mais
comment
le
pouvez-‐vous
?
-‐ C’est
le
mystère
de
Pâques,
me
répond-‐il
doucement.
Sa
prévenance
à
me
conduire
à
un
banc
de
pierre
pour
retrouver
mes
esprits
me
pousse
à
l’interroger
sur
sa
nouvelle
vie.
Giuseppe
parle
français
comme
Joseph
italien
et
toutes
les
langues
du
cœur.
-‐ Vous
allez
vraiment
devenir
jardinier
?
-‐ Mais
oui
:
un
serviteur
parmi
les
serviteurs
et
plus
proche
des
hommes.
Notre
rencontre
en
atteste
et
elle
me
met
en
joie.
Il
faut
accepter
que
d’autres
fleurs
viennent
après
nous,
et
les
laisser
grandir
sans
faire
d’ombre.
Moi,
en
revanche,
l’ombre
me
va
très
bien.
-‐ Et
vous
serez
heureux
dans
le
jardin
de
ce
monastère
?
-‐ Vous
savez,
Émilie,
je
vois
Dieu
tout
autour
de
nous,
il
n’est
pas
nécessaire
de
trop
chercher
son
bonheur
ailleurs.
À
vous
de
dessiner
votre
jardin
avec
ce
qu’il
renferme.
Au
bout
d’un
temps
incertain,
il
n’y
a
plus
de
bruit
au
loin
et
Giuseppe
me
raccompagne
à
une
porte
dérobée
:
-‐ Je
ne
sais
pas
bien
par
où
se
trouve
la
porte
vers
la
ville,
mais
les
gardes
prennent
souvent
par
là.
3. Il
ajoute
en
souriant
de
sa
situation
:
-‐ Moi-‐même,
j’ai
mis
du
temps
à
trouver
ma
sortie
et
vous
voyez,
Émilie,
même
maintenant,
je
suis
toujours
au
sein
du
Vatican.
Je
suis
sûr
que
vous
trouverez
votre
voie,
me
dit-‐il
avec
un
sourire,
avant
d’ajouter
:
Bonnes
fêtes
de
Pâques
!
Je
ris
de
l’intonation
qu’il
a
prise
avec
une
main
levée
et
le
sécateur
dans
l’autre
:
une
attitude
que
je
lui
ai
tellement
vue
à
la
télévision.
On
ne
se
refait
pas
si
vite,
et
Giuseppe
le
jardinier
a
encore
des
réflexes
de
Benoît
XVI.
J’arrive
par
le
côté
place
Saint-‐Pierre
alors
que
la
foule
immense
commence
à
se
retirer.
Toute
remuée
encore
par
mon
entrevue
improbable,
je
suis
happée
par
un
mouvement
qui
me
pousse
et
me
porte
sous
la
grande
colonnade.
On
me
projette
littéralement
dans
les
bras
de
Jean
qui
ressemble
à
un
héron,
sur
la
pointe
des
pieds,
il
tire
sur
son
cou
pour
tenter
de
me
repérer
:
-‐ Émilie
!
Je
te
cherchais,
c’est
un
miracle
de
tomber
sur
toi
avec
cette
densité.
Tu
étais
où,
ma
très
belle
?
-‐ Où
j’étais
?
Tu
ne
vas
pas
me
croire.
Et
surtout
avec
qui
?
Ça
aussi,
c’est
un
petit
miracle.
Les
cloches
sonnent
à
toute
volée
et
je
suis
heureuse
d’être
venue
les
entendre
à
Rome.
Demain,
c’est
le
premier
avril.