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Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
1
Université Paris IV Paris-Sorbonne
UFR Philosophie et Sociologie
Information en ligne :
quel écosystème pour demain ?
Directeur de mémoire : Jean Sylvestre,
professeur associé en charge de l'analyse et du
positionnement éditoriaux au sein de l'agence
web SDC
Marion Lecointre
Octobre 2010
Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées
Promotion 2009 – 2010
Directeur : Jean-Michel Besnier
Responsable pédagogique : Monique Ollier
« La dynamique relationnelle qui caractérise le web d’aujourd’hui
se heurte à la mécanique institutionnelle de toujours,
et tout l’héritage intellectuel et social sur lequel elle s’est construite. »
Francis Pisani et Dominique Piotet
in Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
2
INTRODUCTION
L'objet de notre étude portera sur la filière de l'information en ligne française et, plus
spécifiquement, sa nature : une architecture instable et bruyante ; une situation de coopétition
entre acteurs médias, hors médias (moteurs de recherches, portails, agrégateurs, médias à la
demande...) et pro/am (producteurs d'information non professionnels) ; un modèle économique
non durable ; des usages de consommation éclatés et une considération nouvelle du « produit »
information. Notre volonté : souligner les points saillants de l'écosystème de l'information en
ligne tel qu'il a pu évoluer depuis quinze ans en France, poser les éléments critiques de sa non
maturité et enfin dessiner des pistes de consolidation.
Pour ce faire, nous nous sommes principalement appuyés sur l'observation des médias
écrits (traditionnels et pure players) français, sans pour autant ôter du regard les activités des
médias audiovisuels et les écosystèmes informationnels étrangers, notamment anglophones, en
ce qu'ils étaient nécessaires à la mise en perspective de nos réflexions. Nos recherches
s'imprègnent en grande partie des nombreuses analyses avancées sur la toile par des blogueurs
(consultants, experts, journalistes, amateurs) spécialisés dans les domaines du Web, du marketing
et des médias, mais également de travaux d'universitaires et de professionnels, ainsi que de
l'ensemble des problématiques rencontrées lors de mon stage de fin d'étude au sein de l'équipe de
2424actu - un agrégateur de contenu d'actualité multimédia lancé par Orange - qui cherche à
mieux comprendre l'environnement médiatique sur Internet, dont les pratiques de consommation,
et s'y insérer en toute « légalité » (du point de vue économique et juridique).
Nous avons souhaité entamer l'étude par une compréhension de l'objet « information »
(son rôle, sa réception, son utilisation, sa monétisation) pour ensuite mieux évaluer le degré
d'instabilité de la filière. Il nous a par ailleurs semblé indispensable de dédier un temps aux
« infomédiaires » de l'information (sorte de passeurs d'actualité), des acteurs hors médias qui
montent actuellement en puissance au dépend de professionnels de l'information qui eux peinent
à faire vivre leurs contenus, maximiser leur réception. Enfin, nous avons clôt ce tour d'horizon
par la formulation de plusieurs pistes à même de mieux maîtriser la filière, la « révolutionner »
ou du moins la consolider. Tout du long, transpire l'idée d'une information journalistique d' utilité
démocratique, soit essentielle.
Il nous semble aujourd'hui intenable d'espérer, du côté des médias professionnels, s'en
sortir seul, sans collaboration avec des acteurs extérieurs (du Web, de disciplines voisines, des
citoyens). C'est tout l'objet de ce mémoire.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Remerciements
Je tiens ici à remercier l'ensemble des protagonistes de l'équipe 2424actu, et de mes
stages passés dans divers médias, l'ensemble des enseignants du Master II Conseil Editorial et
Gestion des Connaissances Numérisées, dont Jean Sylvestre pour son temps et son suivi attentif,
ainsi que mes camarades de promotion. Egalement, Eric Mettout pour son temps, Francis Pisani,
Eric Scherer, Alice Antheaume, Nicolas Voisin pour le partage généreux de leurs réflexions et
l'ensemble des blogueurs et « twittos » que j'ai le plaisir de lire quotidiennement et qui partagent
chaque jour leurs analyses, opinions et veilles. Enfin, mes proches, pour leur patience et
compréhension.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
4
SOMMAIRE
Introduction................................................................................................................................................................p.3
Remerciements...........................................................................................................................................................p.4
Résumé........................................................................................................................................................................p.6
Préambule : Du rôle de l'information journalistique en démocratie....................................................................p.7
I – L'information en ligne : une denrée mal aimée ?.........................................................p.10
1) L'information, une « envahissante nécessité »....................................................................p.11
a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité.................................p.11
b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité..............................p.13
2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »...........................p.17
a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France................................................p.19
b) Le modèle gratuit......................................................................................................................p.20
c) Le modèle payant......................................................................................................................p.22
d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires................................................p.23
II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente..............p.24
1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne.......................................................p.24
a) Production..................................................................................................................................p.24
b) Diffusion....................................................................................................................................p.29
2) Nouvel ADN informationnel......................................................................................................p.32
a) Eclatement de la chaîne de valeur.............................................................................................p.32
b) Modification des pratiques journalistiques...............................................................................p.33
c) Nouvelles interactions...............................................................................................................p.34
III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?............................p.36
1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité.............................................................p.36
2) La fonction d'infomédiation.......................................................................................................p.38
a) Définition...................................................................................................................................p.38
b) Positionnement stratégique.......................................................................................................p.39
c) Carence juridique.......................................................................................................................p.40
d) Déséquilibre économique..........................................................................................................p.41
3) Une situation de coopétition.......................................................................................................p.42
a) Eléments de débat......................................................................................................................p.42
b) Menaces réelles.........................................................................................................................p.44
IV - Un écosystème informationnel à redéfinir.....................................................................p.45
1) Comprendre et impliquer le public.........................................................................................p.45
a) Une mesure discutable...............................................................................................................p.45
b) Un investissement nécessaire....................................................................................................p.49
2) Renouveler les pratiques..............................................................................................................p.50
3) Repenser les formes même de la médiation.........................................................................p.53
4) Dépasser les querelles économiques et politiques..............................................................p.56
Conclusion................................................................................................................................................................p.57
Bibliographie............................................................................................................................................................p.59
Annexes.....................................................................................................................................................................p.67
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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RÉSUMÉ
L'écosystème actuel de l'information en ligne (au sens d'une information donnée sur
l'actualité, traditionnellement délivrée par la profession journalistique, et ici sur Internet) souffre
d'une instabilité chronique, due à des bouleversements d'un point de vue économique,
professionnel, industriel, sociétal.
Déjà, l'information journalistique en elle-même apparaît de plus en plus comme une
denrée mal aimée. Alors même que le public avoue la percevoir comme une « envahissante
nécessité », utile à leur vie, leurs usages indiquent tout le contraire. Aussi, et s'en est une
conséquence directe, ce « produit » peine à trouver sa monétisation : mais une non valeur
monétaire signifie-t-elle une non valeur intrinsèque ?
Ensuite, la filière toute entière de l'information en ligne est, depuis sa naissance il y a
quinze ans, déstructurée : les producteurs de l'information se multiplient et viennent d'horizons
totalement étrangers à l'environnement médiatique ; la circulation de l'information elle-même est
éclatée, assurée par divers secteurs hors médias et de plus en plus animée par le public lui-même.
En découle notamment une évolution radicale de l'ADN informationnel avec lequel les médias
doivent aujourd'hui compter.
Par ailleurs, un nouveau genre d'acteurs, appelés « infomédiaires », connaît un succès
certain en parvenant à se réapproprier les contenus d'actualité produits par d'autres et ainsi jouer
le rôle de passeurs. Rôle apprécié par une bonne part du public. En découle un déséquilibre,
décrit comme une situation de coopétition, entre médias et intermédiaires à l'avantage des
derniers. Ce qui ne va pas pour apaiser les esprits.
De fait, il urge de parvenir à la définition d'un écosystème informationnel
économiquement viable, professionnellement durable et démocratiquement tenable. Et cela doit
se jouer à diverses échelles et dans une logique de co-élaboration : avec le public, avec les
pro/am, avec les acteurs professionnels hors médias et tout un ensemble de protagonistes voisins.
C'est l'avenir d'une information utile, pédagogique, citoyenne, d'une médiation du savoir
et des connaissances, d'un pluralisme démocratique, qui entre ici en jeu. C'est aussi un pari aussi
nécessaire que passionnant qui s'offre à toute la filière.
Mots clefs : information en ligne, écosystème informationnel, acteurs médias, pro/am, acteurs
hors médias, infomédiaires, coopétition, modèle économique, public, audience, usages sociaux,
pratique journalistique, rôle démocratique, médiation, collaboration.
Nombre de signes : 175 631 ; Nombre de pages : 68
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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PREAMBULE
Du rôle de l'information journalistique en démocratie
Journalisme et démocratie sont intrinsèquement liés. Pour preuve, l'indépendance et le
pluralisme des médias sont régulièrement convoqués au moment de mesurer le degré
démocratique d'un Etat. Aussi, « dans sa mythologie, l'information journalistique sert (...) à
éclairer des citoyens/consommateurs, animer le débat démocratique, donner des outils pour que
chacun façonne sa liberté de penser et d'agir »1
. Les médias servent à montrer ce qui est caché,
mettre en perspective les faits, confronter les idées. Ils jouent également un rôle de
représentation, celle des gouvernés auprès des gouvernants, en dehors du vote électoral. Le
journaliste Jean-Martin Lagardette propose une définition de cette information journalistique,
condition à la démocratie : « en théorie et dans une société démocratique, l'information de
presse est la description ou l'explication d'un fait d'actualité puisé dans le présent ou ayant une
signification pour le temps présent. Ce fait significatif universellement, collectivement ou
présentant un caractère d'intérêt général sera recherché au nom du public et de son droit de
savoir. Il sera sélectionné et mis en forme par une conscience honnête, libre, formée à la
démarche d'objectivité ainsi qu'au respect de la vérité. Ce travail est diffusé par un média
responsable procurant au journaliste les moyens d'accomplir sa mission et lui garantissant son
indépendance par rapport à tout pouvoir, y compris celui de l'entreprise ou de l'organisme qui
l'emploie »2
. Bernard Poulet3
ne décrit pas autre chose au moment de définir le métier des
journalistes : « [Il] consiste à identifier les problèmes, les documenter, vérifier ce qu'ils
découvrent, ou ce qu'on leur communique, hiérarchiser les questions (...), les mettre en
perspective, les situer dans leur contexte et les exposer le plus clairement et le plus honnêtement
possible. Ce travail de mise en forme raisonnée, de tri, de hiérarchisation donne du sens au
fatras des informations (...). (...)Sans cet effort pour raisonner l'information (...), le débat
démocratique devient impossible, noyé dans la cacophonie et la rumeur. » L'auteur définit plus
globalement la « production de l'information », et son rôle, en ces termes : « Ce que nous
1 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 :
http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-
et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
2 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 :
http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-
et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
3 Rédacteur en chef à L'Expansion : Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard,
2009
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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appelons « production de l'information » est un dispositif qui obéit à des règles, forgées plus
dans la pratique que dans la théorie. Elle traite des affaires de nation et du monde (...). Il s'agit
autant de politique intérieure et internationale, d'économie, de « social-sociétal », que de débats
d'idées, d'innovations, de science, de santé, de religion, de sécurité intérieure, de choix posés à
la nation (...), de culture, de spectacles, de manifestations (...). La liste est longue et s'accroît
sans cesse puisqu'il s'agit d'informer sur tout ce qui concerne les citoyens. Le journalisme
consiste à suivre et rendre compte de l'actualité de toutes ces questions. » Et de reprendre les
propos de Jacques Rigaud : « Le journalisme doit remplir deux fonctions : organiser l'espace
public mais aussi produire des révélations. Révéler au sens de tendre un miroir à la société, pour
qu'elle prenne conscience de ce qu'elle est véritablement. »
Arrêtons-nous précisément ici sur une saine distinction appelée par Bernard Poulet, entre
les notions de média et d'information, d'information et d'« infotainement ». Le terme de
« média » a été popularisé par les publicitaires, pour ne désigner rien d'autre qu'un support
susceptible de véhiculer leurs annonces. Il décrit un intermédiaire, entre le producteur et les
consommateurs, de contenus aussi bien informationnels que divertissants, et non exclusivement
le support au journalisme. Ainsi, il n'est pas dans cette étude question de désigner ce que les
Américains ont nommé l' « infotainment » (contraction des termes « information » et
« entertainment »), nouvelle écriture qui consiste à faire de l' « info-spectacle », soit perdre le
spectateur-consommateur dans un show dans lequel rien ne lui offre de distinguer le vrai du jeu.
Aussi, aujourd'hui et à l'heure d'Internet, l'information journalistique ne représente qu'une
sous catégorie de l'ensemble des informations dont nous sommes bombardés (publicité,
institutions publiques, expressions personnelles...). La confusion va grandissante entre les
sphères « communication » et « information » et, au sein même des médias d'information, le
doute se fait. Pour preuve, le baromètre 2010 TNS Sofres-Logica de confiance dans les médias
montre que, pour 66% des personnes interrogées, la profession journalistique serait soumise aux
pressions des partis politiques et du pouvoir et que, pour 60% des sondés, les journalistes
seraient soumis aux pressions de l'argent. Une méfiance quant à l’indépendance des journalistes
et, par conséquent, l’objectivité de l’information qu’ils délivrent et commentent, qui progresse au
fil des années. Et amène de fait à une crise de la représentation : « Qui parle au nom de qui et
dans quel but ? Qui donne des informations à qui ? Selon quelles procédures? L'objectif et les
méthodes sont-ils assumés et transparents? L'indéniable liberté offerte par les nouvelles
possibilités d'expression induit-elle naturellement des responsabilités ? Comment la démocratie
médiatique est-elle dorénavant servie? »4
4 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 :
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Parallèlement, les journalistes se voient de plus en concurrencés par ce qu'il est commun
d'appeler des « journalistes-citoyens », oeuvrant au sein de médias alternatifs, participatifs ou
comme simple blogueur. Soit une sorte de « mise à niveau démocratique »5
appelée par les
citoyens eux-même et souvent qualifiée de démocratie 2.0 : l'intermédiation de par nature
réductrice n'est plus, la parole se libère, la censure disparaît, le contre-pouvoir citoyen agit de
fait. Loin de dénoncer ce processus, le philosophe Daniel Bougnoux questionne cependant ses
possibles dérives : « Notre idéal démocratique, pourtant lié (...) au principe de publicité et de
liberté de l'information, révèle ici sa complexité et ses pièges. Car si chacun a le droit en
démocratie d'exprimer et de valoriser son monde propre, ce régime exige aussi l'institution d'un
monde commun, autour d'un espace public d'affrontement des opinions contradictoires. (...) Le
journaliste a justement pour tâche d'assembler, et de présenter aussi objectivement que possible
(...) les messages de ses autres mondes ; il tient compte du collectif, et il propose une
information « traitée » ou recoupée. C'est ce souci du bien commun (..) qui risque de décliner
avec les nouveaux parcours à la carte, et la privatisation des informations favorisée par les
nouveaux médias. (...) Les SMS, les listes de diffusion, les blogs et les chats sont excellents pour
s'exprimer, pour mobiliser, pour « sensibiliser » voire dénoncer (...) mais ils favorisent aussi le
repli égotiste, le mimétisme, l'emballement sentimental, la contagion virale ou la chasse en
meute... (...) La véritable information, fondée sur l'enquête et le recoupement des faits, curieuse
des raisons et des mondes des autres, ne s'improvise pas et nous attend un peu au delà. La
véritable démocratie, de même, exige une scène ou un espace public commun, et aussi une
actualité, un temps formaté ou rythmé par des rendez-vous médiatiquement partagés. A la faveur
des nouvelles technologies qui nous désynchronisent, qui nous dépolarisent, nous voyons le récit
médiatique s'émietter ; partout, l'essor du numérique favorise l'individualisme démocratique
mais la « messe est finie ». Faut-il s'en plaindre ? Difficile quadrature... »6
Dans le nouvel écosystème informationnel qui se dessine, l'information journalistique
telle que décrite ici aura toute sa place. Reste à savoir laquelle, sous quelles formes et sous
quelles conditions. Entre médiation, scénarisation et mise en perspective des opinions, des idées,
des faits. Gestion, matérialisation, tri et analyse des flux d'informations et d'opinions – multiples
et de tous genres - incessants et omniprésents.
http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information-
et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41)
5 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris ,Cahiers
français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
6 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers
français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
9
I – L'information : une denrée mal aimée ?
Ces dernières années, les médias traditionnels papiers ont été largement contraints
financièrement – baisse du lectorat, concurrence des médias gratuits et d'Internet notamment,
amenant à une fuite des annonceurs –, et aujourd'hui plus encore dans un contexte de crise
économique majeure qui voit les investissements publicitaires diminuer drastiquement.
Concernant plus spécifiquement les raisons d'une diminution de l'audience, il est de coutume
d'accuser journaux gratuits et Internet. Or, les causes sont bien plus profondes, car sociétales. Le
fossé se creuse entre les médias traditionnels et leur « ex-audience » (en pleine recomposition),
un processus qu'il importe d'évaluer.
Déjà remis en cause dès les années soixante-dix, où s'animait alors une défiance bientôt
grandissante vis-à-vis des institutions et des récits qu’elles produisent pour se légitimer – y
compris concernant le discours médiatique –, les médias le sont encore plus actuellement et de
manière visible et effective : avec Internet, les individus ont à leur disposition les moyens de
critiquer librement et visiblement les médias, de rechercher et même produire l'information qu'il
souhaitent véritablement voir diffusée. L'autorité journalistique se voit ébranlée.
Ainsi, nous pouvons observer, d'un côté, des médias traditionnels qui, progressivement,
voient leur rôle social et politique, pourtant institué, être mis à mal, tandis que les moyens
financiers permettant jusqu'ici de l'exercer s'amenuisent. De l'autre, son ex-audience réinvente, à
sa guise et continuellement, de nouveaux moyens de s'informer, ailleurs, hors des médias
classiquement légitimés. Là où un monde de réseaux, de communautés, de liens, d'instantanéité,
d'ubiquité, émerge, un autre sensé être, du moins en partie, le témoin et l'un des médiateurs du
premier se voit mis de côté. De fait, ce n'est pas l'information qui se meurt, ce sont les usages qui
évoluent, jusqu'à se professionnaliser en partie et devenir, de fait, plus exigeants qu'autrefois.
Nous allons ici tenter de définir les pratiques de consommation des contenus d'actualité,
pour ensuite nous intéresser à la crise économique que vivent les médias d'information
généraliste. Parce qu'au-delà de ce qu'est l'information - un « fragment de réalité » (Edgar
Morin), « une « chose » d'intérêt public »7
, une part de connaissance nécessaire à tous - elle est
également un produit ancré au sein d'un marché où se rencontre une offre (les médias
d'information) et une demande (les consommateurs d'actualité). Or un produit en crise suppose
une offre supérieure à la demande : tel est-il effectivement le cas et quelles en sont les raisons ?
Faut-il les chercher du côté de la demande ou bien du côté de l'offre ?
7 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers
français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
10
1) L'information, « une envahissante nécessité »
Dans leur ouvrage, paru en 2008 et intitulé Comment le Web change le monde.
L'alchimie des multitudes, Francis Pisani8
et Dominique Piotet9
insistent sur la nécessité, pour
toute entité souhaitant s'inscrire durablement et effectivement sur la toile – et particulièrement ici
concernant les médias –, de comprendre ce que l'on nomme l' « audience Internet » et, plus
précisément, l' « ex-audience » des médias traditionnels. Soit l'ensemble des consommateurs de
l'information qui a aujourd'hui migré sur le Web.
Ailleurs10
, Henry Jenkins, théoricien américain et directeur du programme de médias
comparés au MIT (Massachusetts Institute of Technology), prévient que « notre attention ne
devrait pas porter sur les technologies émergentes mais sur les pratiques culturelles émergentes.
Plutôt que de dresser la liste des outils, nous devons comprendre la logique sous-jacente qui
forme ce moment des médias en transition. »
a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité
Intéressons-nous à la consommation des médias, Web et hors Web. Dans son ouvrage,
paru en 2008 et intitulé Le journalisme à l'ère électronique, le journaliste Alain Joannès se plaît à
parler d' « inforexie » – elle est « à l'information ce que l'anorexie est à l'alimentation : un
manque d'appétence » – pour décrire le peu d'enclin qu'ont les Français pour les médias
d'information : la population française compterait parmi celle qui, en Europe, lit le moins de
journaux. Pis, le taux de pénétration de la presse quotidienne en France ne cesse de régresser –
254 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants en 1970 contre 140 exemplaires pour 1 000
habitants en 2006 –, plaçant ainsi le pays à la dernière place européenne. Concernant
l'information radiophonique, son audience est aujourd'hui dépassée par celle des programmes de
divertissement sur la FM. Et, du côté de l'écran télé, le JT de vingt heures – quand bien même il
demeure une institution –, voit son audience ne cesser de diminuer. On y verra alors souvent la
concurrence des journaux gratuits, de la TNT et d'Internet réunis.
Pourtant, le bouleversement des affectations des diverses séquences journalières et la
fragmentation et la diminution du temps libre disponible , ainsi que les aspirations nouvelles de
8 Journaliste et blogueur spécialisé dans les problématiques concernant les Technologies de l'Information et de la
Communication
9 Directeur des études de l'Atelier (www.atelier.fr), organe de BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies
10 Jenkins, H, « Eight Traits of the New Media Landscape » in henryjenkins.org, 6 novembre 2006 :
http://www.henryjenkins.org/2006/11/eight_traits_of_the_new_media.html (05/09.2010 à 18h53)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
11
l'homme hypermoderne11
, en sont des causes bien plus complexes, profondes et déterminantes
sur le long terme. Aussi, les audiences fuient car elles ne trouvent plus satisfaction dans
l'information telle qu'elle est délivrée notamment par la presse papier : redondante dans la forme
et le fond, peu flexible car contrainte par le temps de la production/diffusion, de moins en moins
en phase avec la société, car ni fluide ni asynchrone. « De nombreux journaux vont disparaître
pour ne pas avoir compris Internet à temps et pour l'avoir ensuite mal utilisé », explique Alain
Joannès. Pour ne pas avoir compris Internet... ni son audience ajouterait-on.
A l'inverse du temps de l'information tel qu'organisé par les médias traditionnels
jusqu'alors, Internet, et la dématérialisation qu'il implique, modifie radicalement la diffusion de
l'information devenue réactive, instantanée, immédiate, multimédia. Avec l'arrivée des nouvelles
technologies, le temps est comme démultiplié : dans les transports en commun, j'écoute une
émission de radio podcastée, consulte Facebook, un journal ou un site d'information ; durant une
recherche sur internet pour un devoir universitaire, je discute avec mes amis via ma messagerie
instantanée, jette un oeil sur une chaîne d'information en continue, etc. Ainsi est bouleversée la
segmentation temporelle d'une journée, l'individu tend à devenir un être multi-tâche, et les
nouvelles technologies de l'aider dans cette démultiplication du temps disponible12
. De fait, une
journée de 24 heures tend à durer quelques minutes de plus au regard de tout ce que l'individu a
désormais la possibilité d'effectuer en un jour.
Notons toutefois que, pour l'instant, Internet n'est pas encore devenu la première source
d'information des citoyens/consommateurs. La télévision demeure le premier support avec lequel
la majorité s'informe, devant la radio, la presse, puis Internet. Reste que depuis quelques années,
la bascule des pratiques s'amplifie et Internet d'y prendre une place déterminante. Certes, la
télévision est toujours le média dominant mais son écoute en direct a diminué au profit du
visionnage en différé (sur Internet, DVD, téléphone...). De même pour la radio. Et la lecture
d'information sur papier diminue légèrement au profit de celle circulant sur Internet ou encore
l'Internet mobile – mais nous n'avons jamais autant lu.
« Passer en revue [des] sites d’importance très variée, permet de voir comment ceux qui
11 Portrait type décrit par la sociologue et psychologue Nicole Aubert dans son ouvrage paru en 2005 et intitulé
L'individu hypermoderne, Paris, Erès : « Centré sur la satisfaction immédiate de ses désirs et intolérant à la
frustration (...), il est débordé de sollicitations et d'exigences d'adaptation permanente conduisant à un état de
stress chronique. pressé par le temps et talonné par l'urgence, il développe des comportement compulsifs et
trépidants qui visent à combler ses désirs dans l'immédiat et à gorger chaque instant d'un maximum
d'intensité. »
12 Selon une étude Médiamétrie/Bearing Point, le nombre de contacts médias et multimédias a progressé sur les
quatre dernières années et atteint en 2009 près de 40 contacts quotidiens. Une progression qui touche l’ensemble
des médias et des activités multimédias, avec une pratique de plus en plus fréquente des médias en dehors de
leurs supports d’origine.
Transmédia, numérique, nouveaux comportements : le multimodèle comme nouvel horizon des médias ?,
Mediamétrie/Bearing Point, 1ère édition, 2020 -2011
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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les utilisent ont recours à des instruments, prennent des habitudes, des plaisirs, qu’ils ne
trouvent pas dans les médias traditionnels » , expliquent dans leur ouvrage Francis Pisani et
Dominique Piotet. Ainsi, pour prendre le pouls de l'actualité, l'internaute va s'inscrire aux flux
RSS13
de ses sites et blogs favoris, parcourir Google Actualité ou le portail de Yahoo!, se créer
une page NetVibes14
. Wikipedia lui offre une recherche rapide sur un sujet quelconque, qu'il
approfondira via une seconde requête sur un moteur de type Google. Le portail de blogs
Paperblog va lui permettre de consulter les billets des blogs les plus lus, appréciés ou
commentés, et même y voir figurer le sien en bonne place. User de Youtube ou de Flickr permet
de visionner ou partager des millions de vidéos et photos. Myspace et Facebook vont lui
permettre de découvrir les créations de nombreux artistes, s'informer des événements qui se
passent près de chez lui et auxquels participent ceux qu'il côtoie. De tels réseaux vont en sus lui
permettre de se créer un carnet de connaissances. Une application Twitter va quantifier en temps
réel les termes les plus utilisés sur sa plateforme afin d'envisager les prochains buzz à venir. Etc.
Autant d'exemples qui présentent les diverses aspirations de l'internaute : volonté de s'informer,
rapidement et immédiatement, sur des sujets bien précis et dont il a besoin ou envie dans
l'instant, mais aussi de rencontrer, de partager, de laisser une trace, de contribuer.
Et Alain Joannès de prévenir : « Littéralement pressurés, les médianautes15
sont voués à
des arbitrages permanents entre leurs habitudes et les nouvelles sollicitations. Ils seront de plus
en plus volages et cette inconstance formera des audiences aussi fragmentées qu'instables, en
perpétuelle recomposition. » Nous y sommes déjà.
b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité
Fabien Granjon, sociologue au sein d'Orange Labs, et Aurélien Le Foulgoc, chercheur à
l'Université Panthéon-Assas, ont réalisé une enquête qualitative16
afin de faire émerger et de
mieux comprendre les usages sociaux de l'actualité17
. Nous reprenons ici quelques uns de leur
13 Syndication de contenu web
14 Portail web français personnalisable : chacun module sa page et ses onglets en fonction des services et
informations qu'il souhaite recevoir, et qui proviennent de divers sites.
15 Alain Joannès décrit ainsi le médianaute : il est « une des facettes de l'individu hypermoderne [...]. Sollicité par
une masse d'informations et de messages publicitaires, le médianaute se comporte en « programmateur de ses
centres d'intérêt ». Il puise dans les stocks (presse imprimée ou archives numérisées) ou dans les flux (radio,
television, Internet), au gré de ses curiosités et de ses intuitions. »
16 Enquête menée auprès de 35 personnes âgées de 15 à 70 ans (pour moitié des femmes et aux 4/5es
utilisateurs
quotidiens d’Internet), développant toutes des pratiques quotidiennes de l’actualité sur différents supports (presse
écrite, télévision, radio, internet, etc.) et occupant des positions sociales différenciées (chômeur, étudiant,
ouvrier, employé, profession libérale, retraité, etc.)
17 Il a été demandé aux personnes suivies de remplir pendant une période de dix jours un carnet de bord à
l’intérieur duquel elles devaient renseigner, quotidiennement et avec une grande précision, l’ensemble de leurs
pratiques de consommation de l’actualité médiatique (support, heure, lieu, durée, contenu, niveau d’engagement
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
13
résultats18
, significatifs et proches des conclusions contenues dans diverses études questionnant
le marché de la consommation des contenus d'actualité. Les deux auteurs expliquent d'entrée :
« À la profusion des programmes et des contenus mis à disposition, viennent se greffer de
nouveaux usages (multi-écrans, délinéarisation, agrégation de contenus, etc.) qui tendent à
déplacer les routines et les expériences informationnelles et à faire bifurquer les trajectoires
d’usages des individus. Pour peu que l’on soit attentif aux contenus convoqués, à la manière
dont ils sont enrôlés, ainsi qu’à la valeur sociale (pratique et symbolique) dont ils sont crédités
par celles et ceux qui les fréquentent, les pratiques de consommation de l’actualité (news)
apparaissent de plus en plus diverses. ».
Le capital socio-culturel et le poids générationnel
Plus le niveau de certification scolaire est élevé, plus on s’intéresse à l’actualité et plus on
mobilise par ailleurs Internet. Inversement, la population consommant des contenus d’actualité
en ligne est aussi celle qui en consomme le plus via les supports traditionnels. Auusi, les auteurs
constatent que les usages d’Internet pour s'informer ne se substituent jamais complètement aux
pratiques développées sur les supports traditionnels, venant davantage les compléter.
Egalement, la consommation d'information diffère selon les âges. Les pratiques «
juvéniles » (moins de 25 ans) d’information se caractérisent par un intérêt marqué pour certains
types de médias/supports (radios musicales, téléphone portable, blogs, vidéos courtes, émissions
TV). Les jeunes internautes apprécient particulièrement les actualités leur permettant « d’être à
la page » et d’entretenir des conversations avec leurs pairs et ne font pas preuve d'un
investissement marqué dans leur consommation. Les appétences informationnelles des plus de
55 ans sont, elles, nombreuses et portent notamment sur tous les types de médias traditionnels.
Quant à Internet, ils développent une large appétence pour les rubriques « actualités » des sites
généralistes et pour les sites de presse où ils sont grands consommateurs d'articles.
Des comportements « consommateur » versatiles
Si, pour certains Français, Internet est devenu un moyen privilégié de s’informer et de
suivre l’actualité, leurs préférences vont encore assez largement aux médias de masse19
- ils sont
dans la pratique, activités parallèles, personnes présentes). Des sections du carnet ont également été réservées à
l’enregistrement et à la description des discussions (en présence ou à distance, écrites ou orales) que les enquêtés
ont eues en relation avec l’actualité médiatique. Deux entretiens semi-directifs ont ensuite été conduits avec
chacun de ces individus.
18 Pour lire les résultats : « Les usages sociaux de l'actualité » in Presse en ligne, Revue Réseaux n°160-161, La
Découverte, 2010
19 97 % d’entre eux consultent un média « traditionnel » à des fins d’information au moins une fois par semaine :
93 % mobilisent la télévision, 77 % la radio et 59 % la presse (enquête récente réalisée par le laboratoire
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
14
tout de même 58% à déclarer consulter Internet à des fins informationnelles au moins une fois
par semaine tandis que, chez la jeune génération, Internet passe devant la radio et la presse.
D'une manière générale, en terme d’usages des contenus d’actualité, la règle est celle du mix-
médias20
. Par ailleurs, la consommation d’actualité en ligne est une activité qui, au global,
s’avère peu spécialisée et peu personnalisée.
Aussi, en ligne, l'écrit est le format qui demeure le plus prisé par les internautes qui, s’ils
s’intéressent de plus en plus à des contenus innovants restent encore attirés par une narration
classique : ils la supposent plus à même de (rap)porter une charge informative qu’ils jugent plus
« complète », plus « objective » ou encore plus « critiquable » au sens de « qui mérite d’être
reprise et discutée ». Quant à la lecture, les pratiques de consultation d’actualités en ligne
amènent à une logique de consommation plus flottante : logique d'hybridation et d'enchaînement.
Concernant la temporalité de cette consommation, Internet, tout en permettant une
diversification des sources, entraîne également le développement d’autres formes de pratiques
d’information qui viennent par exemple se loger au creux des emplois du temps, profitant d’une
pause, d’un moment de détente ou d’un surf « sérendipitaire » pour mobiliser des news
d’origines diverses.
Aussi, les résultats de l'enquête relativisent l’importance des formes de recherche de
l’actualité qui seraient forcément actives, volontaires, ciblées et tournées vers une optimisation
des ressources. Chez les individus disposant d'un niveau de certification élevé et ceux qui
développent un intérêt marqué pour l'actualité, ces attitudes de recherche existent effectivement.
Pour les autres internautes qui peuvent à l’occasion s’engager dans de tels usages, ceux-ci
suivent un parcours permis par une accessibilité immédiate et une opportunité qui n’a pas été
nécessairement recherchée.
Notons enfin que les jugements portés sur les contenus varient fortement selon le
contexte : en situation de sérendipité, la brièveté devient une valeur positive de l’information,
alors qu’à d'autres moments, les formats informationnels les plus courts sont critiqués pour leur
faible charge explicative.
Sociology and Economics of Networks and Services (SENSE, 2009) sur les consommations cross-media des
internautes français : internautes âgés de 15 ans et plus, équipés d’un téléphone mobile, ainsi que d’Internet et de
la télévision à domicile. 1053 individus ont répondu à cette enquête)
20 Quotidiennement, 42 % des internautes mobilisent des médias traditionnels dans des agencements variés, tandis
qu’ils sont 40 % à y adjoindre Internet. Concernant les fréquences hebdomadaires, les couplages médiatiques
comprenant de l’Internet deviennent largement majoritaires (59 %) tandis que les mix-médias traditionnels ne
représentent plus que 35 %.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
15
Une relation ambiguë à l'actualité
Les individus interrogés ont le sentiment d’évoluer dans un environnement où ils sont très
(trop) fréquemment « sollicités par des offres d’information ». La fraction de la population la
moins diplômée affirme « subir l’actualité » et essayer de la « consommer avec modération ».
Cette abondance médiatique conduit à des formes d’inquiétude : ces individus restent attachés
aux médias traditionnels en ce qu'ils leur offrent un ensemble d’informations à portée collective,
sur lequel ils peuvent s’appuyer pour avoir une connaissance qu’ils jugent le plus souvent «
suffisante » pour se sentir « en prise avec ce qui se passe ». Les autres (les plus diplômés
notamment), au contraire, appréhendent positivement les ressources médiatiques dont
l’abondance leur permet de disposer rapidement de toutes les actualités dont ils estiment « avoir
besoin ». Ils font davantage usage d’Internet et en profitent pour donner de l’amplitude à leurs
consommations en variant notamment les sources de contenu. L’abondance informationnelle
provoque chez eux le sentiment d’avoir l’assurance de pouvoir se tenir pleinement et facilement
informé, quel que soit le sujet considéré. Globalement, polymorphes et omniprésents, les
contenus d’actualité sont appréhendés par tous comme une envahissante nécessité dont il faut
apprendre à tirer profit.
Aussi, la consommation d'actualité répond à un besoin de routine. Cette routine rythme et
ponctue les journées, elle devient un repère qui fonde le sentiment d’être « en prise avec le
monde et la réalité » et structure concrètement certains engagements pratiques comme la
possibilité de discuter de certains sujets ou se forger une opinion. Cette consommation répond
donc également à un besoin d'appartenance.
Une monnaie pour les échanges sociaux
Il faut noter que c'est notamment l’engagement dans une discussion qui va conduire les
individus à élaborer de l’information et à accroître leur savoir. De là, les réseaux sociaux
apparaissent, en ligne, comme des outils de production/transfert d’information mais également
de production de publics : ils stimulent le partage des contenus d’actualité car c’est notamment
par ce biais que peuvent se créer de nouveaux contacts. Ils permettent également de stimuler la
curiosité : la production de liens faibles sur les sites de réseaux sociaux peut conduire à la
fréquentation de contenus inédits. Ainsi, les individus glanent de l’information auprès de leurs
interlocuteurs de la même manière qu’ils récoltent de l’information dans les médias traditionnels,
au gré des opportunités qui leur sont offertes. L’information, produite ou simplement relayée,
prend ainsi une tout autre valeur que celle d’une médiation publique entre des faits et des
personnes. Reste que demeure, comme sus-mentionné, une inégalité devant la supposée liberté
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
16
d'expression en ligne. Si Internet offre des espaces propres aux débats et à la formation d'opinion,
c'est dans la limite des dispositions et des sens pratiques acquis par ceux qui les fréquentent.
Sans s'imposer telle une vérité, cette enquête ici résumée a toutefois le mérite de montrer
en quoi il demeure illusoire de vouloir prendre les consommateurs d'actualité comme des êtres
aux mobiles semblables, comme une masse aux mêmes inspirations : il existe autant de raison de
s'informer que d'individu le faisant. Les variables sont telles, et les évolutions si rapides. Reste
des attitudes, des valeurs, des conditions, sur lesquelles jouer.
2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »
On le voit, l'information délivrée par les médias souffre moins d'une baisse d'appétence
que d'une recomposition des usages et des mobiles sociaux. Reste que les médias doivent faire
avec une crise économique majeure en partie due à : la fuite des audiences vers des espaces
d'informations hors médias ; le peu d'enclin de cette audience à payer pour une information
présente partout ailleurs que uniquement sur les sites des médias, de surcroît de manière gratuite.
L'information telle que délivrée par les médias n'a-t-elle plus de valeur spécifique ? Il suffit de
reprendre les propos du journaliste David Simon pour comprendre cette perte des certitudes :
« Ce que je ne comprends plus, c'est si l'information elle-même à encore une valeur. Sous
n'importe quel format, n'importe quelle forme de diffusion, est-ce que la compréhension des
événements au jour le jour est encore quelque chose que l'on peut vendre ? Ou est-ce que nous
nous sommes abusés nous-mêmes ? Est-ce qu'un journal n'était viable qu'aussi longtemps qu'il
publiait des petites annonces, des bandes dessinées et les derniers résultats sportifs ? »21
Dans son cahier des tendances automne-hiver 2009/2010, Eric Scherer22
affirme un fait
accepté par beaucoup d'autres penseurs des médias : « La valeur des journaux imprimés et des
magazines n'étaient pas tant dans leur contenu, que dans l'accès à leur contenu, dans leur
commodité et leur confort d'usage, pour un prix modique. Le monde arrivait à nous de manière
pratique. Il était impossible d'extraire la valeur du contenu de l'ensemble combinant distribution
physique/publicité/contenu. » Le blogueur Narvic23
ne dit pas autre chose : « Dans l’ancienne
21 Simon, D, « Does the News Matter tu Anyone Anymore? » in The Whashington Post, 20 janvier 2008
(traduction : Bernard Poulet)
22 Directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP : Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-
hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/
23 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 :
http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 20h43)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
17
économie de la presse, les contenus n’avaient peut-être déjà pas autant de valeur économique
qu’on voulait bien le croire. Mais ça ne se voyait pas. D’abord car on était dans une situation de
rareté de production (..) [et] dans une situation de rareté de diffusion ». Dans un monde où
l'information est omniprésente (de partout, via n'importe quel support et en temps réel), relayable
et recopiable à merci, par n'importe qui, le contenu d'actualité – au sens du fait nouveau rapporté
à un public - se trouve extrait d'un écosystème qui avait auparavant fait sa viabilité. Sur Internet,
le bien information répond d'un coût de (re-)production quasi nul, et devient un bien non-rival et
non-excluable. Avant, l'accès à était le seul outil de monétisation. Alors qu'aujourd'hui l'accès à
est devenu gratuit24
, comment parvenir de nouveau à faire payer l'information ?
Robert G. Picard, spécialiste de l'économie des médias, démontre de son côté en quoi
« l’information a toujours été financée par des revenus qui dépendaient de la valeur de cette
information pour d’autres activités. »25
Et de dérouler une histoire de la monétisation de
l'information pour mieux nous en convaincre, jusqu'à la naissance du modèle des médias de
masse, apparu à la fin du XIXè
siècle : « Dans ce modèle, l’information est fournie aux masses à
un prix bas, mais subventionné par la vente de publicité. Comme la plupart du public n’est pas
intéressée par le suivi des événements au jour le jour et par l’info d’actualité (hard news), le
gros du journal est consacré au sport, au divertissement, au lifestyle et à tous les dispositifs qui
accroissent l’appétence du public à dépenser son argent pour le produit. Ce modèle des médias
de masse reste le modèle prédominant pour le financement de la recherche d’information et sa
distribution, mais son efficacité diminue à mesure que l’audience « de masse » devient une «
niche » d’audience dans les pays occidentaux avec le départ de ceux qui sont le moins intéressés
par l’information d’actualité (hard news) vers la télévision, les magazines et Internet. »
L'accès devient gratuit, la spécialisation va croissante et attire au gré des affinités, les
produits d'appel auparavant « rares » n'ont plus raison d'être. Conclusion implacable :
l'information n'a jamais été un bien commercialement viable et ne le sera pas plus demain. Il faut
alors réinventer les « objets » qui attireront une demande, elle-même prête à participer au
financement de l'information. Et les médias en ligne de peiner et de ne cesser de chercher. C'est
là toute leur difficulté : « Activité professionnelle schizophrénique d’une certaine manière,
l’activité éditoriale doit ainsi constamment concilier les dimensions apparemment antagonistes
de la création artistique/intellectuelle et de la valorisation commerciale. »26
24 En partie seulement : l'utilisateur paye indirectement l'accès aux FAI (fournisseurs d'accès à Internet), et se
vend en partie en acceptant l'intrusion de la publicité lors de sa consommation.
25 Picard, R. G., « News has never been a commercially viable product » in The Media Business, Robert G. Picard,
31 juillet 2010 : http://themediabusiness.blogspot.com/2010/03/news-has-never-been-commercially-viable.html
(18/08/2010 à 21h07)
26 Rebillard, F, Le Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’internet, Paris, L’Harmattan, 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
18
a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France
L'universitaire Yannick Estienne, dans son ouvrage intitulé Le journalisme après
Internet27
, distingue trois temps forts de l'arrivée des médias français sur Internet : le temps des
pionniers (1995-1998) ; l'essor de la presse en ligne (1998-2001) ; la crise (2001-).
1995 -1998 : l'expérimentation
Les entreprises de presse française voient avec Internet de nouvelles opportunités de
captation de l'audience et de diversification de leur support de diffusion. Les premiers sites-titres
sont créés entre 1995 et 1996 mais demeurent encore pauvres éditorialement parlant. L'idée est
alors de rendre visible la marque sur le web, rien de plus. Aussi, la conception des sites web est
bien souvent guidée, et contrainte, par les expériences passées dans le domaine de la télématique.
De la forme au fond en passant par le modèle économique, rien n'est défini. On expérimente, on
bricole. La stratégie n'est pas encore de mise.
1998 - 2001 : la stratégie
Les médias en ligne ne prennent leur essor qu'au tournant de l'année 1998. Avec l'arrivée
massive des médias, la nécessité pour chacun d'un positionnement éditorial et commercial
s'impose. Les investissements affluent vers les départements ou filiales ad hoc alors créés. La
presse, qui connaît depuis plusieurs années une situation de crise place dans Internet beaucoup
d'espoir – jusqu'à y voir la condition de sa survie. D'ailleurs, l'autonomisation des rédactions web
est engagée : elle doivent-être visibles, dotées de moyens propres, créatives et non freinées par le
papier, proches de la culture des « start-up ». L'heure est à la conquête de parts de marché dans le
secteur de l'information en ligne et à la diversification. A partir de 2000, se développent des
produits multimédia interactifs : bien que les limites technologiques freinent ces ambitions
(faible pénétration du haut débit), il s'agit d'explorer davantage encore les potentialités d'Internet.
Aussi, on enrichit l'écrit : au delà du simple copier-coller des contenus papiers vers le web, le site
agrège fils de dépêches, dossier thématiques, compléments d'informations, liens, etc. Différentes
voies éditoriales sont ainsi explorées : allant du copier-coller des contenus papier sur les sites, au
complément d'information, à l'enrichissement du contenu préexistant jusqu'à la création d'un
contenu propre et multimédia. De même que l'on expérimente divers modèles économiques,
naviguant du payant au gratuit : le financement par la publicité, la vente de contenu et l'e-
commerce. Tout est à inventer.
27 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
19
2001 - ? : la crise
L'importante crise boursière et financière qui survient en 2001 déstabilise profondément
les médias et leurs espoirs. De nombreux projets sont suspendus ou même arrêtés, certains sites
s'appauvrissent. Après les forts investissements consentis, l'heure est à la recherche d'économie :
compression des coûts, réduction des effectifs, etc. Paradoxalement, cette période de restriction
budgétaire s'accompagne d'une diffusion plus large d'Internet, d'une hausse de l'audience, d'une
maturité des rédactions web. Internet commence à s'imposer comme support d'information
incontournable. Or, dans un contexte où les site-titres ne sont toujours pas rentables et les
versions papiers les quasi seuls financeurs de l'entreprise de presse, la question de la gratuité de
l'information et, par extension, de la survie des médias traditionnels, se pose. Les modèles
informationnels d'hier (financement par la publicité et la vente) se voient remis en question.
Du modèle gratuit, en cours jusqu'au début des années 2000, les médias en ligne, suite à
l'éclatement de la bulle Internet en 2001, sont venus à des modèles payants, sans grandes
réussites, pour retenter la gratuité quelques années plus tard et aujourd'hui se retourner vers le
payant. Ces va-et-vient, qui plus est effectués sur de très courts cycles, et les tentatives de
constitution de modèles hybrides, démontrent bien les difficultés qu'ont les médias en ligne, en
2010 encore, à trouver un financement sain et durable. Nous allons ici identifier les différents
modèles existant et les raisons de leur « défaites ».
b) Le modèle gratuit
C'est le modèle qui a prévalu jusqu'au début des années 2000, laissant ensuite en grande
partie place au payant ou à l'hybridation. La gratuité était alors le meilleur moyen d'attirer et
retenir le lecteur sur le site : il fallait se faire connaître puis fidéliser, et surtout construire une
audience monnayable auprès des annonceurs. Les titres traditionnels et les revenus publicitaires
finançaient les éditions web. La gratuité était alors perçue par les responsables de ces médias
comme un principe temporaire correspondant à la phase de décollage nécessaire du média en
ligne. C'était sans compter sur une culture de la gratuité qui allait aller en grandissant. L'esprit
d'Internet prône une certaine culture de la gratuité, via la circulation libre de l'information, le
partage des connaissances et la coopération en réseau, décentralisée et désintermédiée : difficile
d'imposer un modèle capitaliste dans un écosystème libertaire. Aussi, le recours à la gratuité par
les éditions web semble avoir tué dans le même temps les éditions papiers : pourquoi dès lors
acheter le journal ? D'autant que fleurissaient dans le même temps les quotidiens gratuits. Et que
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
20
les médias audiovisuels continuaient d'apparaître aux yeux du lecteur comme une offre gratuite.
Ajoutons encore à cela que les blogs, webzines et autres portails sur Internet offrent aux
internautes une information là encore gratuitement. L'information est présente partout, en flux
tendu et en accès libre : pourquoi la payer ? La question se tient. En 2000 comme aujourd'hui, les
mêmes problématiques demeurent. Le financement des contenus d'actualité par l'audience, c'est à
dire par la publicité, n'a pas encore prouvé sa viabilité. D'autant qu'à regarder les comportements
des consommateurs, volages et infidèles, on comprend la réticence des annonceurs. Ce qui fait
dire au blogueur Narvic28
: « Allez donc bâtir une économie viable des sites d’actualité
professionnels dans de telles conditions de fragmentation des usages, et donc des audiences !
Surtout quand toute l’économie de la publicité en ligne des sites de presse reste totalement
organisée autour de la constitution de marques, censées offrir aux annonceurs des
« environnements éditoriaux » propices, attirant une audience qualifiée et justifiant d’y vendre la
publicité plus cher que partout ailleurs sur Internet. » Au printemps dernier, le cabinet Precepta
affirmait clairement devant les membres du Geste (Groupement des éditeurs de service en ligne)
: en matière de revenus en ligne, « les sites médias français sont des nains publicitaires sur
Internet » face aux géants du web (Google, PagesJaunes, Yahoo!, MSN ou Orange). Les revenus
web n’ont représenté en 2009 que 2,8% du chiffre d’affaire total des médias français, or,
« aujourd’hui la répartition des revenus des médias en ligne est la suivante : 63% vient de la
pub, 18% des contenus payants, 6% du B2B et de la syndication et 5% de l’e-commerce. (...) À
eux tous, les médias français, reçoivent trois fois moins que l’ensemble des grands agrégateurs
et deux fois moins que le seul Google. »29
Alors que nombre des médias visent aujourd'hui des
modèles de monétisations autres que celui de la publicité, on notera cependant l'émergence des
médias à but non lucratifs30
et, avec eux, de nouvelles voies alternatives31
de financement de
l'information « gratuite »32
. En France, l'association Owni (un laboratoire du « digital
journalism » agrégeant et produisant des contenus), éditée par la société 22mars, est l'un des
grands défenseurs de l'hybridation des revenus entre activités commerciales et à but non lucratif.
28 Narvic, « Avenir des médias en ligne : l'impossible équation » in Novövision, 31 mai 2010 :
http://novovision.fr/avenir-des-medias-en-ligne-l (19/08/2010 à 21h21)
29 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 :
http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires
(16/08/2010 à 20h26)
30 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010, p.51 : http://mediawatch.afp.com/
31 Le journaliste Jean Abiatecci énumère sur son blog quelques unes de ces solutions : les subventions publiques, le
mécénat d'entreprise, le sponsoring des sujets d'enquêtes, l'appel aux dons des internautes, la revente du contenu,
la déclinaison des sujets sur différents supports à valeur ajoutée, faire de la formation, éditer des livres, vendre
des goodies, vendre des photos en ligne, vendre des services et placer de la pub. Abbiateci, J, « Quels
financements possibles pour un média ? » in Papier Brouillon, 28 mai 2010 :
http://papierbrouillon.posterous.com/check-list-quels-financements-pour-un-media (16/08/2010 à 10h39)
32 Seeking Sustainable, A Roundtable, Knight Foundation, 11 juin 2010 :
http://www.knightfoundation.org/research_publications/detail.dot?id=364196
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
21
c) Le modèle payant
Après 2000, et aujourd'hui encore, les médias en ligne cherchent un équilibre entre offre
payante et offre gratuite et les réflexions s'engagent : quels contenus, quels services, faire payer ?
A qui (quelle est la motivation d'achat) ? Et comment (micro-paiement, abonnement) ? Jusqu'où
aller sans risquer de perdre une audience significative ? Quelle est la marge de progression des
ventes par abonnement ? D'autant que le passage brutal d'une information gratuite à une
information payante reste difficile à faire passer auprès des internautes, aussi fidèles soient-ils.
Le dernier exemple en date est certainement spectaculaire : le magnat des médias Rupert
Murdoch a institué un « paywall » total sur le site de The Times, en juin dernier. Les chiffres
(dont la perte de 90% de l'audience)33
, encore difficiles à analyser à l'heure actuelle, devraient
apporter certaines réponses. On notera également le projet de monétisation des contenus du New
York Times, annoncé pour début 2011 : après une expérience déçue en 200534
, le journal opte
pour le paiement à la durée, un système qui propose au lecteur qui aura consulté un certain
nombre d'articles en ligne un abonnement pour avoir accès aux autres contenus. Une logique qui
ne cherche cependant pas à se couper du trafic issu des moteurs de recherche et réseaux sociaux :
le président, Arthur Sulzberger explique logiquement ne pas souhaiter retirer son site de
« l'écosystème du Web ouvert »35
. Difficile enjeu : maintenir une audience forte tout en créant des
revenus additionnels via la vente de contenus – et donc un accès restreint. Pour l'heure, on le voit
bien, des sites comme Mediapart ou Arrêt sur Image, qui ont opté dès le départ pour un accès
sous condition d'abonnement, peinent à parvenir à l'équilibre.
Au delà de ces cas radicaux, l'enjeu est là : parvenir à constituer une base d'abonnés
financièrement tenable tout en maintenant, du côté des contenus gratuits, une audience
monnayable auprès des annonceurs. On parle alors de formule Freemium : des contenus de
« luxe », enrichis, qualifiés, pour les abonnés ; des contenus standards, sans grande valeur
ajoutée, pour les autres. Actuellement, la tendance est à ce modèle, mixte, entre abonnement et
revenus publicitaires.
33 Raphaël, B, « The Times : premiers chiffres derrière le paywall » in La Social Newsroom, 19 juillet 2010 :
http://benoitraphael.com/2010/07/19/the-times-premiers-chiffres-derriere-le-paywall/ (08/08/2010 à 19h47)
34 Le système Times Select alors institué consistait à rendre payant l'accès aux articles de ses journalistes et de ses
éditorialistes les plus prestigieux.
35 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11
septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour-
le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37)
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires
Les équipes web des médias tentent alors de se diversifier, à l'image de Rue89 qui
propose, outre son offre d'information, des ateliers de formation et un service de conception de
site. D'élargir leur audience, paradoxalement à l'aide du papier (Médiapart se lance dans l'édition,
Backchich et Rue89 lancent des formules papiers). Mais dans l'ensemble, les médias restent
proche du modèle publicité/audience et peinent à trouver de nouvelles voies de financement alors
même que le display rapporte de moins en moins d'argent. Le cabinet Precepta rappelait en mai
dernier cet état de fait36
auprès des membres du Geste et d'évoquer ses recommandations :
l'enrichissement de l'offre, la création de nouvelles valeurs ajoutées, l'exploitation de ressources
différentes ou de compétences rares, le recours aux donations voire aux subventions, une
meilleure valorisation de l'existant pour les annonceurs, des diversifications thématiques et
l'exploitation des débouchés mobiles. Enfin, explique le cabinet, des solutions collectives
devraient être tentées pour créer des rapports de force différents. Du côté de la mobilité
précisément, deux nouvelles sources de financement ont fait leur apparition : la vente
d'applications pour smartphones et pour tablettes numériques, dont le fameux iPad. Ce dernier
notamment, plébiscité par l'ensemble des professionnels de l'information, était attendu comme le
sauveur de la presse. Un espoir que terni déjà l'arrivée massive d'agrégateurs sur iPad : pourquoi
payer plusieurs applications quand je peux avoir autant de contenu en en achetant une seule ?
Quant aux solutions collectives, elles pourraient bientôt voir le jour : le Syndicat de la Presse
Quotidienne Nationale vient d'annoncer le lancement, fin 2010, d’un portail d’actualité payant,
tandis que le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale vient d'annoncer le lancement, sur
iPad, de son kiosque numérique. Reste que ces projets posent uniquement le problème de la
monétisation sans se tourner spécifiquement vers le contenu lui-même...
Bien que de nombreux organes tentent d'innover en terme d'écriture et de diffusion
originale de l'information (principalement dans les médias anglophones), les médias restent
penchés sur leurs problèmes financiers – certes majeurs – et moins sur la question de
l'information. L'écosystème informationnel évolue, l'idéologie fondatrice d'antan n'est plus. Les
pratiques informationnelles (production, diffusion, consommation) changent tandis que des
acteurs hors médias bouleversent la filière de l'information en ligne. Il faut comprendre et jouer
avec ces conditions plutôt que d'essayer d'y mettre fin. Il n'y aura pas de retour en arrière.
36 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 :
http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires
(08/08/2010 à 20h19)
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II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente
Nous nous intéressons ici aux évolutions de la filière de l'information en ligne,
essentielles afin de comprendre ce vers quoi tend l'écosystème informationnel actuel37
. De la
production jusqu'à la diffusion, les professionnels de l'information en ligne perdent
progressivement du pouvoir face aux pratiques amateurs et à l'émergence d'acteurs hors médias.
Dans le même temps et nécessairement, c'est l'ADN lui-même de l'information qui change.
1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne
Alors que la production de l'information n'est plus l'apanage exclusif des journalistes, et
que la diffusion de celle-ci échappe progressivement aux professionnels des médias, il importe
de recenser ici les différents protagonistes du paysage de l'information sur Internet. Parce qu'ils
influent sur les usages et la nature même de l'information et parce qu'ils sont amenés à
reconditionner l'écosystème de demain. Nécessairement, il faudra compter avec eux.
a) Production
Du contre pouvoir citoyen au média à la demande en passant par l'algorithme tout
puissant, le métier de journaliste se voit profondément bouleversé depuis l'arrivée d'Internet, il y
a quinze ans. Collecte, traitement, production de l'information n'appartiennent plus
exclusivement aux médias institués. Et, alors même qu'amateurs et professionnels hors médias
viennent concurrencer, avec un succès certain auprès du public, la mission journalistique, les
acteurs médias voient dans le même temps leur légitimité progressivement diminuer. Sans parler
de la concurrence qu'entretiennent entre eux les médias sur Internet : journaux, chaînes de
télévisions, radios, sites web s'affrontent en effet pour la première fois sur un même terrain. Qui
produit aujourd'hui l'information en ligne ? Dans quelles mesures et sous quel « droit » ?
Dressons ici une typologie des producteurs de l'information sur Internet.
Les médias professionnels
Les professionnels de l'information en ligne répondent du métier de journaliste et
s'inscrivent dans des entités médiatiques reconnues comme telles. Parmi les « anciens », nous
37 Voir en annexe un schéma représentant la filière de l'information en ligne.
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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trouvons les sites titres de marques médias (presse, télévision ou radio) et les sites des agences de
presse (AFP, Reuters, AP) qui offrent en ligne des fils d'information dédiés aux particuliers38
.
Parmi les nouveaux arrivants, nous trouvons les pure players, des éditeurs de presse en ligne dont
l'origine et l'activité sont entièrement liées à Internet : Rue89, Mediapart, Backchich, Slate, Arrêt
sur image, etc. Ils se sont récemment regroupés au sein du SIIL (Syndicat de la presse
indépendante d'information en ligne), créé en octobre 2009.
Les médias citoyens
On parle de « journalisme collaboratif », « journalisme participatif », « journalisme
citoyen » pour qualifier un phénomène significatif de ce que l'on appelle le Web 2.0 et son
pendant, l'« intelligence collective ». L'idée : chaque citoyen, également lecteur et consommateur
d'information, peut devenir à son tour producteur d'une information qui sera qualifiée puis
publiée par un professionnel. Alors que le prix des outils de production baisse significativement
et que leur usage devient de plus en plus simple, pourquoi ne pas orchestrer la production,
gratuite ou faiblement rémunérée, de ces journalistes amateurs ? Le premier exemple réussi de
média citoyen est OhMyNews, lancé en 2000 en Corée du Sud. En France, nous pouvons citer
Agoravox, fondé en mars 2005 par Joel de Rosnay et Carlo Revelli39
suite à un constat : « grâce
à la démocratisation effective du multimédia, et des NTIC, tout citoyen peut devenir
potentiellement un reporter capable d'identifier et de proposer des informations à haute valeur
ajoutée ». Depuis, on a également pu voir émerger des projets tels que LePost, lancé par
LeMonde Interactif en Septembre 2007 ou encore Rue89, lancé en mai 2007 par des anciens de
Libération. Notons qu'au-delà de ces médias citoyens, la logique du participatif s'est largement
répandue à l'ensemble des médias en ligne : le community manager, chargé d'animer la
communauté des lecteurs mais également de veiller et faire remonter les informations données
dans les espaces sociaux dédiés, est devenu un poste essentiel, bien souvent tenu par de jeunes
journalistes. De même, via la mise en place de sondages, votes, commentaires, blogs sur leurs
sites, les médias valorisent de plus en plus la participation du public à la production de
l'information. Aussi parce que, lui même valorisé par la mise en avant de sa contribution,
l'internaute est plus susceptible de revenir régulièrement sur le site...
38 Notons ici que l'AFP a le projet de créer un site entièrement dédié au grand public. Ce qui ne va pas sans susciter
certaines critiques de la part des médias en ligne, vis à vis de ce client bientôt concurrent.
39 Co-fondateurs de la société Cybion, spécialisée dans l'Intelligence Economique.
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Les blogueurs
Il est à noter que la pratique du journalisme amateur existait bien avant Internet, au
travers des fanzines ou encore du statut particulier des correspondants de la presse locale. Reste
que l'arrivée de ce nouveau moyen de communication offre à cette pratique une nouvelle
dimension. Jusqu'à dessiner aujourd'hui une importante sphère journalistique « extra-
professionnelle »40
. Par ailleurs, le journalisme en ligne, en arrivant sur Internet, a du faire avec
un imaginaire prégnant, celui d' « un nouvel « espace public » qui permettrait l'expression libre
et absolue de tous en abolissant les médiations traditionnelles.».41
La généralisation, et le succès
certain, des pages personnelles – appeler ensuite « blogs », à partir de 2002 - traduit
spécifiquement ce projet. Et, alors qu'il fallait auparavant manier le code HTML et posséder de
bonnes bases informatiques pour ce constituer pages perso ou webzines, l'arrivée des CMS
(outils de gestion de contenu) démocratise le blog. On en compte aujourd'hui 143 890 000 dans
le monde42
. Bien sûr, les blogs prennent toute sorte de formes, ils peuvent traiter des sujets les
plus intimes ou encore être alimentés par des experts, ils peuvent servir à commenter, de manière
plus ou moins sérieuse, ou encore à apporter des connaissances, ils peuvent être écrits à une ou
plusieurs mains. Nous nous intéressons ici spécifiquement aux blogs qui s'inscrivent dans une
démarche citoyenne face à l'information, « ces blogs conçus dans l'optique de diffuser et de
commenter une information, de donner à réfléchir et de susciter le débat. »43
Trois catégories
peuvent être distinguées : les blogueurs amateurs (qui relaient et commentent l'information), les
blogueurs experts (qui commentent l'information et partagent leurs connaissances sur un
domaine spécifique) et les journalistes blogueurs (qui trouvent des espaces d'expressions plus
libres et plus divers que leur média). Cette forme d'expression porte en elle l'aura de la
subjectivité mais également du contre-pouvoir salvateur quand les médias subissent de toute part
des critiques portant sur leurs supposés partialité et objectivisme mou. Il y aurait d'un côté les
blogs, l'opinion libre et désintéressée, et de l'autre les médias, les faits. Reste qu'aujourd'hui, les
médias hébergent nombre de ces blogs, qui contribuent notamment à subjectiver et qualifier une
partie de leur travail. Tandis que les blogueurs ainsi hébergés jouissent d'une audience
difficilement atteignable hors des frontières médiatiques.
40 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
41 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
42 Chiffres issu du rapport annuel de la société Technorati sur la blogosphère : State Of The Blogosphere 2009
43 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007
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Les agences de contenus
En même temps qu'est apparue, pour les entreprises (au sens large), la nécessité d'aller sur
Internet, se sont développées les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) et autres
Web agencies et avec elles le marché de la conception, réalisation et maintenance de sites web.
C'est dans ce cadre qu'a notamment germé le marché des agences spécialisées dans la production
de contenus et services en ligne, proche du modèle des agences de presse, à savoir le B2B
(Business to Business)qu. Afin de pouvoir s'imposer sur le marché de l'information en ligne, ces
agences de contenus se sont spécialisées : dans le sport, la culture, les nouvelles technologies, la
science, etc. Deux modèles coexistent : la production de contenus en flux continu et l'édition
déléguée. Les premières veillent, collectent, traduisent et produisent des informations que les
clients vont consommer via l'abonnement à un fil de dépêches ou l'achat à l'acte puis exploiter
sur leurs propres sites. Les secondes produisent et vendent de l'information personnalisée en sus
d'une expertise éditoriale à l'intention de clients distincts. Elles produisent à la demande et
rentrent dans une relation client durable.
Les usines à contenu ou médias à la demande
« C'est un vieux fantasme de la presse et de l'édition : savoir précisément ce que le public
a envie de lire à un moment donné. Pour vendre plus et attirer davantage les publicitaires. (...)
Aujourd'hui, Internet et des outils statistiques tels ceux développés par Google (Google Trends,
Google Analytics) donnent la possibilité de savoir sur quels articles les internautes « cliquent »
le plus, quels sont les thèmes qu'ils cherchent sur les moteurs de recherche. Des informations
d'autant plus précieuses que plus de la moitié du trafic arrive désormais sur les sites de contenu
à partir des moteurs. »44
De nouveaux acteurs45
n'ont pas tardé à comprendre le potentiel du
média à la demande et d'asseoir le règne de l'information sur-mesure et/ou automatisée. On
notera notamment le portail Associated Content (les internautes y publient des articles liés à
l’actualité, des photos et des vidéos sur les sujets de leur choix en échange d’une rémunération :
le libre choix est censée coller aux inspirations des internautes/consommateurs), récemment
racheté par Yahoo!, mais surtout la société Demand Media qui fournit de nombreux sites en
contenu. Ce dernier dispose d'algorithmes puissants à même de connaître les sujets les plus
recherchés par les internautes, mais également ceux à même de rapporter le plus d'argent en
44 Ducourtieux, C, Ternisien, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 :
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-
actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)
45 Shaver, D, « Yoir Guide to Next Generation 'Content Farms' » in Mediashif, 19 juillet 2010 :
http://www.pbs.org/mediashift/2010/07/your-guide-to-next-generation-content-farms200.html#comment-171240
(15/08/2010 à 17h25)
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consultation. Une fois ces paramètres déterminés, des milliers de rédacteurs freelance, « non
professionnels » et payés au rabais, produisent des contenus ad hoc. Sorte « d'industrialisation
de la « pige » traditionnelle »46
. Où la pertinence du fond compte moins que son potentiel à
générer des revenus47
. Ainsi, dans les deux cas, le principe se fonde sur l’industrialisation de la
production de contenu pour le web (plus exactement pour les moteurs de recherche) et sa
monétisation par la publicité (achat de mots clefs chez Google Adwords, affichage de pubs
ciblées). Le calcul est simple : « Chiffre d’affaires pub sur le contenu – (coût de l’article + coût
total d’acquisition ). Si le résultat est positif, vous avez gagné de l’argent sur ce contenu. L’idée
est d’en produire un maximum pour jouer sur le volume. »48
Bien que la majorité des sujets ainsi
produits rentrent dans la catégorie « pratique », il est intéressant de constater qu'un acteur tel que
Yahoo! vient de décider de créer un blog d'information, The Upshot, dont les contenus d'actualité
sont dictés par de tels algorithmes. Aussi, The Huffington Post, le pure player d'information
politique le plus influent outre atlantique, vient de racheter une société d'étude d'opinion.
La machine à contenu
Via des algorithmes d'une complexité toute autre, des ordinateurs sont désormais à même
de produire du contenu d'actualité49
. Un programme d'intelligence artificielle50
permet déjà de
couvrir des événements sportifs et vise bientôt l'actualité financière. Egalement, ce programme
expérimente la fabrication de mini-journaux télévisés pour Internet. Au global, l'idée est ici de
pouvoir débarrasser les journalistes des tâches les moins nobles pour pouvoir se recentrer sur des
exercices plus pointus (enquêtes, reportages...). Et déjà, des rapprochements vers les médias se
font afin de créer des outils de veille et de collecte d'information.
46 Ducoutieux, C, Ternieisen, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 :
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l-
actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33)
47 Chez Suite101 par exemple, société canadienne présente en France, les auteurs sont rémunérés si les publicités
associées à leurs articles sont « cliquées ».
48 Raphaël, B, « Quel avenir pour le 'media on demand' ? » in La Social Newsroom, 23 juillet 2010 :
http://benoitraphael.com/2010/07/23/quel-avenir-pour-le-media-on-demand/ ((15/08/2010 à 17h32)
49 Lire à ce propos : Eudes, Y, « L'ère des robots-journalistes » in Le Monde, 10 mars 2010 :
http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/09/l-ere-des-robots-journalistes_1316608_3236.html
(15/08/2010 à 18h18)
50 Baptisé Stats Monkey, il est conçu dans l'Illinois, aux USA, dans le laboratoire d'information intelligente
(Infolab), installé sur le campus de l'université du Northwestern.
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b) Diffusion
Aujourd'hui, la difficulté première des médias en ligne réside dans la captation de
l'attention de l'audience : bien que se fût toujours été l'un des objectifs majeurs du marketing
éditorial, à l'heure d'Internet cela devient un enjeu de premier ordre, duquel dépend en premier
lieu la survie financière des titres. Alors même que les consommateurs ont des usages de plus en
plus volatiles, éclatés, individualisés, et que le processus de désintermédiation tend
progressivement à faire disparaître le rôle de « médiateur », de diffuseur de l'information,
préalablement affecté aux journalistes. Nous recensons ici les différents canaux et terminaux de
distribution de l'information empruntés par les médias, utilisés par les consommateurs.
 Des canaux éclatés...
La newsletter et l'alerting
Une à plusieurs fois dans une même journée, les producteurs d'information transmettent à
leurs lecteurs, préalablement abonnés à leur newsletter, les informations dernièrement publiées,
directement dans les boîtes mails. La plupart offrent aussi la possibilité de personnaliser des
alertes (thématiques, localités, etc). Ainsi, chaque fois qu'est publiée sur le site une information
susceptible d'intéresser l'abonné, celui-ci reçoit un mail le prévenant. La même logique d'alertes
se répercute via les applications mobiles.
Les agrégateurs de flux RSS
--> Personnalisés. Pas un site ne manque aujourd'hui de proposer des abonnements à des
fils RSS. Ce procédé permet à l'internaute de recevoir, via sa boîte mail ou des outils agrégeant
ces flux, l'information qui l'intéresse, et ce en temps réel, sans nécessité de se rendre sur le site
d'origine. Et ces outils (Google Reader, Netvibes, Feedly...) de permettre à l'utilisateur
d'organiser sa page en diverses rubriques qu'il aura préalablement créé, d'y classer ses différents
flux, et par ordre de préférence, puis de choisir éventuellement la présentation qui lui convient.
--> Communautaires. On notera également que ces agrégateurs RSS permettent de voter
et/ou partager les contenus avec d'autres membres : on parle alors de recommandation. Sorte de
filtre social qui vient enrichir le filtre de base de l'algorithme. Les plus connus sont ici Digg ou
Delicious. Dans le cas du premier, le contenu est signalé (recommandé) par un utilisateur puis
commenté et noté par les autres membres du site : ainsi s'effectue la hiérarchisation de
l'information. Le second est lui un outil permettant de sauvegarder ses bookmarks puis
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éventuellement de les partager avec le reste des membres : on le décrit souvent comme un outil
de veille collaborative. Proche de cette logique, de nouveaux sites offrent d'agréger l'ensemble
des liens partagés par votre réseau Twitter puis de les mettre en scène à la manière d'un journal.
--> Editorialisés. C'est le cas du Huffington Post outre atlantique qui sélectionne, selon
une ligne éditoriale définie (centre gauche de la vie politique), des contenus principalement issus
de blogs. De même, The Drudge Report aux USA ou Aaliens, en France, agrègent des liens vers
des contenus préalablement choisis. Owni, en France également, agrège l'intégralité des contenus
sélectionnés par son équipe selon une ligne éditoriale déterminée. L'utilisateur va ainsi aller sur
ces sites parce qu'il y trouvera du contenu sélectionné par des personnalités qualifiées, en
lesquelles il a confiance et avec lesquelles il partage une même vision.
--> Automatiques. Le plus connus étant Google Actualités, qui agrège sur une même
page des contenus issus de sites d'informations référencés par le moteur Google, via un
algorithme qui permet en outre de « clustériser » (rassembler par similitudes) différents contenus
se rapportant à un même sujet, ou encore de les classer par rubriques. Wikio fait peu ou prou la
même chose, en y ajoutant en plus des contenus issus de blogs, tandis que 2424actu agrège lui
des contenus multimédias (vidéo et audio (jouables sur le site), texte (liens profonds))51
.
--> Mobiles. On notera ici que ces agrégateurs ne se suffisent plus aux sites web mais
sont également présents sur smartphones (LeNews, 2424actu...) et sur tablettes numériques
(Apollo, Pulse, Flipboard...).
Les réseaux sociaux
L'information transite énormément via les réseaux sociaux, espaces numériques qui
regroupent des millions d'internautes et occupent une bonne partie du temps de connexion. Les
producteurs d'information l'ont bien compris et tentent un maximum d'occuper ces espaces et d'y
diffuser leur information : ce sont les rôles des community managers. Mais le partage
d'information se fait le plus souvent (et est le plus efficace) de membre à membre, par
recommandation (mes amis l'ont aimé, je devrais également l'aimer). Plus que Facebook, Twitter,
un réseau communautaire d'information, est le lieu symbolique de ces échanges.
La blogosphère
On notera également que la blogosphère joue un rôle important dans la diffusion de
l'information : d'une part via son rôle de commentateur, d'autre part via l'ensemble des liens
51 Ce dernier a aussi la particularité de signer des contrats autorisant cette agrégation avec des partenaires (ce qui
restreint le panel de contenus agrégés), ce que ne fait pas un Google Actualité par exemple (mais ce qui lui
permet de promettre une offre exhaustive).
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hypertextes présents dans les billets et renvoyant à autant de contenus d'information.
Le moteur de recherche
Ne l'oublions pas, il est le premier vecteur d'audience des sites médias. De fait,
l'optimisation du référencement est devenu un poste essentiel au sein des rédactions web auquel
s'ajoute l'achat de mots clefs chez Google Adwords.
Que l'internaute soit dans une attitude passive ou active face à l'information, qu'il
recherche une information recommandée par ses amis ou par des pairs qualifiés, il s'orientera
vers l'une ou l'autre de ces solutions. Aux médias d'être présents et de parvenir à s'adapter à
chacun de ces canaux et chacune de ces attitudes.
 ... et des terminaux multiples
Le site n'est plus le lieu incontournable de connexion à l'information. D'autres terminaux
permettent, instantanément et de n'importe où, d'accéder à l'information en ligne – devenue par là
même une information connectée. Les smartphones et autre tablettes numériques affirment le
règne de la mobiquité : où qu'il soit, l'utilisateur va pouvoir consulter l'application de LeMonde,
de LePost ou de Rue89, être alerté par ces mêmes applications dès qu'une information nouvelle
est publiée. Bien installé dans son fauteuil, le télénaute va se connecter à 2424actu via son
téléviseur. L'ordinateur n'est plus qu'un medium comme un autre, davantage tourné vers le travail
et la recherche active d'information, tandis que les terminaux sus mentionnés servent à une
consultation plus passive. Dans ces conditions, les médias en ligne mettent en place des
dispositifs spécifiques, en réponses à ces différentes attentions : des applications dédiées mais
également des contenus dédiés (de l'audio, de la vidéo, du texte, ou les trois à la fois) selon les
terminaux et attitudes de consommation visés. Car demain, peut-être faudra-t-il compter avec des
panneaux urbains interactifs à même d'alerter les badauds et de leur donner la possibilité de se
connecter, via leurs smartphones, à des sites d'information ; avec le web des objets ; avec la radio
numérique ; etc. Soit une information pervasive à laquelle il faudra nécessairement s'adapter.
On le voit, production et circulation de l'information se décentralisent progressivement et
de plus en plus rapidement. Alors qu'il importe d'ajuster constamment l'offre à un présent
instable, il est encore plus nécessaire de trouver les capacités de se projeter en avant. Dans un
futur qui arrive à grande vitesse.
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2) Nouvel ADN informationnel
Nous venons de le constater, avec l'évolution des pratiques professionnelles et la
multiplication et diversification des acteurs de l'information sur Internet, l'information, telle
qu'auparavant envisagée, évolue : émission, réception, environnement de production et de
diffusion, pratiques. Arrêtons-nous un instant pour tenter de cerner certaines caractéristiques, du
moins des tendances, de l'information en ligne52
.
a) Eclatement de la chaîne de valeur
Une information décentralisée. Les médias traditionnels, malgré l'existence de leurs « doubles
numériques » sur la toile, se voient concurrencés par des acteurs hors médias, toujours plus
nombreux : grands groupes mondiaux de l'Internet proposant à la fois moteurs de recherche et
sites agrégateurs d'information ; organisations privées ou publiques diffusant de manière
autonome leurs propres informations ; les citoyens via les blogs, réseaux communautaires et
autres sites participatifs.
Une information déterritorialisée. Alors que les entreprises de presse traditionnelle se
caractérisent par un territoire spécifique de production et de diffusion de l'information, cette
dernière, via le web, a désormais la capacité de s'adresser à la planète entière. En découle un
public potentiel plus éclectique mais aussi fugace, éphémère, et difficile à fidéliser. En découle
également un frein en terme de développement face aux concurrents internationaux : la langue.
Une information hyper fragmentée. De moins en moins fidèle, le lecteur picore, à l'image du
zapping, ici une information sur le site de Le Monde, là une autre sur un blog... De fait, près des
deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche, de la recommandation, du
« buzz », et des flux RSS.
52 Nous nous sommes ici inspirés des travaux de Benoît Raphaël et Nicolas Pélissier. Raphaël, B, « Les 8 nouveaux
gènes du nouvel ADN de l'information » in Demain tous journalistes ?, 10 janvier 2008 : http://benoit-
raphael.blogspot.com/2008/01/mdias-les-8-nouveaux-gnes-du-nouvel-adn.html (05/09/2010 à 19h26). Pélissier,
N, « L'information à l'heure d'Internet » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La
documentation française, n° 338, mai-juin 2007
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b) Modification des pratiques journalistiques
Une information hypertextuelle. A l'ère d'Internet, l'écriture journalistique évolue et lien
hypertexte en est l'outil principal. Sont privilégiés des textes courts, agrémentés de nombreux
liens renvoyant à d'autres documents à même de préciser un terme, d'approfondir une réflexion,
de contextualiser, de poursuivre un débat, de fournir un témoignage, etc. Sur Internet, le
journalisme se doit d'être ouvert, non conservateur.
Une information multimodale. Internet permet une diffusion multicanal de textes, images fixes
et animées, documents sonores et vidéos. Où les sites-titres peuvent retranscrire une information
issue du titre papier via l'outil vidéo, agrémenter une autre à l'aide d'un diaporama photo ou d'un
entretien sonore. Où une radio va pouvoir diffuser sur son site et de manière écrite les nouvelles
diffusées sur ses ondes, etc. Dans la logique du Rich Media, et si l'usage des divers outils
multimédia est fait de manière pertinente, une même information peut être déclinée en divers
angles, via différents formats, tous mis en relation les uns avec les autres pour une meilleure
compréhension du sujet.
Une information arythmique : alors que les médias traditionnels disposent d'une périodicité
établie, sur Internet l'information est délivrée en flux tendu et, sur les sites d'information, se
côtoient flux continu et de périodicités variables. Aussi, il n'est pas rare qu'un article mis en ligne
directement après sa rédaction, concernant par exemple un événement venant tout juste de se
produire, soit par la suite actualisé et complété au gré des dépêches. Ainsi, l'information est en
chantier permanent, un « work in progress » qui s'enrichit continuellement.
Une information formatée et recyclée. Si l'on s'intéresse à la forme des sites d'information, le
constat est claire : beaucoup ont fait le choix du fil d'actualité et du modèle tabulaire, ou restent
encore assez influencés par le support journal – il faut aller de l'autre coté de l'Atlantique pour
espérer trouver des modèles plus innovants. Quant au fond, l'information délivrée par les sites
d'information est peu ou prou la même d'un site à l'autre. D'une part les journalistes de ces
rédactions ont souvent les mêmes sources d'information (veille effectuée sur d'autres sites web
traitant de l'actualité, dépêches d'agence, blogs influents...) et, pis, les rédactions web des sites
souffrent d'un manque de moyens alloués en terme d'argent, de temps et d'outil propres à
produire des reportages ou une information originale. En découle la généralisation d'un
journalisme de desk, basé sur le copier-coller. Pas de grands reporters au sein des rédactions web
et peu de journalistes spécialisés auxquels donner du temps. Aussi, à l'heure où tout le monde
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rentre dans la course à l'audience afin de maintenir voir faire progresser les revenus publicitaires,
chacun s'essaie à produire une information qui sera par la suite bien classée dans Google
Actualité. Or, Google Actualité favorise les comportements moutonniers en mettant en avant les
articles traitant des sujets les plus... traités. Alors que, dans les médias traditionnels, tout auteur
d'un scoop était le héros du jour, dans l'univers Google, un site dévoilant un scoop ou toute autre
information inédite sera de fait pénalisé. Dans une étude53
menée par les universitaires Franck
Rebillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios, est précisément démontré le paradoxal manque
de pluralisme de l'information et la redondance de celle-ci sur internet.
Une information automatisée. Nous avons mentionné quelques exemples plus haut : le système
de syndication (dont le flux RSS est le plus répandu), et le modèle de Google Actualité basé sur
un système d'algorithmes. Il s'agit bien évidemment d'une logique d'intermédiation, ressentie
comme automatique, non de production de l'information journalistique. On rappellera ici des
exemples de journalisme de liens sus mentionnés (Aaliens, The Drudg Report, LeFocus), qui
prouvent que certains ont compris l'intérêt de filtrer, trier et éditorialiser les flux d'information,
aussi externes soient-ils. Dire oui à l'automatique, et y apporter sa valeur ajoutée.
c) Renouveaux des rapports à l'information
Une information personnalisée. Alors que le modèle traditionnel des médias de masse se base
sur le one-to-many, il s'opére aujourd'hui un glissement vers une communication sociale de type
one-to-one. De la production d'une information indifférenciée à l'intention du public, perçu
comme une entité, les médias en-ligne tendraient aujourd'hui vers une personnalisation de
l'information délivrée au public. De plus en plus de médias proposent aux internautes de se
constituer sur Internet un journal à la carte. Le service allemand Niiu.de propose d'imprimer et
acheminer à domicile un journal composé à la demande par le client (sur la base des contenus
d'une vingtaine de journaux allemands et étrangers et de 600 blogs). Ainsi, l'internaute peut
choisir ses rubriques (régionales, culturelles, sport...) et le dosage qu'il désire entre celles-ci. Par
ailleurs, l'abonnement à des flux RSS, l'émergence de services tel Netvibes, ou encore la logique
de hiérarchisation des informations par échelle de popularité témoignent de cette tendance.
Une information socialisante. L'utilisation que le lecteur/internaute fait aujourd'hui de
l'information importe véritablement pour mieux comprendre les évolutions possibles et futures
53 L'intégralité de l'étude est consultable sur : http://nikos.smyrnaios.free.fr/francais/communications.html, et des
extraits de celle-ci sur : http://www.bakchich.info/Infos-le-net-en-circuit-ferme,07902.html
Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010
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Information en ligne : quel écosystème pour demain ?

  • 1. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 1 Université Paris IV Paris-Sorbonne UFR Philosophie et Sociologie Information en ligne : quel écosystème pour demain ? Directeur de mémoire : Jean Sylvestre, professeur associé en charge de l'analyse et du positionnement éditoriaux au sein de l'agence web SDC Marion Lecointre Octobre 2010 Master 2 Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées Promotion 2009 – 2010 Directeur : Jean-Michel Besnier Responsable pédagogique : Monique Ollier
  • 2. « La dynamique relationnelle qui caractérise le web d’aujourd’hui se heurte à la mécanique institutionnelle de toujours, et tout l’héritage intellectuel et social sur lequel elle s’est construite. » Francis Pisani et Dominique Piotet in Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 2
  • 3. INTRODUCTION L'objet de notre étude portera sur la filière de l'information en ligne française et, plus spécifiquement, sa nature : une architecture instable et bruyante ; une situation de coopétition entre acteurs médias, hors médias (moteurs de recherches, portails, agrégateurs, médias à la demande...) et pro/am (producteurs d'information non professionnels) ; un modèle économique non durable ; des usages de consommation éclatés et une considération nouvelle du « produit » information. Notre volonté : souligner les points saillants de l'écosystème de l'information en ligne tel qu'il a pu évoluer depuis quinze ans en France, poser les éléments critiques de sa non maturité et enfin dessiner des pistes de consolidation. Pour ce faire, nous nous sommes principalement appuyés sur l'observation des médias écrits (traditionnels et pure players) français, sans pour autant ôter du regard les activités des médias audiovisuels et les écosystèmes informationnels étrangers, notamment anglophones, en ce qu'ils étaient nécessaires à la mise en perspective de nos réflexions. Nos recherches s'imprègnent en grande partie des nombreuses analyses avancées sur la toile par des blogueurs (consultants, experts, journalistes, amateurs) spécialisés dans les domaines du Web, du marketing et des médias, mais également de travaux d'universitaires et de professionnels, ainsi que de l'ensemble des problématiques rencontrées lors de mon stage de fin d'étude au sein de l'équipe de 2424actu - un agrégateur de contenu d'actualité multimédia lancé par Orange - qui cherche à mieux comprendre l'environnement médiatique sur Internet, dont les pratiques de consommation, et s'y insérer en toute « légalité » (du point de vue économique et juridique). Nous avons souhaité entamer l'étude par une compréhension de l'objet « information » (son rôle, sa réception, son utilisation, sa monétisation) pour ensuite mieux évaluer le degré d'instabilité de la filière. Il nous a par ailleurs semblé indispensable de dédier un temps aux « infomédiaires » de l'information (sorte de passeurs d'actualité), des acteurs hors médias qui montent actuellement en puissance au dépend de professionnels de l'information qui eux peinent à faire vivre leurs contenus, maximiser leur réception. Enfin, nous avons clôt ce tour d'horizon par la formulation de plusieurs pistes à même de mieux maîtriser la filière, la « révolutionner » ou du moins la consolider. Tout du long, transpire l'idée d'une information journalistique d' utilité démocratique, soit essentielle. Il nous semble aujourd'hui intenable d'espérer, du côté des médias professionnels, s'en sortir seul, sans collaboration avec des acteurs extérieurs (du Web, de disciplines voisines, des citoyens). C'est tout l'objet de ce mémoire. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 3
  • 4. Remerciements Je tiens ici à remercier l'ensemble des protagonistes de l'équipe 2424actu, et de mes stages passés dans divers médias, l'ensemble des enseignants du Master II Conseil Editorial et Gestion des Connaissances Numérisées, dont Jean Sylvestre pour son temps et son suivi attentif, ainsi que mes camarades de promotion. Egalement, Eric Mettout pour son temps, Francis Pisani, Eric Scherer, Alice Antheaume, Nicolas Voisin pour le partage généreux de leurs réflexions et l'ensemble des blogueurs et « twittos » que j'ai le plaisir de lire quotidiennement et qui partagent chaque jour leurs analyses, opinions et veilles. Enfin, mes proches, pour leur patience et compréhension. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 4
  • 5. SOMMAIRE Introduction................................................................................................................................................................p.3 Remerciements...........................................................................................................................................................p.4 Résumé........................................................................................................................................................................p.6 Préambule : Du rôle de l'information journalistique en démocratie....................................................................p.7 I – L'information en ligne : une denrée mal aimée ?.........................................................p.10 1) L'information, une « envahissante nécessité »....................................................................p.11 a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité.................................p.11 b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité..............................p.13 2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable »...........................p.17 a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France................................................p.19 b) Le modèle gratuit......................................................................................................................p.20 c) Le modèle payant......................................................................................................................p.22 d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires................................................p.23 II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente..............p.24 1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne.......................................................p.24 a) Production..................................................................................................................................p.24 b) Diffusion....................................................................................................................................p.29 2) Nouvel ADN informationnel......................................................................................................p.32 a) Eclatement de la chaîne de valeur.............................................................................................p.32 b) Modification des pratiques journalistiques...............................................................................p.33 c) Nouvelles interactions...............................................................................................................p.34 III - Les « infomédiaires » en ligne : de nouveaux mercenaires ?............................p.36 1) Du portail à l'agrégateur de contenu d'actualité.............................................................p.36 2) La fonction d'infomédiation.......................................................................................................p.38 a) Définition...................................................................................................................................p.38 b) Positionnement stratégique.......................................................................................................p.39 c) Carence juridique.......................................................................................................................p.40 d) Déséquilibre économique..........................................................................................................p.41 3) Une situation de coopétition.......................................................................................................p.42 a) Eléments de débat......................................................................................................................p.42 b) Menaces réelles.........................................................................................................................p.44 IV - Un écosystème informationnel à redéfinir.....................................................................p.45 1) Comprendre et impliquer le public.........................................................................................p.45 a) Une mesure discutable...............................................................................................................p.45 b) Un investissement nécessaire....................................................................................................p.49 2) Renouveler les pratiques..............................................................................................................p.50 3) Repenser les formes même de la médiation.........................................................................p.53 4) Dépasser les querelles économiques et politiques..............................................................p.56 Conclusion................................................................................................................................................................p.57 Bibliographie............................................................................................................................................................p.59 Annexes.....................................................................................................................................................................p.67 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 5
  • 6. RÉSUMÉ L'écosystème actuel de l'information en ligne (au sens d'une information donnée sur l'actualité, traditionnellement délivrée par la profession journalistique, et ici sur Internet) souffre d'une instabilité chronique, due à des bouleversements d'un point de vue économique, professionnel, industriel, sociétal. Déjà, l'information journalistique en elle-même apparaît de plus en plus comme une denrée mal aimée. Alors même que le public avoue la percevoir comme une « envahissante nécessité », utile à leur vie, leurs usages indiquent tout le contraire. Aussi, et s'en est une conséquence directe, ce « produit » peine à trouver sa monétisation : mais une non valeur monétaire signifie-t-elle une non valeur intrinsèque ? Ensuite, la filière toute entière de l'information en ligne est, depuis sa naissance il y a quinze ans, déstructurée : les producteurs de l'information se multiplient et viennent d'horizons totalement étrangers à l'environnement médiatique ; la circulation de l'information elle-même est éclatée, assurée par divers secteurs hors médias et de plus en plus animée par le public lui-même. En découle notamment une évolution radicale de l'ADN informationnel avec lequel les médias doivent aujourd'hui compter. Par ailleurs, un nouveau genre d'acteurs, appelés « infomédiaires », connaît un succès certain en parvenant à se réapproprier les contenus d'actualité produits par d'autres et ainsi jouer le rôle de passeurs. Rôle apprécié par une bonne part du public. En découle un déséquilibre, décrit comme une situation de coopétition, entre médias et intermédiaires à l'avantage des derniers. Ce qui ne va pas pour apaiser les esprits. De fait, il urge de parvenir à la définition d'un écosystème informationnel économiquement viable, professionnellement durable et démocratiquement tenable. Et cela doit se jouer à diverses échelles et dans une logique de co-élaboration : avec le public, avec les pro/am, avec les acteurs professionnels hors médias et tout un ensemble de protagonistes voisins. C'est l'avenir d'une information utile, pédagogique, citoyenne, d'une médiation du savoir et des connaissances, d'un pluralisme démocratique, qui entre ici en jeu. C'est aussi un pari aussi nécessaire que passionnant qui s'offre à toute la filière. Mots clefs : information en ligne, écosystème informationnel, acteurs médias, pro/am, acteurs hors médias, infomédiaires, coopétition, modèle économique, public, audience, usages sociaux, pratique journalistique, rôle démocratique, médiation, collaboration. Nombre de signes : 175 631 ; Nombre de pages : 68 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 6
  • 7. PREAMBULE Du rôle de l'information journalistique en démocratie Journalisme et démocratie sont intrinsèquement liés. Pour preuve, l'indépendance et le pluralisme des médias sont régulièrement convoqués au moment de mesurer le degré démocratique d'un Etat. Aussi, « dans sa mythologie, l'information journalistique sert (...) à éclairer des citoyens/consommateurs, animer le débat démocratique, donner des outils pour que chacun façonne sa liberté de penser et d'agir »1 . Les médias servent à montrer ce qui est caché, mettre en perspective les faits, confronter les idées. Ils jouent également un rôle de représentation, celle des gouvernés auprès des gouvernants, en dehors du vote électoral. Le journaliste Jean-Martin Lagardette propose une définition de cette information journalistique, condition à la démocratie : « en théorie et dans une société démocratique, l'information de presse est la description ou l'explication d'un fait d'actualité puisé dans le présent ou ayant une signification pour le temps présent. Ce fait significatif universellement, collectivement ou présentant un caractère d'intérêt général sera recherché au nom du public et de son droit de savoir. Il sera sélectionné et mis en forme par une conscience honnête, libre, formée à la démarche d'objectivité ainsi qu'au respect de la vérité. Ce travail est diffusé par un média responsable procurant au journaliste les moyens d'accomplir sa mission et lui garantissant son indépendance par rapport à tout pouvoir, y compris celui de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie »2 . Bernard Poulet3 ne décrit pas autre chose au moment de définir le métier des journalistes : « [Il] consiste à identifier les problèmes, les documenter, vérifier ce qu'ils découvrent, ou ce qu'on leur communique, hiérarchiser les questions (...), les mettre en perspective, les situer dans leur contexte et les exposer le plus clairement et le plus honnêtement possible. Ce travail de mise en forme raisonnée, de tri, de hiérarchisation donne du sens au fatras des informations (...). (...)Sans cet effort pour raisonner l'information (...), le débat démocratique devient impossible, noyé dans la cacophonie et la rumeur. » L'auteur définit plus globalement la « production de l'information », et son rôle, en ces termes : « Ce que nous 1 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information- et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41) 2 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information- et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41) 3 Rédacteur en chef à L'Expansion : Poulet, B, La fin des journaux et l'avenir de l'information, Paris, Gallimard, 2009 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 7
  • 8. appelons « production de l'information » est un dispositif qui obéit à des règles, forgées plus dans la pratique que dans la théorie. Elle traite des affaires de nation et du monde (...). Il s'agit autant de politique intérieure et internationale, d'économie, de « social-sociétal », que de débats d'idées, d'innovations, de science, de santé, de religion, de sécurité intérieure, de choix posés à la nation (...), de culture, de spectacles, de manifestations (...). La liste est longue et s'accroît sans cesse puisqu'il s'agit d'informer sur tout ce qui concerne les citoyens. Le journalisme consiste à suivre et rendre compte de l'actualité de toutes ces questions. » Et de reprendre les propos de Jacques Rigaud : « Le journalisme doit remplir deux fonctions : organiser l'espace public mais aussi produire des révélations. Révéler au sens de tendre un miroir à la société, pour qu'elle prenne conscience de ce qu'elle est véritablement. » Arrêtons-nous précisément ici sur une saine distinction appelée par Bernard Poulet, entre les notions de média et d'information, d'information et d'« infotainement ». Le terme de « média » a été popularisé par les publicitaires, pour ne désigner rien d'autre qu'un support susceptible de véhiculer leurs annonces. Il décrit un intermédiaire, entre le producteur et les consommateurs, de contenus aussi bien informationnels que divertissants, et non exclusivement le support au journalisme. Ainsi, il n'est pas dans cette étude question de désigner ce que les Américains ont nommé l' « infotainment » (contraction des termes « information » et « entertainment »), nouvelle écriture qui consiste à faire de l' « info-spectacle », soit perdre le spectateur-consommateur dans un show dans lequel rien ne lui offre de distinguer le vrai du jeu. Aussi, aujourd'hui et à l'heure d'Internet, l'information journalistique ne représente qu'une sous catégorie de l'ensemble des informations dont nous sommes bombardés (publicité, institutions publiques, expressions personnelles...). La confusion va grandissante entre les sphères « communication » et « information » et, au sein même des médias d'information, le doute se fait. Pour preuve, le baromètre 2010 TNS Sofres-Logica de confiance dans les médias montre que, pour 66% des personnes interrogées, la profession journalistique serait soumise aux pressions des partis politiques et du pouvoir et que, pour 60% des sondés, les journalistes seraient soumis aux pressions de l'argent. Une méfiance quant à l’indépendance des journalistes et, par conséquent, l’objectivité de l’information qu’ils délivrent et commentent, qui progresse au fil des années. Et amène de fait à une crise de la représentation : « Qui parle au nom de qui et dans quel but ? Qui donne des informations à qui ? Selon quelles procédures? L'objectif et les méthodes sont-ils assumés et transparents? L'indéniable liberté offerte par les nouvelles possibilités d'expression induit-elle naturellement des responsabilités ? Comment la démocratie médiatique est-elle dorénavant servie? »4 4 Dollé, N, « Infos à Flots » in Dossier information et citoyenneté, Mediapart, 5 mai 2010 : Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 8
  • 9. Parallèlement, les journalistes se voient de plus en concurrencés par ce qu'il est commun d'appeler des « journalistes-citoyens », oeuvrant au sein de médias alternatifs, participatifs ou comme simple blogueur. Soit une sorte de « mise à niveau démocratique »5 appelée par les citoyens eux-même et souvent qualifiée de démocratie 2.0 : l'intermédiation de par nature réductrice n'est plus, la parole se libère, la censure disparaît, le contre-pouvoir citoyen agit de fait. Loin de dénoncer ce processus, le philosophe Daniel Bougnoux questionne cependant ses possibles dérives : « Notre idéal démocratique, pourtant lié (...) au principe de publicité et de liberté de l'information, révèle ici sa complexité et ses pièges. Car si chacun a le droit en démocratie d'exprimer et de valoriser son monde propre, ce régime exige aussi l'institution d'un monde commun, autour d'un espace public d'affrontement des opinions contradictoires. (...) Le journaliste a justement pour tâche d'assembler, et de présenter aussi objectivement que possible (...) les messages de ses autres mondes ; il tient compte du collectif, et il propose une information « traitée » ou recoupée. C'est ce souci du bien commun (..) qui risque de décliner avec les nouveaux parcours à la carte, et la privatisation des informations favorisée par les nouveaux médias. (...) Les SMS, les listes de diffusion, les blogs et les chats sont excellents pour s'exprimer, pour mobiliser, pour « sensibiliser » voire dénoncer (...) mais ils favorisent aussi le repli égotiste, le mimétisme, l'emballement sentimental, la contagion virale ou la chasse en meute... (...) La véritable information, fondée sur l'enquête et le recoupement des faits, curieuse des raisons et des mondes des autres, ne s'improvise pas et nous attend un peu au delà. La véritable démocratie, de même, exige une scène ou un espace public commun, et aussi une actualité, un temps formaté ou rythmé par des rendez-vous médiatiquement partagés. A la faveur des nouvelles technologies qui nous désynchronisent, qui nous dépolarisent, nous voyons le récit médiatique s'émietter ; partout, l'essor du numérique favorise l'individualisme démocratique mais la « messe est finie ». Faut-il s'en plaindre ? Difficile quadrature... »6 Dans le nouvel écosystème informationnel qui se dessine, l'information journalistique telle que décrite ici aura toute sa place. Reste à savoir laquelle, sous quelles formes et sous quelles conditions. Entre médiation, scénarisation et mise en perspective des opinions, des idées, des faits. Gestion, matérialisation, tri et analyse des flux d'informations et d'opinions – multiples et de tous genres - incessants et omniprésents. http://www.mediapart.fr/club/edition/societe-de-linformation-et-democratie/article/050510/dossier-information- et-citoyennete (28/08/2010 à 15h41) 5 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris ,Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007 6 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 9
  • 10. I – L'information : une denrée mal aimée ? Ces dernières années, les médias traditionnels papiers ont été largement contraints financièrement – baisse du lectorat, concurrence des médias gratuits et d'Internet notamment, amenant à une fuite des annonceurs –, et aujourd'hui plus encore dans un contexte de crise économique majeure qui voit les investissements publicitaires diminuer drastiquement. Concernant plus spécifiquement les raisons d'une diminution de l'audience, il est de coutume d'accuser journaux gratuits et Internet. Or, les causes sont bien plus profondes, car sociétales. Le fossé se creuse entre les médias traditionnels et leur « ex-audience » (en pleine recomposition), un processus qu'il importe d'évaluer. Déjà remis en cause dès les années soixante-dix, où s'animait alors une défiance bientôt grandissante vis-à-vis des institutions et des récits qu’elles produisent pour se légitimer – y compris concernant le discours médiatique –, les médias le sont encore plus actuellement et de manière visible et effective : avec Internet, les individus ont à leur disposition les moyens de critiquer librement et visiblement les médias, de rechercher et même produire l'information qu'il souhaitent véritablement voir diffusée. L'autorité journalistique se voit ébranlée. Ainsi, nous pouvons observer, d'un côté, des médias traditionnels qui, progressivement, voient leur rôle social et politique, pourtant institué, être mis à mal, tandis que les moyens financiers permettant jusqu'ici de l'exercer s'amenuisent. De l'autre, son ex-audience réinvente, à sa guise et continuellement, de nouveaux moyens de s'informer, ailleurs, hors des médias classiquement légitimés. Là où un monde de réseaux, de communautés, de liens, d'instantanéité, d'ubiquité, émerge, un autre sensé être, du moins en partie, le témoin et l'un des médiateurs du premier se voit mis de côté. De fait, ce n'est pas l'information qui se meurt, ce sont les usages qui évoluent, jusqu'à se professionnaliser en partie et devenir, de fait, plus exigeants qu'autrefois. Nous allons ici tenter de définir les pratiques de consommation des contenus d'actualité, pour ensuite nous intéresser à la crise économique que vivent les médias d'information généraliste. Parce qu'au-delà de ce qu'est l'information - un « fragment de réalité » (Edgar Morin), « une « chose » d'intérêt public »7 , une part de connaissance nécessaire à tous - elle est également un produit ancré au sein d'un marché où se rencontre une offre (les médias d'information) et une demande (les consommateurs d'actualité). Or un produit en crise suppose une offre supérieure à la demande : tel est-il effectivement le cas et quelles en sont les raisons ? Faut-il les chercher du côté de la demande ou bien du côté de l'offre ? 7 Bougnoux, D, « La fonction des médias dans la démocratie » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 10
  • 11. 1) L'information, « une envahissante nécessité » Dans leur ouvrage, paru en 2008 et intitulé Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes, Francis Pisani8 et Dominique Piotet9 insistent sur la nécessité, pour toute entité souhaitant s'inscrire durablement et effectivement sur la toile – et particulièrement ici concernant les médias –, de comprendre ce que l'on nomme l' « audience Internet » et, plus précisément, l' « ex-audience » des médias traditionnels. Soit l'ensemble des consommateurs de l'information qui a aujourd'hui migré sur le Web. Ailleurs10 , Henry Jenkins, théoricien américain et directeur du programme de médias comparés au MIT (Massachusetts Institute of Technology), prévient que « notre attention ne devrait pas porter sur les technologies émergentes mais sur les pratiques culturelles émergentes. Plutôt que de dresser la liste des outils, nous devons comprendre la logique sous-jacente qui forme ce moment des médias en transition. » a) Recomposition des pratiques de consommation des contenus d'actualité Intéressons-nous à la consommation des médias, Web et hors Web. Dans son ouvrage, paru en 2008 et intitulé Le journalisme à l'ère électronique, le journaliste Alain Joannès se plaît à parler d' « inforexie » – elle est « à l'information ce que l'anorexie est à l'alimentation : un manque d'appétence » – pour décrire le peu d'enclin qu'ont les Français pour les médias d'information : la population française compterait parmi celle qui, en Europe, lit le moins de journaux. Pis, le taux de pénétration de la presse quotidienne en France ne cesse de régresser – 254 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants en 1970 contre 140 exemplaires pour 1 000 habitants en 2006 –, plaçant ainsi le pays à la dernière place européenne. Concernant l'information radiophonique, son audience est aujourd'hui dépassée par celle des programmes de divertissement sur la FM. Et, du côté de l'écran télé, le JT de vingt heures – quand bien même il demeure une institution –, voit son audience ne cesser de diminuer. On y verra alors souvent la concurrence des journaux gratuits, de la TNT et d'Internet réunis. Pourtant, le bouleversement des affectations des diverses séquences journalières et la fragmentation et la diminution du temps libre disponible , ainsi que les aspirations nouvelles de 8 Journaliste et blogueur spécialisé dans les problématiques concernant les Technologies de l'Information et de la Communication 9 Directeur des études de l'Atelier (www.atelier.fr), organe de BNP-Paribas dédié aux nouvelles technologies 10 Jenkins, H, « Eight Traits of the New Media Landscape » in henryjenkins.org, 6 novembre 2006 : http://www.henryjenkins.org/2006/11/eight_traits_of_the_new_media.html (05/09.2010 à 18h53) Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 11
  • 12. l'homme hypermoderne11 , en sont des causes bien plus complexes, profondes et déterminantes sur le long terme. Aussi, les audiences fuient car elles ne trouvent plus satisfaction dans l'information telle qu'elle est délivrée notamment par la presse papier : redondante dans la forme et le fond, peu flexible car contrainte par le temps de la production/diffusion, de moins en moins en phase avec la société, car ni fluide ni asynchrone. « De nombreux journaux vont disparaître pour ne pas avoir compris Internet à temps et pour l'avoir ensuite mal utilisé », explique Alain Joannès. Pour ne pas avoir compris Internet... ni son audience ajouterait-on. A l'inverse du temps de l'information tel qu'organisé par les médias traditionnels jusqu'alors, Internet, et la dématérialisation qu'il implique, modifie radicalement la diffusion de l'information devenue réactive, instantanée, immédiate, multimédia. Avec l'arrivée des nouvelles technologies, le temps est comme démultiplié : dans les transports en commun, j'écoute une émission de radio podcastée, consulte Facebook, un journal ou un site d'information ; durant une recherche sur internet pour un devoir universitaire, je discute avec mes amis via ma messagerie instantanée, jette un oeil sur une chaîne d'information en continue, etc. Ainsi est bouleversée la segmentation temporelle d'une journée, l'individu tend à devenir un être multi-tâche, et les nouvelles technologies de l'aider dans cette démultiplication du temps disponible12 . De fait, une journée de 24 heures tend à durer quelques minutes de plus au regard de tout ce que l'individu a désormais la possibilité d'effectuer en un jour. Notons toutefois que, pour l'instant, Internet n'est pas encore devenu la première source d'information des citoyens/consommateurs. La télévision demeure le premier support avec lequel la majorité s'informe, devant la radio, la presse, puis Internet. Reste que depuis quelques années, la bascule des pratiques s'amplifie et Internet d'y prendre une place déterminante. Certes, la télévision est toujours le média dominant mais son écoute en direct a diminué au profit du visionnage en différé (sur Internet, DVD, téléphone...). De même pour la radio. Et la lecture d'information sur papier diminue légèrement au profit de celle circulant sur Internet ou encore l'Internet mobile – mais nous n'avons jamais autant lu. « Passer en revue [des] sites d’importance très variée, permet de voir comment ceux qui 11 Portrait type décrit par la sociologue et psychologue Nicole Aubert dans son ouvrage paru en 2005 et intitulé L'individu hypermoderne, Paris, Erès : « Centré sur la satisfaction immédiate de ses désirs et intolérant à la frustration (...), il est débordé de sollicitations et d'exigences d'adaptation permanente conduisant à un état de stress chronique. pressé par le temps et talonné par l'urgence, il développe des comportement compulsifs et trépidants qui visent à combler ses désirs dans l'immédiat et à gorger chaque instant d'un maximum d'intensité. » 12 Selon une étude Médiamétrie/Bearing Point, le nombre de contacts médias et multimédias a progressé sur les quatre dernières années et atteint en 2009 près de 40 contacts quotidiens. Une progression qui touche l’ensemble des médias et des activités multimédias, avec une pratique de plus en plus fréquente des médias en dehors de leurs supports d’origine. Transmédia, numérique, nouveaux comportements : le multimodèle comme nouvel horizon des médias ?, Mediamétrie/Bearing Point, 1ère édition, 2020 -2011 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 12
  • 13. les utilisent ont recours à des instruments, prennent des habitudes, des plaisirs, qu’ils ne trouvent pas dans les médias traditionnels » , expliquent dans leur ouvrage Francis Pisani et Dominique Piotet. Ainsi, pour prendre le pouls de l'actualité, l'internaute va s'inscrire aux flux RSS13 de ses sites et blogs favoris, parcourir Google Actualité ou le portail de Yahoo!, se créer une page NetVibes14 . Wikipedia lui offre une recherche rapide sur un sujet quelconque, qu'il approfondira via une seconde requête sur un moteur de type Google. Le portail de blogs Paperblog va lui permettre de consulter les billets des blogs les plus lus, appréciés ou commentés, et même y voir figurer le sien en bonne place. User de Youtube ou de Flickr permet de visionner ou partager des millions de vidéos et photos. Myspace et Facebook vont lui permettre de découvrir les créations de nombreux artistes, s'informer des événements qui se passent près de chez lui et auxquels participent ceux qu'il côtoie. De tels réseaux vont en sus lui permettre de se créer un carnet de connaissances. Une application Twitter va quantifier en temps réel les termes les plus utilisés sur sa plateforme afin d'envisager les prochains buzz à venir. Etc. Autant d'exemples qui présentent les diverses aspirations de l'internaute : volonté de s'informer, rapidement et immédiatement, sur des sujets bien précis et dont il a besoin ou envie dans l'instant, mais aussi de rencontrer, de partager, de laisser une trace, de contribuer. Et Alain Joannès de prévenir : « Littéralement pressurés, les médianautes15 sont voués à des arbitrages permanents entre leurs habitudes et les nouvelles sollicitations. Ils seront de plus en plus volages et cette inconstance formera des audiences aussi fragmentées qu'instables, en perpétuelle recomposition. » Nous y sommes déjà. b) Mobiles sociaux des pratiques de consommation des contenus d'actualité Fabien Granjon, sociologue au sein d'Orange Labs, et Aurélien Le Foulgoc, chercheur à l'Université Panthéon-Assas, ont réalisé une enquête qualitative16 afin de faire émerger et de mieux comprendre les usages sociaux de l'actualité17 . Nous reprenons ici quelques uns de leur 13 Syndication de contenu web 14 Portail web français personnalisable : chacun module sa page et ses onglets en fonction des services et informations qu'il souhaite recevoir, et qui proviennent de divers sites. 15 Alain Joannès décrit ainsi le médianaute : il est « une des facettes de l'individu hypermoderne [...]. Sollicité par une masse d'informations et de messages publicitaires, le médianaute se comporte en « programmateur de ses centres d'intérêt ». Il puise dans les stocks (presse imprimée ou archives numérisées) ou dans les flux (radio, television, Internet), au gré de ses curiosités et de ses intuitions. » 16 Enquête menée auprès de 35 personnes âgées de 15 à 70 ans (pour moitié des femmes et aux 4/5es utilisateurs quotidiens d’Internet), développant toutes des pratiques quotidiennes de l’actualité sur différents supports (presse écrite, télévision, radio, internet, etc.) et occupant des positions sociales différenciées (chômeur, étudiant, ouvrier, employé, profession libérale, retraité, etc.) 17 Il a été demandé aux personnes suivies de remplir pendant une période de dix jours un carnet de bord à l’intérieur duquel elles devaient renseigner, quotidiennement et avec une grande précision, l’ensemble de leurs pratiques de consommation de l’actualité médiatique (support, heure, lieu, durée, contenu, niveau d’engagement Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 13
  • 14. résultats18 , significatifs et proches des conclusions contenues dans diverses études questionnant le marché de la consommation des contenus d'actualité. Les deux auteurs expliquent d'entrée : « À la profusion des programmes et des contenus mis à disposition, viennent se greffer de nouveaux usages (multi-écrans, délinéarisation, agrégation de contenus, etc.) qui tendent à déplacer les routines et les expériences informationnelles et à faire bifurquer les trajectoires d’usages des individus. Pour peu que l’on soit attentif aux contenus convoqués, à la manière dont ils sont enrôlés, ainsi qu’à la valeur sociale (pratique et symbolique) dont ils sont crédités par celles et ceux qui les fréquentent, les pratiques de consommation de l’actualité (news) apparaissent de plus en plus diverses. ». Le capital socio-culturel et le poids générationnel Plus le niveau de certification scolaire est élevé, plus on s’intéresse à l’actualité et plus on mobilise par ailleurs Internet. Inversement, la population consommant des contenus d’actualité en ligne est aussi celle qui en consomme le plus via les supports traditionnels. Auusi, les auteurs constatent que les usages d’Internet pour s'informer ne se substituent jamais complètement aux pratiques développées sur les supports traditionnels, venant davantage les compléter. Egalement, la consommation d'information diffère selon les âges. Les pratiques « juvéniles » (moins de 25 ans) d’information se caractérisent par un intérêt marqué pour certains types de médias/supports (radios musicales, téléphone portable, blogs, vidéos courtes, émissions TV). Les jeunes internautes apprécient particulièrement les actualités leur permettant « d’être à la page » et d’entretenir des conversations avec leurs pairs et ne font pas preuve d'un investissement marqué dans leur consommation. Les appétences informationnelles des plus de 55 ans sont, elles, nombreuses et portent notamment sur tous les types de médias traditionnels. Quant à Internet, ils développent une large appétence pour les rubriques « actualités » des sites généralistes et pour les sites de presse où ils sont grands consommateurs d'articles. Des comportements « consommateur » versatiles Si, pour certains Français, Internet est devenu un moyen privilégié de s’informer et de suivre l’actualité, leurs préférences vont encore assez largement aux médias de masse19 - ils sont dans la pratique, activités parallèles, personnes présentes). Des sections du carnet ont également été réservées à l’enregistrement et à la description des discussions (en présence ou à distance, écrites ou orales) que les enquêtés ont eues en relation avec l’actualité médiatique. Deux entretiens semi-directifs ont ensuite été conduits avec chacun de ces individus. 18 Pour lire les résultats : « Les usages sociaux de l'actualité » in Presse en ligne, Revue Réseaux n°160-161, La Découverte, 2010 19 97 % d’entre eux consultent un média « traditionnel » à des fins d’information au moins une fois par semaine : 93 % mobilisent la télévision, 77 % la radio et 59 % la presse (enquête récente réalisée par le laboratoire Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 14
  • 15. tout de même 58% à déclarer consulter Internet à des fins informationnelles au moins une fois par semaine tandis que, chez la jeune génération, Internet passe devant la radio et la presse. D'une manière générale, en terme d’usages des contenus d’actualité, la règle est celle du mix- médias20 . Par ailleurs, la consommation d’actualité en ligne est une activité qui, au global, s’avère peu spécialisée et peu personnalisée. Aussi, en ligne, l'écrit est le format qui demeure le plus prisé par les internautes qui, s’ils s’intéressent de plus en plus à des contenus innovants restent encore attirés par une narration classique : ils la supposent plus à même de (rap)porter une charge informative qu’ils jugent plus « complète », plus « objective » ou encore plus « critiquable » au sens de « qui mérite d’être reprise et discutée ». Quant à la lecture, les pratiques de consultation d’actualités en ligne amènent à une logique de consommation plus flottante : logique d'hybridation et d'enchaînement. Concernant la temporalité de cette consommation, Internet, tout en permettant une diversification des sources, entraîne également le développement d’autres formes de pratiques d’information qui viennent par exemple se loger au creux des emplois du temps, profitant d’une pause, d’un moment de détente ou d’un surf « sérendipitaire » pour mobiliser des news d’origines diverses. Aussi, les résultats de l'enquête relativisent l’importance des formes de recherche de l’actualité qui seraient forcément actives, volontaires, ciblées et tournées vers une optimisation des ressources. Chez les individus disposant d'un niveau de certification élevé et ceux qui développent un intérêt marqué pour l'actualité, ces attitudes de recherche existent effectivement. Pour les autres internautes qui peuvent à l’occasion s’engager dans de tels usages, ceux-ci suivent un parcours permis par une accessibilité immédiate et une opportunité qui n’a pas été nécessairement recherchée. Notons enfin que les jugements portés sur les contenus varient fortement selon le contexte : en situation de sérendipité, la brièveté devient une valeur positive de l’information, alors qu’à d'autres moments, les formats informationnels les plus courts sont critiqués pour leur faible charge explicative. Sociology and Economics of Networks and Services (SENSE, 2009) sur les consommations cross-media des internautes français : internautes âgés de 15 ans et plus, équipés d’un téléphone mobile, ainsi que d’Internet et de la télévision à domicile. 1053 individus ont répondu à cette enquête) 20 Quotidiennement, 42 % des internautes mobilisent des médias traditionnels dans des agencements variés, tandis qu’ils sont 40 % à y adjoindre Internet. Concernant les fréquences hebdomadaires, les couplages médiatiques comprenant de l’Internet deviennent largement majoritaires (59 %) tandis que les mix-médias traditionnels ne représentent plus que 35 %. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 15
  • 16. Une relation ambiguë à l'actualité Les individus interrogés ont le sentiment d’évoluer dans un environnement où ils sont très (trop) fréquemment « sollicités par des offres d’information ». La fraction de la population la moins diplômée affirme « subir l’actualité » et essayer de la « consommer avec modération ». Cette abondance médiatique conduit à des formes d’inquiétude : ces individus restent attachés aux médias traditionnels en ce qu'ils leur offrent un ensemble d’informations à portée collective, sur lequel ils peuvent s’appuyer pour avoir une connaissance qu’ils jugent le plus souvent « suffisante » pour se sentir « en prise avec ce qui se passe ». Les autres (les plus diplômés notamment), au contraire, appréhendent positivement les ressources médiatiques dont l’abondance leur permet de disposer rapidement de toutes les actualités dont ils estiment « avoir besoin ». Ils font davantage usage d’Internet et en profitent pour donner de l’amplitude à leurs consommations en variant notamment les sources de contenu. L’abondance informationnelle provoque chez eux le sentiment d’avoir l’assurance de pouvoir se tenir pleinement et facilement informé, quel que soit le sujet considéré. Globalement, polymorphes et omniprésents, les contenus d’actualité sont appréhendés par tous comme une envahissante nécessité dont il faut apprendre à tirer profit. Aussi, la consommation d'actualité répond à un besoin de routine. Cette routine rythme et ponctue les journées, elle devient un repère qui fonde le sentiment d’être « en prise avec le monde et la réalité » et structure concrètement certains engagements pratiques comme la possibilité de discuter de certains sujets ou se forger une opinion. Cette consommation répond donc également à un besoin d'appartenance. Une monnaie pour les échanges sociaux Il faut noter que c'est notamment l’engagement dans une discussion qui va conduire les individus à élaborer de l’information et à accroître leur savoir. De là, les réseaux sociaux apparaissent, en ligne, comme des outils de production/transfert d’information mais également de production de publics : ils stimulent le partage des contenus d’actualité car c’est notamment par ce biais que peuvent se créer de nouveaux contacts. Ils permettent également de stimuler la curiosité : la production de liens faibles sur les sites de réseaux sociaux peut conduire à la fréquentation de contenus inédits. Ainsi, les individus glanent de l’information auprès de leurs interlocuteurs de la même manière qu’ils récoltent de l’information dans les médias traditionnels, au gré des opportunités qui leur sont offertes. L’information, produite ou simplement relayée, prend ainsi une tout autre valeur que celle d’une médiation publique entre des faits et des personnes. Reste que demeure, comme sus-mentionné, une inégalité devant la supposée liberté Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 16
  • 17. d'expression en ligne. Si Internet offre des espaces propres aux débats et à la formation d'opinion, c'est dans la limite des dispositions et des sens pratiques acquis par ceux qui les fréquentent. Sans s'imposer telle une vérité, cette enquête ici résumée a toutefois le mérite de montrer en quoi il demeure illusoire de vouloir prendre les consommateurs d'actualité comme des êtres aux mobiles semblables, comme une masse aux mêmes inspirations : il existe autant de raison de s'informer que d'individu le faisant. Les variables sont telles, et les évolutions si rapides. Reste des attitudes, des valeurs, des conditions, sur lesquelles jouer. 2) « L'information n'a jamais été un bien commercialement viable » On le voit, l'information délivrée par les médias souffre moins d'une baisse d'appétence que d'une recomposition des usages et des mobiles sociaux. Reste que les médias doivent faire avec une crise économique majeure en partie due à : la fuite des audiences vers des espaces d'informations hors médias ; le peu d'enclin de cette audience à payer pour une information présente partout ailleurs que uniquement sur les sites des médias, de surcroît de manière gratuite. L'information telle que délivrée par les médias n'a-t-elle plus de valeur spécifique ? Il suffit de reprendre les propos du journaliste David Simon pour comprendre cette perte des certitudes : « Ce que je ne comprends plus, c'est si l'information elle-même à encore une valeur. Sous n'importe quel format, n'importe quelle forme de diffusion, est-ce que la compréhension des événements au jour le jour est encore quelque chose que l'on peut vendre ? Ou est-ce que nous nous sommes abusés nous-mêmes ? Est-ce qu'un journal n'était viable qu'aussi longtemps qu'il publiait des petites annonces, des bandes dessinées et les derniers résultats sportifs ? »21 Dans son cahier des tendances automne-hiver 2009/2010, Eric Scherer22 affirme un fait accepté par beaucoup d'autres penseurs des médias : « La valeur des journaux imprimés et des magazines n'étaient pas tant dans leur contenu, que dans l'accès à leur contenu, dans leur commodité et leur confort d'usage, pour un prix modique. Le monde arrivait à nous de manière pratique. Il était impossible d'extraire la valeur du contenu de l'ensemble combinant distribution physique/publicité/contenu. » Le blogueur Narvic23 ne dit pas autre chose : « Dans l’ancienne 21 Simon, D, « Does the News Matter tu Anyone Anymore? » in The Whashington Post, 20 janvier 2008 (traduction : Bernard Poulet) 22 Directeur Stratégie et relations extérieures à l'AFP : Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne- hiver 2009/2010 : http://mediawatch.afp.com/ 23 Narvic, « Les éditeurs de presse dans la nasse de l'économie numérique » in Novövision, 10 décembre 2009 : http://novovision.fr/les-editeurs-de-presse-dans-la (04/09/2010 à 20h43) Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 17
  • 18. économie de la presse, les contenus n’avaient peut-être déjà pas autant de valeur économique qu’on voulait bien le croire. Mais ça ne se voyait pas. D’abord car on était dans une situation de rareté de production (..) [et] dans une situation de rareté de diffusion ». Dans un monde où l'information est omniprésente (de partout, via n'importe quel support et en temps réel), relayable et recopiable à merci, par n'importe qui, le contenu d'actualité – au sens du fait nouveau rapporté à un public - se trouve extrait d'un écosystème qui avait auparavant fait sa viabilité. Sur Internet, le bien information répond d'un coût de (re-)production quasi nul, et devient un bien non-rival et non-excluable. Avant, l'accès à était le seul outil de monétisation. Alors qu'aujourd'hui l'accès à est devenu gratuit24 , comment parvenir de nouveau à faire payer l'information ? Robert G. Picard, spécialiste de l'économie des médias, démontre de son côté en quoi « l’information a toujours été financée par des revenus qui dépendaient de la valeur de cette information pour d’autres activités. »25 Et de dérouler une histoire de la monétisation de l'information pour mieux nous en convaincre, jusqu'à la naissance du modèle des médias de masse, apparu à la fin du XIXè siècle : « Dans ce modèle, l’information est fournie aux masses à un prix bas, mais subventionné par la vente de publicité. Comme la plupart du public n’est pas intéressée par le suivi des événements au jour le jour et par l’info d’actualité (hard news), le gros du journal est consacré au sport, au divertissement, au lifestyle et à tous les dispositifs qui accroissent l’appétence du public à dépenser son argent pour le produit. Ce modèle des médias de masse reste le modèle prédominant pour le financement de la recherche d’information et sa distribution, mais son efficacité diminue à mesure que l’audience « de masse » devient une « niche » d’audience dans les pays occidentaux avec le départ de ceux qui sont le moins intéressés par l’information d’actualité (hard news) vers la télévision, les magazines et Internet. » L'accès devient gratuit, la spécialisation va croissante et attire au gré des affinités, les produits d'appel auparavant « rares » n'ont plus raison d'être. Conclusion implacable : l'information n'a jamais été un bien commercialement viable et ne le sera pas plus demain. Il faut alors réinventer les « objets » qui attireront une demande, elle-même prête à participer au financement de l'information. Et les médias en ligne de peiner et de ne cesser de chercher. C'est là toute leur difficulté : « Activité professionnelle schizophrénique d’une certaine manière, l’activité éditoriale doit ainsi constamment concilier les dimensions apparemment antagonistes de la création artistique/intellectuelle et de la valorisation commerciale. »26 24 En partie seulement : l'utilisateur paye indirectement l'accès aux FAI (fournisseurs d'accès à Internet), et se vend en partie en acceptant l'intrusion de la publicité lors de sa consommation. 25 Picard, R. G., « News has never been a commercially viable product » in The Media Business, Robert G. Picard, 31 juillet 2010 : http://themediabusiness.blogspot.com/2010/03/news-has-never-been-commercially-viable.html (18/08/2010 à 21h07) 26 Rebillard, F, Le Web 2.0 en perspective. Une analyse socio-économique de l’internet, Paris, L’Harmattan, 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 18
  • 19. a) Une brève histoire économique des médias en ligne en France L'universitaire Yannick Estienne, dans son ouvrage intitulé Le journalisme après Internet27 , distingue trois temps forts de l'arrivée des médias français sur Internet : le temps des pionniers (1995-1998) ; l'essor de la presse en ligne (1998-2001) ; la crise (2001-). 1995 -1998 : l'expérimentation Les entreprises de presse française voient avec Internet de nouvelles opportunités de captation de l'audience et de diversification de leur support de diffusion. Les premiers sites-titres sont créés entre 1995 et 1996 mais demeurent encore pauvres éditorialement parlant. L'idée est alors de rendre visible la marque sur le web, rien de plus. Aussi, la conception des sites web est bien souvent guidée, et contrainte, par les expériences passées dans le domaine de la télématique. De la forme au fond en passant par le modèle économique, rien n'est défini. On expérimente, on bricole. La stratégie n'est pas encore de mise. 1998 - 2001 : la stratégie Les médias en ligne ne prennent leur essor qu'au tournant de l'année 1998. Avec l'arrivée massive des médias, la nécessité pour chacun d'un positionnement éditorial et commercial s'impose. Les investissements affluent vers les départements ou filiales ad hoc alors créés. La presse, qui connaît depuis plusieurs années une situation de crise place dans Internet beaucoup d'espoir – jusqu'à y voir la condition de sa survie. D'ailleurs, l'autonomisation des rédactions web est engagée : elle doivent-être visibles, dotées de moyens propres, créatives et non freinées par le papier, proches de la culture des « start-up ». L'heure est à la conquête de parts de marché dans le secteur de l'information en ligne et à la diversification. A partir de 2000, se développent des produits multimédia interactifs : bien que les limites technologiques freinent ces ambitions (faible pénétration du haut débit), il s'agit d'explorer davantage encore les potentialités d'Internet. Aussi, on enrichit l'écrit : au delà du simple copier-coller des contenus papiers vers le web, le site agrège fils de dépêches, dossier thématiques, compléments d'informations, liens, etc. Différentes voies éditoriales sont ainsi explorées : allant du copier-coller des contenus papier sur les sites, au complément d'information, à l'enrichissement du contenu préexistant jusqu'à la création d'un contenu propre et multimédia. De même que l'on expérimente divers modèles économiques, naviguant du payant au gratuit : le financement par la publicité, la vente de contenu et l'e- commerce. Tout est à inventer. 27 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 19
  • 20. 2001 - ? : la crise L'importante crise boursière et financière qui survient en 2001 déstabilise profondément les médias et leurs espoirs. De nombreux projets sont suspendus ou même arrêtés, certains sites s'appauvrissent. Après les forts investissements consentis, l'heure est à la recherche d'économie : compression des coûts, réduction des effectifs, etc. Paradoxalement, cette période de restriction budgétaire s'accompagne d'une diffusion plus large d'Internet, d'une hausse de l'audience, d'une maturité des rédactions web. Internet commence à s'imposer comme support d'information incontournable. Or, dans un contexte où les site-titres ne sont toujours pas rentables et les versions papiers les quasi seuls financeurs de l'entreprise de presse, la question de la gratuité de l'information et, par extension, de la survie des médias traditionnels, se pose. Les modèles informationnels d'hier (financement par la publicité et la vente) se voient remis en question. Du modèle gratuit, en cours jusqu'au début des années 2000, les médias en ligne, suite à l'éclatement de la bulle Internet en 2001, sont venus à des modèles payants, sans grandes réussites, pour retenter la gratuité quelques années plus tard et aujourd'hui se retourner vers le payant. Ces va-et-vient, qui plus est effectués sur de très courts cycles, et les tentatives de constitution de modèles hybrides, démontrent bien les difficultés qu'ont les médias en ligne, en 2010 encore, à trouver un financement sain et durable. Nous allons ici identifier les différents modèles existant et les raisons de leur « défaites ». b) Le modèle gratuit C'est le modèle qui a prévalu jusqu'au début des années 2000, laissant ensuite en grande partie place au payant ou à l'hybridation. La gratuité était alors le meilleur moyen d'attirer et retenir le lecteur sur le site : il fallait se faire connaître puis fidéliser, et surtout construire une audience monnayable auprès des annonceurs. Les titres traditionnels et les revenus publicitaires finançaient les éditions web. La gratuité était alors perçue par les responsables de ces médias comme un principe temporaire correspondant à la phase de décollage nécessaire du média en ligne. C'était sans compter sur une culture de la gratuité qui allait aller en grandissant. L'esprit d'Internet prône une certaine culture de la gratuité, via la circulation libre de l'information, le partage des connaissances et la coopération en réseau, décentralisée et désintermédiée : difficile d'imposer un modèle capitaliste dans un écosystème libertaire. Aussi, le recours à la gratuité par les éditions web semble avoir tué dans le même temps les éditions papiers : pourquoi dès lors acheter le journal ? D'autant que fleurissaient dans le même temps les quotidiens gratuits. Et que Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 20
  • 21. les médias audiovisuels continuaient d'apparaître aux yeux du lecteur comme une offre gratuite. Ajoutons encore à cela que les blogs, webzines et autres portails sur Internet offrent aux internautes une information là encore gratuitement. L'information est présente partout, en flux tendu et en accès libre : pourquoi la payer ? La question se tient. En 2000 comme aujourd'hui, les mêmes problématiques demeurent. Le financement des contenus d'actualité par l'audience, c'est à dire par la publicité, n'a pas encore prouvé sa viabilité. D'autant qu'à regarder les comportements des consommateurs, volages et infidèles, on comprend la réticence des annonceurs. Ce qui fait dire au blogueur Narvic28 : « Allez donc bâtir une économie viable des sites d’actualité professionnels dans de telles conditions de fragmentation des usages, et donc des audiences ! Surtout quand toute l’économie de la publicité en ligne des sites de presse reste totalement organisée autour de la constitution de marques, censées offrir aux annonceurs des « environnements éditoriaux » propices, attirant une audience qualifiée et justifiant d’y vendre la publicité plus cher que partout ailleurs sur Internet. » Au printemps dernier, le cabinet Precepta affirmait clairement devant les membres du Geste (Groupement des éditeurs de service en ligne) : en matière de revenus en ligne, « les sites médias français sont des nains publicitaires sur Internet » face aux géants du web (Google, PagesJaunes, Yahoo!, MSN ou Orange). Les revenus web n’ont représenté en 2009 que 2,8% du chiffre d’affaire total des médias français, or, « aujourd’hui la répartition des revenus des médias en ligne est la suivante : 63% vient de la pub, 18% des contenus payants, 6% du B2B et de la syndication et 5% de l’e-commerce. (...) À eux tous, les médias français, reçoivent trois fois moins que l’ensemble des grands agrégateurs et deux fois moins que le seul Google. »29 Alors que nombre des médias visent aujourd'hui des modèles de monétisations autres que celui de la publicité, on notera cependant l'émergence des médias à but non lucratifs30 et, avec eux, de nouvelles voies alternatives31 de financement de l'information « gratuite »32 . En France, l'association Owni (un laboratoire du « digital journalism » agrégeant et produisant des contenus), éditée par la société 22mars, est l'un des grands défenseurs de l'hybridation des revenus entre activités commerciales et à but non lucratif. 28 Narvic, « Avenir des médias en ligne : l'impossible équation » in Novövision, 31 mai 2010 : http://novovision.fr/avenir-des-medias-en-ligne-l (19/08/2010 à 21h21) 29 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (16/08/2010 à 20h26) 30 Scherer, E, Context Is King, AFP-Mediawatch Automne-hiver 2009/2010, p.51 : http://mediawatch.afp.com/ 31 Le journaliste Jean Abiatecci énumère sur son blog quelques unes de ces solutions : les subventions publiques, le mécénat d'entreprise, le sponsoring des sujets d'enquêtes, l'appel aux dons des internautes, la revente du contenu, la déclinaison des sujets sur différents supports à valeur ajoutée, faire de la formation, éditer des livres, vendre des goodies, vendre des photos en ligne, vendre des services et placer de la pub. Abbiateci, J, « Quels financements possibles pour un média ? » in Papier Brouillon, 28 mai 2010 : http://papierbrouillon.posterous.com/check-list-quels-financements-pour-un-media (16/08/2010 à 10h39) 32 Seeking Sustainable, A Roundtable, Knight Foundation, 11 juin 2010 : http://www.knightfoundation.org/research_publications/detail.dot?id=364196 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 21
  • 22. c) Le modèle payant Après 2000, et aujourd'hui encore, les médias en ligne cherchent un équilibre entre offre payante et offre gratuite et les réflexions s'engagent : quels contenus, quels services, faire payer ? A qui (quelle est la motivation d'achat) ? Et comment (micro-paiement, abonnement) ? Jusqu'où aller sans risquer de perdre une audience significative ? Quelle est la marge de progression des ventes par abonnement ? D'autant que le passage brutal d'une information gratuite à une information payante reste difficile à faire passer auprès des internautes, aussi fidèles soient-ils. Le dernier exemple en date est certainement spectaculaire : le magnat des médias Rupert Murdoch a institué un « paywall » total sur le site de The Times, en juin dernier. Les chiffres (dont la perte de 90% de l'audience)33 , encore difficiles à analyser à l'heure actuelle, devraient apporter certaines réponses. On notera également le projet de monétisation des contenus du New York Times, annoncé pour début 2011 : après une expérience déçue en 200534 , le journal opte pour le paiement à la durée, un système qui propose au lecteur qui aura consulté un certain nombre d'articles en ligne un abonnement pour avoir accès aux autres contenus. Une logique qui ne cherche cependant pas à se couper du trafic issu des moteurs de recherche et réseaux sociaux : le président, Arthur Sulzberger explique logiquement ne pas souhaiter retirer son site de « l'écosystème du Web ouvert »35 . Difficile enjeu : maintenir une audience forte tout en créant des revenus additionnels via la vente de contenus – et donc un accès restreint. Pour l'heure, on le voit bien, des sites comme Mediapart ou Arrêt sur Image, qui ont opté dès le départ pour un accès sous condition d'abonnement, peinent à parvenir à l'équilibre. Au delà de ces cas radicaux, l'enjeu est là : parvenir à constituer une base d'abonnés financièrement tenable tout en maintenant, du côté des contenus gratuits, une audience monnayable auprès des annonceurs. On parle alors de formule Freemium : des contenus de « luxe », enrichis, qualifiés, pour les abonnés ; des contenus standards, sans grande valeur ajoutée, pour les autres. Actuellement, la tendance est à ce modèle, mixte, entre abonnement et revenus publicitaires. 33 Raphaël, B, « The Times : premiers chiffres derrière le paywall » in La Social Newsroom, 19 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/19/the-times-premiers-chiffres-derriere-le-paywall/ (08/08/2010 à 19h47) 34 Le système Times Select alors institué consistait à rendre payant l'accès aux articles de ses journalistes et de ses éditorialistes les plus prestigieux. 35 Ternisien, X, « Le New York Times fait à son tour le pari risqué de l'Internet payant » in Le Monde, 11 septembre 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/09/10/le-new-york-times-fait-a-son-tour- le-pari-risque-de-l-internet-payant_1409431_3236.html (10/09/2010 à 19h37) Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 22
  • 23. d) Expérimentation : à la recherche de revenus complémentaires Les équipes web des médias tentent alors de se diversifier, à l'image de Rue89 qui propose, outre son offre d'information, des ateliers de formation et un service de conception de site. D'élargir leur audience, paradoxalement à l'aide du papier (Médiapart se lance dans l'édition, Backchich et Rue89 lancent des formules papiers). Mais dans l'ensemble, les médias restent proche du modèle publicité/audience et peinent à trouver de nouvelles voies de financement alors même que le display rapporte de moins en moins d'argent. Le cabinet Precepta rappelait en mai dernier cet état de fait36 auprès des membres du Geste et d'évoquer ses recommandations : l'enrichissement de l'offre, la création de nouvelles valeurs ajoutées, l'exploitation de ressources différentes ou de compétences rares, le recours aux donations voire aux subventions, une meilleure valorisation de l'existant pour les annonceurs, des diversifications thématiques et l'exploitation des débouchés mobiles. Enfin, explique le cabinet, des solutions collectives devraient être tentées pour créer des rapports de force différents. Du côté de la mobilité précisément, deux nouvelles sources de financement ont fait leur apparition : la vente d'applications pour smartphones et pour tablettes numériques, dont le fameux iPad. Ce dernier notamment, plébiscité par l'ensemble des professionnels de l'information, était attendu comme le sauveur de la presse. Un espoir que terni déjà l'arrivée massive d'agrégateurs sur iPad : pourquoi payer plusieurs applications quand je peux avoir autant de contenu en en achetant une seule ? Quant aux solutions collectives, elles pourraient bientôt voir le jour : le Syndicat de la Presse Quotidienne Nationale vient d'annoncer le lancement, fin 2010, d’un portail d’actualité payant, tandis que le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale vient d'annoncer le lancement, sur iPad, de son kiosque numérique. Reste que ces projets posent uniquement le problème de la monétisation sans se tourner spécifiquement vers le contenu lui-même... Bien que de nombreux organes tentent d'innover en terme d'écriture et de diffusion originale de l'information (principalement dans les médias anglophones), les médias restent penchés sur leurs problèmes financiers – certes majeurs – et moins sur la question de l'information. L'écosystème informationnel évolue, l'idéologie fondatrice d'antan n'est plus. Les pratiques informationnelles (production, diffusion, consommation) changent tandis que des acteurs hors médias bouleversent la filière de l'information en ligne. Il faut comprendre et jouer avec ces conditions plutôt que d'essayer d'y mettre fin. Il n'y aura pas de retour en arrière. 36 Scherer, E, « En ligne, les médias français sont des nains publicitaires » in AFP-Mediawatch, 11 mai 2010 : http://mediawatch.afp.com/?post/2010/05/11/En-ligne-les-medias-francais-sont-des-nains-publicitaires (08/08/2010 à 20h19) Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 23
  • 24. II - L'information en ligne : une filière en recomposition permanente Nous nous intéressons ici aux évolutions de la filière de l'information en ligne, essentielles afin de comprendre ce vers quoi tend l'écosystème informationnel actuel37 . De la production jusqu'à la diffusion, les professionnels de l'information en ligne perdent progressivement du pouvoir face aux pratiques amateurs et à l'émergence d'acteurs hors médias. Dans le même temps et nécessairement, c'est l'ADN lui-même de l'information qui change. 1) Multiplication des acteurs de l'information en ligne Alors que la production de l'information n'est plus l'apanage exclusif des journalistes, et que la diffusion de celle-ci échappe progressivement aux professionnels des médias, il importe de recenser ici les différents protagonistes du paysage de l'information sur Internet. Parce qu'ils influent sur les usages et la nature même de l'information et parce qu'ils sont amenés à reconditionner l'écosystème de demain. Nécessairement, il faudra compter avec eux. a) Production Du contre pouvoir citoyen au média à la demande en passant par l'algorithme tout puissant, le métier de journaliste se voit profondément bouleversé depuis l'arrivée d'Internet, il y a quinze ans. Collecte, traitement, production de l'information n'appartiennent plus exclusivement aux médias institués. Et, alors même qu'amateurs et professionnels hors médias viennent concurrencer, avec un succès certain auprès du public, la mission journalistique, les acteurs médias voient dans le même temps leur légitimité progressivement diminuer. Sans parler de la concurrence qu'entretiennent entre eux les médias sur Internet : journaux, chaînes de télévisions, radios, sites web s'affrontent en effet pour la première fois sur un même terrain. Qui produit aujourd'hui l'information en ligne ? Dans quelles mesures et sous quel « droit » ? Dressons ici une typologie des producteurs de l'information sur Internet. Les médias professionnels Les professionnels de l'information en ligne répondent du métier de journaliste et s'inscrivent dans des entités médiatiques reconnues comme telles. Parmi les « anciens », nous 37 Voir en annexe un schéma représentant la filière de l'information en ligne. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 24
  • 25. trouvons les sites titres de marques médias (presse, télévision ou radio) et les sites des agences de presse (AFP, Reuters, AP) qui offrent en ligne des fils d'information dédiés aux particuliers38 . Parmi les nouveaux arrivants, nous trouvons les pure players, des éditeurs de presse en ligne dont l'origine et l'activité sont entièrement liées à Internet : Rue89, Mediapart, Backchich, Slate, Arrêt sur image, etc. Ils se sont récemment regroupés au sein du SIIL (Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne), créé en octobre 2009. Les médias citoyens On parle de « journalisme collaboratif », « journalisme participatif », « journalisme citoyen » pour qualifier un phénomène significatif de ce que l'on appelle le Web 2.0 et son pendant, l'« intelligence collective ». L'idée : chaque citoyen, également lecteur et consommateur d'information, peut devenir à son tour producteur d'une information qui sera qualifiée puis publiée par un professionnel. Alors que le prix des outils de production baisse significativement et que leur usage devient de plus en plus simple, pourquoi ne pas orchestrer la production, gratuite ou faiblement rémunérée, de ces journalistes amateurs ? Le premier exemple réussi de média citoyen est OhMyNews, lancé en 2000 en Corée du Sud. En France, nous pouvons citer Agoravox, fondé en mars 2005 par Joel de Rosnay et Carlo Revelli39 suite à un constat : « grâce à la démocratisation effective du multimédia, et des NTIC, tout citoyen peut devenir potentiellement un reporter capable d'identifier et de proposer des informations à haute valeur ajoutée ». Depuis, on a également pu voir émerger des projets tels que LePost, lancé par LeMonde Interactif en Septembre 2007 ou encore Rue89, lancé en mai 2007 par des anciens de Libération. Notons qu'au-delà de ces médias citoyens, la logique du participatif s'est largement répandue à l'ensemble des médias en ligne : le community manager, chargé d'animer la communauté des lecteurs mais également de veiller et faire remonter les informations données dans les espaces sociaux dédiés, est devenu un poste essentiel, bien souvent tenu par de jeunes journalistes. De même, via la mise en place de sondages, votes, commentaires, blogs sur leurs sites, les médias valorisent de plus en plus la participation du public à la production de l'information. Aussi parce que, lui même valorisé par la mise en avant de sa contribution, l'internaute est plus susceptible de revenir régulièrement sur le site... 38 Notons ici que l'AFP a le projet de créer un site entièrement dédié au grand public. Ce qui ne va pas sans susciter certaines critiques de la part des médias en ligne, vis à vis de ce client bientôt concurrent. 39 Co-fondateurs de la société Cybion, spécialisée dans l'Intelligence Economique. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 25
  • 26. Les blogueurs Il est à noter que la pratique du journalisme amateur existait bien avant Internet, au travers des fanzines ou encore du statut particulier des correspondants de la presse locale. Reste que l'arrivée de ce nouveau moyen de communication offre à cette pratique une nouvelle dimension. Jusqu'à dessiner aujourd'hui une importante sphère journalistique « extra- professionnelle »40 . Par ailleurs, le journalisme en ligne, en arrivant sur Internet, a du faire avec un imaginaire prégnant, celui d' « un nouvel « espace public » qui permettrait l'expression libre et absolue de tous en abolissant les médiations traditionnelles.».41 La généralisation, et le succès certain, des pages personnelles – appeler ensuite « blogs », à partir de 2002 - traduit spécifiquement ce projet. Et, alors qu'il fallait auparavant manier le code HTML et posséder de bonnes bases informatiques pour ce constituer pages perso ou webzines, l'arrivée des CMS (outils de gestion de contenu) démocratise le blog. On en compte aujourd'hui 143 890 000 dans le monde42 . Bien sûr, les blogs prennent toute sorte de formes, ils peuvent traiter des sujets les plus intimes ou encore être alimentés par des experts, ils peuvent servir à commenter, de manière plus ou moins sérieuse, ou encore à apporter des connaissances, ils peuvent être écrits à une ou plusieurs mains. Nous nous intéressons ici spécifiquement aux blogs qui s'inscrivent dans une démarche citoyenne face à l'information, « ces blogs conçus dans l'optique de diffuser et de commenter une information, de donner à réfléchir et de susciter le débat. »43 Trois catégories peuvent être distinguées : les blogueurs amateurs (qui relaient et commentent l'information), les blogueurs experts (qui commentent l'information et partagent leurs connaissances sur un domaine spécifique) et les journalistes blogueurs (qui trouvent des espaces d'expressions plus libres et plus divers que leur média). Cette forme d'expression porte en elle l'aura de la subjectivité mais également du contre-pouvoir salvateur quand les médias subissent de toute part des critiques portant sur leurs supposés partialité et objectivisme mou. Il y aurait d'un côté les blogs, l'opinion libre et désintéressée, et de l'autre les médias, les faits. Reste qu'aujourd'hui, les médias hébergent nombre de ces blogs, qui contribuent notamment à subjectiver et qualifier une partie de leur travail. Tandis que les blogueurs ainsi hébergés jouissent d'une audience difficilement atteignable hors des frontières médiatiques. 40 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007 41 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007 42 Chiffres issu du rapport annuel de la société Technorati sur la blogosphère : State Of The Blogosphere 2009 43 Estienne, Y, Le journalisme après Internet, Paris, L'Harmattan, 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 26
  • 27. Les agences de contenus En même temps qu'est apparue, pour les entreprises (au sens large), la nécessité d'aller sur Internet, se sont développées les SSII (Sociétés de services en ingénierie informatique) et autres Web agencies et avec elles le marché de la conception, réalisation et maintenance de sites web. C'est dans ce cadre qu'a notamment germé le marché des agences spécialisées dans la production de contenus et services en ligne, proche du modèle des agences de presse, à savoir le B2B (Business to Business)qu. Afin de pouvoir s'imposer sur le marché de l'information en ligne, ces agences de contenus se sont spécialisées : dans le sport, la culture, les nouvelles technologies, la science, etc. Deux modèles coexistent : la production de contenus en flux continu et l'édition déléguée. Les premières veillent, collectent, traduisent et produisent des informations que les clients vont consommer via l'abonnement à un fil de dépêches ou l'achat à l'acte puis exploiter sur leurs propres sites. Les secondes produisent et vendent de l'information personnalisée en sus d'une expertise éditoriale à l'intention de clients distincts. Elles produisent à la demande et rentrent dans une relation client durable. Les usines à contenu ou médias à la demande « C'est un vieux fantasme de la presse et de l'édition : savoir précisément ce que le public a envie de lire à un moment donné. Pour vendre plus et attirer davantage les publicitaires. (...) Aujourd'hui, Internet et des outils statistiques tels ceux développés par Google (Google Trends, Google Analytics) donnent la possibilité de savoir sur quels articles les internautes « cliquent » le plus, quels sont les thèmes qu'ils cherchent sur les moteurs de recherche. Des informations d'autant plus précieuses que plus de la moitié du trafic arrive désormais sur les sites de contenu à partir des moteurs. »44 De nouveaux acteurs45 n'ont pas tardé à comprendre le potentiel du média à la demande et d'asseoir le règne de l'information sur-mesure et/ou automatisée. On notera notamment le portail Associated Content (les internautes y publient des articles liés à l’actualité, des photos et des vidéos sur les sujets de leur choix en échange d’une rémunération : le libre choix est censée coller aux inspirations des internautes/consommateurs), récemment racheté par Yahoo!, mais surtout la société Demand Media qui fournit de nombreux sites en contenu. Ce dernier dispose d'algorithmes puissants à même de connaître les sujets les plus recherchés par les internautes, mais également ceux à même de rapporter le plus d'argent en 44 Ducourtieux, C, Ternisien, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l- actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33) 45 Shaver, D, « Yoir Guide to Next Generation 'Content Farms' » in Mediashif, 19 juillet 2010 : http://www.pbs.org/mediashift/2010/07/your-guide-to-next-generation-content-farms200.html#comment-171240 (15/08/2010 à 17h25) Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 27
  • 28. consultation. Une fois ces paramètres déterminés, des milliers de rédacteurs freelance, « non professionnels » et payés au rabais, produisent des contenus ad hoc. Sorte « d'industrialisation de la « pige » traditionnelle »46 . Où la pertinence du fond compte moins que son potentiel à générer des revenus47 . Ainsi, dans les deux cas, le principe se fonde sur l’industrialisation de la production de contenu pour le web (plus exactement pour les moteurs de recherche) et sa monétisation par la publicité (achat de mots clefs chez Google Adwords, affichage de pubs ciblées). Le calcul est simple : « Chiffre d’affaires pub sur le contenu – (coût de l’article + coût total d’acquisition ). Si le résultat est positif, vous avez gagné de l’argent sur ce contenu. L’idée est d’en produire un maximum pour jouer sur le volume. »48 Bien que la majorité des sujets ainsi produits rentrent dans la catégorie « pratique », il est intéressant de constater qu'un acteur tel que Yahoo! vient de décider de créer un blog d'information, The Upshot, dont les contenus d'actualité sont dictés par de tels algorithmes. Aussi, The Huffington Post, le pure player d'information politique le plus influent outre atlantique, vient de racheter une société d'étude d'opinion. La machine à contenu Via des algorithmes d'une complexité toute autre, des ordinateurs sont désormais à même de produire du contenu d'actualité49 . Un programme d'intelligence artificielle50 permet déjà de couvrir des événements sportifs et vise bientôt l'actualité financière. Egalement, ce programme expérimente la fabrication de mini-journaux télévisés pour Internet. Au global, l'idée est ici de pouvoir débarrasser les journalistes des tâches les moins nobles pour pouvoir se recentrer sur des exercices plus pointus (enquêtes, reportages...). Et déjà, des rapprochements vers les médias se font afin de créer des outils de veille et de collecte d'information. 46 Ducoutieux, C, Ternieisen, X, « Quand les internautes dictent l'actualité » in Le Monde, 14 juillet 2010 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/07/13/quand-les-internautes-dictent-l- actualite_1387326_651865.html# (15/08/2010 à 15h33) 47 Chez Suite101 par exemple, société canadienne présente en France, les auteurs sont rémunérés si les publicités associées à leurs articles sont « cliquées ». 48 Raphaël, B, « Quel avenir pour le 'media on demand' ? » in La Social Newsroom, 23 juillet 2010 : http://benoitraphael.com/2010/07/23/quel-avenir-pour-le-media-on-demand/ ((15/08/2010 à 17h32) 49 Lire à ce propos : Eudes, Y, « L'ère des robots-journalistes » in Le Monde, 10 mars 2010 : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/03/09/l-ere-des-robots-journalistes_1316608_3236.html (15/08/2010 à 18h18) 50 Baptisé Stats Monkey, il est conçu dans l'Illinois, aux USA, dans le laboratoire d'information intelligente (Infolab), installé sur le campus de l'université du Northwestern. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 28
  • 29. b) Diffusion Aujourd'hui, la difficulté première des médias en ligne réside dans la captation de l'attention de l'audience : bien que se fût toujours été l'un des objectifs majeurs du marketing éditorial, à l'heure d'Internet cela devient un enjeu de premier ordre, duquel dépend en premier lieu la survie financière des titres. Alors même que les consommateurs ont des usages de plus en plus volatiles, éclatés, individualisés, et que le processus de désintermédiation tend progressivement à faire disparaître le rôle de « médiateur », de diffuseur de l'information, préalablement affecté aux journalistes. Nous recensons ici les différents canaux et terminaux de distribution de l'information empruntés par les médias, utilisés par les consommateurs.  Des canaux éclatés... La newsletter et l'alerting Une à plusieurs fois dans une même journée, les producteurs d'information transmettent à leurs lecteurs, préalablement abonnés à leur newsletter, les informations dernièrement publiées, directement dans les boîtes mails. La plupart offrent aussi la possibilité de personnaliser des alertes (thématiques, localités, etc). Ainsi, chaque fois qu'est publiée sur le site une information susceptible d'intéresser l'abonné, celui-ci reçoit un mail le prévenant. La même logique d'alertes se répercute via les applications mobiles. Les agrégateurs de flux RSS --> Personnalisés. Pas un site ne manque aujourd'hui de proposer des abonnements à des fils RSS. Ce procédé permet à l'internaute de recevoir, via sa boîte mail ou des outils agrégeant ces flux, l'information qui l'intéresse, et ce en temps réel, sans nécessité de se rendre sur le site d'origine. Et ces outils (Google Reader, Netvibes, Feedly...) de permettre à l'utilisateur d'organiser sa page en diverses rubriques qu'il aura préalablement créé, d'y classer ses différents flux, et par ordre de préférence, puis de choisir éventuellement la présentation qui lui convient. --> Communautaires. On notera également que ces agrégateurs RSS permettent de voter et/ou partager les contenus avec d'autres membres : on parle alors de recommandation. Sorte de filtre social qui vient enrichir le filtre de base de l'algorithme. Les plus connus sont ici Digg ou Delicious. Dans le cas du premier, le contenu est signalé (recommandé) par un utilisateur puis commenté et noté par les autres membres du site : ainsi s'effectue la hiérarchisation de l'information. Le second est lui un outil permettant de sauvegarder ses bookmarks puis Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 29
  • 30. éventuellement de les partager avec le reste des membres : on le décrit souvent comme un outil de veille collaborative. Proche de cette logique, de nouveaux sites offrent d'agréger l'ensemble des liens partagés par votre réseau Twitter puis de les mettre en scène à la manière d'un journal. --> Editorialisés. C'est le cas du Huffington Post outre atlantique qui sélectionne, selon une ligne éditoriale définie (centre gauche de la vie politique), des contenus principalement issus de blogs. De même, The Drudge Report aux USA ou Aaliens, en France, agrègent des liens vers des contenus préalablement choisis. Owni, en France également, agrège l'intégralité des contenus sélectionnés par son équipe selon une ligne éditoriale déterminée. L'utilisateur va ainsi aller sur ces sites parce qu'il y trouvera du contenu sélectionné par des personnalités qualifiées, en lesquelles il a confiance et avec lesquelles il partage une même vision. --> Automatiques. Le plus connus étant Google Actualités, qui agrège sur une même page des contenus issus de sites d'informations référencés par le moteur Google, via un algorithme qui permet en outre de « clustériser » (rassembler par similitudes) différents contenus se rapportant à un même sujet, ou encore de les classer par rubriques. Wikio fait peu ou prou la même chose, en y ajoutant en plus des contenus issus de blogs, tandis que 2424actu agrège lui des contenus multimédias (vidéo et audio (jouables sur le site), texte (liens profonds))51 . --> Mobiles. On notera ici que ces agrégateurs ne se suffisent plus aux sites web mais sont également présents sur smartphones (LeNews, 2424actu...) et sur tablettes numériques (Apollo, Pulse, Flipboard...). Les réseaux sociaux L'information transite énormément via les réseaux sociaux, espaces numériques qui regroupent des millions d'internautes et occupent une bonne partie du temps de connexion. Les producteurs d'information l'ont bien compris et tentent un maximum d'occuper ces espaces et d'y diffuser leur information : ce sont les rôles des community managers. Mais le partage d'information se fait le plus souvent (et est le plus efficace) de membre à membre, par recommandation (mes amis l'ont aimé, je devrais également l'aimer). Plus que Facebook, Twitter, un réseau communautaire d'information, est le lieu symbolique de ces échanges. La blogosphère On notera également que la blogosphère joue un rôle important dans la diffusion de l'information : d'une part via son rôle de commentateur, d'autre part via l'ensemble des liens 51 Ce dernier a aussi la particularité de signer des contrats autorisant cette agrégation avec des partenaires (ce qui restreint le panel de contenus agrégés), ce que ne fait pas un Google Actualité par exemple (mais ce qui lui permet de promettre une offre exhaustive). Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 30
  • 31. hypertextes présents dans les billets et renvoyant à autant de contenus d'information. Le moteur de recherche Ne l'oublions pas, il est le premier vecteur d'audience des sites médias. De fait, l'optimisation du référencement est devenu un poste essentiel au sein des rédactions web auquel s'ajoute l'achat de mots clefs chez Google Adwords. Que l'internaute soit dans une attitude passive ou active face à l'information, qu'il recherche une information recommandée par ses amis ou par des pairs qualifiés, il s'orientera vers l'une ou l'autre de ces solutions. Aux médias d'être présents et de parvenir à s'adapter à chacun de ces canaux et chacune de ces attitudes.  ... et des terminaux multiples Le site n'est plus le lieu incontournable de connexion à l'information. D'autres terminaux permettent, instantanément et de n'importe où, d'accéder à l'information en ligne – devenue par là même une information connectée. Les smartphones et autre tablettes numériques affirment le règne de la mobiquité : où qu'il soit, l'utilisateur va pouvoir consulter l'application de LeMonde, de LePost ou de Rue89, être alerté par ces mêmes applications dès qu'une information nouvelle est publiée. Bien installé dans son fauteuil, le télénaute va se connecter à 2424actu via son téléviseur. L'ordinateur n'est plus qu'un medium comme un autre, davantage tourné vers le travail et la recherche active d'information, tandis que les terminaux sus mentionnés servent à une consultation plus passive. Dans ces conditions, les médias en ligne mettent en place des dispositifs spécifiques, en réponses à ces différentes attentions : des applications dédiées mais également des contenus dédiés (de l'audio, de la vidéo, du texte, ou les trois à la fois) selon les terminaux et attitudes de consommation visés. Car demain, peut-être faudra-t-il compter avec des panneaux urbains interactifs à même d'alerter les badauds et de leur donner la possibilité de se connecter, via leurs smartphones, à des sites d'information ; avec le web des objets ; avec la radio numérique ; etc. Soit une information pervasive à laquelle il faudra nécessairement s'adapter. On le voit, production et circulation de l'information se décentralisent progressivement et de plus en plus rapidement. Alors qu'il importe d'ajuster constamment l'offre à un présent instable, il est encore plus nécessaire de trouver les capacités de se projeter en avant. Dans un futur qui arrive à grande vitesse. Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 31
  • 32. 2) Nouvel ADN informationnel Nous venons de le constater, avec l'évolution des pratiques professionnelles et la multiplication et diversification des acteurs de l'information sur Internet, l'information, telle qu'auparavant envisagée, évolue : émission, réception, environnement de production et de diffusion, pratiques. Arrêtons-nous un instant pour tenter de cerner certaines caractéristiques, du moins des tendances, de l'information en ligne52 . a) Eclatement de la chaîne de valeur Une information décentralisée. Les médias traditionnels, malgré l'existence de leurs « doubles numériques » sur la toile, se voient concurrencés par des acteurs hors médias, toujours plus nombreux : grands groupes mondiaux de l'Internet proposant à la fois moteurs de recherche et sites agrégateurs d'information ; organisations privées ou publiques diffusant de manière autonome leurs propres informations ; les citoyens via les blogs, réseaux communautaires et autres sites participatifs. Une information déterritorialisée. Alors que les entreprises de presse traditionnelle se caractérisent par un territoire spécifique de production et de diffusion de l'information, cette dernière, via le web, a désormais la capacité de s'adresser à la planète entière. En découle un public potentiel plus éclectique mais aussi fugace, éphémère, et difficile à fidéliser. En découle également un frein en terme de développement face aux concurrents internationaux : la langue. Une information hyper fragmentée. De moins en moins fidèle, le lecteur picore, à l'image du zapping, ici une information sur le site de Le Monde, là une autre sur un blog... De fait, près des deux tiers de l'audience d'un site provient des moteurs de recherche, de la recommandation, du « buzz », et des flux RSS. 52 Nous nous sommes ici inspirés des travaux de Benoît Raphaël et Nicolas Pélissier. Raphaël, B, « Les 8 nouveaux gènes du nouvel ADN de l'information » in Demain tous journalistes ?, 10 janvier 2008 : http://benoit- raphael.blogspot.com/2008/01/mdias-les-8-nouveaux-gnes-du-nouvel-adn.html (05/09/2010 à 19h26). Pélissier, N, « L'information à l'heure d'Internet » in Information, médias et Internet, Paris, Cahiers français de La documentation française, n° 338, mai-juin 2007 Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 32
  • 33. b) Modification des pratiques journalistiques Une information hypertextuelle. A l'ère d'Internet, l'écriture journalistique évolue et lien hypertexte en est l'outil principal. Sont privilégiés des textes courts, agrémentés de nombreux liens renvoyant à d'autres documents à même de préciser un terme, d'approfondir une réflexion, de contextualiser, de poursuivre un débat, de fournir un témoignage, etc. Sur Internet, le journalisme se doit d'être ouvert, non conservateur. Une information multimodale. Internet permet une diffusion multicanal de textes, images fixes et animées, documents sonores et vidéos. Où les sites-titres peuvent retranscrire une information issue du titre papier via l'outil vidéo, agrémenter une autre à l'aide d'un diaporama photo ou d'un entretien sonore. Où une radio va pouvoir diffuser sur son site et de manière écrite les nouvelles diffusées sur ses ondes, etc. Dans la logique du Rich Media, et si l'usage des divers outils multimédia est fait de manière pertinente, une même information peut être déclinée en divers angles, via différents formats, tous mis en relation les uns avec les autres pour une meilleure compréhension du sujet. Une information arythmique : alors que les médias traditionnels disposent d'une périodicité établie, sur Internet l'information est délivrée en flux tendu et, sur les sites d'information, se côtoient flux continu et de périodicités variables. Aussi, il n'est pas rare qu'un article mis en ligne directement après sa rédaction, concernant par exemple un événement venant tout juste de se produire, soit par la suite actualisé et complété au gré des dépêches. Ainsi, l'information est en chantier permanent, un « work in progress » qui s'enrichit continuellement. Une information formatée et recyclée. Si l'on s'intéresse à la forme des sites d'information, le constat est claire : beaucoup ont fait le choix du fil d'actualité et du modèle tabulaire, ou restent encore assez influencés par le support journal – il faut aller de l'autre coté de l'Atlantique pour espérer trouver des modèles plus innovants. Quant au fond, l'information délivrée par les sites d'information est peu ou prou la même d'un site à l'autre. D'une part les journalistes de ces rédactions ont souvent les mêmes sources d'information (veille effectuée sur d'autres sites web traitant de l'actualité, dépêches d'agence, blogs influents...) et, pis, les rédactions web des sites souffrent d'un manque de moyens alloués en terme d'argent, de temps et d'outil propres à produire des reportages ou une information originale. En découle la généralisation d'un journalisme de desk, basé sur le copier-coller. Pas de grands reporters au sein des rédactions web et peu de journalistes spécialisés auxquels donner du temps. Aussi, à l'heure où tout le monde Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 33
  • 34. rentre dans la course à l'audience afin de maintenir voir faire progresser les revenus publicitaires, chacun s'essaie à produire une information qui sera par la suite bien classée dans Google Actualité. Or, Google Actualité favorise les comportements moutonniers en mettant en avant les articles traitant des sujets les plus... traités. Alors que, dans les médias traditionnels, tout auteur d'un scoop était le héros du jour, dans l'univers Google, un site dévoilant un scoop ou toute autre information inédite sera de fait pénalisé. Dans une étude53 menée par les universitaires Franck Rebillard, Emmanuel Marty et Nikos Smyrnaios, est précisément démontré le paradoxal manque de pluralisme de l'information et la redondance de celle-ci sur internet. Une information automatisée. Nous avons mentionné quelques exemples plus haut : le système de syndication (dont le flux RSS est le plus répandu), et le modèle de Google Actualité basé sur un système d'algorithmes. Il s'agit bien évidemment d'une logique d'intermédiation, ressentie comme automatique, non de production de l'information journalistique. On rappellera ici des exemples de journalisme de liens sus mentionnés (Aaliens, The Drudg Report, LeFocus), qui prouvent que certains ont compris l'intérêt de filtrer, trier et éditorialiser les flux d'information, aussi externes soient-ils. Dire oui à l'automatique, et y apporter sa valeur ajoutée. c) Renouveaux des rapports à l'information Une information personnalisée. Alors que le modèle traditionnel des médias de masse se base sur le one-to-many, il s'opére aujourd'hui un glissement vers une communication sociale de type one-to-one. De la production d'une information indifférenciée à l'intention du public, perçu comme une entité, les médias en-ligne tendraient aujourd'hui vers une personnalisation de l'information délivrée au public. De plus en plus de médias proposent aux internautes de se constituer sur Internet un journal à la carte. Le service allemand Niiu.de propose d'imprimer et acheminer à domicile un journal composé à la demande par le client (sur la base des contenus d'une vingtaine de journaux allemands et étrangers et de 600 blogs). Ainsi, l'internaute peut choisir ses rubriques (régionales, culturelles, sport...) et le dosage qu'il désire entre celles-ci. Par ailleurs, l'abonnement à des flux RSS, l'émergence de services tel Netvibes, ou encore la logique de hiérarchisation des informations par échelle de popularité témoignent de cette tendance. Une information socialisante. L'utilisation que le lecteur/internaute fait aujourd'hui de l'information importe véritablement pour mieux comprendre les évolutions possibles et futures 53 L'intégralité de l'étude est consultable sur : http://nikos.smyrnaios.free.fr/francais/communications.html, et des extraits de celle-ci sur : http://www.bakchich.info/Infos-le-net-en-circuit-ferme,07902.html Marion Lecointre – Mémoire professionnel – Paris IV - Master II Conseil Editorial – Promotion 2009-2010 34