2. Une entrevue avec
David Dufresne
journaliste indépendant et cinéaste
l’auteur-réalisateur du jeu documentaire Fort McMoney
3. David Dufresne est journaliste indépendant et cinéaste. Il est l’auteur-
réalisateur du jeu documentaire Fort McMoney (Meilleur webdocumentaire
au Festival du film d’environnement de Paris, en 2014, et finaliste au SXSW
2014), produit par TOXA, l’ONF et Arte en 2013, et acclamé par le NewYork
Times comme le « mariage du film et du jeu vidéo ».
Il est aussi l’auteur et coréalisateur avec Philippe Brault du webdocumentaire
PrisonValley (2010, Upian/Arte), qui a reçu de très nombreuses récompenses
internationales, dont le World Press Photo 2011 (Meilleure œuvre non linéaire
de l'année) ouVisa pour l'image 2010 (meilleur webdocumentaire 2010,
France). En 2011, avec Sébastien Brothier, il a conçu Manipulations,
l'expérience web (Upian/France Télévision), en sélection officielle du Fipa
(France, 2011). David Dufresne a aussi cosigné le film Quand la France
s’embrase (France 2, 2007).
Qui Est David Dufresne?
4. Il a longtemps été reporter pour Libération et fut membre de l’équipe
fondatrice du site d'investigation Mediapart.fr. Il a publié une dizaine
d’ouvrages d’enquête, dont Tarnac, magasin général (Calmann Lévy, mars
2012), salué comme « un petit chef-d'œuvre » par Le Monde. Il est aussi un
acteur de l’Internet à la française de longue date (premier webzine, La Rafale,
en 1995).
Il vit à Montréal.
https://www.rfavq.qc.ca/david-dufresne
Qui Est David Dufresne?
5. Fort McMoney est un jeu documentaire conçu pour le web par le
journaliste et documentariste David Dufresne en association avec
le photographe Philippe Brault et les sociétés de production ONF/
NFB, Arte et Toxa.
6. Première mondiale à IDFA,Amsterdam
Première canadienne aux RIDM, Montréal
Présence au Planet Focus,Toronto
Lauréat du prix webdocumentaire au Festival du film
d’environnement, Paris
Lauréat dans la catégorie Laurier Web Création aux 19e Lauriers
de la Radio et de la Télévision, Paris
Nomination aux SXSW Interactive Awards 2014
Site du jour aux Favourite Website Awards, 18 mars 2014
Gagnant du prix Grimme OnLine, dans la catégorie Knowledge et
Education, 2014
Website: http://www.toxa.com/realisations/fort-mcmoney/
FESTIVALS ET TROPHÉES
7. Près de 375 000 joueurs provenant de 201 régions dans le monde
Près de 6 500 arguments partagés par les joueurs
2 ans de recherche
60 jours de tournage
8 heures de contenu disponible
Website: http://www.toxa.com/realisations/fort-mcmoney/
FORT MCMONEY EN CHIFFRES
8.
9. S.O. : Pour la production, est-ce que les partenaires ont codéveloppé les
projets et ont travaillé conjointement? ou ont-ils travaillé sur des composantes
séparées? Comment était-ce pour chaque partenaire??
1
DD. : Le rôle d’un producteur en matière de idocs est central: ce n’est
pas seulement une question financière; son rôle va bien au delà. Il est la
charnière centrale et celui par lequel toute la prodcution, au sens
développement/code/visuels, passe. Si l’on considère, comme je le fais,
que l’interface fait l’histoire, certains producteurs deviennent co-auteurs.
Upian ou Toxa sont d’abord des agences web. Avec une histoire, un
savoir faire, des compétences.
10.
11. S.O. : Avez-vous eu besoin de vous rencontrer en personne? Est-ce que
communiquer en ligne était suffisant?2DD. : Oui, c’est primordial! La rencontre physique reste le meilleur moyen
de travailler. Se voir, au moins de temps en temps, à intervalle régulier,
permet d’avancer ensemble, vite, de résoudre des problèmes. De plus en
plus je travaille en atelier de deux jours, par ex, ça permet de faire de
vrais bonds.
12. S.O. :Comme vous avez eu l’occasion de travailler avec Arte plus d’une fois,
quels genres de stratégies des meilleures pratiques avez-vous retenues de
ces expériences avec des partenaires internationaux?
3
DD. : Arte étant une chaine franco-allemande, l’international est ancrée
en elle. La révolution numérique passe aussi par là: la diffusion est totale,
sans frontières. Cela bouleverse les habitudes. Dans le cas de Fort
McMoney, nous avions intégré cette idée en amont. Les discussions avec
nos partenaires presse en Allemagne, au Canada, et en France ont
débuté un an avant la mise en ligne. L’idée était d’essayer d’aller au-delà
du simple échange classique: contenu versus visibilité. L’idée a été
d’impliquer réellement Le Monde, le Globe & Mail, Radio Canada et
sueddeutsche.de Et non pas de nous contenter de nous adosser à leurs
fortes audiences.
13. cont. :
3DD. : Plusieurs rédactions ont nommé un ou deux de ses journalistes, qui
sont devenus des joueurs à part entière de Fort McMoney. Leur rôle a été
d’apporter leur éclairage, leur expertise et/ou leurs analyses. L’idée était
de créer une forme de stimulation, ingrédient essentiel à tout jeu. En
parallèle, certains de nos partenaires ont rendu compte du jeu dans leurs
colonnes et publié des enquêtes de fond sur le pétrole, articles qui ont
nourri… notre jeu, en temps réel.
14.
15. S.O. : Lorsque vous créez un projet pour différents groupes nationaux ou
linguistiques, devez-vous penser à rendre le contenu pertinent pour chaque
auditoire? Est-ce que cela a eu des répercussions sur Prison Valley ou Fort
McMoney? Les deux touchent à des sujets de documentaire qui ont une
pertinence mondiale vraiment.
4
DD. : Dans les deux cas précis, pas vraiment. Encore que pour Prison
Valley, nos forums/débats étaient d’une certaine façon «localisés». La
question carcérale ne se pose pas partout de la même manière. Dans le
cas de Fort McMoney, nous étions trois maitres de jeu (1 anglophone, 1
francophone, 1 germanophone) pour pouvoir répondre au mieux aux
internautes. En revanche, sur la partie promotionnelle, il y a de grandes
différences. L’innovation n’est pas perçue de la même façon partout dans
le monde. Et que dire du fond des sujets!
16. S.O. : Un des aspects les plus excitants et innovateurs de Fort McMoney était les
interactions en temps réel avec des joueurs mondiaux dans trois langues, en
français, en anglais et en allemand. Comment avez-vous structuré les rôles des
maîtres de jeu. Aviez-vous une seule personne ou plusieurs personnes pour jouer
ce rôle?
5
DD. : Connectés en quasi permanence, les trois maîtres de jeu (MdJ)
s’assuraient d’un bon équilibre des débats et conseillent les joueurs en
tout temps. Ils délivraient des informations au fil des jours et analysaient
l'évolution de Fort McMoney. L'un était anglophone (Philip Lewis), l'autre
germanophone (Frédéric Dubois) et le dernier, francophone, moi-même.
Cet aspect «live» a semble-t-il beaucoup contribué au plaisir des joueurs
les plus assidus. Il est évident que cela réclame beaucoup de temps,
d’énergie et donc de moyens, mais je crois que ce fut vraiment une des
clés de la participation massive des joueurs. Notre grande fierté fut de
voir combien les joueurs ont pris d’assaut les débats avec, bien souvent,
des arguments de haute volée. Plus de 6500 contributions en deux mois!
C’était notre pari : susciter un débat sur un sujet dont beaucoup nous
disaient qu’il était clos.
17. S.O. : Est-ce que les joueurs des trois communautés communiquaient
ensemble? Pouvez-vous décrire ce qui était prévu à cet égard?6
DD. : J’avais prévu un calendrier précis lors des deux premiers mois
(quand les MdJ étaient présents), disant ce que les MdJ devaient publier
à telle ou telle date, quelle analyse faire, etc. Mais ce calendrier était très
souple pour pouvoir s’adapter à la fois à l’évolution du jeu et à l’actualité.
Chaque matin, nous avions une «réunion» mail pour dire ce qui se passait
dans chacune des langues du jeu.
18.
19. S.O. : Qu’avez-vous appris de Fort McMoney que vous aimeriez mettre de
l’avant dans Off/Side, votre nouveau documentaire interactif sur les affaires
sportives??6DD. : L’aspect «temps long du commentaire versus temps réel du web»
est un levier narratif formidable. Et créer une communauté impliquée est
chose possible à condition de l’aider et d’y investir beaucoup de temps.
20. S.O. : Croyez-vous qu’il sera possible d’utiliser encore la plateforme
technologique que vous avez construite avec Fort McMoney?
Qu’en pensez-vous?7DD. : On pourrait transposer la mécanique de Fort McMoney ailleurs
dans le monde, dans d’autres villes. Mais personnellement, je préfère
chercher à inventer d’autres pistes de narration que de dupliquer ce qui
existe déjà. Dans mon esprit, le virage amorcé depuis quelques années
avec l'interactivité s'apparente à de la Recherche et du Développement
documentaire. Nous sommes comme dans un laboratoire, ouvert à tous.
Tout ce qui en sort n'est pas forcément pertinent. Tout ne mérite pas
d'être «interactif». La forme doit toujours servir le propos. Mais une chose
est sûr: un vent puissant souffle. Une belle tempête s'annonce. Et elle
profite déjà à toute l’industrie. C’est pourquoi le rôle du service public
(ONF, Radio Canada, FMC, Arte, France Télévisions, CNC, etc) est
déterminant. Le privé doit maintenant prendre sa part.
21.
22. S.O. : Il existe un traité de coproduction (ou minitraités) entre le Canada et la
France. Avez-vous des conseils pour les réalisateurs de documentaires ou
les producteurs de projets numériques interactifs quant à l’approche à
prendre sur le plan financier d’une production internationale? Y a-t-il des
conseils ou des pièges à éviter dont vous aimeriez parler?
8
DD. : Je sais que bien des Français rêvent de travailler avec des
Canadiens. Montréal est perçu comme la Mecque de l’interactif! Ce que
l’ONF ou le FMC produisent, par exemple, est étudié de près à Paris. Et
réciproquement. Mais je crois illusoire de nier les distances: il faut se voir,
se rencontrer, voyager pour travailler ensemble. Skype ou les mails sont
insuffisants. Il y a des différences culturelles importantes, qui sont, je le
crois sincèrement, de véritables richesses à condition de les comprendre,
de les surpasser. Pour schématiser, je dirais que les Canadiens sont dans
le «comment»; les Français dans le «pourquoi».
23. cont.
8
DD. : En ce sens, je dirais que Fort McMoney est vraiment le fruit de
multiples savoir-faire et pour dire plus, le fruit de plusieurs cultures et
approches. La Nord Américaine, incarnée par Toxa et l'ONF et une, plus
européenne, de mon complice Philippe Brault à la caméra, et de l'équipe
d’Arte.
D’une certaine façon, l’époque actuelle me rappelle 1994/1995 quand, en
France, nous allions lire les webzines québécois et qu’une amitié se
dessinait: la francophonie sur le Net était balbutiante.
24.
25. S.O. : Est-ce que le traité aide ou entrave à la mise en œuvre d’une
coproduction? Il y a tellement de facteurs à prendre en compte!9DD. : Je ne saurais répondre, c’est surtout une question pour les
producteurs. Je crois qu’il faudrait aller plus loin: multiplier les ateliers
binationaux, les rencontres, les festivals, à l’image du Emergence Lab qui
a eu lieu l’an dernier à Banff, via l’Institut Français et le FMC..
26.
27.
28. 10DD. : Le budget total pour le projet de Fort McMoney est de 872 000 $. La
participation de l’ONF a été de 270 000 $, soit environ 30 % du budget total.
TOXA, l’initiateur du projet et le principal réalisateur avait accès à des
programmes de financement destinés à des travaux interactifs grâce à la
composante expérimentale du Fonds des médias du Canada. Ce projet a aussi
été rendu possible grâce à la participation de ARTE, un autre partenaire, par
l’intermédiaire d’une licence.
À ma connaissance, FortMcmoney.com est un documentaire web dont le
coût de réalisation se situe dans la moyenne des réalisations documentaires au
Canada et plus précisément de l’ONF.
Les fonds ont permis de financer ce documentaire jeu, riche en contenu,
qui, tout comme les documentaires traditionnels, a nécessité plusieurs étapes
de réalisation, y compris le développement (4 000 heures), la recherche, les
enquêtes, le tournage à plusieurs endroits (60 jours), le montage, les
déplacements, etc.
SO. : En ce qui a trait au financement de Fort McMoney, quel
pourcentage chaque partenaire a-t-il investi? Y a-t-il eu des obstacles qui
ont rendu le travail difficile avec des partenaires internationaux??
29.
30. 11DD. :
1. Mesurer que la co-production international engendre des couts
supplémentaires
2. S’assurer que tout le monde parle le même langage, autrement dit que
derrière chaque étape, on est tous d’accord sur le but et les dates
3. Penser tout le travail en simultané, du développement à la promotion
post mise en ligne
SO: Quelles sont les trois choses les plus importantes qu’un producteur
doit prendre en considération avant de s’engager dans une coproduction
internationale?
31. 12DD. : De bien définir les rôles de chacun. Tout le monde ne peut pas
donner son avis à chaque étape du projet. Une confiance doit être établie
très tôt..
SO: Quel serait le meilleur conseil à donner à un producteur qui pense à
s’engager dans des coproductions internationales??
32. 13DD. : J’aimerais que les traités aillent plus loin que l’aide à la production.
Nous devons aider les auteurs (formations, bourses) et faciliter les
rencontres (ateliers, festivals)
SO: D’après ce que vous connaissez des coproductions internationales
et des traités existants de coproduction, y a-t-il des dispositions de
partenariat international qui fonctionnent particulièrement bien??
33.
34. The david dufresne Fort mcmoney
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