Revue "What's Up Doc" n°25 - Mars Avril 2016
Médecin généraliste, Dominique Dupagne a fondé le célèbre Atoute.org en 2000. Une époque où beaucoup doutaient encore de l’utilité d’Internet. Pionnier du Web médical, Community Manager né, il a reçu What’s Up Doc au coin du feu, dans son cabinet cossu du 17e arrondissement parisien. Souvenirs d’un ancien combattant du numérique qui n’a pas déposé les armes.
What’s Up Doc Nous sommes un peu déçus, nous nous étions laissé dire que vous accueilliez certains de vos visiteurs avec foie gras et sauternes. What’s Up Doc n’a pas droit à ce traitement de faveur ?
Dominique Dupagne : Le foie gras, c’est spécial. En fin d’année dernière, je suis allé voir quelques confrères pour leur présenter un projet qui s’appelle Mesconfreres.fr. Je leur bloquais du temps, et plutôt que de les payer, je leur ai fait déguster du foie gras.
WUD Qu’est-ce que c’est que ça, Mesconfreres.fr ?
DD C’est un projet de site destiné aux professionnels. Il s’agit d’identifier un médecin compétent dans un domaine précis, à partir d’une banque de recommandations. L’idée, c’est que le meilleur critère de compétence ne réside pas dans les indicateurs chiffrés et stupides que l’on trouve partout, mais dans l’opinion des pairs. Ce n’est pas de l’objectivité, ce n’est pas de la subjectivité, c’est de la « pair-jectivité ».
WUD Comment en êtes-vous venu au numérique ?
DD Je suis un hyperactif petit dormeur, j’ai connu l’ennui du petit matin pendant des années. Quand Internet est arrivé en 1996, c’était le truc qui me manquait. J’ai beaucoup fréquenté un groupe de discussion sur la médecine, avec lequel j’ai échangé des milliers de messages : il y avait des confrères, des complotistes, de tout… C’était passionnant, mais j’en suis arrivé à la conclusion que sans modération de l’espace de dialogue, ça ne se passait pas bien. J’ai donc créé Atoute.org, un forum de discussion que je modérais moi-même.
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reseauprosante.fr
2. mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 43
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What’s Up Doc Nous sommes un peu déçus,
nous nous étions laissé dire que vous accueilliez
certains de vos visiteurs avec foie gras et
sauternes. What’s Up Doc n’a pas droit à ce
traitement de faveur?
Dominique Dupagne : Le foie gras, c’est spécial.
En fin d’année dernière, je suis allé voir quelques
confrères pour leur présenter un projet qui s’appelle
Mesconfreres.fr. Je leur bloquais du temps, et plutôt
que de les payer, je leur ai fait déguster du foie gras.
WUD Qu’est-ce que c’est que ça, Mesconfreres.fr?
DD C’est un projet de site destiné aux
professionnels. Il s’agit d’identifier un médecin
compétent dans un domaine précis, à partir
d’une banque de recommandations. L’idée, c’est
que le meilleur critère de compétence ne réside
pas dans les indicateurs chiffrés et stupides que
l’on trouve partout, mais dans l’opinion des pairs.
Ce n’est pas de l’objectivité, ce n’est pas de la
subjectivité, c’est de la « pair-jectivité ».
WUD Comment en êtes-vous venu au
numérique?
DD Je suis un hyperactif petit dormeur, j’ai connu
l’ennui du petit matin pendant des années.
Quand Internet est arrivé en 1996, c’était le truc
qui me manquait. J’ai beaucoup fréquenté un groupe
de discussion sur la médecine, avec lequel j’ai
échangé des milliers de messages : il y avait des
confrères, des complotistes, de tout… C’était
passionnant, mais j’en suis arrivé à la conclusion
que sans modération de l’espace de dialogue, ça ne
se passait pas bien. J’ai donc créé Atoute.org, un
forum de discussion que je modérais moi-même.
WUD Et ça a marché?
DD Ça a été un bide absolu! Discuter sur des forums
n’intéressait personne. J’ai donc modifié le site
pour qu’il devienne un outil d’aide à la recherche
d’information. Quelques temps après, j’ai relancé
le forum avec une nouvelle plateforme technique,
et ça a été l’explosion. En quelques années,
on est arrivés à 1,5 million de visiteurs par mois,
1000 messages par jour…
WUD Avec ce site interactif, vous faisiez du 2.0
avant l’heure, en quelque sorte…
DD Exactement. Je n’ai découvert cette expression
qu’en 2007 dans un numéro spécial de Courrier
international. Ça a été une véritable révélation pour
moi : je me suis rendu compte que tout ce dans
quoi je baignais depuis des années avait un nom :
le Web 2.0. Et j’ai découvert que j’étais un
Community Manager.
Médecin 2.0
depuis son serment
Propos recueillis par Adrien Renaud •
Médecin généraliste, Dominique Dupagne a fondé le célèbre Atoute.org en
2000. Une époque où beaucoup doutaient encore de l’utilité d’Internet. Pionnier
du Web médical, Community Manager né, il a reçu What’s Up Doc au coin du feu,
dans son cabinet cossu du 17e
arrondissement parisien. Souvenirs d’un ancien
combattant du numérique qui n’a pas déposé les armes.
INTERVIEW
3. What’s Up Doc? 25 mars-avril 201644
WUD Et aussi un blogueur?
DD J’ai commencé à bloguer en 2005. Les premiers
blogs médicaux n’étaient pas comme ceux
d’aujourd’hui : on était encore dans des éléments
techniques, une espèce de cours en ligne. La presse
grand public ou médicale regardait cela avec le nez
un peu pincé. Puis il y a eu un grand virage en 2009,
avec l’épidémie de grippe A H1N1. Les Français
étaient terrorisés. Ils se demandaient : « Qu’est-ce
que je fais, certains me disent que si je ne me
vaccine pas je vais mourir dans d’atroces
souffrances, et d’autres me disent que si je me
vaccine, je vais mourir dans d’atroces
souffrances… ». J’ai alors fait un article dans lequel
j’exposais les risques de la maladie, très faibles, et
les risques du vaccin, très faibles aussi. Cet article a
été co-signé par 240 confrères en quelques jours, et
il a commencé à buzzer : il a été vu 1,3 million de fois
en quinze jours, il a failli faire exploser mon serveur.
Les gens trouvaient une information non partisane,
descriptive, sourcée, référencée… Les journalistes
se sont rendu compte, petit à petit, que l’information
la plus fiable publiée sur le sujet avait finalement été
celle publiée par un blogueur associé à des confrères
anonymes. Ça a changé beaucoup de choses.
WUD Qu’est-ce qui vous pousse vers le
numérique?
DD J’ai un véritable appétit pour le partage
d’information. Quand j’étais en terminale, je voulais
être prof. Mon père qui était médecin, dont le père
était médecin et dont le grand-père était médecin,
m’a dit : « Tu n’as qu’à faire médecine, tu seras prof
de médecine ». Je me suis dit pourquoi pas. Vous
voyez le degré de ma vocation! Mais j’ai toujours
aimé communiquer : par la suite, j’ai fait du
journalisme pour Que Choisir Santé, j’ai participé à
l’élaboration du Vidal grand public, j’ai utilisé mon
blog pour faire de la pédagogie sur des sujets que je
trouvais mal traités dans les médias traditionnels. Et
je suis ravi d’avoir une chronique sur France Inter ou
de faire une intervention sur France 2 de temps en
temps.
WUD Et si vous nous parliez de vos combats…
Les vaccins, par exemple.
DD Je ne sais pas si on peut parler de combat à
propos des vaccins. Je suis effaré de voir qu’en
France, on a le choix entre d’un côté « l’Église de
Vaccinologie », chez laquelle tous les vaccins sont
fabuleux, et de l’autre les complotistes, chez lesquels
aucun vaccin ne sert à rien. Trouver des gens ayant
une approche modérée, qui consiste à dire qu’il y a
des vaccins indispensables, des vaccins utiles, des
vaccins peu utiles et des vaccins sans intérêt, c’est
impossible. Mon combat sur le sujet, c’est
seulement de dire qu’il existe un juste milieu.
WUD Prenons le Mediator, alors.
DD Le Mediator, c’est une longue histoire. En 2003,
quelqu’un m’a interrogé sur mon forum à propos de
ce médicament, et j’ai répondu qu’il s’agissait d’un
coupe-faim, qu’il était étrange qu’il ne soit pas
interdit comme les autres amphétamines, mais que
ça ne tarderait certainement pas. Par la suite, quand
RECRUTEMENT À LA CARTE
BIO express
1977 • Études médicales à Paris
1986 • Thèse sur l’informatisation
du cabinet (et ne s’est jamais
informatisé)
1988 • Installation en libéral à Paris
1990 • Journaliste pour Que Choisir Santé
1992 • Rentre chez Vidal pour l’édition
grand public
1996 • Découverte (émerveillée) d’Internet
2000 • Création d’Atoute.org
2005 • Président de l’association
Médecins Maîtres-Toile
2007 • Début du développement
de Mesconfreres.fr
2016 • lancement de mesconfreres.fr
PUBLICATIONS
La Revanche du rameur, Michel Lafon, 2012
Le Retour des zappeurs, auto-édité, 2013
Qualité mon Q, auto-édité, 2016
4. mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25 45
Irène Frachon écrivait son livre*, elle a fait une
recherche sur Internet et la première chose qu’elle a
trouvée, c’était ce forum. Notre premier contact a été
cette rencontre virtuelle. Après, j’ai assisté, fasciné,
au combat d’une femme qui n’a pas eu peur
d’affronter le laboratoire Servier. Quand tout le
monde se couchait devant eux, elle a fini par gagner.
Les victimes, elles, n’ont pas totalement gagné, car
Servier continue de faire tout ce qu’il peut pour éviter
de payer avec des arguties juridiques à vomir. C’est
pour secouer un peu le cocotier que l’année dernière
nous avons fait, avec Irène Frachon, le « Manifeste
des 30 »**.
WUD En quoi cette histoire est-elle typique des
conflits d’intérêts que vous dénoncez
régulièrement?
DD Les conflits d’intérêts sont partout. L’homo
sapiens est fait pour nouer des alliances, échanger
des avantages dans le but d’améliorer sa position.
Mais il y a des limites. Imaginez le maire d’une
commune qui dirait : « Moi je fais financer ma
maison par tous les entrepreneurs du coin, je n’ai pas
de conflit d’intérêts »! Eh bien en médecine, c’est
quelque chose qu’on peut dire sans rire. Un
spécialiste peut dire : « Moi je travaille pour tous les
labos, alors je n’ai pas de conflit d’intérêts ». Mais il y
aura toujours un labo qui ne pourra pas payer faute
de moyens…
WUD Mais il y a des domaines où il est difficile de
trouver des experts sans liens avec les
industriels…
DD On essaie toujours de faire croire que des gens
qui prennent des décisions sans être spécialistes du
domaine sont incompétents. C’est tellement ancré
que je ne sais pas comment on va se sortir de là. On
n’a toujours pas compris que pour prendre une bonne
décision, il faut des gens qui connaissent l’évaluation,
qui sont indépendants, et qui prennent leur décision
après avoir écouté des lobbyistes. Des experts
généralistes, en quelque sorte.
WUD Dans ces conditions, où peut-on trouver une
information fiable sur les produits?
DD On ne peut plus faire confiance aux agences
gouvernementales pour donner une évaluation
correcte du médicament, donc les médicaments
doivent être évalués ailleurs. Je me suis fait une
raison : on ne pourra jamais avoir des institutions
propres. Il faut donc construire du propre à côté. On
doit avoir d’autres sources d’information pour avoir
une opinion sur le médicament, ou même sur la
cigarette électronique. Cela passe par Prescrire, par
les blogs, par Youtube… La société civile va se
réapproprier des fonctions dans lesquelles l’État est
démissionnaire ou incompétent.
WUD Il y a tant d’autres choses dans votre vie
qu’on ne pourra pas les aborder toutes. La photo,
vos livres, la e-conférence de santé***… Avec
tout ça, vous avez le temps d’exercer la
médecine?
DD Je suis très dispersé, et je travaille vite. Les
articles, je les écris le matin tôt, avant ma journée,
parce que c’est le moment où je suis frais. Au
cabinet, je fais un mi-temps de médecin : 30 heures
par semaine. Je suis au Vidal deux demi-journées par
semaine comme consultant, je m’occupe de mes
sites… Tout cela ne me fait pas faire fortune, mais ce
n’est pas le but. Ce que j’aime, c’est l’impression
d’avoir été utile. En médecine générale, c’est
souvent le cas. La poignée de main du patient qui
quitte le cabinet avec de la reconnaissance, c’est
magique. Mon plaisir, c’est aussi de voir qu’avec de
tout petits moyens médiatiques, j’arrive à avoir un
impact fort sur la santé publique. En tout cas, je peux
vous dire une chose : je m’amuse bien!
*Mediator 150 mg, Combien de morts? Irène Frachon. Juin 2010,
Dialogues.fr Eds.
**www.manifestedes30.com : 30 médecins, philosophes et personnalités
engagées, rappellent au laboratoire SERVIER et à la profession médicale
leurs obligations légales et morales.
***www.conferencenationaledesante.com
« JE ME SUIS FAIT UNE RAISON : ON NE POURRA JAMAIS AVOIR
DES INSTITUTIONS PROPRES. IL FAUT DONC CONSTRUIRE
DU PROPRE À CÔTÉ. »