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CHAPITRE II
GUILLAUME DUFAY. - GILLES BINCHOIS. - JOHN DUNSTABLE.
Il n'est pas encore possible de déterminer où et quand naquit Guil-
laume Dufay. S'on nom est trop répandu, pour qu'il soit permis de le
relier aux personnages de son temps qui s'appellent comme lui. Il serait
vain, Rans preuves supplémentaires, de le rattacher à la famille de ce
Regnault. du Faï qui enrichit l'église Saint-André à Saint-Quentin, d'une
fondation dite «, cantuaire » (1423) (1), ou bien de le croire apparenté à
Jean du Fay, chapelain à Saint-Amé de Douai, mentionné entre 1408
et 1424 (Nord, G 15, fol. 4 vo
, 47, 51 vo
, 102, etc.). Et il ne suffirait
pas, pour établir qu'il était de Cambrai, de rappeler que Jacques de
Fayl fut chaIlaine à Sainl-Géry de celle ville en 1361 (2), que Jean dou
Fayt répara pour 12 sous des « tuyaux » à la cathédrale en 1380' ou
1381 (Nord, G 3831, fol. 11 va), et que Gillot du Fay, quarant.e ans plus
tard, veilla hors des parles de la cité (Arch. corn. de Cambrai, CC 47,
l419-1420).
Le plus ancien document où Guillaum,e Dufay semble être désigné
est un compte d'après lequel Jean de Hesdin prêtre de Noyon reçut
77 sous pro gubernatione cujusdmn lVillelmi, antequam fuit receptus
ad officium ,altaris (G 1414; 1409-1410). Celle année-là Nicolas Malin,
m.aître des enfants de chœur, avait fait deux voyages pour chercher des
élèves, el s'était rendu à Douai, à Lille, el à Béthune (ibid.). Dans un
compte commencé à la Saint Barnahé de 1109, il est noté que, par la
réception de Willemet, le nombre des enfanls est de 6 vers la fin d'aoftt,
et que le nouveau venu fut pourvu d'une chape noire où 2 aunes 1/2 de
drap furent employées. Un Doctrinale lui ful acheté pour 20 sous
(G 1416; 1411-1412), et le Grecisrnnm de 12 sous acquis l'année suivante
pour un enfant d'autel lui fut peut-être destiné (G 1417). Bientôt après,
(1) L. P. CollieLLe, MénL pour servir à l'hist. de la provo de Vermandois, III,
1772, p. 51.
(2) Ursrner Berlière, Jean Demier de FayL, UJ07, p. 11 (cf. pp. 21-22).
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GUILLAUME DUFAY 55
3 francs valant 72 sous furent accordés à Willermus ùu Fa)'t, clerc d'au-
tel, pour obtenir les leUres de possession d'une chapellenie (G 1418;
1413-1414). Le chant de la cathédrale était alors renommé (1). Nicolas
Malin qui le dirigeait, servait déjà au chœur en 1390 (Cambrai, ms. 1054,
fol. 55 VO). Un double mariage qui unissait les familles de Bourgogne
et de Hainaut avait été célébré avec éclat à Cambrai en 1385 (2). L'année
précédente, un certain Joh. de Haspre fut reçu petit vicaire à Notre-
Dame. Depuis 1397, Pierre d'Ailly, ancien chancelier de l'Université
de Paris, était évêque, et il n'était pas insensible à la musique (3).
En 1408, Nicolas Grenon avait été chargé d'enseigner la grammaire
aux enfants (G 1412-1413). Il venait de Laon où il gouvernait les enfants
de la cathédrale depuis 1403. Auparavant, il avait séjourné à Paris,
comme chanoine du Saint-Sépulcre, église qui dépendait (lu chapitre
parisien. Il y avait reçu en 1399 la succession de son frère défunt (Arch.
nat., LL 108 B, p. 18). Quand le duc de Bourgogno eut hesoin d'un
maître pour ses petits choristes, Grenon fut choisi (141'2; Bibl. nat.,
Coll. de Bourgogne, 57, fol. 138).
Grenon quilla Cambrai quelques semaines avant que Dufay fô.L inscrit
parmi les choristes, mais quand il était déjà nourri aux frais des cha-
noines. En 1408, il avait été décidé de ne plus garder que douze des pe-
tits vicaires qui chantaient avec les six enfants (ms. 1055, fol. 9 VO).
Des auxiliaires étaient admis auprès d'eux. En 1409-1410, un'e gratifica-
tion de quatre sous fut accordée, pro infirmitate sua, à François le Ber-
toul, jrequentanti chorum (G. 1414). Quelques chansons et un m,otet
sont attribués à un compositeur de ce nom (Oxford, ms. Canonici, mise.
213), œuvres écrites avec plus de facilité que de talent, et où se manifest.e
une certaine prétention à la diversité rythmique (le molet a été publié
par M. van den Borren, Polyphonia sacra, 1932, p. 273).
Parmi les chanoines, le goût de la musique était répandu : chez Er-
noul de Halle, que ses confrères du chapitre tenaient pour être charilable
n l'excès, il y avait huit harpes, t.rois luths, trois guitares, trois vielles
(violes), un rebec et un psalLérion (testament de 1417). L'art profane
prospérait donc à Cambrai, sous la tutelle de l'Eglise.
Aussi bien, le maÎlre qui remplaça Malin en 1413 tenait de près au
siècle : Richard de Loquevi.lle était marié, el avait servi le duc de Bar
(1) J. Houdoy, lIist. artistique cie la cathédrale cie Cambrai, 1880, p. 59.
(2) Intern. Ces. f. Mus. /Vis!!., [(onurcssuericltL, 11);30, p. 5G.
(3) Mitteilungen der in/. Ces. f. Mw. II, 1930, p. 30.
fiG lIISTOIllE DE LA MUSIQUE
comme joueur de harpe, en même temps qu'il enseignait le chant reli-
gieux aux enfants de chœur (Meuse, B 2G33, fol. 29 VO). Il est proba-
ble que cc musicien s'était for:m,é à Paris, car le duc Robert, qui avait
épousé la fille du roi de France, voulait entrelenir en son château les
usages de la cour royale. Loqueville a laissé des chansons à trois voix
(Oxford, ms. cité). Dans l'une, la mélodie est entièrement syllabique au
soprano. Deux instruments, sans doute de sonorité différente (les croise-
ments semblent l'indiquer), accompagnent le récit de la vie hasardeuse
que mènent les artistes errants. « Quand compagnons s'en vont jouer »
çà ct là en plusieurs pays, il n'ont pas chaque jour à ~anger chapons ou
« gras connins » et, dépourvus d'argent, ils risquent de terminer leur
aventure avec deux « ceps» aux pieds (foL 90) : composition fort simple
où la 3° partie complète vaille que vaille l'harmonie et subvient au faux
bourdon des' cadences. Les instruments onL plus d'importance en quatre
autres pièces profanes, où leurs préludes sont Ilettemen~ reconnaissa-
hIes, et d'autres interventions admissibles. Com~e l'auteur fut harpiste,
on peut êtr~ tenté de supposer qu'il destinait à son instrument. le COrt-
tl'alenol' de Je vous prie que j'aie un baiser, où se trouvent des notes
répétées par petils groupes (fol. 91 VO). Celle cantilène de mai a le même
caractère d'improvisation gracieuse que les autres chansons de Loque-
ville. Dans l'un de ses deux Et in terra, les versets sont répartis entre
deux groupes de chanteurs, 2 soprani étant opposés au chorus à trois
voix (Bologne, ms. 37, fol. 60). Dans l'autre, le premier superius et le
second dialoguent en un discours rapide (Polyph. sacra, p. 134). Le
texte d'un Patrem omnipotentem s'écoule de même, modulé tour à tour
par deux enfants de chœur sur des tenues instrumentales (Bol. ms. 31,
fol. 18). Il y a plus de richesse mélodique et de densité dans le Sanctus
vivens secundum Loqueville (Bol. ms. 37, n° 22), écrit à quatre voix.
Celui qui a brisé les portes de la mort y est célébré par une ample interpo-
lation, et· Loqueville ne craint pas d'y ajuster des motifs doublés à
l'octave. Les dièses qu'il introduit en ce contrepoint archaïque en renfor-
cent l'âpreté majestueuse, et ily use du hoquet (in-exccl-sis). Son motet
1. Saint-Yves (0 flos in divo arc, Bol. 37, n° 280) est construit sur un
teHor dépourvu de paroles, el présenlé deux fois, la seconde par marche
rétrograde. Deux lignes vocales floUent avec une certaine élégance au-
dessus de ce thème à l'apparence liturgique. NIais la mesure en est un
peu saccaùée ct avec intention, quand le compositeur sépare certains mols
(legum-juris) pour les ~ieux marquer. Lorsque les britagena modula-
GUILLAUME DUFAY 57
mina sont évoqués, les notes figurent des arpèges. Si c'était une allusion
il la m~lsique de la nretagne, elle aurait bien du prix, puisque rien ne
subsiste des anciens lais bretons, qui furent si vantés. On a aussi con-
servé de Loqueville 0 rcgina clcmcntissima (1). En somme, le principal
mérite de ce ménestrel admis au sanctuaire serait peut-être d'avoir en-
couragé, ou IIl,ême guidé le jeune Dufay, et le témoignage de son œuvre
a celle valeur particulière, d'être daté avec assez de précision. Car, en
1410, Loqueville n'était que clerc de chapelle chez le duc de nar (Meuse,
B 32G7), et un compte établi dans l'année commencée le 25 juin 1418,
mentionne les quatre cierges que sa veuve paya pour sa messe de Requiem
(Nord, G 38(7). Vincen t Breion était son successeur au commencement
de 1419 (G 1423).
Quand Loqueville mourut, l'évêque de Cambrai, Pierre d'Amy, avait
peut-être éloigné Dufay de ses premiers IIl,aîtres. Il serai l du moins sé-
duisant de supposer que le cardinal l'avait dans sa troupe de 44 (35 P)
personnes, quand il se rendit au concile de Constance. Quelle révéla-
tion, pour l'écolier de Malin, s'il avait pu rencontrer en celle ville des
musiciens venus de toutes parts, avec les princes et les prélats qu'ils
devaient édifier ou divertir. Le Pogge a raconté comment, aux bains de
Bade (Suisse) Oll sc délassait d'avoir trailé les affaires de l'l~glise en
chantant, en écoutant les fliHes ou les instruments à cordes (1416) (2).
L'empereur Sigismond vint ft Constance avec Oswald von Wolkenstein
qui, s'il a inventé quelques chants pour ses propres poésies, a recueilli
aussi des COIIl,positions étrangères. Le bouffon Mossén Borra, Catalan,
était avec le même souverain (3). Les évêques anglais avaient amené
leurs chantres, dont quelques-uns avaient ravi les auditeurs, pendant le
voyage, à la cathédrale de Cologne (4). A Constance, leur musique fut
admirée à la fête de saint Thomati de Cantorbéry, el des concerts furent
sans doute mêlés aux représentations de la Nativité, des trois rois, du
massacre des Innocents, auxquelles ils présidèrent (141G et 1417) (5).
Pendant le concile, des IIl,énestrels de tous pays précédaient les cortèges
(1) rc Dèzcs, Der Mellsuralcodex dcs nenctlildinerkloslers SI Rmmerami zu Rc-
yetlsvury (Z.I. Mw. X, p. 80).
(2) E. Walser, Puyyius FIOl"enlinus, ]!)l4 (Cf. PO[mii crislo/ae, l, 1832, pp. 6-7).
(a) M. de Bofarull, Tr/'S car/as... de M. n., J8f)G. Ct~ persOllJlilge reçul ulle grati-
fication de Jean sans Peur, ?l MOlltbéliard (Coll. de Bouryognc, 57, fol. 228).
(4) Kongressbericht (1930) déjà cité, p. 58.
(5) Ulrich Richental, Chronil, des COltSlaHlCr Cami/s, éd. Buck, 1882, pp. 97-98
et U9.
58 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
dans les rues, tandis que les clercs de toutes nations rivalisaient de zèle
danR les églises (1). Parmi les cardinaux italiens, se trouvait Zabarella,
évêque de Florence et protecteur des lettres. Le chanoine de Padoue
Joh. Ciconia, originaire de Liège, lui avait consacré deux moteLs. Comme
Zabarella semblait devoir être élu à la papauté, les musiciens réunis à
Constance ne manquèrent pas, sans doute, de considérer avee attention
ces pièces, où ils auraient trouvé un hommage tout prêt pour le nouveau
pontife. En ces œuvres, les louanges ne sont chantées que par deux voix,
avec une simplicilé solennelle, et sans autre artifice de développement
que la répétition. Mais les instruments préludent à ce discours limpide,
en divisent. les phrnses, ct. y njoulcnt IIne pérornison. Ils se rfponc1cnt
il 2 parties, par de petits motifs saccadés, et d'une gaieté un peu vul-
gaire. Ainsi, les acclamations impatientes du peuple semblent alterner
avec la lit.anie des clercs (Polyph. sacra, p. 180; Ut te per omnes). En-
train qui gagne jusqu'aux chanteurs, en Doclorum principem à 4 voix,
où l'int.roduction est comme une pétulante criaillerie de cornemuses,
tandis que les interludes résonneraient plut.ôt lyra et cilhara, que le texte
désigne. En d'autres composit.ions de circonstance, Ciconia se proposa
d'honorer Jes évêqlles de Pndoue, Stefano da Carrara, intronisé en 1402
(Pol. sacra, p. 243), Albano Micheli (140G-1409) et le Vénitien Petro
Marcello, installé en 1409. Dans Vcnctiac, mundi splcndol', il avait aussi
célébré Venise et le doge Michel Steno (t 1413), terminant son hymne
par d'nctives fanfares. L'un des premiers à fonder un contrepoint sur
() rosa bclla du poète vénitien Leonardo Giustiniani, il acceptait volon-
tiers comme lui ceR fleurs mélodiques dont la fantaisie ou la mémoire
même hâlent l'éclosion, sans que la science y veille. Mais il eftt été loin
de prétendre, avec Giustiniani (2), qu'il devait tout à la nature. Il afHrme
qu'il avait étudié la théorie, par son traité Nova musica, où il se réclame
de!'! vieux auteurs. Dans un canon à 3 voix (Quod jaclatur), il est rigou-
reux jusqu'à la dureté. En ses fragments de messes, il ne se soumet pas
à une telle contrainte, mais il écrit d'un style assez ferme, et sail, allier
la dignité à l'agrément. Qu'il y cède volontiers à la coquetterie profane,
le hoquet par lequel il disjoint deux accords successifs dans un Gloria
(1) Lcs joueurs d'instrumcllts assemblés dans la ville auraient été d'après Hi-
-chenlal au nombre de 1700 (p. 215). AlIlrc part, il Il'CII compte que 3G5 (p. 183).
Les chantres pontificaux étaient là aussi.
(2) Il so disait. porlé li la mllsique quasi duce anima, sans effort (le volonlé
(H. Sabbadini, dans le Giorn. stor. della leil. ital., X, 1887, p. 3G5).
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(pax, pax, pax. ,,) le trahit (D. T. O., XXXI, p. 1). Mais, là même, il
'tente d'établir la continuité lyrique par des ébauches d'imitation ou de
progression. L'instinct de la symétrie le dirige aussi dans un Credo
(ibid., p. 3), et une évidente ampleur de mélodie favorise le développe-
ment d'un Gloria et d'un Credo à 4 voix (Bol. ms. 37; Varsovie, bibl.
Krasinski, 52, fol. 196-197) (1).
Il est légitime d'introduire quelques remarques sur Ciconia quand
on étudie la jeunesse de Dufay. Même si le clerc de Cambrai ne suivit
pas son évêque au concile de Constance, du moins eut-il bientÔt l'oc-
casion de connaître les Œuvres écrites par des musiciens fixés en Halie.
T1 est curieux d'observer, clans un El in terra qui lui fuL naguère alLri-
hué, puis refusé, avec les oclaves successives familières à Loqueville, un
long Arnen entrecoupé de silences, comme il y en a chez Ciconia (2).
Ce travail pOllrrait passer pour un de ses premiers essais. Il est d'ailleurs
certain qu'il a quillé fort jcune sa province. Dans une pièce à 3 voix,
en effet, il chanLe l'union de Carlo Malatesla et Vittoria ColonIla, nièce
de MarLin V. Une date a été fournie pour cet événement, mais elle est
inexacle. 11 paraît admissible que la cérémonie eul lieu vers 1420, peu
de Lemps avant que Théodore Paléologue, fils de l'empereur, et despote
de MOI'?e, obtînt pour femme Cleofe Malatesta de Pesaro (1420). Une
composition de Dufay se rapporte aussi à ce mariage. Dans le premier
de ces épithalames, les instruments préparent gaiement au chant de
llesveillez-vous, et failes chicrc lye, et les interludes sont animés: Mais,
à la manière ancienne, les syllabes de l'acclamation « Charles gentil Il
sont solennellement soutenues, avec points d'orgue (Oxf. ;.na, fol. 126
va).
(s.e.)
""CT.
t- _~d- "0
F
(1) Voyez le cataloguc thématiquc des œuvres de Ciconia, donné par J. Wolf
(Tijdschrijt dcr vereeniging /Joor Noonl - Ncclerlcmcls muzieTiflcschiedcnÎs, VU, 1003,
p. ~07. Ct, même revue, VI, p. 208).
(2) A. Gas toué, Le manuscrit d'Apl, 19:36, p. 79, Cf. /J, T. Q" XXXI, p. 2 eL
,p. 6.
60 HISTOIHE DE LA MUSIQUE
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GUILLAUME DUFAY
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61
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Il Y a plus de recherche dans la louange de Cleofe. Le texte en est
latin, avec une allusion au grec (Vasilissa, ergo gaude). Le tCItOI' module
un texte liturgique, et les 2 voix supérieures concertent en canon
{no T. G., xxvn, Hl20, p. aO). En même temps que Dufay, un autre
musicien étranger, Hugho de Lan tins, céléhra la princesse italienne,
quand elle passa par Venise (1) pour se rendre en Grèce.
Dufay qnitt'l sans dou~e l'ILalie à peu près au même moment que
Cleofe. En l'été de 1420, un clerc de Saint-Germain l'Auxerrois à Paris,
Guillaume de Fays, fut compromis, pour avoir en1lH'uulé ~ la Sainte-
Chapelle un drap d'or qu'un orfèvre vola. Son innocence fut reconnue
(Arch. naL, KK 38, fol. 20 VO). Il n'esl pas invraisemblable que, avant
de regagner son pays, Je musicien ait servi dans une église parisienne.
Et sa mésaventure aurait peut-être contribué à lui inspirer « Je me com-
plains piteuscment )), copié avec la date du 12 juillel 1425, dans le re-
cueil d'Oxford déjà cité (2). Une autre chanson, transcrite avec l'indi-
calion de 142G dans le même livre (fol. 140), fail supposer que Dufay
avait obtenu quelque charge à Laon, peul-être gr.lce à Grenon, et qu'il
lui fallut l'abandonner. Comme on sait qu'il eut un bénéfice en l'église
de Nouvion le Vineux, non Join ùe Laon, il est facile de reconnaître où
vont ses regrets, quand il chante Adieu ces bons vins de Lannoys (Laon-
nais). Nouvelle entreprise, tentée avec de bien faibles ressources:
« Je III 'Cil vois louL arquallL cles liais,
Car jc lIC lI'uis (1I'ollve) leves Ile pois... »
(1) Muratori, nCl'Itrrt ila/ical'uTn scriplo/'es, XXII, 1733, col. 93<3. Ct. A.. Zakythi-
nos, Le tlns[lollJt grec lie l'I(O,..!.~, ln:12, )lJl. lAA·lRû, La ph('( Ile L.Jltill~, T/'rr quante
l'l'giorle est dans le ms. d'Oxford, fol. :lü vO-37.
(2) Stainer, Dufay and his conternpoNll';CS, 1898, p. ]08. Ln <laIe est fournie Cil
ilalicn.
H2 lIISTOIHE DE LA MUSIQUE
A dIeu œJ OOI1J V/ils de Lan.
...a -e- ...a ..a-9-
nOYJ. A dieu dames, cJ dieu oorjlois, A dieu cel le 'lue lanl d-
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GUILLAUME DUFAY ü3
Il est cCI:tain qu'il était en Italie de IlOllveau Cil 1427, comme le dé-
montre un privilège d'absence envoyé de Bologne en sa faveur par le
cardinal d'Arles Louis Alcman, au chapitre de Saint-Géry ù Cam·
brai (1). Il possédait alors la chapelle du Salve en celle église, et avail
le diaconat (Nord, G 7688, 29 mai). En mai ]428, Grenon présenta au
chapitre un document analogue où Dufay parle le tilre de prêtre. La
même année, le musicien figure parmi les chantres de Martin V. Il 'j
avait peu de mois que Nicolas Grcnon avait cessé de servir le pape, au-
quel il avait amené en 1425 4 enfants de chœur formés ù la manière
française (2). Auparavant, Grenon avait résidé 4 ans environ à Cambrai.
Il n'avait pas manqué d'y enseigner ce qu'il avait appris pendant ses
fréquents séjours à Paris, où il se trouvait encore en 1418 (3), et il
s'était confirmé en son mélier de pédagogue, en exerçant les jeunes cho-
ristes de Jean sans Peur (14]2), et des chanoines de Laon (1403-1408).
En ses œuvres, et cet usage est commun alors, il n'y a guère de mélodie,
que pour les tvoix élevées. Les molets conservés sous son nom révè-
lent qu'il se plut ù y ménager le succès de ses élèves. La plastique de
ses lignes est fort simple, et le but vers lequel elles tendent aisément
pressenti. II aime à les entretenir dans ]a sérénité du ton de fa. La dou-
ceur de cc mode laisse le charme d'un cantique puéril à l'essai de canon
qu'il propose dans Ad honorcm sanelae trinilalis (à 4 voix). C'est sur
la même gamme <]u'il fonde Nova vobis gaudia refero (à 3 voix) où il
fait crier « Noël Noël Il avec un entrain tout français. En Plasmalol'is
humani geHeris (à 4 voix), Grenon évoque encore au début. l'harmonie
de fa, mais il y renonce bientôt, et la longue composition, parsemée
tl'interludes évidents, évoluc dans les formules de sol. La dcmière ca-
dence, saturée de quintes et d'oclaves, a la môme rudesse que les cu-
dences de Loqueville (Bol. 37, fol. 2~n). Le souci de répartir les sylla-
bes d'un texte copieux dans Ave, virlus (Polyph. sacra, p. 194) oblige
J'auteur à marteler sa diction au détriment de la grice. Assujetties à un
Lenor qui se répète selon des rythmes différents, les 2 voix supérieures
ont à prolloncer des paroles qui sont diverses. Ad hOHOl'Cm sanelae lri-
(1) Cc cardinal gouvernail Bologne pOlir )p pape. Dufay éludiai! pcul-I~IJ'e alors
à l'uuiversité de celle ville.
(2) Les enfants furent hébergés li Bologne par le cardinal (Gallr. Pérouse, L~
cardinal Louis Alcman, 190,1, p. 7:3). Chassé par les reholles, ce prélat quilta III
ville pendant l'été de 1428.
(3) La mus. à Paris... SOllS Charles VI, 1930, p. 33.
04 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
nilal.is est encore plus long, mais ici les 2 voix actives s'y dépensent
avec plus de souplesse (Ibid., p. 20a). Dans une de ses chansons, Gre-
non concède à chacune des parties d'être vocale. Un mètre commun les
gouverne presque sans relâche, dans l' hommage à La plus jolie et la
plus belle. Le compositeur aurait pu y employer trois de ses jeunes ap-
prentis : la note la plus grave y est le sol de l'allo. L'accompagnement
instrumental est nécessaire dans les autres cas. Avant Se je vous ay bien
loyaulment amée, il y a un prélude, mais la pièèe est achevée par une
ample vocalise. Sous un chant de soprano uni et un peu triste, le tenor
de La plus belle est d'abord lent ct bien lié. 11 ne fournit que les notes
nécessaires à l'harmonie, tandis que le con{,ralenor lance de petits mo-
tifs ou marque des notes détachées. Plus loin cet ordre est renversé,
mais sans rigueur dans la symétrie, puisque un plaisant cllprice astreint
en même temps les deux parties à l'artifice du « hoquet ». Le limpide
Je suy défail (Sl.lliner, p. 162) se termine en faux bourdon.
C'est vers la fin de 1428 que Dufay ohtint d'être chantre du pape.
Il devait l'emporter sur beaucoup de ses collègues par sa connaissance
de l'usage italien où il y avait moins de respect pour la science établie
que d'abandon' ù la musique. Un Français n'aurait pu imaginer un
personnage leI que le Sollazzo dont Prodenzani, en ce temps même,
vanl.e les mérites: Il chante, et il sait jouer du menacordo, de la harpe,
du luth, de la viole. Son répertoire esl riche de chansons italiennes et
françaises. Il est capable de traiter sur l'orgue, à l'église, l'hymne de
Noël et le Magnificat (1). Il comprend n'lêrne qu'il y a différents styles
et ne mêle point de stampila à la lilurgie. Il aùmet cependant les suoni
ilarii, et rait entendre des compositions profanes. L'évêque de Florence,
Antonin eût condamné celle frivolité, puisqu'il menaçait même ceux
qui satisfaisaient au plaisir des sens en écoulant canzoni, ballades et
~trambotli, et taxait de péché mortel l'organiste joueur de ballades et
J'audit.eur qui lui CIl avait. demandé (2). Bernardin de Sienne, qui avait
persuadé aux femmes de Home de brûlcr leurs recueils de chansons au
Campidoglio CIl 1424, réprouvait aussi en ses sermons de 1427 les sons
d'orgue et les chants d'église, qui ne sont que chichiri. C'était faute
(1) Santorre Debcnedotti, Il Sollazzo, lfl22. Né CIl 1387, Benedetlo d~gli Strozzi
fut., comme le personnage de cc poôme,. pcrilissimo en tout genre de musique,
surlout. sur l'orgue cl le monocorde. Il jouait aussi de la flûte el du luth (Cesare
Guasti, LcUcrc di una gcnt.iltloT1lla fiorcnlina del secolo XV, 1877, p. 141).
(2) Libcllus de audielltia confcssionllm, 1472.
t
.1
GUILLAUME DUFAY 65
grave que d'aller à l'office uniquement pour en jouir (1). Mais le gott
des Italiens pour les mélodies audacieuses ou caressantes et pour les
instruments qu'ils y ~êlaient, résistait aux menaces et aux exemples.
La malheureuse Parisina Malatesta, femme de Nicolas III de Ferrare,
décapilée en 1425 pour adultère, avait voulu en 1422 un beau fermoir
pour l'étui de sa harpe, et ses filles apprirent à jouer (2).
Que la véhémence de l'inspiration séculière ail alors animé bien des
molels, quelques compositions faites pour Venise ou Padoue, et citées
plus haul (p. 58) le, montrenl déjà. Mais, en d'autres villes encore, Du-
fay aurait pu s'accoutumer aux riles d'une religion allègre. A la vérité,
Antonitis de Civilale a cllanl.é le mariage de Giorgio Ordelaffi, maître
de Forli (1412) avec plus d'emphase que de gaieté (Polyph. sacra,
p. l8S ; J4-23). Mais Christoforus de Monle qui était né à Feltre, laisse
moduler les inslruments avec un enthousiasme gaillard, dans son can-
tique païen pour l'élection du doge Francesco Foscari, en 1423 (Bol. 37,
fol. 222). Une certaine gravité, cependant, n'était pas dédaignée. Il est
remarquable que le clergé de Vicence accueillit son évêque Francesco
Malipiero désigné en 1433, par ]e même motet dont avait été salué en
1409, Pietro Emiliano (Excelsa civitas Vinccntia, Bol. 37, fol. 270). Cel
hOlllIlWgC n. a voix, Je loloprallo l 'orlle avec une grllce conlinue que nulle
impertinence du rythme ne dérègle. La conclusion en est solennelle et
forle, suite d'accord~ prolongélol pal' dc::> point::> d'orgue. Pour (voquer
par les sons ce que Jes mots annoncent, l'auteur associe dulcedine il
lIne cadence en faux bourdoll, que des syncopes relèvent par des disso-
nances; concordia et pace suscitenL successivement l'octave, la quinte,
puis l'accord parfait mineur. Le musicien qui devinait si bien ici les
~quivalellccs du vocabulaire, était le frate lleltramo Feragul. Dans une
autre œuvre de circonstance, Francorum nobilitati (Bol., univ. '2'21U,
fol. 29 vO-30), ce compositeur balance de même ses phrases amples et
faciles, onduleuses variations sur la gamme de fa. C'est un prince qu'il
glorifie pour sa bonté qui l'avait associé à la noblesse des Français
(peut-être Nicolas de Ferrare, qui reçut de Charles VII en 1431 le droit
de porter les lis dans ses armes) (3). Aussi bien, un peu de cette agita-
(1) Le prediche vo/gari di San Bernardino da Siena, éd. Banchi, II, 1884, pp.
382-383.
(2) G. Gruyer, L'arl Jerrarais, l, 1897, p. 404.
(3) Il épousa en 3° noces Richarde de Saluces (Frizzi, Memorie per la sloria di
Farram, III, éd. de 1850, p. 460).
,.,)
66 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
lion qui passe alors pour de l'élégance, y .avive quelques traits, ainsi
que les imitations de l'Amen. Un Sanctus du' même Feragut (ibid.,
fol. 44), n'a d'autre loi que le jaillissement et l'épanchement d'une mé-
lodie que l'accompagnement fortifie sans l'alourdir. L'élan de la joie
chrétienne a rarement été favorisé p~r aulant d'abnégation. Le cantique
de cet homme de prière s'est dilaté, dans les transports de sa contem-
plation, cl il a dédaigné d'en retarder l'cffusion en travaillant pour le
siècle : simplicité qui fut le triomphe de sa [erveu 1'. Ou enlendit peut-
être cc Sanctus à la cathédrale de Milan, où llellramo chantait en
1430 (1).
En terre italienne, Dufay se retrouva parmi des compatriotes. Plu-
sieurs de ses collègues étaient de langue française. Avant !:la venue, le
chœur pontifical avait déjà compris des chantres formés ou connus à
Cambrai. Mathieu Thorotte(alias Bruyant), ténor du pape dès 1417
obtint un canonicat à Cambrai en 14'23 (Cambrai, ms. 725, fol. 54 et
1046, 203 VO). Mathieu HaneHe, prêtre de Cambrai, suivait Marlin V en
]418, el Gilles Flanelle dit Len[ant, clerc du même diocèse, le servit
depuis 1421. D'autre part, Justot et Toussaint de la Ruelle avaient,
comme Grenon et Philippe Foliot, connu l'usage parisien. Pierre Fon-
taine, Richard de Bellengues, Jean Doré, Dupassage et Uaoul Guéroult
(dit Mirelique), avaient appartenu à ]a chapelle de Bourgogne (2). Jean
Boulanger et BerLauld Dance admis en 1418 sortaient de Reims. Dance
était encore chantre du pape, ainsi que Jean Delesme, prêtre du Mans
un peu moin& dncien, quand Dufay survint. Un jeune élève de Grenon,
llarthélemy Poignare, était reslé depuis 1425. Un El in terra lui esL 'attri-
bué. GauLier Libert qui apparaît dans le compte du 20 décembre 1428,
est aussi considéré comme auLeur. Guillaume Legrand (Guillermus Ma-
gnus), inscrit en 1419, avait la prétention de composer. Son PaU'cm
(Polyph. sacra, p. 127) était déjà écrit CIl 1426. Asscz pauvre d'imagi-
nation, et faible de mélier, il oblint cependant une charge à Rouen:
il s'y trouvait encore en 1449 (Arch. nal., LL 116, p, 611). Admis en
1431, Jean Brassarl de Liègc étail digne de devenir le collègue de Dufay.
Ses pièces publiées (D. T. O., VII, 1900, pp, tl5-102) sont délicates et
(1) Annali della fabbrica del duomo di Milano, II, 1877, p. 58. En mai 1449,
Bertrand Feragut était inscrit le premier sur la liste des chapelains de René, roi
do Sicile. Dans le compto du l or juillet suivant, il n'cst plus mentionné (Arch. nat.,
'KK 245, fol. 3).
(2) La mus. à PaTis, pp. 28, 33 ct 34.
GUILLAUME DUFAY (7
vives. La symétrie du contrepoint n'y esl pas maintenue au détriment
de la grâce. La même candeur et le même empressement donnent beau-
coup de charme au motet Summus secrelarius (Bol. 37, n° 299). Dans
une paraphrase à 3 voix de Crist isl erslaltden, le soprano répètE": avec
une ornementation un peu froide les motifs du tenor (1). Mais ce tra,vail
sur le cantique allemand ne dut être accompli que pendant le séjour de
J3rassart au service de l'empereur (2)".
Après Brassart, Arnold de Lantins rejoignit Dufay à Rome. L'office
de chantre à Saint-Jean de Liège avait été occupé de 1379 à 1413 par
Berthold de Lantins, alias de BoIsée (3), mais cela indique seulement
que les deux personnages devaient êlre originaires du même lieu, voisin
de Liège. Un assez grand nombre de compositions, dont quelques-unes
flont remarquables, ont perpélué le souvenir d'Arnold et de Hugho de
Lantins. Ou y découvre dans les paroles quelques indications sur la car-
rière de ces deux musiciens, et l'on peut établir ainsi qu'ils devaient
depuis assez longtemps être connus de Dufay. En 1420, en effet, IIugho
chanta, comme Dufay, le mariage de Cleofe Malatesta avec Théodore,
fils de l'empereur de ConsLantinople. Son épithaJame, rra quante re-
gione (Oxford, fol. 36 vO-37) est à trois parties. Deux sont pourvues de
paroles, mais avec des passages qui sembleraient destinés aux instru-
ments, si la répartition des syllabes n'en faisait douter. Hugho insiste
sur les mots importants, par des procédés qui ne sont plus très neufs.
En son Christus vincit à 3 parties (Bol. univ. 2216, fol. 30 vO-31), il
célèbre les succès de Francesco Foscari, doge depuis 1423, qui avait
accru le domaine de Venise. Après une solennelle introduction inslru-
mentale, les voix commencent en style d'imitation, mais sont bientÔt
associées en accords vigoureux. A saint Nicolas, patron de Bari eL de
l'Apulie, sont adressées les phrases amples d'abord puis morcelées en
dialogue de Celsa sublimalur victoria (Polyph. sacra, p. '215). C'est le
dessus qui a la primauté dans l'Ave verum assigné au m~me musicien
(Bol. 37, fol. 230), mais les calmes harmonies de trois sons qui l'accom-
pagnent sont aussi fournies par des chanteurs. Il ne leur est demandé
(1) -Karl Dèzes, art. cité p. 77.
(2) On l'y voit déjà en 1439 (A. Auda, La musique ci lcs musiciens de l'ancierl
pays de Liège, 1930, p. 71). En 1443, il était caldor principalis de Frédéric III (Acia
musicologica, III, 1931, p. 51).
(3) L. Lahaye, Inventaire analytique des charles de... Saini-Jean l'évang. à Liège,
l, 1921, p. XLVI. Cf. E. Dro7., Musiciens liéyeois du xvO si~cl(l (nev. de musicologie,
XIII, 1929, p. 287).
liS IIISTOTHE DE LA iIUSIQI1E
que du souffle pour les soutenir, landis que la mélodie principale, avec
.Hes vocalises et ses triolets, requiert un interprète assez habile. Dans les
invocations et dans 1',1 men, tous procèdent par points d'orgue. Une
chanson de lIugho CA ma darnme playsanf. el. belle) a été publiée (Slai-
ner, p. 114). Il essaie d'y lrailer d'agréables motifs en contrepoint suivi,
par un canon à l'octave puis à la quinte, mais il renonce volontiers à
la symétrie pour ses cadences. Comme pour donner le démenti aux
paroles, il irD:agine, dans Chal/lcl' IlC sçay (Oxr. fol. 32 VO), ulle m~lodie
I.our h Laur large 011 pressante, il laqnel1e 10111. le reste "esl subordonné.
11 ':i il. 1111 peu plus d'apprêl., et llloillS de charme en Prendre convint
(ibid., fol. 3G). Le faux bOllrdon cl des irnilal.iolls faciles aidenl au déve-
loppement de J'ay ma joye bien perdue (ibid., fol. 35 vOy tandis que
.le sny excnt (ibid., fol. 67) ne manque pas d'accent, ni de diversité.
Comme lIugho, Arnold de Lantins séjourna sans doute à Venise. Du
moins, ses chansons Si ne prenez rTe moy pil.ié (ibid., fol. 128 va) et
Quant je mirc vo doulcc portraiturc Ubid., fol. 132 va) sont datées de
celle ville (mars 1428). Il esl. vraisemblable aussi qu'il écrivit Puisque
je sui cyprianes (ibid., fol. 54 VO) dans le même port, d'où l'amoureux
que le texle représenle pouvait voguer vers Chypre où il trouverait sa
belle. De ces trois pièces, la première est la plus expressive. La prédi-
lection du musicien ponr les motifs arpègés y apparaît dans le dessus,
ct des Ligures analogues sc rencontrent aussi dans les deux autres chan-
sons (voYCl, en particulier la fin du conlraLenor de Quant je mire). JI
emploie volontiers aussi les noles répétées, et même à plusieurs parties,
pour donner plus de clarlé ou plus de force à l'énoncé de certains mot.s :
procédé par lequel il marque d'ailleurs les premières syllabes dans Or
voy je bien (Bol. 31, fol. 245) el. une supplication dans Helas erny ma
dame (Wolf, Gesch. der Mensurai-Notation, III, 1904, p. 83). Il sait
trouver pour ses plainles les tons de la mélancolie, et retien l dans une
harmonie grave les trois parties d'Esclave à dueil et forain de liesse
COxf., fol. 5G). Polir mieux honorer la Vierge, il vise à l'élégance dans
les motels Tola pulchra cs et a pulchcl'rima mulierum (Polyph. sacra,
p. 262 el p. :.269); mais il n 'y renonce pas au langage de la tendresse
familière. Cetie facilité d'improvisateur était cependant soutenue par le
travail. Arnold de Lantins a laissé un Et in terra (Polyph. sacra, p. 10)
où les deux voix supérieures sont lrait.ées en canon, avec accompagne-
ment inslrumental (tuba sub JUf/a). Celte remarque relative à l'exécu-
tion se retrouve dans un Introilus de Jean Franchois et dans une chan-
son de Fontaine. La trompe était d'ailleurs tolérée par Gerson à l'église,
avec l'orgue (1). Dans cet Et in terra, Arnold de Lanlins ne prolonge
pas SOIl effort de leclmique. A partir du second verset, il en revient à.
son écriture hâtive, à ses gammes onduleuses, à sa récitation hanno-
nisée. Cette pièce se retrouve dans un autre manuscrit (Bol. univ. 2216,
fol. '2 vO-3). Elle y est anonyme et le verset en canon y est remplacé
par un travail de facture tout élémentaire. Le Kyrie verbum incarnalum
la précède (fol. 1 VO-'2), sous le prénom d'Arnaldus : une déclamation
rapide et martelée suffit à compléter l'indication. L'analogie des motifs
permet d'associer d'autres fragments de messe à ceux-ci (mêmes ~ss.).
Arnold est ainsi l'un des premiers à établir l'unité entre les différentes
parties de la messe, el il relie de même un Et in terra et un Patrem
écrits pour trois voix graves (Bol. univ. fol. 23 vO-25).
Un Et in terra attribué à Hugho de Lantins a été aussi transcrit sous
le nom de Dufay (D. T. O., XXXI, p. 15 el p. 137). Ses contemporains
admet.taient donc qu'il pli!' écrire avec une exlrême simplicité. Aussi
bien, ses œuvres aulhentiqlles de celle période ne sont pas co~pliquées.
On peut en juger par l'examen des compositions qu'il écrivit, cer'laine-
ment. ou vraisemblablement, avanl de quitter le pape en 1436. Certaines
qui sont antérieures à 1428 ont élé déjà citées. Dans la chanson C'est
bien raison, il célèbre Nicolas de Ferrare, pacificateur de l'Italie, prince
« large et com'lois» dont l' « hoslel est refuige el mansion pour re-
cheuoir taules gens de valeur» (Oxford, fol. 55, 55 va). Cette louange
française dut plaire au marquis, puisqu'il se flattait d'avoir rapproché le
roi de France el le duc de Bourgogne, au moment de la paix d'Ar-
ras (1414), et qu'il avait bon sOtlvenir des artist~s parisiens (2). La mé-
lodie en esl ferm,e. L'introduclion solennelle d'abord, se poursuit d'un
rythme aisé, Les inlerludes ont la même fluidité, avec un peu plus de
recherche. En celte pièce, paraît non séulement le mi bémol, mais le la
bémol. Nicolas, dont les verlus sont exaltées ici, fit périr en 14'25 sa
femme Parisina : lnvidia inimica (Bol. univ., fol. 51 vO-52) fi 4 voix
pourrait évoquer ces drames qui déchiraienl les familles de la noblesse.
Le chanl esl sobre, voisin de la déclaul,ation, et réservé au soprano seul.
Les instrllments préludent pur une phrase qui tomhe lolirdemenl, leur
(1) Compte-rendu du congrès de Liège (Hl30). L'exécution musicale, p. G3 (voir
la photographie après la p. 50),
(2) Mirot, Autour de la paix d'Arras (Bibl. de l'éc. des charles, 1914, PP: 260-
263). V. aussi plus haut, p. 65.
70 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
interlude est entrecoupé, et le posUude est attristé par les bémols du mi
eL du la. A la sévérité de cetle malédiction pour les jaloux s'oppose la
douceur du Donna, i ardenti ray, dont la mélodie facile a des retours
si caressants (Oxford, fol. 73). Quel jronle; signol'ille (composé à Rome)
est du même sentimenl (ibid). Complétée par quelques mesures, cette
pièce est devenue Craindre vous veuil (D. T. O., VII, p. 2~O), el. les ini-
tiales des vers la dédien t à Caterine Dufay. Est-ce par considération pour
le poète, que le musicien traite avec un peu plus d'apprêt Vel'gine bella
de Pétrarque P Mais quelques efforls de contrepoint n'en gâtent pas la
candeur affectueuse, el la vocalise, le tour contemplatif, l'accompagne-
ment d'accords brisés sont, dans le passage Amor mi spinge, d'une
pure, d'une éternelle « il.alianilé » (1).
Un motel. à sainl. André, l'évêque de Patras (Aposlolo glorioso, D.
T. O., XL, p. 22) est encore un cantique italien. Cependant, le tenor en
est. latin, et emprunté à la litllrgie (Andreas, Christi tamulus). Il est ex-
posé 2 fois, et le premier et le second dessus l'ornent chacun d'une figu-
ration asSC? ductile et pnrl.iculière. Le 1110t introilus désignc le prélude,
où 2 des instruments jouent tour ~l toUT' le même ample motif. Celte indi-
cation est fournie aussi avanl le Recordare, virgo mater, de Joh. de Lym-
hm'gia (Dol. 37, n° 294). Au commencement de son Ave, virgo, J. Fran-
chois spécifie que la lrumpelta soutiendra l'inlroitus (D. T. O., XL,
p. 19). Dans le motel de Dufay, l'allusion à la ville de Patras pourrait
suggérer que cette œuvre fut destinée à Pandolfo Malatesta, l'oncle de la
malheureuse Cleofe. Après avoir occupé le siège de Coutances de 1418
il 1424, ce prélat gouverna le seul diocèse catholique de la Grèce. L'hymne
à la paix Supremum est mortalibus fut sans doute écrit quand Sigis-
mond vint à Rome au printemps de 1433. A son entrée, les clercs mar-
chèrent devant lui en chantant, et une quantité d'instruments retenti-
rent dans le cortège (2). Le pape qui est mentionné en cette pièce, Eu-
gène IV, fut élu en 1431. Quand l'empereur Sigismond passa dans les
rues. de Rome sur son cheval blanc, il était fier d'être acclamé comme le
roi des Romains. Par ses points d'orgue, Dufay marque les no~s des
sollverains. Ils ont rétabli la concorde entre les peuples: Venise et Flo-
rence venaient en effet de se réconcilier avec le duc de Milan, mais Eu-
gène et Sigismond n'étaient pas les auteurs uniques de ce rapproche-
(1) CeLte œuvre a élé publiée par M. Van den Borren (Guillaume Dufay, 1926,
p. 3051.
(2) Lettre du Pogge, cilée par Balme (Misccllanca, HI, 1742, p. 184).
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GUILLAUME DUFAY 71
ment. La facilité mélodique du compositeur se manifeste dans les pério-
des traitées « au faulx bourdon »'. Certaines phrases, en pa,rticulier ce
qui précède la belle invocation 0 sancla pax, semblent réservées aux ins-
truments, puisqu'elles sont dépourvues de paroles. Mais Dufay exige
parfois d'un chanteur la même continuité d'émission, que d'un ménes-
trel : par exemple quand il interprète si justement par une vocalise l'in-
finitif orna-re, ou bien quand il figure collesque sua-ves (D. T. O., XL,
p. 24). Quelques œuvres encore ont été préparées pour les cérémonies
pontificales. Balsamus el munda cera (1) se rapporte à la confection des
figurines en forme d'agneau que le pape distribuait le mardi de Pâques,
la ro et la 7° année de SOIl règne. Ce motel serait donc de 1431, Eu-
gène IV ayant été élu le 3 mars. Des épisodes vifs et bien façonnés son-
nent comme des inlerhides, étant dépourvus de paroles. Il y a beaucoup
de grâce aussi el même de gaieté, dans les mélodies asservies à des mots.
Le tenor seul csl lent, entrecoupé, et soumis à l'artifice d'une reprise
rétrograde. Le motet Nuper rosarum flores (D. T. O., XXVII, 1924, p. 25)
est une des dem ières Œuvres que Dufay produisit pendant sa carrière
italienne. Il la fil pour la consécration de Santa Maria deI Fiorc, qu'Eu-
gène IV bénit à Florence le 25 mars 1436. La cérémonie fut ordonnée
avec magnificence. En grand nombre, les jouem's d'instruments à cor-
des et à vent défilèrent. dans la procession. A l'élévation, leurs sympho-
nies remplirent la basilique. Pendant l'office, quand les chantres ces-
:;aient, leurs concerts reprenaient (2). Dufay put donc recruter aisément
des pifferi pour alterner avec ses choristes, et des trompes pour soutenir
d'tin long souffle les notes de l'introït Terribilis est locus iste (3). Ce
tCllor, traité en canon, formulé sous les lois de mesures différentes, suffit
à fonder le motet. Mais la force massive et grondante avec laquelle l'ar-
tiste étranger traduit les mols du rituel ne pouvait être acceptée par les
F)oren tins qlle passagèrcmell t. Ils n'onl point conslruit leur lempie pour
y loger un Dieu menaçant. Avant même d'exhorter à la crainte, et
comme pour ajouter' aux guirlandes prodiguées à l'entrée de l'église,
(1) Ces paroles fu!,pnl jointes li l'envoi (l'Agnus Dei 'lue fil Urbain V à Jean
Iluléologuo (Ou Cunge, G/oSI. IIU mol ,tOIlUS).
(2) Haberl, Bausteine fil" Musi"geschichte, III, Die rlJmische Schola Cantorum,
1888, p. 34.
(3) En 1415, le sonalor cerarnelle, ainsi que le joueur de bomllarde, étaient des
Allemands. 4 autres ménestrels, ciLés en 1445, avaient la même origine (L. Cellesi,
Dooumenti per la storia musicale di Firenze, dans la Riv. mus. il., XXXV, 1928,
pp. 574-5).
72 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
Dufay s'introduit dans le sanctuaire de « la fleur », en célébrant un mi-
racle dcs roses (Nuper rosarurn flores) (1). Il commence à deux voix,
mais c'est la cantilène du soprano qui règne ici, comme dans les autres
i'pisodcs en duo qüi interrompent la citation liturgique, et comme dans
les passages où la prière du peuple semble triompher de l'oracle
grégorien. Dans un autre intermède, cependant, la vocalise est traitée en
'canon (O... l'alione). Près de la fin (après domini t.ui), ne serait-ce pas
l'orgue qui laisse un peu de l'elflChe aux ch,oristes il Le musicien aurait.
ainsi assemblé tous les grata bcneficia dont il disposait, pour faire tolé-
l'CI' Ics accords sombres cl saccadés ùont ses basses accollwagnenl la
longue clameur du plain chant. Mais cette diversité même serait ar-
chaïque en cette œuvre déjà chargée de tradition (2), 11 est significatif
que Dufay célèbre l'accomplissement du plan de Bl,'unelleschi par une
musique d'ancienne structure. Aussi bien, sa louange du pape Eugène
(Ecclcsiae mililantis) fut-elle préparée selon le vieil usage (D. T. O., XL,
p. 26).
D'autres motets encore onl été destinés à un auditoire italien. La
pièce où saint Sébastien est supplié de préserver Milan de la peste esl
ordonnée avec intelligence, et les phrases y sont bien balancées. Le com-
rn,encement esL tin canon pour les deux dessus. Quand le conlralenor
intervient, ces deux voix l'nccompagnent d'un contrepoint facile qu'ani-
ment des changements de mesure. Le tenor ne paraît que pour ajouter
de la solennité à l'Amen, où vocalisent les trois autres parlies (Oxford,
fol. 31 vO-3'Z). A saint Nicolas de Bari s'adresse une prière peut-être
plus vive (0 gemma, Oxf., fol. 130 vO-131). Le tenor dont la ligne
grégorienne (Beatus Nicolaus) est morcelée par des silences, y est deux
fois énoncé, selon des mesures différentes. Un horn,mage latin à la ville
de Florence (Salve, flos l'uscae) a, pour teno,., Viri mendaces (3).
Sans que l'on puisse en fixer la date, un Sanctus papale auquel se re-
lie un A gnus, témoigne de l'industrie nécessaire pour prolonger le chant
pendant les inlerminuLles cérémonies pontificales (D. T. (J., VII, p. 148
el p. 15;:3). Comme le Sandlls cs. proche de la consécrat.ion, l'Ave verurn
(1) Eugène IV avait offert ln « rose d 'or » à œUo église.
(2) Voy. H. Besseler, ErWulerungen zu einer l'orfilhruny ausgewlthlter Dcnk-
maler der Musil. des spilten Miltelallcrs (Berichl ilber die Freiburger Tagung: lilr
deutsche Orgel1~unst, 1926, p. 144).
(3) L'auleur s'y nomme (Guillermus, .. natus... ipse Fay). V. l'étude magistrale
de M. II. 13esseler (Die Musil, des Mitlelalters und der Renaissance, dans le Iiand-
buch der Musikwissenschaft de M. E. Bücken, p. 206).
La lHLLlI.lJll1b 1JLJ1' Al ,.)
COl'pUS y est inséré. L'identité de mode avec l'intonation grégorienne de
ce Sanctus aurait permis quelques allusions à la mélodie de l'antienne;
mais les souvenirs en sont déguisés. L'interprétation est très large. Les
deux l~xtes commentés sont cependant suffisamment rappelés pour que,
tour à tour, on les reconnaisse ou les confonde : subtilité fort musicale.
L'incertitude de cette glose la préserve déjà d'être monotone. Par la dis·
position des voix, la sonorité en est très diverse. Non seuleme'nt les versets
successifs sont construits tant.ôt à 2, à 3 ou à 4 parties, mais la règle ab-
solue du. nombre n 'y est pas observée : dans lin duo, quelques notes
supplémentaires illustrent le mot vil'gine par le rayonnement du faux
bourdon, et l'Osanna inséré dans un trio est soudain renforcé par deux
dessus auxiliaires. L'Agnus semble d'abord moins expressif, mais le so-
prano y est d'une remarquable ampleur mélodique sur un tenor liturgi-
que direct, puis rétrograde.
C'est encore aux années italiennes que se rapporte un Crcdo à 4 voix,
ù la fin duquel (Dol. 37, fol. 37 v038; Cambrai, (i, fol. 9 vO-IO) un
Amcn très animé ct OI'lH~ de hoquets, contient un épisode syllabique,
avec paroles latines soulignées par ce texte de chanson (omis dans la
copie de Cambrai) :
Lu villullellu 11011 è IJcllu, sc lion ln dominicLl (1)
En ce Credo, les deux voix supérieures seules sont pourvues de paro-
les. Le chan t s 'y écoule en grandes ondulations, et selon le cours de
la gamme de fa. Souvent, ces périodes commencent sur la quinte et com-
prennent successivement toutes les notes, jusqu'au bas de l'octave (pel'
quem; et incarnatus est, au premier soprano : et in spiritum)' resurrec-
tionem, aux 2 voix). La formule ascensionnelle correspondante est em-
ployée aussi, avec moins d'ampleur. ·Ce l1ux modal et ce reflux ne sont
guère interrompus que par les répétitions de Ilotes nécessaires à l'énoncé
des mots. Les rares motifs qui prennellt figure en ce perpétuel balance-
ment, Ile sont que dentelures des liglles essentielles ((lui ex patre), frag-
menls d'arpèges (ct a[Joslolicam) , 011 boucles de cadences. Quant aux
imitations, limitées aux deux voix principales, il est rare que le jeu C-Il
soit poussé bien loin. C'est dans l'Amen seulement, que le tenor en pro-
pose Je sujet. Il y intervient même pal' Ille facile répétition. Ici, la con-
sonance ultime est précédée pal' un accord où la sensible de la domi-
(1) Cf. Fr. Vatielli, Arle e vila musicale a Bologna, l, 1927, p. 12.
74 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
nante esL doublée ù l'oct.ave : Loqueville procédait ainsi, et la même
pratique, assez commune alors, esL admise dans la conclusion d'un Et
in terra dont l'au'rihulion ù Dufay a été conteslée (1). Un Et in terra
sans nom d'auleur sc rattache musicalement à ce Patrem (Cambrai, 6,
fol. '2 vO-3).
Sans avoir la prétention d'établir la chronologie complète des œuvres
de Dufay, on peut supposer que les fragments de messes copiées sous
son nom dans les manuscrits de Bologne déjà cités, sont antérieurs à
son relotir définitif à Cambrai. Reçu chanoine le 12 novembre 1436, il
était encore à Bologne en 1437 (2), el il fut mandataire du chapitre au
concile de Bâle, désigné le 7 avril 1438 (Cambrai, ms. 1051, fol. 39 et
fol. 66 va). Les compositions de ce genre sont, en général, écrites sim-
plement et le totir mélodique en est. fort. agréable. Les lignes diatoniques
habiluel1es du soprano y sont parées d'inflexiolls, modelées par des re-
tours, détendues par des redites. Un Kyrie à 3 voix du 2° ton (Bol. 37,
Il 0 10) et l'Et in terra qui le stiit (3) captivent ;par ce discours tout uni,
nuquel les impulsions ou les langueurs de la mesure prêtent grâce et
diversité, el. où le contrepoint esl (pIClqllefois rehaussé par des essais
d'imitation. Un Sanctus du même recueil (n° 21), esl relativement assez
massif. Par le trope qui J esl inséré (qui januas) il s'apparenle à un
Sanctus de Loqueville (v. plus haut, p. 56). Des interludes s'y rencon-
trent, comme dans la pièce citée précédemment. Mais ici les transitions
instrumentales sont entièrement soumises ~l l'évolution, modique d'ail-
leurs, du soprano : dans l'El in terra, chaque voix y prenait part, et
l'analogie rythmique ou mélodique des motifs assurait l'unité de tels
'épisodes, el en délerminail le caraclère. Dans un Pall'em omnipotentem
(éd. citée, p. 73), les deux parlies sans paroles qui accompagnent le des-
sus vocal proposent ou répètent aussi les figures appliquées sans scru-
pule de métrique. La diclion a plus d'ampleur dans tin Et in terra (éd.
citée, p. 81). Mais Dufay est guidé, là, par la mélodie liturgique (messe
de ln Vierge). Il l'orne d'abord au soprano, mais cesse bientôt de la
traiter à 3 voix. Ayant commencé par entretenir un dialogue, verset par
verset, entre le chœur de polyphonie el la monodie rituelle des chantres,
il ne garde plus comme objel de son travail, que les indications supplé-
(1) Voyez plus haut, p. 59.
(2) Fr. Baix, La carrière bénéficiale de G. Dufay (Bull. de l'inst. hist. belge de
Rome, 1928, p. 271). .1
(3) Pub!. en D. T. O. vol. 61, 1924, p. 71. l
GUILLAUME DUFAY 75
mentaires des tropes. Il en accroît la solennité pnr des points d'orgue,
.et en renforce même l'harmonie en ajoutant une quatrième parlie à
,quelques accords. Dans l'Amen seulement, le soprano en revient à la
mélodie grégorienne (1). Dans un Patrem (éd. citée, p. 76) c'est avec
,deux soprani qu'alterne l'ensemhle des 3 voix. Là encore parait le sou-
venir de Loqueville.
Parmi les chants religieux conservés dans le manuscrit de Bologne
{37, n° 190), un Et in terra se distingue par la men tion française (( de
'quaremiaux ». Le texte y est rapidement articulé par le soprano. Le
.contratenor et le tenor (la voix la plus grave), sont dépourvus de paroles.
Une seule phrase répétée sept fois par le tenor, soutient toute la compo-
sition. Cette phrase est redite selon des mesures différentes, et par là
.déguisée comme il convenait ,de l'être à la veille du carême. Il y a de
l'irrévérence en cette allusion il l'usage profane. Mais, pour le badinage
.de ce titre et de l'explication qu'il suggère, Dufay aurait pu être félicité
par les princes qui assistèrent il la messe de Chambéry le mardi gras
(jour des « quaremiaux ») de 1434. Ils devaient achever leur journée en
dansant, munis de « faux visages )). La veille, ils avaient entendu les
-chapelains que Je duc de Savoie avait réunis en grand nombre, pour
fêter le mariage de son fils Louis, comte de Genève, avec la fille du roi
,de Chypre (2). Le chef de ces musiciens était alon; Dufay, qui délaissa
le chœur papal d'amÎt 1433 il juin 1435.
Parmi d'autres pièces appartenant à des messes, un Kyrie à 3 voix
.(Cambrai 6, fol. 4 vO-5) laisse encore la prédominance au soprano.
Mais les lignes en sont agencées avec une volonté remarquable.' Elles
dépassent d'une quarte les limiles du mode el ne sont pas abandonnées
.à l'entraînement de la solmisation (3).
L'intention de conférer l'unité aux différentes parties d'une messe
-esl révélée par l'identité des phrases initiales, en des Et in terra, Palrem
,el Sanctus à 3 voix (Bol. 37, fol. 34, 36, 20 et 22). Les mêmes ressem-
blances rattachent l'Et in terra et le Patrem pour 4 voix (Cambrai 6,
,fol. 2 vO-3, et 5 vO-6) qui ont été déjà cités, et 2 autres pièces
(1) Cf. Rudolf Ficker, Die frahen Messenkompositionen der Trienter Codices,
,dans les Studien zur Musikwisscnschajl dirigées par G. Adler, XI, 1024, pp. 29-34.
(2) Chronique de Jean Lefêvre, éd. Morand, II, 1881, pp. 287 et 295-296.
(8) Ed. par M. Besseler (ZwlJlf. geistl. und weltl. Werke de Dufay; Das Chorwerk
IUO 19, 1932, p. 13).
76 HISTOIRE DE LA lWSIQUE
annlog~es (Ibid., fol. 10 vO-ll, el 13 vO-14 : cf. l'index thém. des.
rnss. de Trenle, n°· 8 et 9). Un Sanctus et tin Agnus (m~me index,.
nO! 1368 ct 15(1) sc rapportent aussi l'un ?t l'autre. Toute une messe à·
4 voix cst (~dinôe SHI' le tenol' de la chanson Se la face uy pale (D. T. O.,
VII, p. 120; cL, p. 251, l'original français traité aussi par Dufay). Efl>
beaucoup de fragments antérieurs, Dufay introùuit ]e style profane dans
sa musique pour la messe. Quand il écrit à 3 parties par exemple, il lui
arrive de procéder comme dans la ballade, où les voix graves n'ont
qu'une lâche suballerne. Ici, le contrepoint. est modelé par un travail
plus patient: dans lcs premières mesures du Kyrie, la basse mtme pro-
cède avec magnificence. Mais le soprano, en sa phrase charmante et un
peu inquiète, n'a point renoncé au siècle. C'est par la même ch~te mé-
lodieuse que Dufay annonce Las, que ferai-je (Stainer, p. 146). Chaque-
division de la messe commence par celle allusion habilement. incomplète-
à la gnmme d'ut. Le plus souvent, le contratenol' seul y adhère, pour
qu'clIc soit plus distincte, cl, celle ligure inoubliable reparaÎl encore à
peine voilée en Illaint autre passage. Par ces rediles, éclate la résoluLion
de tout rapporter à un seul principe. La courbe aux agréables replis à
été ordonnée, en erret, cl 'après les premières Ilotes du (cnor, de ce tenOr'
qui plus secrèlement, mais presque sans trêve, gouverne le développe-
ment de l'œuvre entière. Partagé enlre le premier et le dernier Kyric, il
est exposé deux fois dans le Gloria, trois fois dans le Credo. Dans le
Sanctus et dans l'Agnus il subit la même interruption que dans le Kyrie.
Avec beaucoup d'adresse, Dufay a préparé les épisodes libres. S'ils sont
à 2 voix, la seule condition d'associer alternativement le soprano et.
l'alto, puis l'alto et la basse, enfin la basse ct le soprano, y intro-
duil déjà de la variété. Le Chl'istc et le deuxième Agnus sont ainsi.
disposés. Ils se terminent d'aillellrs en trio, le premier par un faux-
bourdon, l'autre par dll contrepoint. La recherche de symétrie est assez'
fréquent.e en celle messe où l'auteur ne semble d'abord viser qu'à des-
siner avec une incessante Jouveauté : dans le Sanctus, le soprano el la
basse, dans ]e Bcnediclus, le soprano cl l'alto, dans le deuxième Agnus,
le soprano ct la basse procèdent en canon. NIais la rigueur n'est que-
temporaire chez ce maUre des ell'usions faciles. La gamme qu'il n'achève-
pas en son thème principal, apparaît souvent totale, SalIS des broderies
qui en dissimulenl il pcinc le tracé. Le soprano la descend et la remonte'
uüssitôl, dans le Gloria (mes. 244) et dans le Sanctus (mes. ü3). A la fin
.dli Credo (mes. 2G2), la basse la dirige .oule simple du haut jusqu'CIl<
GUILLAUME DUFAY 77
bas, tandis que le soprano la reprend en l'ornant. La courte fanfare qui
retentit dans la chanson est aùmise aussi dans la messe. Elle y Ralue la
royauté de l'église universelle (sanclam calholicam) et retentit avec
moins de solennité, et coupée dc hoquets, il la lin du Gloria et. ùu Credo.
.La publication de la ~esse Caput (1) permet d'étudier aisément les
ressources du développement chez Dufay. On sait, par les comptes de
Cambrai, que lc KYJ'ie de celle messe fut transcrit sur de « nouveaux
livres» eu 14G3, ainsi (Ille la IUC::lSC de même auteur Ecce ancilla Do-
mini. L'origine du lelloJ' qui la gouverne est encore ignorée. Le sujet
devait cependaJlt ell l/re assez répandu, puisqu'Ockeghem el Obrecht
J'ont aussi élahoré. Pcul-êlre en découvrira-t-on la mélodie dans l'office
de quelque mar/yI' d{:capité, particulièrement honoré daus le Irès vasle
diocèse de Cambrai. Aussi bien, la dévotion de Dufay à saint André per-
meUrait d'imaginer qu'il établit sa composition sur un des cantiques
latins pnr lesquels fut célébrée lu translalioll du chef de cet apôtre. Pa-
tras ayant été menacée par les Turcs, la relique fut apportée il Borne en
grande cérémollie, le jour des Hameaux de HG2. La ville reteutit alors
de chants et de symphonies (~).
La longue mélodie que foul'llil le lellol' de cette nesse, suffit au Kyrie,
mais est épuisée deux l'ois dans le Gloria, le Credo el l'Agnus. Ces répé-
titiolls, tout d'abord, se distinguent par l'usage successif du temps par-
fait (3 semihrèves par mesure) et du Lemps imparfait (deux semibrèves).
Anulogie dUlls les formules par lesquelles sont lnesurées les données,
aillsi que dans les données mêmes. Si d'ailleurs la lente variation du
lenol', de laquelle tout dépend, risquait de passer inaperçue, d'autres
signes d'affinité rendraient manifeste le rapport que Dufay a institué
entre les différentes parties de sn messe. Car l'agréable prélude que le
soprano et le cOHtratenor ont façonné dans les premières mesures du
Hyrie, se renouvelle au commencement de chaque pièce. Il y a ainsi
deux degrés dans la révélation de l'enchaînem.ent que l '~uteur a minu-
Ijeusement réglé. Ce principe de continuité observé, il n'avait plus qu'à
prendre soin cl 'être divers. Pour y parvenir, il semble qu'il se soit refusé
le secours de l'improvisation, et qu'il ait renoncé aux élégances vul-
gaires. Point de phrases où l'harmonie s'écoule avec une suavité trop
(1) D. T. O., XIX, 1912, p. 17.
(2). J. Gobellinus, PH sccundi commentarii, 1584, pp. 352-367.
78 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
facile, point Je lignes étrangement rompues, mais utilisation réfléchie
des quatre voix, fréquemment opposées deux par deux, ou conduisant
vers la cadence lointaine par un contrepoint travaillé.
Les cOllclusions sont vigoureusement affirm,ées (Gloria, mes. 84-89),
mêlées parfois d'accords de septième ou de quarte et sixte (Sanctus. mes.
21 et 75). Jamais sans doute Dufay n'a plus richement inventé qu'en
cette messe. Il y admet cependant quelques réminiscences, mais choi-
sies : ainsi, le soprano de l'Osanna (p. 38) répète l'allègre motif de Franc
cœur gentil (cf. p. 44, mes. 68).
Dans la messe Ecce ancilla Domini, l'essor des mélodies est aUSSI
bien favorisé par les impulsions du ryth:me, que par l'attraction tonale.
Reconnaissables dans les duos par lesquels commence chaque fragment
de la messe, les premières mesures du Kyric semblent promettre que
toute cette musique sera nerveuse et claire. Simple d'ailleurs, même
quand deux voix au Bcncdiclu.s concertent en canon. Car c'est encore
à la logique de la gamme, que Dufay soumet le mouvement des lignes
associées. A la fin de l'Osanna il montre comment, dans une allernalive
de tension et de rémission, il sait prendre l'échelle :modale pour sujet
de contrepoint (Bruxelles, Bibl. roy., ms. 5557, fol. 57 vO-58). En celte
œuvre sans doute tardive, la solidité harmonique est quelquefois remar-
quable : recherche de plénitude ajoutée à la recherche du trait.
C'est la variété que louait Tincloris dans la messe L'omme armé de
Dufay (Liber de arte conlrapuncli, 1. III, c. 8). Dans le Kyrie, celte qua-
lité se manifeste par une continuelle création de :mélodies, où la grâce
est sans cesse renouvelée. Et la diversité des figures et des mouvements
entretient un contraste perpétuel avec un iCHor morne et rude, qui sans
doute sert ici pour la première fois de sujet à une messe (1). Trois voix
sont engagées au service de l'imagination, pour voiler ce thème pesam-
:ment raisonnable, ou pour détourner de l'attendre, avant qu'il sur-
vienne. Dans les jeux en dialogue (voyez le Christe), aussi bien que dans
les épisodes plus denses, le superius l'emporte par une infatigable fa-
conde. Tantôt, l'abondance y lasse ou elle y prévient tout désir, et tantÔt
des avances entrecoupées y raniment la curiosité. Comme pour affirmer
(1) J. Tiersot, La chanson populaire en France, 1889, p. 453. Voir pour le texte
de la chanson O. J. Gombosi, Bemerlmngen ZUT' L'homme armé-Frage (Z. f. Mw.,
X, 1928, p. 612).
GUILLAUME DUFAY
que ce discours n'esl tissu que de fantaisie, les velléités d'imitation au
commencement du dernier Kyrie, tombent aussitÔt qu'aperçues.
Bien que l'Et in terra ad modum (ubac ail été recueilli déjà dans un
manuscrit d'Italie, peut-être l'allusion instrumentale qu'il contient se
l'apporte-t-elle à une particularité ùe Cambrai. A l'horloge de la cathé-
drale, les heures étaient annoncées par un automate en figure d'ange,
qui semblait souffler dans une trompclle. D'après un compte de répa-
ration à cette mécanique, c'est par 4 tuyaux qu'elle émettait sa fan-
fare (1). Quatre notes ont suffi pour former les 2 parlies d'accompaglle-
ment. Là-dessus, deux voix d'enfant entretiennent un canon, dont la
gamme d'ut fournit les éléments (D. T. O., VII, 1900, p. 145).
Les prières à la Vierge ont assez souvent inspiré Dufay. Il en a parfois
présenté le texte avec une extrême simplicité. Un Ave regina (Oxf., fol.
()~) où les 3 voix sont fréquemment associées en faux-bourdon n'a un
peu d'animation que par les cadences du soprano. C'est aussi le dessus
qui est actif en Flos florum, mais ici l'abondance et la diversité des traits
entretient l'enthousiasme des louanges (2). Dans lnclila stella maris
(Bol. 37, fol. 195 vO-196), le musicien a cru méritoire de s'évertuer à
résoudre un canon. Le premier soprano en propose la figure. Sous celle
eontrainte, les motifs ont pourtant de l'ampleur ou de la vi vacHé. Le
travail est assez serré dans Anima mea liquejacta est où les deux voix
supérieures annoncent la mélodie principale qui, exposée à la basse,
est un chant liturgique. L'Ave virgo à trois voix est aussi établi sur
un tenor rigoureux duquel dépendent la ligne bien balancée du dessus
et les accents du contratenor. Dans l'Alma redemptoris maler, à 3 voix,
la mélodie grégorienne paraît au soprano, avec quelques vocalises
(stella, prius) , et des accords solennels soutiennent les invocations
finales (3). L'Ave regina que Dufay aurait voulu entendre au moment
de mourir est fondé sur le texte rituel, articulé par le ténor. Mais
d'abord le soprano et l'alto, puis l'alto et la basse saluent la reine des
cieux librement et tendrement. Ces épanchements de la prière person-
nelle se changent en appels anxieux quand l'auteur se recommande à
(1) Le document est de 1459, mais se rapporte à un éLat de choses antérieur
(cf. L'exécution musicale, dans le Compte-rendu du premier congrès de la Soc. ln-
ternat. de musicologie, 1930, p. 63).
(2) H. Bcsscler, G. Dufay, Zwolj geisll. und weill. Wcrlce, 1932, p. 5.
(3) Ces compositions ont été publiées dans les D. T. O.. XXVII, 1920. L'atld-
Lution d'un Salve regina (D. T. O., VII, p. 178) à 4 voix a été conlcstée dans un
travail analytique remarquablo (oK. Dèzes, Z. J. Mw. X, p. 327).
.;
1 '
'.'
80 HISTOIHE DE LA MUSIQUE
la Vierge, se désigne à elle par son nom, dit sa détresse, et assombrit
par un bémol imprévu le mode ecclésiastique régulier (1).
Ces molels solennels ou émouvants avaient été préparés dans l'ac-
complissement du devoir quotidien. Comnl,e un serviteur qui pare
]'autel selon la couleur du jour et le degré de la fête, Dufay a diligem-
ment orné les chants de l'ordinaire et les a pourvus d'un accompagne-
ment suave et discret. Dans ses hym,nes en faux bourdon, il respecte la
mélodie liturgique assez pour la laisser reconnaissable, tandis que
l'effusion u~usicale de sa piété l'entraînerait à embellir outre mesure le
slljet. r~légantes el, prudentes, ses gloses olldulent au-dessus des accords
IIl1irurme~, C'est lh qu'il est ·le plus facile de saisir quels sont les élé-
mCllts rythmiques ct linéaircs de ses variations. En d'autres hymnes,
Uli le sapcl'ias produit aussi la ligne essentielle, il y a plus de liberté
dans l'accompagnement. Les mouvements du tenor sont remarquables
dans Hostis IICl'odcs (D. T. G" VII, p. 1G2). Il en est de mêIlle pour
celte voix et pour le contra, dans Vexilla regis (ibid., p. 1G8). Sans
doute à cause de leur simplicilé, ces pièces ont été conservées en plu-
sieurs manuscrits.
Dans les Magnificat, l'indigence des données psalmodiques est telle
qllo l'interprète se condamnerait à la monotonie s'il se réduisait à les
énoncer. Deux de ces cantiques ont été publiés (ibid., p. 169 et p. 114).
Cert.ains versets, il est vrai, sont traités avec fidélité. Mais l'harmonie
pleine ou le (( faulx bourdon » y prennent une valeur de contraste,
après les phrases 011 chacune des 3 voix poursuit un discours fleuri, ou
é1près les épisodes à deux parties qui comm,encent en imitations. Un
Magnificat inédit (Montecassino, ms. 811, fol. 42 vO-44), a été ménagé
avec le même souci d'opposer au jeu des lignes fuyantes (Et exultavit
en ch.io) la masse des accords fermes (Quia respexit à 4 parties) après
llll exorde harmonieux et agréablement cadencé.
Des emprun ts au plain chant apparaissent encore, outre ceux qui
ont été déjà signalés, en des fragments de messes. Dans un Kyrie de
apostolis (D. T. G., XXXI, p. 80), le soprano gouverne le faux-bourdon
en ajoutant bien peu de chose à la cantilène. usuelle. Il en est de même
pour un Et in terra (p. 81) où un contrepoint à 3 voix alterne avec la
monodie des chantres (messe de la Vierge). Un procédé semblable est
employé dans un autre Et in terra (D. T. O., VII, fac-simile n° IX).
(1) Ed. par IIaber1., Bausteinc, 1888.
GUILLAUME UUFA y
{jne allusion grégorienne sc distingue aussi dans un Kyrie de la messe
de Saint.-Jacques (1) et le titre de la messe Ave regina indique stiffisam-
n~enl que l'antienne connue en dét.ermine l'unité (2).
Parmi les chansons de Guillaume Dufay, il en est une où il se l'il du
code et de la musique, Juvenis qui puellam Hondum septennem
duxit (3). Le style judiciaire y est tourné en ridicule par cet étudiant en
décret qui prononce Mandamus avec gravité, déclare majeslueusement
Contra vos aruuilur, et sait expédier les considérants en faux-bourdon.
Cette recherche du comique est bien rare chez le compositeur. Ce qui
s(~mble dominer dans ses chansons, ce sont les plaintes d'umour. Se la
face ay pale, la cause en est amer)' Ci languis en piteux mal'tire; Je
donne a tous les amourcu:r:, pour estrines une soussye. Il évoque les
peines de la captivité (Puisque celle qui me tient en prison), de la mé-
(lisance (Je n'ai doubte), de l'injustice (Belle, que vous ai-je mesfait ?),
de l'absence (Pour ce. que veoir je ne puis) (4) qui est mortelle (Helas, et
lJuant vous verl'a.y, Bibl. nat., fr. nOllV. acq. 6771, fol. 89 VO). Il con-
naît la douleur d'êlre percé par un « darL pénétratif » (ibid., fol. 98). Il
célèbre la patience (J'atendra}' tant qu'il vons playra) et la fidélité (J'ay
mis mon cuer). Mais il sait aussi louer La dolce vis/a dcl tua viso (Bibl.
vat., Urb. lat. 1411, fol. 11 vO-12), L'alla belleza tua (Oxt, fol. 40 va),
el il admire la « belle, plaisant cl gracieuse, gente de corps et amou-
reuse » (ibid., fol. 91 VO). On croiraiL qu'il a chanté la chronique de sa
Lendresse gémissante ou comblée, et l'on admettrait volontiers qu'il a
terminé par des actes de renoncement, Je ne puis plus ce que j'ai pu,
et Je ne suy plus tel que souloye, élant devenu « viel et usé ». « Et
m'onl les dames refusé, car plus servir ne les porroye... jeunesse me
fauIt et monnoye n. Il aurait même eu le courage d'écrire : Je prens
congié de vous, amours;... adieu vous dy, plus n'ay de cours (ms. 6771,
fol. 109 VO). Mais celte Confessio amantis est feinte, du moins en grande
partie, et les aveux en ont été rédigés par procuration. A la vérité, les
vers de Craindre vous vueil rapprochent, par acrostiche, les noms de
Caterine et de Dufay. Mais, en Mon cuer me fait tous dis penser, le
(1) ..... Schering, Gesch. der Mus. in Beispielen, 1931, nO 39.
(2) Cf. H. Besseler, Die Mus. des MitleJalters etc., p. 216, où est cité un passage
imp'ortant.
(3) TranscriL par J. Wolf (Gesell. deI' MensuraI-Notation, III, 1904, p. 86).
(4) Ces chansons ont été analysées pal' M. Van den Borren (nufay, 1026).
li
82 HISTOIHE DE LA MUSIQUE
mÔme artifice associe Maria et Andreas. En Las, que fCl'ay CI'autre part,
il semble que ce soit une amante abandonnée qui parle.
De même, il ne s'engageait que par jeu dans ces chants d'étrennes
où il se .voue de cœur, de corps et de biens à une maîtresse élue pour
l'année. Le sentiment personnel est sans doute plu8 actif en ses chants
de mai. Et cependant il y travaille aussi sur comm,ande : Je veul chanter
de cuer joyeux (Oxf., fO 33 va) est, d'après les initiales des vers, l'hom-
mage d'un cerlain Jehan de Dinant à celle qu'il aimait (1). Mais il lui
suffit d'annoncer « le temps joly Il (Hé, compaignons) , pour chasser
« merancolye II (Ce moys de may) et faire danser son contrepoint. De
« cuer gay)), il convie à réciter « ballade gracieuse)) quiconque veut
gagner, en ce prem,ier jour de mai, le « nom de vrai amant 1) (Ce jour
le doibt). Le (c prince d'amours Il est cUé dalls cette chanson qui est
ainsi un témoignage des offrandes poétiques et musicales dues à la
cc cour amoureuse» au commencement de mai (2). En Resvelons nous,
il invite les amourelix à chanler un virelai pour leur dame, en allant
au bois « cueillir le may ». Il accompagne leur marche d'un refrain
rustique : (c Allons en bientôt au mai )l, courte psalmodie qu'il répète
obslinément cl qu'il multiplie encore par un canon.
Par cet heureux mélange de rigueur el CI'abandon, Dufay prouve
qu'il aime à construire, d'abord, élanl cerlain de pouvoir ajuster ses
phrases Ics plus souples sur les raison nemen 18 les plus sévères. A l'in-
verse, dans Par droit je puis, la Juga esl cntrcl,elluc pur des moUfs mélo-
dieux, tandis que l'accompagnem,ent n 'y est que soutien d'harmonie.
Des imitations de moindre porlée sc rencontrent au commencement d'au-
tres chansons. Elles prolongenl la vigueur du premier motif, en Franc
CUCUl' gentil, en Pouray je avoir, en Bon jour, bon mois, en Ce jour de
l'an. En Navré je suy d'un dart pénétratif (déjà cité), ce sont les notes
d'un appel guerrier qui sont ainsi répétées d'abord (3). Le même appa-
reil militaire esL encore employé en Donnez l'assault par un facile artifice
(début, et mes. 34-37) et, sans que les paroles l'expliquent, à la fin de Se
la face ay pale. Mais les redites des différenles voix animent à propos
(1) Peut-être un parent du ménestrel Jean de Dynant qui, ayant servi les ducs
de Bourgogne, reçut une pension le 25 mai 1409 élan L Ilgé, pauvre et affaibli (Coll.
de Bourgogne, 58, fol. 42). - Pour d'autres acrostiches de dédicace, v. E. Drol,
R. d. M., XXI, p. 48.
(2) cr. La mu.ç... sous Charles VI, p. 24.
(3) Un motif analogue parait dans l'anonyme Soujiee lo,', povre euer dolereux
(Bibl. nat., ms. fr. nouv. acq. G771, fol. 98 va).
GUILLAUME DUFAY
(1 chantons, dansons» en Ce moys de may, et le commentaire est pro-
fond quand les voix achèvent « ce {ait jonesse Il en reprenant un motif
vif, mais attristé par le mode et bientÔt alangui par le rythme (Je me
complains).
Que les instruments aient été utilisés pour exécuter les chansons de
Dufay, de nombreux préludes clairement définis le démontrent d'abord.
Ces introductions sont parfois très courtes, et ne servent qu'à indiquer
la tonalité. Une formule modale descendante suffit avant Dona, i ardenti
ray. De même, une variation sur la gamme montante prépare à la plainte
de Helas, ma dame par amours. Une mélodie fort simple et bien rythmée
annonce L'alla belleza. Dans un de ses premiers essais, cependant, le
musicien modèle sa phrase d'exorde avec plus de recherche, et la ter-
mine par des triolets (Resveilles vous, pour Carlo Malatesta). Il use aussi
de triolets au commencement de Passato e il tempo. Mais, tandis que
l'attention est ici excitée par la volubilité du dessus, c'est le secundus
qui énonce le motif principal accompagné de dissonances, pour disposer
à entendre Je me complains piteusement.
Après qu'ils ont averti, les instruments accompagnent le chant des
paroles. Il est nssez difficile de déterminer s'ils interviennent dnns la
suite de la chanson. Il serait trop simple d'assurer que tout fragment
de superius où des syllabes ne son t pas inscriles doit être joué. En cer-
lains manuscrits, ces trails semblent libérés Ou lexte; en d'aulres, ils,
ont l'apparence de vocalises, développées sur la voyelle d'appui d'une
désinence féminine, l'e muet étant rejeté à la fin du mélisme. Par analo-
gie, il est permis, après une finale masculine, d'attribuer au chanteur
]a série des notes ordonnées depuis le dernier mot jusqu'à la cadence.
n faut observer aussi que des interpolations instrumentales hasardeuses
troubleraient l'accomplissement de la modulation dans la phrase chan-
tée, qui esl la principale. La répartition de ces éléments divers dépend
encore de la forme des pièces. Enfin, l'omission des paroles par les co-
pistes a pu dans certains cas être arbitraire.
Bien que les ressources de l'exécution fussent variables, une indica-
tion du composileur devait du moins être respectée. C'était quand il as-
sociait une « teneur Il latine à un déchant en langue vulgaire. Car le rap-
prochement de ces deux textes avait alors une signification. Pendant le
concile de Dâle, en 1435, le rondel « Ceste venue soit telle Il fut agencé
en contl'Cpoint sur le Da pacem liturgique. Comment apercevoir l'allu-
sion, si les syllabes des deux textes concurrents n'avaient été arLiculées P
84 HISTOIHE DE LA MUSIQUE
El pourtant, Da pacem étail sans doule en la mémoire de nombreux
fidèles. Mais Dufay emploie ùes mélodies latines beaucoup IQoins con-
nues. Son Je ne puis plus, avec Unde veniet a été déjà cité, ainsi que
Vasilissa, ergo gaude, avec Concupivit rex.
Dans Tres pileulx, de toul espoir fontaine, la coalition du français el
ùu latin n'a d'efficacité que si les deux forces intelligibles se manifes-
tent. avec une égale clarté. A la supplication en langue vulgaire corres-
pond la plainte empruntée à Jérémie, Omnes amici ejus spreverunt eam.
Dans le manuscrit de Florence où elle est anonyme, cette cOIQPosi-
tion a pour titre Lamentalio sanclae malris ccclesiae conslantinopoli-
tanae (1). Elle fut chantée pendant les fêLes commandées pal' Philippe le
Bon, pour le Vœu du Faisan, au commencement de 1454. La capitale
de l'empire grec ayant été prise par les musulmans, l'église représentée
par une femme vêtue de satin blanc et montée sur tin éléphant vint
nire sa désolation.
Larnentatio jandae malrÎ:, ecc.esiae con~tantinopoilanae.
Très p/éeu!,x, de/out espoir Ion·· tai ... .... ' ne, Père du fils
dO/l!JUIJ mere eSfJ/ore' ..
l l l
drt> me vIens ri ta cour JOU- ve - rai ... ne
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/les ami CI e - jus
/Je la puis JiJnce et de nature
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(1) Le nom de Dufay est fourni dans le ms. 871 de Monlccassino, fol. 150 YO.
GUILLAUME DUFAY 85
ont sovffert teIle dvrle vil/ai .... ne Faire
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à mon li/.5 'lVI m'a tant ho -
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=u:-r- . -cr
ni .... bwca riS
--r:r.e _ _ _
.0.- =n..
On entendit aussi pendant le banquet Je ne vis onques la pureille.
Un « jeune fils » à la robe de velOllrs cramoisi en prononça le dessus,
et la « teneur » fut assurée par un cerf blanc à la ramure dorée, qui
portait l'enfant (1). Il est probable que c'était l'œuvre de Dufay, con-
servée en plusieurs manuscrits el publiée en 1904 (2). La parI. accordée
à Dufay en ces intermèdes musicaux ful sans doute plus importante.
Sans risquer de lui attribuer à torl cl 'autres œuvres décrites par les cluo-
niqueurs de ces journées fameuses, on lire de leurs récits cles remarques
fort utiles sur la manière d'exécuter une musique analogue à la sienne,
même si elle ne fut pas de lui. Sur la lable principale avail élé placé le
simulacre d'une église, avec une cloche, el 3 enfanls a vec une t.enem'
y formulèrent d'abord une sorle de très plaisant Benedicite. Dans le
même décor, il fut jOllé des orgues fort doucement, ct des chantres y
exécutèrent un motet.
Un énorn:~e pâté avait. élô aussi façonné pour être l'abri de la musique
profane. De là, trois douces voix modulèrent La sauvegarde de ma vie.
Plus tard, un luth y accompagna deux honnes voix. Le luth encore, et
(1) Bibl. naL, ms. fr. 5739, fol. 188.
(2) Anon. en D. T. O., XI, p. 102. L'allrihution à Dufay esl dans le ms. 871 de
Montecassino, fol. 29 vo.
86 IIISTOIlΠDE LA MUSIQUE
les violes des deux aveugles qui servaient le duc de Bourgogne, soutin-
rent le chant de damoiselle Pacquetle qui appartenait à la duchesse.
Vingt-huit joueurs d'instruments enfermés en ce pâté se signalèrent
tour à Lour, seuls ou par groupes. La muselle d'un berger résonna
( moult nouvellClnent»; Ull cornet d'AllClllagne, « l'l'oult esLrungc-
ment »; l'ensemble de quatre nûtes, « moult mélodieusement »; la
« baleure » de 3 clairons, « moult hautement ». La concordance d'un
luth, d'une « douchaine » el d'un autre instrument. non désigné fut
très douce ù ouïr. Il y Cil!. aussi Ulle !.rès joyeuse aubade de 3 tambou-
rins, ct pour finir, lne chasse où relenlirent les lrompes (1).
En toute celle musique soumise ü des formes bien diverses, Dufay
n gardé une singulière unité de st)'le. Il aime à procéder par larges pé-
riodes qu'il oppose avec_ un sens délicat de la s)'métrie. Il les déroule,
il les achève sur des accords provisoires, el en dirige la suite vers la
noie finale du mode où il écrit. Le secret de son développement n'est
souvent que de différer, par de captieuses incidentes, l'arrivée à ce terme
prévu, ton décisif qui est comme le vcrbum par lequel, selon Gasparino
da Bal':t;j:t;,m CI" IlJan, il est IOlahle de conclure la phrase liUérnire. Celle
abondance 1'ég'lée, 011 croirnil. volontiers qu'il en connut les ressources
en interrogeant les maîtres italicns de la rhétorique renaissanle. Et
J'ordonnance mt~me de SOIl discours pourrait n'être qu'une application
q la musiquc de la doctrine professée par Barzizza. Là encore, il aurait
appris que la mUo numcrorum doit se rapporter aux affections de
l'âme, d'après ce (lU 'elles exigell t de hâte ou de gravité (2). Avec Leo-
nardo Bruni, il aurait aussi dist.ingué ces COlt CCli Lus 'que le simple lan-
gage laisse déjà percevoir, quand la voix d'un lect.eur monte 011 s'abaisse.
Par la distribution calculée des périodes, il s'efforce peut-être de sup-
pléer à l 'absen~e de mouvemel1l, poétique dans le texte des messes parce
que, dans un traité dédié à Batlisla Malat.esla, la parente de Cleofe, Bruni
a observé que ce défaut du rythme porte à l'assoupissement (3). Même
avec le contrepoint entrecoupé du « hoquet », il essaie d'organiser
comme une strophe la série des motifs alternés. Le souci du nombre Re
manifeste jusque da,.ns ces passages où, comme pour accélérer la réci-
(1) Voy. la Chronique de Mathieu d'Escouchy, n, 1863, pp. 122154, et les Mé-
moire.ç d'Ol. ùe la Marche, II, 1884, pp. 348-363.
(2) Opera, éd. de 1723 (De composilione, p. 4 el p. 13).
(3) De sludiis el litleris, od. de 1642, p. 8 cl p. 26.
. ~
1
f.
1
1
t
GILLES BINCHOIS
talion dans La belle se siet (1), il semble avoir recours à l'élocution sac-
cadée des ({ chanteurs en place » ou des canlambanchi diseurs de lé-
gendes, qu'il avait entendus en sa province ou pendant ses voyages.
Chanoine de Cambrai, Dufay exerça souvent le privilège de l'ab-
8ence. En 1440, cependant, il était dans la ville. Le 27 juillet 1442, il
assist~it li l'assemblée capitulaire (Nord, G 7152, fol. 2). Le 23 octobre
1443, il désignait deux mandataires pour recevoir à Bruges les 20 écus
transmis pour lui à la han que des Borromei par le marquis de Ferrare
(ibid., fol. 122). A l'heure de la 11l0rt, en 1444, sa mère eut la conso-
lation de le trouver près d'elle (ibid., fol. 143 va). Pendant l'année 1444-
1445, il fut maître de l'office des petils vicaires (Nord, G 1447). En oc-
tobre 1446, il fut chargé d'une mission à la cour de Bourgogne (Cam-
brai, ms. 1058, fol. 80). En 1448, il était maHre du cellier capitulaire
(ibid., fol. 155). Le 21 avril 1452, il reçut une gratification de 60 écus,
proptcr virlulcs cl rncrita, ayanL décoré l'église par ses chants musicaux
(ms.. 1059, fol. 21 VO). Après un voyage, il reparaît vers la fin de 1458
(ms. 1060, fol. 29 va). Il reprit la direction des grands et des pelits vi-
caires au mois de juin 1459 (ibid., fol. 49 va), office qui lui fut encore
confié ell 14GO, avec ccliii du four el la garde des clefs du peLit coffre
(ibid., fol. 84 va). JI administra encore les grands et petits vicaires en
14G2-14G:3 (Nord, G .1129), fut préposé ;l l'aumône en 1463, 1464 ct. 1465
(ms. lOGO, fol. J.72 vo, ] 97 et 217) et conserva les clefs du petit coffre
en 1466 et 1467. (ibid., fol. 245 et 265 VO).
Il mourut à Cambrai le dimanche 27 novembre 1474, n,yant pendant
6 à 7 semaines subi les soins de Jean le Duc, chirurgien et barbier qui
le visitait chaque jour 2 fois, « Louchant la maladie qu'il avoit ès gam-
bes et ailleurs )) (2).
Le père de Gilles Binchois était Jean de Binch, bourgeois de Mons (3).
Un personnage de ce nom avait en celte ville assez de c011lpétence en
affaires pour être employé par le comte de' Hainaut et par le chapitre
de Sainte-Waudru. Il est cité en des actes depuis 1396. En 1410, il était
conseiller de Guillaume IV, et il conserva cet office près de sa fille Jac-
(1) Stainer, p. 122. - Une bibliographie suffisante des œuvres de Dufay n'a pas
encore été publiée. Quelques chansons de Dufay ont été données pnr G. Thibault
en. d. M., XI, p. 97). .
(2) Nord (Testaments, nO 260).
(3) A. Demeuldre, Le chapitre de saint Vincent à Soignies, 1002, p. 111 (cf. E-
Closson, Rev. de Mus., VIII, 1924, p. 150).
88 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
queline en 1417 (1). Fils d'un homme estimé des princes, Gilles de
Binch n'aurait appris à chanleI' que par manière de passe-temps, comme
Boucicaut, comme le fils de Christine de Pisan. C'est bien près de Mons
que Froissart écrivit vers 1383 son Mclyador où l'on « entame », si vo-
lontiers « rnptet, chanson ou virelai », d'une voix cla,ire (2). Jean de
Binch avait renoncé pour se consacrer aux intérêts de Jacqueline, à
servir les seigneurs qui l'avaient consulté jusqu'alors. Mais Gilles avait
gardé la liberté de choisir à qui s'attacher. Il avait peut-être 'paru
d'abord à la cour, lorsque Jean duc de Touraine était le mari de Jacque-
line. Jean (t 1417) avait des pages et 4 ménestrels avec letir trom-
pello (3). Gtiillaume payait un « roy des ménestreux », Jehan Partalls,
cité de 1410 à 1413. Hanelet qui reçut une pension en 1407, était sans
doute Hanelet Tieuskin, vêtu de deuil à la morl d'Albert de Bavière
(1404) ainsi que le trompelte Amant el le harpeur Coppemall. Un har-
peur est encore signalé ,en 1416 (4) et en 1421 (4 bis).
La première mention connue de Gilles Binchois est de l'année 1424.
Il était alors à Paris. Dans une chanson où sa mémoire est célébrée, il
est dit que « en sa jeunesse fut soudart de honorable mondanité» (5).
11 avait sans doute suivi quelque grand seigneur à la guerre. Oswald
von Wolkenstein, son aîné de quelque 20 ans, courut ainsi les aventures,
poète, musicien, homme d'armes et serviteur du roi Sigismond. En
ces années de détresse, la musique profane avait chez les vaincus perdu
de son éclat. Après Azincourt, plus d'une belle refusa d'entendre harpe,
orgue, douçaine, luth ou échiquier. Mais Ja pratique des instruments
avait été si florissante que les bons artistes étaient encore nombreux.
Jusqu'à sa mort (1415), le duc Louis de Guyenne avait négligé ses con-
seillers pour ses musiciens. Quand il reçut à sa table Nicolas de Ferrare
Je 23 août 14J4, les convives entendirent jouer « excellemment. ) de la
. (1) Léopold Devillers, Carlulaire des comics de Hainaut, III, 1886, p. 446 et p.
523; IV, 1889, p. 70, p. 82 et passim; VI, 1896, p. 48 (gratification de Jacqueline à
son « cher et féal conseiller »). Cf. A. Lacroix, Particularités curieuses sur Jacque-
line de Bavière, 1838, où J. de Binch esl mentionné plusieurs fois jusqu'en 1420
(p. 44).
(2) ]~dit. Aug. Longnon, 1895-1899.
(3) Carllliaire cité, VI, p. 42 (1417). En 1416, Jean Verdelet était près de lui
(p. 153).
(4) Ibid. IV, p. 60; V, 1892, p. 374; III, p. 245.
(4 bis) A. Pinchnrl, Arch. des arts, etc., l, 3, 1881, pp. 154-155.
(5) Dijon, ms. 517, fol. 163 va. - Montecassino, ms. 871, fol. 158 VO (attribué
à Ockeghem).
GILLES BINCHOIS
harpe, de la viole, des llites et de la cithare (1). Perrin de Sens (Pierre
Gobert) « souverain harpeur », avait servi le duc. Aurait-il été de ce
concert P Il était assez fameux pour que le comte de Savoie m,tl pendant
2 ans un enfant en apprentissage chez lui à Paris (1411 et 1412.--
Isère, B 388f> et 3892 (2). Quand le roi Sigismond traversa Paris (141G),
ménestrels et chanteurs parurent à son repas. En 1418, le chevalier du
guet se faisait précéder dans les rues par trois ou quatre ménétriers (3).
Bientôt, les fanfares anglaises retentirent aussi. Le. roi Henry avait des
trompelles et des clairons qui au siège de Melun « sonnoient moult
mélodieusement» devant sa tent.e (4). La même année (1420) à son ma-
riage avec Catherine de France, de nombreux instruments menèrent
grand bruit dans les rues de Troyes. Quand il entra triomphalement à
Paris, au mois de décembre, le roi Jacques d'l~cosse, son prisonnier,
était avec lui. Ce prince avait belle voix et il passe pour avoir été habile
sur les instruments, surtout sur la l~arpe (5). Exemple illustre, qui pou-
vait encourager quelques artistes qui n'étaient pas gens de métier. En
1415, Henri de Saxe, bachelier en médecine, avait été reçu organiste
de Notre-Darne (Arch. naL, LL 112, fol. 23). Jean de Auslria, docteur
en théologie, parait se confondre avec le « théologien allemand » dont
le laIent sur la viole était reconnu, cl qui appartenait vers 1416 à celle
I( cour amoureuse » où la poésie aecept.ait le secours de la musique. Les
confrères se soumeltaient au jugement d'un « prince d'amours» expert
en m,alière de chansons et de ballades. Un chanoine de Laon, Jean
earilé, est inscrit parmi les associés. Serait-il l'auteur de Jusques à tant
(Oxford, fol. 90 VO) P Et Jean de Villeroye, surnommé nriquet, ministre
de la même cour, n'aurait-il pas su esquisser la chanson Ma seule amour
(Ibid., fol. 96 vO; Stainel', p. 82) P Au milieu de ces amateurs, le jeune
Binchois l'aurait emporlé pour sa facililé. Qu'il ait été requis de com-
poser le chant d'un rondeau pour distraire le duc de Suffolk retenu i
Paris par accident (1424), cela donne à croire qu'il avait déjà quelque
(1) L. Mirot, Autour de la paix d'Arras (Bibl. de l'éc. des charles, 1914, p. 307).
(2) C'est le musicien qui est nommé (par faule d'impression) Perrin (le Lens,
dans La mus. d Paris sous... Charles VI, 1930, p. 26. V. celle élude pour suppléer
aux références omises ici. Le « harpeur » attitré de Louis élaiL Colin (Colinct'j
Julien. Parmi les ménestrels éLaient Simonnet Fucien et Verdelet (Arch. nal.
KIK 228).
(3) Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Tueley, 1881, p. 106.
(4) Monstrelet, Chronique, III, 1859, p. 412.
(5) J. de Fordun, Scotichronicon, éd. W. Goodall, II, 1759, p. 504.
~}() IUSTOIHE DE LA MUSIQUE
renom. Suffolk qui épousa la petite-fille du poète Chaucer, el fut l'ami
de Charles d'Orléans, a versifié en français et en anglais (1). Il avait pu
choisir entre les interprNes parisiens des « dils amoureux ». Bien que
les preuves décisives manquen L encore, il esl permis de proposer pour
cerlaineR œuvres des aUributions vraisemblahles à des clercs de Paris.
L'auteur de Salve, Virgo (Oxford, fol. 114 VO), Billart, pourrait être rap-
proché d'Albertus Billardi, clerc de matines à Notre-Darne dès 1392.
Les pièces conservées sous le nom d'Adam (lbid.) seraient d'Adam Fabri,
clerc à Notre-Dame en 1415, ou d'Adam Maigret, premier chapelain du
roi en 1422. L'indication Grossin « ùe Paris » (ibid.) conviendrait à
f:tienne Grossin, chapelain de Saint-Merry en 1418, clerc de matines
à NoIre-Darne en 1421. Les compositions publiées sous ce nom n'au-
raient été accueillies que par un auditoire ind ulgent. Le trait mélodique
y est embarrassé par des notes répétées, les cadences y sont trop fré-
quentes et le faux bourdon en prépare trop aisément la conclusion (Stai-
ner, p. 172. - D. T. O., VII, p.208; XXXI, p. 7 et p. 9) (2).
L'intendant même de Suffolk aurai' sans doute essayé ùe transformer
en chants les poèmes qu'il étail chargé de lire à son maître, s'il avait
été le Guillaume Benoit qui dirigeait les enfants de chœur à Notre-Dame
en 1405. Mais cela n'esL pas démontré, et il faut être assez prudent aussi
pDur rester dans l'incertitude qllant à la personne du Benoit qui traça,
parfois avec un peu de calcul, les lignes gracieuses de la chanson De
eue/' joyeux (Oxford, fol. 54). Mais ]e Jacquet Vide que l'intendant
Benoit allendaiL à Paris esL probablement ce valet de chambre qui acheta
un pelit orgue pour Philippe le Bon en 1428 (3), et qui a lais8~ quelques
chansons. Il y est agréable et parfois émouvant à peu de frais. L'omis-
sion du conlralenor dans Las, j'ay perdu mon espincel (4), laisse mieux
apparaître la faiblesse du procédé harmonique. La symétrie des courtes
phrases en sixtes est aussi monotone dans Vit encore ce faux dangier,
mais les lignes en sont façonnées avec plus de recherche. En d'autres
(1) Henry Noble Mac Cracken, An English friend of Charles of Orléans, 1911.
(2) Dans l'Et in terra du dernier recueil (p. 7), la dernière syllabe de volunlalis
esl prononcée sur un accord de quarte el sixte. La seule vocalise de la pièce est
chantée par le soprano, sur la tenue des deux autres voix (A-men). Les invocations
sont prolongées en poinls d'orgue. Dans le Patrem (p. 9), le soprano seul est
pourvu de paroles. .
(3) Yander Straelen, La musique aux Pays-Ba.q, YII, 1885, p. 59.
(4) J. Marix, Les musiciens de la cour de Bourgogne au xY' s., 1937, p. 23. Les
compositions citées ici sans référence bibliographique se trouvent dans ce recueil.
GILLES BINCHOIS 91
pièces, on remarque une cerlaine diversité rythmique. Tandis que les
répétitions de notes sont souvent chez ses contemporains des témoi-
gnages d'indigence mélodique, Vide les emploie pour déclamer les pa-
roles sur lesquelles il prétend insister : par exemple, dans Puisque je
11 'ay plus de maistresse et dans Espoir m'est venu conforter, il y a comme
.des fragments de récitati f. Il se sert aussi avec intention d'accords pro-
longés (Il m'est si oricf, 1)osll'C dcpnrl) (l).
Binchois ne larda pas à rejoindre Vide à la, cour de Philippe le Bon.
La date de son admission parmi les chapelains n'a pas encore été re-
trouvée. IVlu.:s on sait qu'il célébra par un motet la naissance d'Antoine,
premier fils de Philippe et d'Isabelle, né le 30 septembre 1430 (2).
II fut ainsi collègue de Richard de Dellengues et de Pierre Fontaine. La
chanson publiée sous le nom de Cardot (Stainer, p. 85) semble attester
.que Dellengues entreprit de composer sans avoir beaucoup étudié. Fon-
taine a laissé plusieurs chansons écrites sans prétention, mais bien tour-
nées et d'un sentiment juste. Il est sombre en Mon euer pleure, mais
-des yeulx me faull rire. La mélodie s'épanouit aisément en De bien
-arner, où quelques noles répétées reprises à chaque voix marquent la
résolution de « ne cesseruy » (J. VoH, Gcschichtc der Mensurai-Nota-
tion, III, 1904, p. 83). Le tCHOI' y est fort calme, ainsi qu'en Sans faire
-de vous dcpal'tie. L'adresse au « Prince » permet de ranger la très sim-
ple Pastourelle en un vergier parmi les chansons destinées à la « cour
-amoureuse ». Ji son plaisir volcllticrs serviroye est un engagement de
fidélité chanlé par trois voix d'homme. Pour vous tenir en la gracc
-amoureuse se rapporte distinctement aux fêtes du rr mai. Un seul
chanteur (registre du ténor) y est accompagné de deux instruments. Un
même tenor qui s'écoule doucement est ainsi proposé, pour la première
-strophe de la chanson et pour la seconde. Le contratenor accentué, dis-
tendu, est aussi répété sous la mélodie nouvelle de Mon doulx amy,
,tenes vous tout temps gay. C'est encore pour une voix d'homme que
Fontaine a composé J'aym,e bien celui qui s'en va. Le tenor est dépourvu
,de paroles et il est prescrit de jouer le contra sur la trompcLLe.
En certaines de ses chansons, Binchois se maintient dans l'aimable
(1) De modestes essais d'imitation paraissent dans Qui son cueur met a dame,
·écrit pour trois voix d'homme (D. T. O., XI, p. 94). Dans le ;ms. fr. nouv. acq.
4379 (fol. 84 vO-85), des versets à 3 voix de Nunc dimitti. sont attribués l
J. Vuide.
(2) J. Marix, ouvr. cité, p. XV.
92 HISTOIRE DE LA MUSIQUE
médiocrité que ses collègues chez Philippe le Bon n'ont pas dépassée..
Avec l'application timorée d'un novice, il mulliplie les cadences uni-·
formes du soprano chaque fois que le tenor les admet dans Adiell'
m'amour et nta maistresse. Le souffle est bien court aussi en Joyeux'
penser et souvenir (Oxford, fol. 49 va), ainsi que dans L'ami de ma dame'
(D. T. O., VIl, p. 243) et dans Je me recommande humblement
(D. '1'. Ü., XI, p. 71) où l'extrême simplicité s'allie à la gentillesse. En
Qui veut mesdire, si mesdie, le balancement des phrases est de même'
interrompu par de fréquentes conclusions marquées par un essai d'orne-
mentation.
Binchois observe non seulement la chute des vers en ses mélodies,.
mais il consent fréquemment à réciter, sans chanler. Beaucoup de ses-
pièces commencent par des notes répétées, et cette déclamation nulj-
mentaire apparaît encore clans le développement. En chaque vers·
d'Amours ct souvenir, 1es premières syllabes sont prononcées sur le·
même t.on. L'admonestalion aux Filles a marier est d'abord comme·
parlée. Le même procédé se remarque dans les deux parties de J'ay tant·
de deul, dans les passages émouvants d'Anwreux suy (Oxf.), et dans Sc
je souspire, plains et pleure. En Deul angoisseux, le vers de Christine de'
Pisan « Ctier doIOl'eux, qui vil obscurement» est dit presque sans mo-
dulation; le Tl'istre plaisir d'Alain Chartier est d'abord interprété avec
la même sobriété (1); ct Charles li 'Orléalls a peut-être approuvé la dis-
crétion d'un musicien qui lui emprunta Mon cuer chante joieusemenl'
sans brouiller pnr ses vocalises les déclarations essentielles. Mais la ri-
gidité de Seule csgarée de tout joyeulx plaisir n'est sans doute qu'un-
témoignage de gaucherie juvénile.
Il échappe d'ailleurs à la contrainte du chant syllabique, lorsqu'il:
éprouve avec force le sentiment suggéré par le texte. Les lignes sont-
flexibles ef. largenl,cnf. dessinées dans sa grande plainte Ay, douloureux,
disant hélas, où les dissonances ajoutent de l'amertume, et où l'affliction.
a de si lourds accenf.s.
La première phrase de Plains de plaurs ct gem.issemens (Slainer,.
p. 77) est longue élllssi, ainsi que l'imprécation dout l'infidèle est l'objet,
en Esclave puisl~il devenir.
. Une cerlaine continuité de souffle, la justesse et la liberté d'invention
ont animé les œuvres par 1esquelles Binchois a mérité d'être appelé le'
(1) E. Droz el G. Thibault, PoèLes eL musiciens du xvO siècle, 1924, p. 27 el p. 29:.
GILLES BINCHOIS 93
'H père de joyeuseté ». Trop souvent attentif ù découper ses chanls par
menus morceaux pOUl' plaire à sa clienlèle, il s'est quelquefois laissé
-e)~porl.er par sa fanlaisie, il y a de l'élan, de la grâce et qüelque am-
pleur dans Je loue amours, et de bien jolies périodes sont heureusement
développées en De plus en plus se renouvelle, en A dieu, THon joyeux
-sou.venir (SLainer, p. 80 eL 74), aillsi que dans Se j'eusse un seul jour
d'espérance (D. T. O., VIT, p. '.:245). La dernière de ces chansons a été
·composée pour le mois de mai, peut-être au temps où le müsicien n'était
pas encore ~i la cour de Bourgogne, puisque le personnage dont il inter-
prète le désir deviendrait s'il élait exaucé le plus heureux « homme de
France » (1).
Tolites ces œuvres sont d'une faclure très simple. Les imitations qui
. s'y trouvent sont facilitées par le calïlcll~l'e des motifs. Le contratenor
·est souvent distendu et sacc,HM, tandis qlle le tcno,. avance d'un mouve-
ment égal et mélodieux.
« Servant Dieu en humilité », comme l'écrit l'auteur de son éloge
funèbre, Binchois n'a cependant pas renoncé à toule « ~onùalliLé » dans
sa musique religieuse. Son langage cl 'église esL en général aussi fleuri,
aussi découpé, aussi vif que son langage profane. Fréquemment, il ne
s'est préoccupé que d'imaginel' d'agréables tirades, et de les clore avec
'coquellerie. Dans trois El in terra pübliés en 1924 (D. T. O., XXXI,
pp. 42-4G) le soprano seul est vocal. Des paroles ne sonL indiquées aux
deux autres parties que dans une de ces pièces, pour les invocations en
lenLs accords avec points d'ol'gue. L'allègre litanie du soliste est d'ail-
leurs agréable, élégante, et ne pèche guère que par excès de hâte fami-
lière. L'accompagnement du moins esl plus calme que dans les chan-
sons. Il y a ~ème beaucoup de force expressive dans la clameur étrange
el redoublée où le contratenor passe d'une nole élevée aux notes les plus
graves sur deprecationem (p. 45, mes. 73-78).
Dans un autre Et in term (Cambrai, ms. 11, fol. 18 vO-ID, anonyme,
l'attribution à Binchois est fournie par le ms. 87 de Trente, fol. 150),
les lignes flexibles du soprano ornent un tenor d'une majesté liturgique
eol un contra soutenu. Les épisodes à deux parties entretiennent la va-
riété de la composition, sans dcmner de retard à l'actif dessus, soulevé
(1) Dans Je me recommande (ibid., Xl, p_ 71), la femme implorée est dite « la
plus douce de France ». Dans Bien viegnallt, ma ires redollblée', est évoquéo llu8si
« III plus gracieu~e de Franche» (an.).
Pirro - Histoire de la musique
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  • 1. CHAPITRE II GUILLAUME DUFAY. - GILLES BINCHOIS. - JOHN DUNSTABLE. Il n'est pas encore possible de déterminer où et quand naquit Guil- laume Dufay. S'on nom est trop répandu, pour qu'il soit permis de le relier aux personnages de son temps qui s'appellent comme lui. Il serait vain, Rans preuves supplémentaires, de le rattacher à la famille de ce Regnault. du Faï qui enrichit l'église Saint-André à Saint-Quentin, d'une fondation dite «, cantuaire » (1423) (1), ou bien de le croire apparenté à Jean du Fay, chapelain à Saint-Amé de Douai, mentionné entre 1408 et 1424 (Nord, G 15, fol. 4 vo , 47, 51 vo , 102, etc.). Et il ne suffirait pas, pour établir qu'il était de Cambrai, de rappeler que Jacques de Fayl fut chaIlaine à Sainl-Géry de celle ville en 1361 (2), que Jean dou Fayt répara pour 12 sous des « tuyaux » à la cathédrale en 1380' ou 1381 (Nord, G 3831, fol. 11 va), et que Gillot du Fay, quarant.e ans plus tard, veilla hors des parles de la cité (Arch. corn. de Cambrai, CC 47, l419-1420). Le plus ancien document où Guillaum,e Dufay semble être désigné est un compte d'après lequel Jean de Hesdin prêtre de Noyon reçut 77 sous pro gubernatione cujusdmn lVillelmi, antequam fuit receptus ad officium ,altaris (G 1414; 1409-1410). Celle année-là Nicolas Malin, m.aître des enfants de chœur, avait fait deux voyages pour chercher des élèves, el s'était rendu à Douai, à Lille, el à Béthune (ibid.). Dans un compte commencé à la Saint Barnahé de 1109, il est noté que, par la réception de Willemet, le nombre des enfanls est de 6 vers la fin d'aoftt, et que le nouveau venu fut pourvu d'une chape noire où 2 aunes 1/2 de drap furent employées. Un Doctrinale lui ful acheté pour 20 sous (G 1416; 1411-1412), et le Grecisrnnm de 12 sous acquis l'année suivante pour un enfant d'autel lui fut peut-être destiné (G 1417). Bientôt après, (1) L. P. CollieLLe, MénL pour servir à l'hist. de la provo de Vermandois, III, 1772, p. 51. (2) Ursrner Berlière, Jean Demier de FayL, UJ07, p. 11 (cf. pp. 21-22). ~ 1 ..•~ 4 ~ ,~ '4 ,.4 ,~ .~ ..~ .~ .~ .~ ~ '.4 ~ .. . '.4 ~ '.:',j • •',~ :t ,,t 'J,'4 :4 '~ , ~ , 1 ~ , ~ :, ~ , , ~ , j ,'~ . .~
  • 2. GUILLAUME DUFAY 55 3 francs valant 72 sous furent accordés à Willermus ùu Fa)'t, clerc d'au- tel, pour obtenir les leUres de possession d'une chapellenie (G 1418; 1413-1414). Le chant de la cathédrale était alors renommé (1). Nicolas Malin qui le dirigeait, servait déjà au chœur en 1390 (Cambrai, ms. 1054, fol. 55 VO). Un double mariage qui unissait les familles de Bourgogne et de Hainaut avait été célébré avec éclat à Cambrai en 1385 (2). L'année précédente, un certain Joh. de Haspre fut reçu petit vicaire à Notre- Dame. Depuis 1397, Pierre d'Ailly, ancien chancelier de l'Université de Paris, était évêque, et il n'était pas insensible à la musique (3). En 1408, Nicolas Grenon avait été chargé d'enseigner la grammaire aux enfants (G 1412-1413). Il venait de Laon où il gouvernait les enfants de la cathédrale depuis 1403. Auparavant, il avait séjourné à Paris, comme chanoine du Saint-Sépulcre, église qui dépendait (lu chapitre parisien. Il y avait reçu en 1399 la succession de son frère défunt (Arch. nat., LL 108 B, p. 18). Quand le duc de Bourgogno eut hesoin d'un maître pour ses petits choristes, Grenon fut choisi (141'2; Bibl. nat., Coll. de Bourgogne, 57, fol. 138). Grenon quilla Cambrai quelques semaines avant que Dufay fô.L inscrit parmi les choristes, mais quand il était déjà nourri aux frais des cha- noines. En 1408, il avait été décidé de ne plus garder que douze des pe- tits vicaires qui chantaient avec les six enfants (ms. 1055, fol. 9 VO). Des auxiliaires étaient admis auprès d'eux. En 1409-1410, un'e gratifica- tion de quatre sous fut accordée, pro infirmitate sua, à François le Ber- toul, jrequentanti chorum (G. 1414). Quelques chansons et un m,otet sont attribués à un compositeur de ce nom (Oxford, ms. Canonici, mise. 213), œuvres écrites avec plus de facilité que de talent, et où se manifest.e une certaine prétention à la diversité rythmique (le molet a été publié par M. van den Borren, Polyphonia sacra, 1932, p. 273). Parmi les chanoines, le goût de la musique était répandu : chez Er- noul de Halle, que ses confrères du chapitre tenaient pour être charilable n l'excès, il y avait huit harpes, t.rois luths, trois guitares, trois vielles (violes), un rebec et un psalLérion (testament de 1417). L'art profane prospérait donc à Cambrai, sous la tutelle de l'Eglise. Aussi bien, le maÎlre qui remplaça Malin en 1413 tenait de près au siècle : Richard de Loquevi.lle était marié, el avait servi le duc de Bar (1) J. Houdoy, lIist. artistique cie la cathédrale cie Cambrai, 1880, p. 59. (2) Intern. Ces. f. Mus. /Vis!!., [(onurcssuericltL, 11);30, p. 5G. (3) Mitteilungen der in/. Ces. f. Mw. II, 1930, p. 30.
  • 3. fiG lIISTOIllE DE LA MUSIQUE comme joueur de harpe, en même temps qu'il enseignait le chant reli- gieux aux enfants de chœur (Meuse, B 2G33, fol. 29 VO). Il est proba- ble que cc musicien s'était for:m,é à Paris, car le duc Robert, qui avait épousé la fille du roi de France, voulait entrelenir en son château les usages de la cour royale. Loqueville a laissé des chansons à trois voix (Oxford, ms. cité). Dans l'une, la mélodie est entièrement syllabique au soprano. Deux instruments, sans doute de sonorité différente (les croise- ments semblent l'indiquer), accompagnent le récit de la vie hasardeuse que mènent les artistes errants. « Quand compagnons s'en vont jouer » çà ct là en plusieurs pays, il n'ont pas chaque jour à ~anger chapons ou « gras connins » et, dépourvus d'argent, ils risquent de terminer leur aventure avec deux « ceps» aux pieds (foL 90) : composition fort simple où la 3° partie complète vaille que vaille l'harmonie et subvient au faux bourdon des' cadences. Les instruments onL plus d'importance en quatre autres pièces profanes, où leurs préludes sont Ilettemen~ reconnaissa- hIes, et d'autres interventions admissibles. Com~e l'auteur fut harpiste, on peut êtr~ tenté de supposer qu'il destinait à son instrument. le COrt- tl'alenol' de Je vous prie que j'aie un baiser, où se trouvent des notes répétées par petils groupes (fol. 91 VO). Celle cantilène de mai a le même caractère d'improvisation gracieuse que les autres chansons de Loque- ville. Dans l'un de ses deux Et in terra, les versets sont répartis entre deux groupes de chanteurs, 2 soprani étant opposés au chorus à trois voix (Bologne, ms. 37, fol. 60). Dans l'autre, le premier superius et le second dialoguent en un discours rapide (Polyph. sacra, p. 134). Le texte d'un Patrem omnipotentem s'écoule de même, modulé tour à tour par deux enfants de chœur sur des tenues instrumentales (Bol. ms. 31, fol. 18). Il y a plus de richesse mélodique et de densité dans le Sanctus vivens secundum Loqueville (Bol. ms. 37, n° 22), écrit à quatre voix. Celui qui a brisé les portes de la mort y est célébré par une ample interpo- lation, et· Loqueville ne craint pas d'y ajuster des motifs doublés à l'octave. Les dièses qu'il introduit en ce contrepoint archaïque en renfor- cent l'âpreté majestueuse, et ily use du hoquet (in-exccl-sis). Son motet 1. Saint-Yves (0 flos in divo arc, Bol. 37, n° 280) est construit sur un teHor dépourvu de paroles, el présenlé deux fois, la seconde par marche rétrograde. Deux lignes vocales floUent avec une certaine élégance au- dessus de ce thème à l'apparence liturgique. NIais la mesure en est un peu saccaùée ct avec intention, quand le compositeur sépare certains mols (legum-juris) pour les ~ieux marquer. Lorsque les britagena modula-
  • 4. GUILLAUME DUFAY 57 mina sont évoqués, les notes figurent des arpèges. Si c'était une allusion il la m~lsique de la nretagne, elle aurait bien du prix, puisque rien ne subsiste des anciens lais bretons, qui furent si vantés. On a aussi con- servé de Loqueville 0 rcgina clcmcntissima (1). En somme, le principal mérite de ce ménestrel admis au sanctuaire serait peut-être d'avoir en- couragé, ou IIl,ême guidé le jeune Dufay, et le témoignage de son œuvre a celle valeur particulière, d'être daté avec assez de précision. Car, en 1410, Loqueville n'était que clerc de chapelle chez le duc de nar (Meuse, B 32G7), et un compte établi dans l'année commencée le 25 juin 1418, mentionne les quatre cierges que sa veuve paya pour sa messe de Requiem (Nord, G 38(7). Vincen t Breion était son successeur au commencement de 1419 (G 1423). Quand Loqueville mourut, l'évêque de Cambrai, Pierre d'Amy, avait peut-être éloigné Dufay de ses premiers IIl,aîtres. Il serai l du moins sé- duisant de supposer que le cardinal l'avait dans sa troupe de 44 (35 P) personnes, quand il se rendit au concile de Constance. Quelle révéla- tion, pour l'écolier de Malin, s'il avait pu rencontrer en celle ville des musiciens venus de toutes parts, avec les princes et les prélats qu'ils devaient édifier ou divertir. Le Pogge a raconté comment, aux bains de Bade (Suisse) Oll sc délassait d'avoir trailé les affaires de l'l~glise en chantant, en écoutant les fliHes ou les instruments à cordes (1416) (2). L'empereur Sigismond vint ft Constance avec Oswald von Wolkenstein qui, s'il a inventé quelques chants pour ses propres poésies, a recueilli aussi des COIIl,positions étrangères. Le bouffon Mossén Borra, Catalan, était avec le même souverain (3). Les évêques anglais avaient amené leurs chantres, dont quelques-uns avaient ravi les auditeurs, pendant le voyage, à la cathédrale de Cologne (4). A Constance, leur musique fut admirée à la fête de saint Thomati de Cantorbéry, el des concerts furent sans doute mêlés aux représentations de la Nativité, des trois rois, du massacre des Innocents, auxquelles ils présidèrent (141G et 1417) (5). Pendant le concile, des IIl,énestrels de tous pays précédaient les cortèges (1) rc Dèzcs, Der Mellsuralcodex dcs nenctlildinerkloslers SI Rmmerami zu Rc- yetlsvury (Z.I. Mw. X, p. 80). (2) E. Walser, Puyyius FIOl"enlinus, ]!)l4 (Cf. PO[mii crislo/ae, l, 1832, pp. 6-7). (a) M. de Bofarull, Tr/'S car/as... de M. n., J8f)G. Ct~ persOllJlilge reçul ulle grati- fication de Jean sans Peur, ?l MOlltbéliard (Coll. de Bouryognc, 57, fol. 228). (4) Kongressbericht (1930) déjà cité, p. 58. (5) Ulrich Richental, Chronil, des COltSlaHlCr Cami/s, éd. Buck, 1882, pp. 97-98 et U9.
  • 5. 58 HISTOIRE DE LA MUSIQUE dans les rues, tandis que les clercs de toutes nations rivalisaient de zèle danR les églises (1). Parmi les cardinaux italiens, se trouvait Zabarella, évêque de Florence et protecteur des lettres. Le chanoine de Padoue Joh. Ciconia, originaire de Liège, lui avait consacré deux moteLs. Comme Zabarella semblait devoir être élu à la papauté, les musiciens réunis à Constance ne manquèrent pas, sans doute, de considérer avee attention ces pièces, où ils auraient trouvé un hommage tout prêt pour le nouveau pontife. En ces œuvres, les louanges ne sont chantées que par deux voix, avec une simplicilé solennelle, et sans autre artifice de développement que la répétition. Mais les instruments préludent à ce discours limpide, en divisent. les phrnses, ct. y njoulcnt IIne pérornison. Ils se rfponc1cnt il 2 parties, par de petits motifs saccadés, et d'une gaieté un peu vul- gaire. Ainsi, les acclamations impatientes du peuple semblent alterner avec la lit.anie des clercs (Polyph. sacra, p. 180; Ut te per omnes). En- train qui gagne jusqu'aux chanteurs, en Doclorum principem à 4 voix, où l'int.roduction est comme une pétulante criaillerie de cornemuses, tandis que les interludes résonneraient plut.ôt lyra et cilhara, que le texte désigne. En d'autres composit.ions de circonstance, Ciconia se proposa d'honorer Jes évêqlles de Pndoue, Stefano da Carrara, intronisé en 1402 (Pol. sacra, p. 243), Albano Micheli (140G-1409) et le Vénitien Petro Marcello, installé en 1409. Dans Vcnctiac, mundi splcndol', il avait aussi célébré Venise et le doge Michel Steno (t 1413), terminant son hymne par d'nctives fanfares. L'un des premiers à fonder un contrepoint sur () rosa bclla du poète vénitien Leonardo Giustiniani, il acceptait volon- tiers comme lui ceR fleurs mélodiques dont la fantaisie ou la mémoire même hâlent l'éclosion, sans que la science y veille. Mais il eftt été loin de prétendre, avec Giustiniani (2), qu'il devait tout à la nature. Il afHrme qu'il avait étudié la théorie, par son traité Nova musica, où il se réclame de!'! vieux auteurs. Dans un canon à 3 voix (Quod jaclatur), il est rigou- reux jusqu'à la dureté. En ses fragments de messes, il ne se soumet pas à une telle contrainte, mais il écrit d'un style assez ferme, et sail, allier la dignité à l'agrément. Qu'il y cède volontiers à la coquetterie profane, le hoquet par lequel il disjoint deux accords successifs dans un Gloria (1) Lcs joueurs d'instrumcllts assemblés dans la ville auraient été d'après Hi- -chenlal au nombre de 1700 (p. 215). AlIlrc part, il Il'CII compte que 3G5 (p. 183). Les chantres pontificaux étaient là aussi. (2) Il so disait. porlé li la mllsique quasi duce anima, sans effort (le volonlé (H. Sabbadini, dans le Giorn. stor. della leil. ital., X, 1887, p. 3G5). 4 4 ..~ .... :~ . ,-, j' , "
  • 6. LJUILLAUlH.t; UUil'A Y (pax, pax, pax. ,,) le trahit (D. T. O., XXXI, p. 1). Mais, là même, il 'tente d'établir la continuité lyrique par des ébauches d'imitation ou de progression. L'instinct de la symétrie le dirige aussi dans un Credo (ibid., p. 3), et une évidente ampleur de mélodie favorise le développe- ment d'un Gloria et d'un Credo à 4 voix (Bol. ms. 37; Varsovie, bibl. Krasinski, 52, fol. 196-197) (1). Il est légitime d'introduire quelques remarques sur Ciconia quand on étudie la jeunesse de Dufay. Même si le clerc de Cambrai ne suivit pas son évêque au concile de Constance, du moins eut-il bientÔt l'oc- casion de connaître les Œuvres écrites par des musiciens fixés en Halie. T1 est curieux d'observer, clans un El in terra qui lui fuL naguère alLri- hué, puis refusé, avec les oclaves successives familières à Loqueville, un long Arnen entrecoupé de silences, comme il y en a chez Ciconia (2). Ce travail pOllrrait passer pour un de ses premiers essais. Il est d'ailleurs certain qu'il a quillé fort jcune sa province. Dans une pièce à 3 voix, en effet, il chanLe l'union de Carlo Malatesla et Vittoria ColonIla, nièce de MarLin V. Une date a été fournie pour cet événement, mais elle est inexacle. 11 paraît admissible que la cérémonie eul lieu vers 1420, peu de Lemps avant que Théodore Paléologue, fils de l'empereur, et despote de MOI'?e, obtînt pour femme Cleofe Malatesta de Pesaro (1420). Une composition de Dufay se rapporte aussi à ce mariage. Dans le premier de ces épithalames, les instruments préparent gaiement au chant de llesveillez-vous, et failes chicrc lye, et les interludes sont animés: Mais, à la manière ancienne, les syllabes de l'acclamation « Charles gentil Il sont solennellement soutenues, avec points d'orgue (Oxf. ;.na, fol. 126 va). (s.e.) ""CT. t- _~d- "0 F (1) Voyez le cataloguc thématiquc des œuvres de Ciconia, donné par J. Wolf (Tijdschrijt dcr vereeniging /Joor Noonl - Ncclerlcmcls muzieTiflcschiedcnÎs, VU, 1003, p. ~07. Ct, même revue, VI, p. 208). (2) A. Gas toué, Le manuscrit d'Apl, 19:36, p. 79, Cf. /J, T. Q" XXXI, p. 2 eL ,p. 6.
  • 7. 60 HISTOIHE DE LA MUSIQUE ~ J m ru J JI Q"_- -1 6 J -: 1 JJd J . Res vell F ' vow Ft o i ~ u ffr r - fesse amps r." -9-. "tT • ~. r r1r - F'i~gro0 1::T ' e mus amou ~'f -o. ~. ~f 75 '______<:r . :e. . 't:T' 'TJ. i r 1::T. ~, o ~. 1 r
  • 8. GUILLAUME DUFAY .~ 61 __ . ll' . Il Y a plus de recherche dans la louange de Cleofe. Le texte en est latin, avec une allusion au grec (Vasilissa, ergo gaude). Le tCItOI' module un texte liturgique, et les 2 voix supérieures concertent en canon {no T. G., xxvn, Hl20, p. aO). En même temps que Dufay, un autre musicien étranger, Hugho de Lan tins, céléhra la princesse italienne, quand elle passa par Venise (1) pour se rendre en Grèce. Dufay qnitt'l sans dou~e l'ILalie à peu près au même moment que Cleofe. En l'été de 1420, un clerc de Saint-Germain l'Auxerrois à Paris, Guillaume de Fays, fut compromis, pour avoir en1lH'uulé ~ la Sainte- Chapelle un drap d'or qu'un orfèvre vola. Son innocence fut reconnue (Arch. naL, KK 38, fol. 20 VO). Il n'esl pas invraisemblable que, avant de regagner son pays, Je musicien ait servi dans une église parisienne. Et sa mésaventure aurait peut-être contribué à lui inspirer « Je me com- plains piteuscment )), copié avec la date du 12 juillel 1425, dans le re- cueil d'Oxford déjà cité (2). Une autre chanson, transcrite avec l'indi- calion de 142G dans le même livre (fol. 140), fail supposer que Dufay avait obtenu quelque charge à Laon, peul-être gr.lce à Grenon, et qu'il lui fallut l'abandonner. Comme on sait qu'il eut un bénéfice en l'église de Nouvion le Vineux, non Join ùe Laon, il est facile de reconnaître où vont ses regrets, quand il chante Adieu ces bons vins de Lannoys (Laon- nais). Nouvelle entreprise, tentée avec de bien faibles ressources: « Je III 'Cil vois louL arquallL cles liais, Car jc lIC lI'uis (1I'ollve) leves Ile pois... » (1) Muratori, nCl'Itrrt ila/ical'uTn scriplo/'es, XXII, 1733, col. 93<3. Ct. A.. Zakythi- nos, Le tlns[lollJt grec lie l'I(O,..!.~, ln:12, )lJl. lAA·lRû, La ph('( Ile L.Jltill~, T/'rr quante l'l'giorle est dans le ms. d'Oxford, fol. :lü vO-37. (2) Stainer, Dufay and his conternpoNll';CS, 1898, p. ]08. Ln <laIe est fournie Cil ilalicn.
  • 9. H2 lIISTOIHE DE LA MUSIQUE A dIeu œJ OOI1J V/ils de Lan. ...a -e- ...a ..a-9- nOYJ. A dieu dames, cJ dieu oorjlois, A dieu cel le 'lue lanl d- __.c:!:_..El=--..o. -0-0--<2=-.- /1 tI/t'u tOI/5 cornl'cll . .!l/lOr1.5 ya. loiJ -f€% Ei± Q3I;}J;o .-e-. le.s dern·,ère.s = I l O~Cl J:1 J2 - - - ..------. .------ ·C:':i·::::--=-::::'::'---_ ...__.. .me!:> ureoS man q(; en t cl ô noS' e môn u oS c r' t a - 0 - -
  • 10. GUILLAUME DUFAY ü3 Il est cCI:tain qu'il était en Italie de IlOllveau Cil 1427, comme le dé- montre un privilège d'absence envoyé de Bologne en sa faveur par le cardinal d'Arles Louis Alcman, au chapitre de Saint-Géry ù Cam· brai (1). Il possédait alors la chapelle du Salve en celle église, et avail le diaconat (Nord, G 7688, 29 mai). En mai ]428, Grenon présenta au chapitre un document analogue où Dufay parle le tilre de prêtre. La même année, le musicien figure parmi les chantres de Martin V. Il 'j avait peu de mois que Nicolas Grcnon avait cessé de servir le pape, au- quel il avait amené en 1425 4 enfants de chœur formés ù la manière française (2). Auparavant, Grenon avait résidé 4 ans environ à Cambrai. Il n'avait pas manqué d'y enseigner ce qu'il avait appris pendant ses fréquents séjours à Paris, où il se trouvait encore en 1418 (3), et il s'était confirmé en son mélier de pédagogue, en exerçant les jeunes cho- ristes de Jean sans Peur (14]2), et des chanoines de Laon (1403-1408). En ses œuvres, et cet usage est commun alors, il n'y a guère de mélodie, que pour les tvoix élevées. Les molets conservés sous son nom révè- lent qu'il se plut ù y ménager le succès de ses élèves. La plastique de ses lignes est fort simple, et le but vers lequel elles tendent aisément pressenti. II aime à les entretenir dans ]a sérénité du ton de fa. La dou- ceur de cc mode laisse le charme d'un cantique puéril à l'essai de canon qu'il propose dans Ad honorcm sanelae trinilalis (à 4 voix). C'est sur la même gamme <]u'il fonde Nova vobis gaudia refero (à 3 voix) où il fait crier « Noël Noël Il avec un entrain tout français. En Plasmalol'is humani geHeris (à 4 voix), Grenon évoque encore au début. l'harmonie de fa, mais il y renonce bientôt, et la longue composition, parsemée tl'interludes évidents, évoluc dans les formules de sol. La dcmière ca- dence, saturée de quintes et d'oclaves, a la môme rudesse que les cu- dences de Loqueville (Bol. 37, fol. 2~n). Le souci de répartir les sylla- bes d'un texte copieux dans Ave, virlus (Polyph. sacra, p. 194) oblige J'auteur à marteler sa diction au détriment de la grice. Assujetties à un Lenor qui se répète selon des rythmes différents, les 2 voix supérieures ont à prolloncer des paroles qui sont diverses. Ad hOHOl'Cm sanelae lri- (1) Cc cardinal gouvernail Bologne pOlir )p pape. Dufay éludiai! pcul-I~IJ'e alors à l'uuiversité de celle ville. (2) Les enfants furent hébergés li Bologne par le cardinal (Gallr. Pérouse, L~ cardinal Louis Alcman, 190,1, p. 7:3). Chassé par les reholles, ce prélat quilta III ville pendant l'été de 1428. (3) La mus. à Paris... SOllS Charles VI, 1930, p. 33.
  • 11. 04 HISTOIRE DE LA MUSIQUE nilal.is est encore plus long, mais ici les 2 voix actives s'y dépensent avec plus de souplesse (Ibid., p. 20a). Dans une de ses chansons, Gre- non concède à chacune des parties d'être vocale. Un mètre commun les gouverne presque sans relâche, dans l' hommage à La plus jolie et la plus belle. Le compositeur aurait pu y employer trois de ses jeunes ap- prentis : la note la plus grave y est le sol de l'allo. L'accompagnement instrumental est nécessaire dans les autres cas. Avant Se je vous ay bien loyaulment amée, il y a un prélude, mais la pièèe est achevée par une ample vocalise. Sous un chant de soprano uni et un peu triste, le tenor de La plus belle est d'abord lent ct bien lié. 11 ne fournit que les notes nécessaires à l'harmonie, tandis que le con{,ralenor lance de petits mo- tifs ou marque des notes détachées. Plus loin cet ordre est renversé, mais sans rigueur dans la symétrie, puisque un plaisant cllprice astreint en même temps les deux parties à l'artifice du « hoquet ». Le limpide Je suy défail (Sl.lliner, p. 162) se termine en faux bourdon. C'est vers la fin de 1428 que Dufay ohtint d'être chantre du pape. Il devait l'emporter sur beaucoup de ses collègues par sa connaissance de l'usage italien où il y avait moins de respect pour la science établie que d'abandon' ù la musique. Un Français n'aurait pu imaginer un personnage leI que le Sollazzo dont Prodenzani, en ce temps même, vanl.e les mérites: Il chante, et il sait jouer du menacordo, de la harpe, du luth, de la viole. Son répertoire esl riche de chansons italiennes et françaises. Il est capable de traiter sur l'orgue, à l'église, l'hymne de Noël et le Magnificat (1). Il comprend n'lêrne qu'il y a différents styles et ne mêle point de stampila à la lilurgie. Il aùmet cependant les suoni ilarii, et rait entendre des compositions profanes. L'évêque de Florence, Antonin eût condamné celle frivolité, puisqu'il menaçait même ceux qui satisfaisaient au plaisir des sens en écoulant canzoni, ballades et ~trambotli, et taxait de péché mortel l'organiste joueur de ballades et J'audit.eur qui lui CIl avait. demandé (2). Bernardin de Sienne, qui avait persuadé aux femmes de Home de brûlcr leurs recueils de chansons au Campidoglio CIl 1424, réprouvait aussi en ses sermons de 1427 les sons d'orgue et les chants d'église, qui ne sont que chichiri. C'était faute (1) Santorre Debcnedotti, Il Sollazzo, lfl22. Né CIl 1387, Benedetlo d~gli Strozzi fut., comme le personnage de cc poôme,. pcrilissimo en tout genre de musique, surlout. sur l'orgue cl le monocorde. Il jouait aussi de la flûte el du luth (Cesare Guasti, LcUcrc di una gcnt.iltloT1lla fiorcnlina del secolo XV, 1877, p. 141). (2) Libcllus de audielltia confcssionllm, 1472. t
  • 12. .1 GUILLAUME DUFAY 65 grave que d'aller à l'office uniquement pour en jouir (1). Mais le gott des Italiens pour les mélodies audacieuses ou caressantes et pour les instruments qu'ils y ~êlaient, résistait aux menaces et aux exemples. La malheureuse Parisina Malatesta, femme de Nicolas III de Ferrare, décapilée en 1425 pour adultère, avait voulu en 1422 un beau fermoir pour l'étui de sa harpe, et ses filles apprirent à jouer (2). Que la véhémence de l'inspiration séculière ail alors animé bien des molels, quelques compositions faites pour Venise ou Padoue, et citées plus haul (p. 58) le, montrenl déjà. Mais, en d'autres villes encore, Du- fay aurait pu s'accoutumer aux riles d'une religion allègre. A la vérité, Antonitis de Civilale a cllanl.é le mariage de Giorgio Ordelaffi, maître de Forli (1412) avec plus d'emphase que de gaieté (Polyph. sacra, p. l8S ; J4-23). Mais Christoforus de Monle qui était né à Feltre, laisse moduler les inslruments avec un enthousiasme gaillard, dans son can- tique païen pour l'élection du doge Francesco Foscari, en 1423 (Bol. 37, fol. 222). Une certaine gravité, cependant, n'était pas dédaignée. Il est remarquable que le clergé de Vicence accueillit son évêque Francesco Malipiero désigné en 1433, par ]e même motet dont avait été salué en 1409, Pietro Emiliano (Excelsa civitas Vinccntia, Bol. 37, fol. 270). Cel hOlllIlWgC n. a voix, Je loloprallo l 'orlle avec une grllce conlinue que nulle impertinence du rythme ne dérègle. La conclusion en est solennelle et forle, suite d'accord~ prolongélol pal' dc::> point::> d'orgue. Pour (voquer par les sons ce que Jes mots annoncent, l'auteur associe dulcedine il lIne cadence en faux bourdoll, que des syncopes relèvent par des disso- nances; concordia et pace suscitenL successivement l'octave, la quinte, puis l'accord parfait mineur. Le musicien qui devinait si bien ici les ~quivalellccs du vocabulaire, était le frate lleltramo Feragul. Dans une autre œuvre de circonstance, Francorum nobilitati (Bol., univ. '2'21U, fol. 29 vO-30), ce compositeur balance de même ses phrases amples et faciles, onduleuses variations sur la gamme de fa. C'est un prince qu'il glorifie pour sa bonté qui l'avait associé à la noblesse des Français (peut-être Nicolas de Ferrare, qui reçut de Charles VII en 1431 le droit de porter les lis dans ses armes) (3). Aussi bien, un peu de cette agita- (1) Le prediche vo/gari di San Bernardino da Siena, éd. Banchi, II, 1884, pp. 382-383. (2) G. Gruyer, L'arl Jerrarais, l, 1897, p. 404. (3) Il épousa en 3° noces Richarde de Saluces (Frizzi, Memorie per la sloria di Farram, III, éd. de 1850, p. 460). ,.,)
  • 13. 66 HISTOIRE DE LA MUSIQUE lion qui passe alors pour de l'élégance, y .avive quelques traits, ainsi que les imitations de l'Amen. Un Sanctus du' même Feragut (ibid., fol. 44), n'a d'autre loi que le jaillissement et l'épanchement d'une mé- lodie que l'accompagnement fortifie sans l'alourdir. L'élan de la joie chrétienne a rarement été favorisé p~r aulant d'abnégation. Le cantique de cet homme de prière s'est dilaté, dans les transports de sa contem- plation, cl il a dédaigné d'en retarder l'cffusion en travaillant pour le siècle : simplicité qui fut le triomphe de sa [erveu 1'. Ou enlendit peut- être cc Sanctus à la cathédrale de Milan, où llellramo chantait en 1430 (1). En terre italienne, Dufay se retrouva parmi des compatriotes. Plu- sieurs de ses collègues étaient de langue française. Avant !:la venue, le chœur pontifical avait déjà compris des chantres formés ou connus à Cambrai. Mathieu Thorotte(alias Bruyant), ténor du pape dès 1417 obtint un canonicat à Cambrai en 14'23 (Cambrai, ms. 725, fol. 54 et 1046, 203 VO). Mathieu HaneHe, prêtre de Cambrai, suivait Marlin V en ]418, el Gilles Flanelle dit Len[ant, clerc du même diocèse, le servit depuis 1421. D'autre part, Justot et Toussaint de la Ruelle avaient, comme Grenon et Philippe Foliot, connu l'usage parisien. Pierre Fon- taine, Richard de Bellengues, Jean Doré, Dupassage et Uaoul Guéroult (dit Mirelique), avaient appartenu à ]a chapelle de Bourgogne (2). Jean Boulanger et BerLauld Dance admis en 1418 sortaient de Reims. Dance était encore chantre du pape, ainsi que Jean Delesme, prêtre du Mans un peu moin& dncien, quand Dufay survint. Un jeune élève de Grenon, llarthélemy Poignare, était reslé depuis 1425. Un El in terra lui esL 'attri- bué. GauLier Libert qui apparaît dans le compte du 20 décembre 1428, est aussi considéré comme auLeur. Guillaume Legrand (Guillermus Ma- gnus), inscrit en 1419, avait la prétention de composer. Son PaU'cm (Polyph. sacra, p. 127) était déjà écrit CIl 1426. Asscz pauvre d'imagi- nation, et faible de mélier, il oblint cependant une charge à Rouen: il s'y trouvait encore en 1449 (Arch. nal., LL 116, p, 611). Admis en 1431, Jean Brassarl de Liègc étail digne de devenir le collègue de Dufay. Ses pièces publiées (D. T. O., VII, 1900, pp, tl5-102) sont délicates et (1) Annali della fabbrica del duomo di Milano, II, 1877, p. 58. En mai 1449, Bertrand Feragut était inscrit le premier sur la liste des chapelains de René, roi do Sicile. Dans le compto du l or juillet suivant, il n'cst plus mentionné (Arch. nat., 'KK 245, fol. 3). (2) La mus. à PaTis, pp. 28, 33 ct 34.
  • 14. GUILLAUME DUFAY (7 vives. La symétrie du contrepoint n'y esl pas maintenue au détriment de la grâce. La même candeur et le même empressement donnent beau- coup de charme au motet Summus secrelarius (Bol. 37, n° 299). Dans une paraphrase à 3 voix de Crist isl erslaltden, le soprano répètE": avec une ornementation un peu froide les motifs du tenor (1). Mais ce tra,vail sur le cantique allemand ne dut être accompli que pendant le séjour de J3rassart au service de l'empereur (2)". Après Brassart, Arnold de Lantins rejoignit Dufay à Rome. L'office de chantre à Saint-Jean de Liège avait été occupé de 1379 à 1413 par Berthold de Lantins, alias de BoIsée (3), mais cela indique seulement que les deux personnages devaient êlre originaires du même lieu, voisin de Liège. Un assez grand nombre de compositions, dont quelques-unes flont remarquables, ont perpélué le souvenir d'Arnold et de Hugho de Lantins. Ou y découvre dans les paroles quelques indications sur la car- rière de ces deux musiciens, et l'on peut établir ainsi qu'ils devaient depuis assez longtemps être connus de Dufay. En 1420, en effet, IIugho chanta, comme Dufay, le mariage de Cleofe Malatesta avec Théodore, fils de l'empereur de ConsLantinople. Son épithaJame, rra quante re- gione (Oxford, fol. 36 vO-37) est à trois parties. Deux sont pourvues de paroles, mais avec des passages qui sembleraient destinés aux instru- ments, si la répartition des syllabes n'en faisait douter. Hugho insiste sur les mots importants, par des procédés qui ne sont plus très neufs. En son Christus vincit à 3 parties (Bol. univ. 2216, fol. 30 vO-31), il célèbre les succès de Francesco Foscari, doge depuis 1423, qui avait accru le domaine de Venise. Après une solennelle introduction inslru- mentale, les voix commencent en style d'imitation, mais sont bientÔt associées en accords vigoureux. A saint Nicolas, patron de Bari eL de l'Apulie, sont adressées les phrases amples d'abord puis morcelées en dialogue de Celsa sublimalur victoria (Polyph. sacra, p. '215). C'est le dessus qui a la primauté dans l'Ave verum assigné au m~me musicien (Bol. 37, fol. 230), mais les calmes harmonies de trois sons qui l'accom- pagnent sont aussi fournies par des chanteurs. Il ne leur est demandé (1) -Karl Dèzes, art. cité p. 77. (2) On l'y voit déjà en 1439 (A. Auda, La musique ci lcs musiciens de l'ancierl pays de Liège, 1930, p. 71). En 1443, il était caldor principalis de Frédéric III (Acia musicologica, III, 1931, p. 51). (3) L. Lahaye, Inventaire analytique des charles de... Saini-Jean l'évang. à Liège, l, 1921, p. XLVI. Cf. E. Dro7., Musiciens liéyeois du xvO si~cl(l (nev. de musicologie, XIII, 1929, p. 287).
  • 15. liS IIISTOTHE DE LA iIUSIQI1E que du souffle pour les soutenir, landis que la mélodie principale, avec .Hes vocalises et ses triolets, requiert un interprète assez habile. Dans les invocations et dans 1',1 men, tous procèdent par points d'orgue. Une chanson de lIugho CA ma darnme playsanf. el. belle) a été publiée (Slai- ner, p. 114). Il essaie d'y lrailer d'agréables motifs en contrepoint suivi, par un canon à l'octave puis à la quinte, mais il renonce volontiers à la symétrie pour ses cadences. Comme pour donner le démenti aux paroles, il irD:agine, dans Chal/lcl' IlC sçay (Oxr. fol. 32 VO), ulle m~lodie I.our h Laur large 011 pressante, il laqnel1e 10111. le reste "esl subordonné. 11 ':i il. 1111 peu plus d'apprêl., et llloillS de charme en Prendre convint (ibid., fol. 3G). Le faux bOllrdon cl des irnilal.iolls faciles aidenl au déve- loppement de J'ay ma joye bien perdue (ibid., fol. 35 vOy tandis que .le sny excnt (ibid., fol. 67) ne manque pas d'accent, ni de diversité. Comme lIugho, Arnold de Lantins séjourna sans doute à Venise. Du moins, ses chansons Si ne prenez rTe moy pil.ié (ibid., fol. 128 va) et Quant je mirc vo doulcc portraiturc Ubid., fol. 132 va) sont datées de celle ville (mars 1428). Il esl. vraisemblable aussi qu'il écrivit Puisque je sui cyprianes (ibid., fol. 54 VO) dans le même port, d'où l'amoureux que le texle représenle pouvait voguer vers Chypre où il trouverait sa belle. De ces trois pièces, la première est la plus expressive. La prédi- lection du musicien ponr les motifs arpègés y apparaît dans le dessus, ct des Ligures analogues sc rencontrent aussi dans les deux autres chan- sons (voYCl, en particulier la fin du conlraLenor de Quant je mire). JI emploie volontiers aussi les noles répétées, et même à plusieurs parties, pour donner plus de clarlé ou plus de force à l'énoncé de certains mot.s : procédé par lequel il marque d'ailleurs les premières syllabes dans Or voy je bien (Bol. 31, fol. 245) el. une supplication dans Helas erny ma dame (Wolf, Gesch. der Mensurai-Notation, III, 1904, p. 83). Il sait trouver pour ses plainles les tons de la mélancolie, et retien l dans une harmonie grave les trois parties d'Esclave à dueil et forain de liesse COxf., fol. 5G). Polir mieux honorer la Vierge, il vise à l'élégance dans les motels Tola pulchra cs et a pulchcl'rima mulierum (Polyph. sacra, p. 262 el p. :.269); mais il n 'y renonce pas au langage de la tendresse familière. Cetie facilité d'improvisateur était cependant soutenue par le travail. Arnold de Lantins a laissé un Et in terra (Polyph. sacra, p. 10) où les deux voix supérieures sont lrait.ées en canon, avec accompagne- ment inslrumental (tuba sub JUf/a). Celte remarque relative à l'exécu- tion se retrouve dans un Introilus de Jean Franchois et dans une chan-
  • 16. son de Fontaine. La trompe était d'ailleurs tolérée par Gerson à l'église, avec l'orgue (1). Dans cet Et in terra, Arnold de Lanlins ne prolonge pas SOIl effort de leclmique. A partir du second verset, il en revient à. son écriture hâtive, à ses gammes onduleuses, à sa récitation hanno- nisée. Cette pièce se retrouve dans un autre manuscrit (Bol. univ. 2216, fol. '2 vO-3). Elle y est anonyme et le verset en canon y est remplacé par un travail de facture tout élémentaire. Le Kyrie verbum incarnalum la précède (fol. 1 VO-'2), sous le prénom d'Arnaldus : une déclamation rapide et martelée suffit à compléter l'indication. L'analogie des motifs permet d'associer d'autres fragments de messe à ceux-ci (mêmes ~ss.). Arnold est ainsi l'un des premiers à établir l'unité entre les différentes parties de la messe, el il relie de même un Et in terra et un Patrem écrits pour trois voix graves (Bol. univ. fol. 23 vO-25). Un Et in terra attribué à Hugho de Lantins a été aussi transcrit sous le nom de Dufay (D. T. O., XXXI, p. 15 el p. 137). Ses contemporains admet.taient donc qu'il pli!' écrire avec une exlrême simplicité. Aussi bien, ses œuvres aulhentiqlles de celle période ne sont pas co~pliquées. On peut en juger par l'examen des compositions qu'il écrivit, cer'laine- ment. ou vraisemblablement, avanl de quitter le pape en 1436. Certaines qui sont antérieures à 1428 ont élé déjà citées. Dans la chanson C'est bien raison, il célèbre Nicolas de Ferrare, pacificateur de l'Italie, prince « large et com'lois» dont l' « hoslel est refuige el mansion pour re- cheuoir taules gens de valeur» (Oxford, fol. 55, 55 va). Cette louange française dut plaire au marquis, puisqu'il se flattait d'avoir rapproché le roi de France el le duc de Bourgogne, au moment de la paix d'Ar- ras (1414), et qu'il avait bon sOtlvenir des artist~s parisiens (2). La mé- lodie en esl ferm,e. L'introduclion solennelle d'abord, se poursuit d'un rythme aisé, Les inlerludes ont la même fluidité, avec un peu plus de recherche. En celte pièce, paraît non séulement le mi bémol, mais le la bémol. Nicolas, dont les verlus sont exaltées ici, fit périr en 14'25 sa femme Parisina : lnvidia inimica (Bol. univ., fol. 51 vO-52) fi 4 voix pourrait évoquer ces drames qui déchiraienl les familles de la noblesse. Le chanl esl sobre, voisin de la déclaul,ation, et réservé au soprano seul. Les instrllments préludent pur une phrase qui tomhe lolirdemenl, leur (1) Compte-rendu du congrès de Liège (Hl30). L'exécution musicale, p. G3 (voir la photographie après la p. 50), (2) Mirot, Autour de la paix d'Arras (Bibl. de l'éc. des charles, 1914, PP: 260- 263). V. aussi plus haut, p. 65.
  • 17. 70 HISTOIRE DE LA MUSIQUE interlude est entrecoupé, et le posUude est attristé par les bémols du mi eL du la. A la sévérité de cetle malédiction pour les jaloux s'oppose la douceur du Donna, i ardenti ray, dont la mélodie facile a des retours si caressants (Oxford, fol. 73). Quel jronle; signol'ille (composé à Rome) est du même sentimenl (ibid). Complétée par quelques mesures, cette pièce est devenue Craindre vous veuil (D. T. O., VII, p. 2~O), el. les ini- tiales des vers la dédien t à Caterine Dufay. Est-ce par considération pour le poète, que le musicien traite avec un peu plus d'apprêt Vel'gine bella de Pétrarque P Mais quelques efforls de contrepoint n'en gâtent pas la candeur affectueuse, el la vocalise, le tour contemplatif, l'accompagne- ment d'accords brisés sont, dans le passage Amor mi spinge, d'une pure, d'une éternelle « il.alianilé » (1). Un motel. à sainl. André, l'évêque de Patras (Aposlolo glorioso, D. T. O., XL, p. 22) est encore un cantique italien. Cependant, le tenor en est. latin, et emprunté à la litllrgie (Andreas, Christi tamulus). Il est ex- posé 2 fois, et le premier et le second dessus l'ornent chacun d'une figu- ration asSC? ductile et pnrl.iculière. Le 1110t introilus désignc le prélude, où 2 des instruments jouent tour ~l toUT' le même ample motif. Celte indi- cation est fournie aussi avanl le Recordare, virgo mater, de Joh. de Lym- hm'gia (Dol. 37, n° 294). Au commencement de son Ave, virgo, J. Fran- chois spécifie que la lrumpelta soutiendra l'inlroitus (D. T. O., XL, p. 19). Dans le motel de Dufay, l'allusion à la ville de Patras pourrait suggérer que cette œuvre fut destinée à Pandolfo Malatesta, l'oncle de la malheureuse Cleofe. Après avoir occupé le siège de Coutances de 1418 il 1424, ce prélat gouverna le seul diocèse catholique de la Grèce. L'hymne à la paix Supremum est mortalibus fut sans doute écrit quand Sigis- mond vint à Rome au printemps de 1433. A son entrée, les clercs mar- chèrent devant lui en chantant, et une quantité d'instruments retenti- rent dans le cortège (2). Le pape qui est mentionné en cette pièce, Eu- gène IV, fut élu en 1431. Quand l'empereur Sigismond passa dans les rues. de Rome sur son cheval blanc, il était fier d'être acclamé comme le roi des Romains. Par ses points d'orgue, Dufay marque les no~s des sollverains. Ils ont rétabli la concorde entre les peuples: Venise et Flo- rence venaient en effet de se réconcilier avec le duc de Milan, mais Eu- gène et Sigismond n'étaient pas les auteurs uniques de ce rapproche- (1) CeLte œuvre a élé publiée par M. Van den Borren (Guillaume Dufay, 1926, p. 3051. (2) Lettre du Pogge, cilée par Balme (Misccllanca, HI, 1742, p. 184).
  • 18. 1 . j . i ' .. ...1 , 1 '.1 .. ,1 r 1 1 ,1 1· 1 • i : l' GUILLAUME DUFAY 71 ment. La facilité mélodique du compositeur se manifeste dans les pério- des traitées « au faulx bourdon »'. Certaines phrases, en pa,rticulier ce qui précède la belle invocation 0 sancla pax, semblent réservées aux ins- truments, puisqu'elles sont dépourvues de paroles. Mais Dufay exige parfois d'un chanteur la même continuité d'émission, que d'un ménes- trel : par exemple quand il interprète si justement par une vocalise l'in- finitif orna-re, ou bien quand il figure collesque sua-ves (D. T. O., XL, p. 24). Quelques œuvres encore ont été préparées pour les cérémonies pontificales. Balsamus el munda cera (1) se rapporte à la confection des figurines en forme d'agneau que le pape distribuait le mardi de Pâques, la ro et la 7° année de SOIl règne. Ce motel serait donc de 1431, Eu- gène IV ayant été élu le 3 mars. Des épisodes vifs et bien façonnés son- nent comme des inlerhides, étant dépourvus de paroles. Il y a beaucoup de grâce aussi el même de gaieté, dans les mélodies asservies à des mots. Le tenor seul csl lent, entrecoupé, et soumis à l'artifice d'une reprise rétrograde. Le motet Nuper rosarum flores (D. T. O., XXVII, 1924, p. 25) est une des dem ières Œuvres que Dufay produisit pendant sa carrière italienne. Il la fil pour la consécration de Santa Maria deI Fiorc, qu'Eu- gène IV bénit à Florence le 25 mars 1436. La cérémonie fut ordonnée avec magnificence. En grand nombre, les jouem's d'instruments à cor- des et à vent défilèrent. dans la procession. A l'élévation, leurs sympho- nies remplirent la basilique. Pendant l'office, quand les chantres ces- :;aient, leurs concerts reprenaient (2). Dufay put donc recruter aisément des pifferi pour alterner avec ses choristes, et des trompes pour soutenir d'tin long souffle les notes de l'introït Terribilis est locus iste (3). Ce tCllor, traité en canon, formulé sous les lois de mesures différentes, suffit à fonder le motet. Mais la force massive et grondante avec laquelle l'ar- tiste étranger traduit les mols du rituel ne pouvait être acceptée par les F)oren tins qlle passagèrcmell t. Ils n'onl point conslruit leur lempie pour y loger un Dieu menaçant. Avant même d'exhorter à la crainte, et comme pour ajouter' aux guirlandes prodiguées à l'entrée de l'église, (1) Ces paroles fu!,pnl jointes li l'envoi (l'Agnus Dei 'lue fil Urbain V à Jean Iluléologuo (Ou Cunge, G/oSI. IIU mol ,tOIlUS). (2) Haberl, Bausteine fil" Musi"geschichte, III, Die rlJmische Schola Cantorum, 1888, p. 34. (3) En 1415, le sonalor cerarnelle, ainsi que le joueur de bomllarde, étaient des Allemands. 4 autres ménestrels, ciLés en 1445, avaient la même origine (L. Cellesi, Dooumenti per la storia musicale di Firenze, dans la Riv. mus. il., XXXV, 1928, pp. 574-5).
  • 19. 72 HISTOIRE DE LA MUSIQUE Dufay s'introduit dans le sanctuaire de « la fleur », en célébrant un mi- racle dcs roses (Nuper rosarurn flores) (1). Il commence à deux voix, mais c'est la cantilène du soprano qui règne ici, comme dans les autres i'pisodcs en duo qüi interrompent la citation liturgique, et comme dans les passages où la prière du peuple semble triompher de l'oracle grégorien. Dans un autre intermède, cependant, la vocalise est traitée en 'canon (O... l'alione). Près de la fin (après domini t.ui), ne serait-ce pas l'orgue qui laisse un peu de l'elflChe aux ch,oristes il Le musicien aurait. ainsi assemblé tous les grata bcneficia dont il disposait, pour faire tolé- l'CI' Ics accords sombres cl saccadés ùont ses basses accollwagnenl la longue clameur du plain chant. Mais cette diversité même serait ar- chaïque en cette œuvre déjà chargée de tradition (2), 11 est significatif que Dufay célèbre l'accomplissement du plan de Bl,'unelleschi par une musique d'ancienne structure. Aussi bien, sa louange du pape Eugène (Ecclcsiae mililantis) fut-elle préparée selon le vieil usage (D. T. O., XL, p. 26). D'autres motets encore onl été destinés à un auditoire italien. La pièce où saint Sébastien est supplié de préserver Milan de la peste esl ordonnée avec intelligence, et les phrases y sont bien balancées. Le com- rn,encement esL tin canon pour les deux dessus. Quand le conlralenor intervient, ces deux voix l'nccompagnent d'un contrepoint facile qu'ani- ment des changements de mesure. Le tenor ne paraît que pour ajouter de la solennité à l'Amen, où vocalisent les trois autres parlies (Oxford, fol. 31 vO-3'Z). A saint Nicolas de Bari s'adresse une prière peut-être plus vive (0 gemma, Oxf., fol. 130 vO-131). Le tenor dont la ligne grégorienne (Beatus Nicolaus) est morcelée par des silences, y est deux fois énoncé, selon des mesures différentes. Un horn,mage latin à la ville de Florence (Salve, flos l'uscae) a, pour teno,., Viri mendaces (3). Sans que l'on puisse en fixer la date, un Sanctus papale auquel se re- lie un A gnus, témoigne de l'industrie nécessaire pour prolonger le chant pendant les inlerminuLles cérémonies pontificales (D. T. (J., VII, p. 148 el p. 15;:3). Comme le Sandlls cs. proche de la consécrat.ion, l'Ave verurn (1) Eugène IV avait offert ln « rose d 'or » à œUo église. (2) Voy. H. Besseler, ErWulerungen zu einer l'orfilhruny ausgewlthlter Dcnk- maler der Musil. des spilten Miltelallcrs (Berichl ilber die Freiburger Tagung: lilr deutsche Orgel1~unst, 1926, p. 144). (3) L'auleur s'y nomme (Guillermus, .. natus... ipse Fay). V. l'étude magistrale de M. II. 13esseler (Die Musil, des Mitlelalters und der Renaissance, dans le Iiand- buch der Musikwissenschaft de M. E. Bücken, p. 206).
  • 20. La lHLLlI.lJll1b 1JLJ1' Al ,.) COl'pUS y est inséré. L'identité de mode avec l'intonation grégorienne de ce Sanctus aurait permis quelques allusions à la mélodie de l'antienne; mais les souvenirs en sont déguisés. L'interprétation est très large. Les deux l~xtes commentés sont cependant suffisamment rappelés pour que, tour à tour, on les reconnaisse ou les confonde : subtilité fort musicale. L'incertitude de cette glose la préserve déjà d'être monotone. Par la dis· position des voix, la sonorité en est très diverse. Non seuleme'nt les versets successifs sont construits tant.ôt à 2, à 3 ou à 4 parties, mais la règle ab- solue du. nombre n 'y est pas observée : dans lin duo, quelques notes supplémentaires illustrent le mot vil'gine par le rayonnement du faux bourdon, et l'Osanna inséré dans un trio est soudain renforcé par deux dessus auxiliaires. L'Agnus semble d'abord moins expressif, mais le so- prano y est d'une remarquable ampleur mélodique sur un tenor liturgi- que direct, puis rétrograde. C'est encore aux années italiennes que se rapporte un Crcdo à 4 voix, ù la fin duquel (Dol. 37, fol. 37 v038; Cambrai, (i, fol. 9 vO-IO) un Amcn très animé ct OI'lH~ de hoquets, contient un épisode syllabique, avec paroles latines soulignées par ce texte de chanson (omis dans la copie de Cambrai) : Lu villullellu 11011 è IJcllu, sc lion ln dominicLl (1) En ce Credo, les deux voix supérieures seules sont pourvues de paro- les. Le chan t s 'y écoule en grandes ondulations, et selon le cours de la gamme de fa. Souvent, ces périodes commencent sur la quinte et com- prennent successivement toutes les notes, jusqu'au bas de l'octave (pel' quem; et incarnatus est, au premier soprano : et in spiritum)' resurrec- tionem, aux 2 voix). La formule ascensionnelle correspondante est em- ployée aussi, avec moins d'ampleur. ·Ce l1ux modal et ce reflux ne sont guère interrompus que par les répétitions de Ilotes nécessaires à l'énoncé des mots. Les rares motifs qui prennellt figure en ce perpétuel balance- ment, Ile sont que dentelures des liglles essentielles ((lui ex patre), frag- menls d'arpèges (ct a[Joslolicam) , 011 boucles de cadences. Quant aux imitations, limitées aux deux voix principales, il est rare que le jeu C-Il soit poussé bien loin. C'est dans l'Amen seulement, que le tenor en pro- pose Je sujet. Il y intervient même pal' Ille facile répétition. Ici, la con- sonance ultime est précédée pal' un accord où la sensible de la domi- (1) Cf. Fr. Vatielli, Arle e vila musicale a Bologna, l, 1927, p. 12.
  • 21. 74 HISTOIRE DE LA MUSIQUE nante esL doublée ù l'oct.ave : Loqueville procédait ainsi, et la même pratique, assez commune alors, esL admise dans la conclusion d'un Et in terra dont l'au'rihulion ù Dufay a été conteslée (1). Un Et in terra sans nom d'auleur sc rattache musicalement à ce Patrem (Cambrai, 6, fol. '2 vO-3). Sans avoir la prétention d'établir la chronologie complète des œuvres de Dufay, on peut supposer que les fragments de messes copiées sous son nom dans les manuscrits de Bologne déjà cités, sont antérieurs à son relotir définitif à Cambrai. Reçu chanoine le 12 novembre 1436, il était encore à Bologne en 1437 (2), el il fut mandataire du chapitre au concile de Bâle, désigné le 7 avril 1438 (Cambrai, ms. 1051, fol. 39 et fol. 66 va). Les compositions de ce genre sont, en général, écrites sim- plement et le totir mélodique en est. fort. agréable. Les lignes diatoniques habiluel1es du soprano y sont parées d'inflexiolls, modelées par des re- tours, détendues par des redites. Un Kyrie à 3 voix du 2° ton (Bol. 37, Il 0 10) et l'Et in terra qui le stiit (3) captivent ;par ce discours tout uni, nuquel les impulsions ou les langueurs de la mesure prêtent grâce et diversité, el. où le contrepoint esl (pIClqllefois rehaussé par des essais d'imitation. Un Sanctus du même recueil (n° 21), esl relativement assez massif. Par le trope qui J esl inséré (qui januas) il s'apparenle à un Sanctus de Loqueville (v. plus haut, p. 56). Des interludes s'y rencon- trent, comme dans la pièce citée précédemment. Mais ici les transitions instrumentales sont entièrement soumises ~l l'évolution, modique d'ail- leurs, du soprano : dans l'El in terra, chaque voix y prenait part, et l'analogie rythmique ou mélodique des motifs assurait l'unité de tels 'épisodes, el en délerminail le caraclère. Dans un Pall'em omnipotentem (éd. citée, p. 73), les deux parlies sans paroles qui accompagnent le des- sus vocal proposent ou répètent aussi les figures appliquées sans scru- pule de métrique. La diclion a plus d'ampleur dans tin Et in terra (éd. citée, p. 81). Mais Dufay est guidé, là, par la mélodie liturgique (messe de ln Vierge). Il l'orne d'abord au soprano, mais cesse bientôt de la traiter à 3 voix. Ayant commencé par entretenir un dialogue, verset par verset, entre le chœur de polyphonie el la monodie rituelle des chantres, il ne garde plus comme objel de son travail, que les indications supplé- (1) Voyez plus haut, p. 59. (2) Fr. Baix, La carrière bénéficiale de G. Dufay (Bull. de l'inst. hist. belge de Rome, 1928, p. 271). .1 (3) Pub!. en D. T. O. vol. 61, 1924, p. 71. l
  • 22. GUILLAUME DUFAY 75 mentaires des tropes. Il en accroît la solennité pnr des points d'orgue, .et en renforce même l'harmonie en ajoutant une quatrième parlie à ,quelques accords. Dans l'Amen seulement, le soprano en revient à la mélodie grégorienne (1). Dans un Patrem (éd. citée, p. 76) c'est avec ,deux soprani qu'alterne l'ensemhle des 3 voix. Là encore parait le sou- venir de Loqueville. Parmi les chants religieux conservés dans le manuscrit de Bologne {37, n° 190), un Et in terra se distingue par la men tion française (( de 'quaremiaux ». Le texte y est rapidement articulé par le soprano. Le .contratenor et le tenor (la voix la plus grave), sont dépourvus de paroles. Une seule phrase répétée sept fois par le tenor, soutient toute la compo- sition. Cette phrase est redite selon des mesures différentes, et par là .déguisée comme il convenait ,de l'être à la veille du carême. Il y a de l'irrévérence en cette allusion il l'usage profane. Mais, pour le badinage .de ce titre et de l'explication qu'il suggère, Dufay aurait pu être félicité par les princes qui assistèrent il la messe de Chambéry le mardi gras (jour des « quaremiaux ») de 1434. Ils devaient achever leur journée en dansant, munis de « faux visages )). La veille, ils avaient entendu les -chapelains que Je duc de Savoie avait réunis en grand nombre, pour fêter le mariage de son fils Louis, comte de Genève, avec la fille du roi ,de Chypre (2). Le chef de ces musiciens était alon; Dufay, qui délaissa le chœur papal d'amÎt 1433 il juin 1435. Parmi d'autres pièces appartenant à des messes, un Kyrie à 3 voix .(Cambrai 6, fol. 4 vO-5) laisse encore la prédominance au soprano. Mais les lignes en sont agencées avec une volonté remarquable.' Elles dépassent d'une quarte les limiles du mode el ne sont pas abandonnées .à l'entraînement de la solmisation (3). L'intention de conférer l'unité aux différentes parties d'une messe -esl révélée par l'identité des phrases initiales, en des Et in terra, Palrem ,el Sanctus à 3 voix (Bol. 37, fol. 34, 36, 20 et 22). Les mêmes ressem- blances rattachent l'Et in terra et le Patrem pour 4 voix (Cambrai 6, ,fol. 2 vO-3, et 5 vO-6) qui ont été déjà cités, et 2 autres pièces (1) Cf. Rudolf Ficker, Die frahen Messenkompositionen der Trienter Codices, ,dans les Studien zur Musikwisscnschajl dirigées par G. Adler, XI, 1024, pp. 29-34. (2) Chronique de Jean Lefêvre, éd. Morand, II, 1881, pp. 287 et 295-296. (8) Ed. par M. Besseler (ZwlJlf. geistl. und weltl. Werke de Dufay; Das Chorwerk IUO 19, 1932, p. 13).
  • 23. 76 HISTOIRE DE LA lWSIQUE annlog~es (Ibid., fol. 10 vO-ll, el 13 vO-14 : cf. l'index thém. des. rnss. de Trenle, n°· 8 et 9). Un Sanctus et tin Agnus (m~me index,. nO! 1368 ct 15(1) sc rapportent aussi l'un ?t l'autre. Toute une messe à· 4 voix cst (~dinôe SHI' le tenol' de la chanson Se la face uy pale (D. T. O., VII, p. 120; cL, p. 251, l'original français traité aussi par Dufay). Efl> beaucoup de fragments antérieurs, Dufay introùuit ]e style profane dans sa musique pour la messe. Quand il écrit à 3 parties par exemple, il lui arrive de procéder comme dans la ballade, où les voix graves n'ont qu'une lâche suballerne. Ici, le contrepoint. est modelé par un travail plus patient: dans lcs premières mesures du Kyrie, la basse mtme pro- cède avec magnificence. Mais le soprano, en sa phrase charmante et un peu inquiète, n'a point renoncé au siècle. C'est par la même ch~te mé- lodieuse que Dufay annonce Las, que ferai-je (Stainer, p. 146). Chaque- division de la messe commence par celle allusion habilement. incomplète- à la gnmme d'ut. Le plus souvent, le contratenol' seul y adhère, pour qu'clIc soit plus distincte, cl, celle ligure inoubliable reparaÎl encore à peine voilée en Illaint autre passage. Par ces rediles, éclate la résoluLion de tout rapporter à un seul principe. La courbe aux agréables replis à été ordonnée, en erret, cl 'après les premières Ilotes du (cnor, de ce tenOr' qui plus secrèlement, mais presque sans trêve, gouverne le développe- ment de l'œuvre entière. Partagé enlre le premier et le dernier Kyric, il est exposé deux fois dans le Gloria, trois fois dans le Credo. Dans le Sanctus et dans l'Agnus il subit la même interruption que dans le Kyrie. Avec beaucoup d'adresse, Dufay a préparé les épisodes libres. S'ils sont à 2 voix, la seule condition d'associer alternativement le soprano et. l'alto, puis l'alto et la basse, enfin la basse ct le soprano, y intro- duil déjà de la variété. Le Chl'istc et le deuxième Agnus sont ainsi. disposés. Ils se terminent d'aillellrs en trio, le premier par un faux- bourdon, l'autre par dll contrepoint. La recherche de symétrie est assez' fréquent.e en celle messe où l'auteur ne semble d'abord viser qu'à des- siner avec une incessante Jouveauté : dans le Sanctus, le soprano el la basse, dans ]e Bcnediclus, le soprano cl l'alto, dans le deuxième Agnus, le soprano ct la basse procèdent en canon. NIais la rigueur n'est que- temporaire chez ce maUre des ell'usions faciles. La gamme qu'il n'achève- pas en son thème principal, apparaît souvent totale, SalIS des broderies qui en dissimulenl il pcinc le tracé. Le soprano la descend et la remonte' uüssitôl, dans le Gloria (mes. 244) et dans le Sanctus (mes. ü3). A la fin .dli Credo (mes. 2G2), la basse la dirige .oule simple du haut jusqu'CIl<
  • 24. GUILLAUME DUFAY 77 bas, tandis que le soprano la reprend en l'ornant. La courte fanfare qui retentit dans la chanson est aùmise aussi dans la messe. Elle y Ralue la royauté de l'église universelle (sanclam calholicam) et retentit avec moins de solennité, et coupée dc hoquets, il la lin du Gloria et. ùu Credo. .La publication de la ~esse Caput (1) permet d'étudier aisément les ressources du développement chez Dufay. On sait, par les comptes de Cambrai, que lc KYJ'ie de celle messe fut transcrit sur de « nouveaux livres» eu 14G3, ainsi (Ille la IUC::lSC de même auteur Ecce ancilla Do- mini. L'origine du lelloJ' qui la gouverne est encore ignorée. Le sujet devait cependaJlt ell l/re assez répandu, puisqu'Ockeghem el Obrecht J'ont aussi élahoré. Pcul-êlre en découvrira-t-on la mélodie dans l'office de quelque mar/yI' d{:capité, particulièrement honoré daus le Irès vasle diocèse de Cambrai. Aussi bien, la dévotion de Dufay à saint André per- meUrait d'imaginer qu'il établit sa composition sur un des cantiques latins pnr lesquels fut célébrée lu translalioll du chef de cet apôtre. Pa- tras ayant été menacée par les Turcs, la relique fut apportée il Borne en grande cérémollie, le jour des Hameaux de HG2. La ville reteutit alors de chants et de symphonies (~). La longue mélodie que foul'llil le lellol' de cette nesse, suffit au Kyrie, mais est épuisée deux l'ois dans le Gloria, le Credo el l'Agnus. Ces répé- titiolls, tout d'abord, se distinguent par l'usage successif du temps par- fait (3 semihrèves par mesure) et du Lemps imparfait (deux semibrèves). Anulogie dUlls les formules par lesquelles sont lnesurées les données, aillsi que dans les données mêmes. Si d'ailleurs la lente variation du lenol', de laquelle tout dépend, risquait de passer inaperçue, d'autres signes d'affinité rendraient manifeste le rapport que Dufay a institué entre les différentes parties de sn messe. Car l'agréable prélude que le soprano et le cOHtratenor ont façonné dans les premières mesures du Hyrie, se renouvelle au commencement de chaque pièce. Il y a ainsi deux degrés dans la révélation de l'enchaînem.ent que l '~uteur a minu- Ijeusement réglé. Ce principe de continuité observé, il n'avait plus qu'à prendre soin cl 'être divers. Pour y parvenir, il semble qu'il se soit refusé le secours de l'improvisation, et qu'il ait renoncé aux élégances vul- gaires. Point de phrases où l'harmonie s'écoule avec une suavité trop (1) D. T. O., XIX, 1912, p. 17. (2). J. Gobellinus, PH sccundi commentarii, 1584, pp. 352-367.
  • 25. 78 HISTOIRE DE LA MUSIQUE facile, point Je lignes étrangement rompues, mais utilisation réfléchie des quatre voix, fréquemment opposées deux par deux, ou conduisant vers la cadence lointaine par un contrepoint travaillé. Les cOllclusions sont vigoureusement affirm,ées (Gloria, mes. 84-89), mêlées parfois d'accords de septième ou de quarte et sixte (Sanctus. mes. 21 et 75). Jamais sans doute Dufay n'a plus richement inventé qu'en cette messe. Il y admet cependant quelques réminiscences, mais choi- sies : ainsi, le soprano de l'Osanna (p. 38) répète l'allègre motif de Franc cœur gentil (cf. p. 44, mes. 68). Dans la messe Ecce ancilla Domini, l'essor des mélodies est aUSSI bien favorisé par les impulsions du ryth:me, que par l'attraction tonale. Reconnaissables dans les duos par lesquels commence chaque fragment de la messe, les premières mesures du Kyric semblent promettre que toute cette musique sera nerveuse et claire. Simple d'ailleurs, même quand deux voix au Bcncdiclu.s concertent en canon. Car c'est encore à la logique de la gamme, que Dufay soumet le mouvement des lignes associées. A la fin de l'Osanna il montre comment, dans une allernalive de tension et de rémission, il sait prendre l'échelle :modale pour sujet de contrepoint (Bruxelles, Bibl. roy., ms. 5557, fol. 57 vO-58). En celte œuvre sans doute tardive, la solidité harmonique est quelquefois remar- quable : recherche de plénitude ajoutée à la recherche du trait. C'est la variété que louait Tincloris dans la messe L'omme armé de Dufay (Liber de arte conlrapuncli, 1. III, c. 8). Dans le Kyrie, celte qua- lité se manifeste par une continuelle création de :mélodies, où la grâce est sans cesse renouvelée. Et la diversité des figures et des mouvements entretient un contraste perpétuel avec un iCHor morne et rude, qui sans doute sert ici pour la première fois de sujet à une messe (1). Trois voix sont engagées au service de l'imagination, pour voiler ce thème pesam- :ment raisonnable, ou pour détourner de l'attendre, avant qu'il sur- vienne. Dans les jeux en dialogue (voyez le Christe), aussi bien que dans les épisodes plus denses, le superius l'emporte par une infatigable fa- conde. Tantôt, l'abondance y lasse ou elle y prévient tout désir, et tantÔt des avances entrecoupées y raniment la curiosité. Comme pour affirmer (1) J. Tiersot, La chanson populaire en France, 1889, p. 453. Voir pour le texte de la chanson O. J. Gombosi, Bemerlmngen ZUT' L'homme armé-Frage (Z. f. Mw., X, 1928, p. 612).
  • 26. GUILLAUME DUFAY que ce discours n'esl tissu que de fantaisie, les velléités d'imitation au commencement du dernier Kyrie, tombent aussitÔt qu'aperçues. Bien que l'Et in terra ad modum (ubac ail été recueilli déjà dans un manuscrit d'Italie, peut-être l'allusion instrumentale qu'il contient se l'apporte-t-elle à une particularité ùe Cambrai. A l'horloge de la cathé- drale, les heures étaient annoncées par un automate en figure d'ange, qui semblait souffler dans une trompclle. D'après un compte de répa- ration à cette mécanique, c'est par 4 tuyaux qu'elle émettait sa fan- fare (1). Quatre notes ont suffi pour former les 2 parlies d'accompaglle- ment. Là-dessus, deux voix d'enfant entretiennent un canon, dont la gamme d'ut fournit les éléments (D. T. O., VII, 1900, p. 145). Les prières à la Vierge ont assez souvent inspiré Dufay. Il en a parfois présenté le texte avec une extrême simplicité. Un Ave regina (Oxf., fol. ()~) où les 3 voix sont fréquemment associées en faux-bourdon n'a un peu d'animation que par les cadences du soprano. C'est aussi le dessus qui est actif en Flos florum, mais ici l'abondance et la diversité des traits entretient l'enthousiasme des louanges (2). Dans lnclila stella maris (Bol. 37, fol. 195 vO-196), le musicien a cru méritoire de s'évertuer à résoudre un canon. Le premier soprano en propose la figure. Sous celle eontrainte, les motifs ont pourtant de l'ampleur ou de la vi vacHé. Le travail est assez serré dans Anima mea liquejacta est où les deux voix supérieures annoncent la mélodie principale qui, exposée à la basse, est un chant liturgique. L'Ave virgo à trois voix est aussi établi sur un tenor rigoureux duquel dépendent la ligne bien balancée du dessus et les accents du contratenor. Dans l'Alma redemptoris maler, à 3 voix, la mélodie grégorienne paraît au soprano, avec quelques vocalises (stella, prius) , et des accords solennels soutiennent les invocations finales (3). L'Ave regina que Dufay aurait voulu entendre au moment de mourir est fondé sur le texte rituel, articulé par le ténor. Mais d'abord le soprano et l'alto, puis l'alto et la basse saluent la reine des cieux librement et tendrement. Ces épanchements de la prière person- nelle se changent en appels anxieux quand l'auteur se recommande à (1) Le document est de 1459, mais se rapporte à un éLat de choses antérieur (cf. L'exécution musicale, dans le Compte-rendu du premier congrès de la Soc. ln- ternat. de musicologie, 1930, p. 63). (2) H. Bcsscler, G. Dufay, Zwolj geisll. und weill. Wcrlce, 1932, p. 5. (3) Ces compositions ont été publiées dans les D. T. O.. XXVII, 1920. L'atld- Lution d'un Salve regina (D. T. O., VII, p. 178) à 4 voix a été conlcstée dans un travail analytique remarquablo (oK. Dèzes, Z. J. Mw. X, p. 327).
  • 27. .; 1 ' '.' 80 HISTOIHE DE LA MUSIQUE la Vierge, se désigne à elle par son nom, dit sa détresse, et assombrit par un bémol imprévu le mode ecclésiastique régulier (1). Ces molels solennels ou émouvants avaient été préparés dans l'ac- complissement du devoir quotidien. Comnl,e un serviteur qui pare ]'autel selon la couleur du jour et le degré de la fête, Dufay a diligem- ment orné les chants de l'ordinaire et les a pourvus d'un accompagne- ment suave et discret. Dans ses hym,nes en faux bourdon, il respecte la mélodie liturgique assez pour la laisser reconnaissable, tandis que l'effusion u~usicale de sa piété l'entraînerait à embellir outre mesure le slljet. r~légantes el, prudentes, ses gloses olldulent au-dessus des accords IIl1irurme~, C'est lh qu'il est ·le plus facile de saisir quels sont les élé- mCllts rythmiques ct linéaircs de ses variations. En d'autres hymnes, Uli le sapcl'ias produit aussi la ligne essentielle, il y a plus de liberté dans l'accompagnement. Les mouvements du tenor sont remarquables dans Hostis IICl'odcs (D. T. G" VII, p. 1G2). Il en est de mêIlle pour celte voix et pour le contra, dans Vexilla regis (ibid., p. 1G8). Sans doute à cause de leur simplicilé, ces pièces ont été conservées en plu- sieurs manuscrits. Dans les Magnificat, l'indigence des données psalmodiques est telle qllo l'interprète se condamnerait à la monotonie s'il se réduisait à les énoncer. Deux de ces cantiques ont été publiés (ibid., p. 169 et p. 114). Cert.ains versets, il est vrai, sont traités avec fidélité. Mais l'harmonie pleine ou le (( faulx bourdon » y prennent une valeur de contraste, après les phrases 011 chacune des 3 voix poursuit un discours fleuri, ou é1près les épisodes à deux parties qui comm,encent en imitations. Un Magnificat inédit (Montecassino, ms. 811, fol. 42 vO-44), a été ménagé avec le même souci d'opposer au jeu des lignes fuyantes (Et exultavit en ch.io) la masse des accords fermes (Quia respexit à 4 parties) après llll exorde harmonieux et agréablement cadencé. Des emprun ts au plain chant apparaissent encore, outre ceux qui ont été déjà signalés, en des fragments de messes. Dans un Kyrie de apostolis (D. T. G., XXXI, p. 80), le soprano gouverne le faux-bourdon en ajoutant bien peu de chose à la cantilène. usuelle. Il en est de même pour un Et in terra (p. 81) où un contrepoint à 3 voix alterne avec la monodie des chantres (messe de la Vierge). Un procédé semblable est employé dans un autre Et in terra (D. T. O., VII, fac-simile n° IX). (1) Ed. par IIaber1., Bausteinc, 1888.
  • 28. GUILLAUME UUFA y {jne allusion grégorienne sc distingue aussi dans un Kyrie de la messe de Saint.-Jacques (1) et le titre de la messe Ave regina indique stiffisam- n~enl que l'antienne connue en dét.ermine l'unité (2). Parmi les chansons de Guillaume Dufay, il en est une où il se l'il du code et de la musique, Juvenis qui puellam Hondum septennem duxit (3). Le style judiciaire y est tourné en ridicule par cet étudiant en décret qui prononce Mandamus avec gravité, déclare majeslueusement Contra vos aruuilur, et sait expédier les considérants en faux-bourdon. Cette recherche du comique est bien rare chez le compositeur. Ce qui s(~mble dominer dans ses chansons, ce sont les plaintes d'umour. Se la face ay pale, la cause en est amer)' Ci languis en piteux mal'tire; Je donne a tous les amourcu:r:, pour estrines une soussye. Il évoque les peines de la captivité (Puisque celle qui me tient en prison), de la mé- (lisance (Je n'ai doubte), de l'injustice (Belle, que vous ai-je mesfait ?), de l'absence (Pour ce. que veoir je ne puis) (4) qui est mortelle (Helas, et lJuant vous verl'a.y, Bibl. nat., fr. nOllV. acq. 6771, fol. 89 VO). Il con- naît la douleur d'êlre percé par un « darL pénétratif » (ibid., fol. 98). Il célèbre la patience (J'atendra}' tant qu'il vons playra) et la fidélité (J'ay mis mon cuer). Mais il sait aussi louer La dolce vis/a dcl tua viso (Bibl. vat., Urb. lat. 1411, fol. 11 vO-12), L'alla belleza tua (Oxt, fol. 40 va), el il admire la « belle, plaisant cl gracieuse, gente de corps et amou- reuse » (ibid., fol. 91 VO). On croiraiL qu'il a chanté la chronique de sa Lendresse gémissante ou comblée, et l'on admettrait volontiers qu'il a terminé par des actes de renoncement, Je ne puis plus ce que j'ai pu, et Je ne suy plus tel que souloye, élant devenu « viel et usé ». « Et m'onl les dames refusé, car plus servir ne les porroye... jeunesse me fauIt et monnoye n. Il aurait même eu le courage d'écrire : Je prens congié de vous, amours;... adieu vous dy, plus n'ay de cours (ms. 6771, fol. 109 VO). Mais celte Confessio amantis est feinte, du moins en grande partie, et les aveux en ont été rédigés par procuration. A la vérité, les vers de Craindre vous vueil rapprochent, par acrostiche, les noms de Caterine et de Dufay. Mais, en Mon cuer me fait tous dis penser, le (1) ..... Schering, Gesch. der Mus. in Beispielen, 1931, nO 39. (2) Cf. H. Besseler, Die Mus. des MitleJalters etc., p. 216, où est cité un passage imp'ortant. (3) TranscriL par J. Wolf (Gesell. deI' MensuraI-Notation, III, 1904, p. 86). (4) Ces chansons ont été analysées pal' M. Van den Borren (nufay, 1026). li
  • 29. 82 HISTOIHE DE LA MUSIQUE mÔme artifice associe Maria et Andreas. En Las, que fCl'ay CI'autre part, il semble que ce soit une amante abandonnée qui parle. De même, il ne s'engageait que par jeu dans ces chants d'étrennes où il se .voue de cœur, de corps et de biens à une maîtresse élue pour l'année. Le sentiment personnel est sans doute plu8 actif en ses chants de mai. Et cependant il y travaille aussi sur comm,ande : Je veul chanter de cuer joyeux (Oxf., fO 33 va) est, d'après les initiales des vers, l'hom- mage d'un cerlain Jehan de Dinant à celle qu'il aimait (1). Mais il lui suffit d'annoncer « le temps joly Il (Hé, compaignons) , pour chasser « merancolye II (Ce moys de may) et faire danser son contrepoint. De « cuer gay)), il convie à réciter « ballade gracieuse)) quiconque veut gagner, en ce prem,ier jour de mai, le « nom de vrai amant 1) (Ce jour le doibt). Le (c prince d'amours Il est cUé dalls cette chanson qui est ainsi un témoignage des offrandes poétiques et musicales dues à la cc cour amoureuse» au commencement de mai (2). En Resvelons nous, il invite les amourelix à chanler un virelai pour leur dame, en allant au bois « cueillir le may ». Il accompagne leur marche d'un refrain rustique : (c Allons en bientôt au mai )l, courte psalmodie qu'il répète obslinément cl qu'il multiplie encore par un canon. Par cet heureux mélange de rigueur el CI'abandon, Dufay prouve qu'il aime à construire, d'abord, élanl cerlain de pouvoir ajuster ses phrases Ics plus souples sur les raison nemen 18 les plus sévères. A l'in- verse, dans Par droit je puis, la Juga esl cntrcl,elluc pur des moUfs mélo- dieux, tandis que l'accompagnem,ent n 'y est que soutien d'harmonie. Des imitations de moindre porlée sc rencontrent au commencement d'au- tres chansons. Elles prolongenl la vigueur du premier motif, en Franc CUCUl' gentil, en Pouray je avoir, en Bon jour, bon mois, en Ce jour de l'an. En Navré je suy d'un dart pénétratif (déjà cité), ce sont les notes d'un appel guerrier qui sont ainsi répétées d'abord (3). Le même appa- reil militaire esL encore employé en Donnez l'assault par un facile artifice (début, et mes. 34-37) et, sans que les paroles l'expliquent, à la fin de Se la face ay pale. Mais les redites des différenles voix animent à propos (1) Peut-être un parent du ménestrel Jean de Dynant qui, ayant servi les ducs de Bourgogne, reçut une pension le 25 mai 1409 élan L Ilgé, pauvre et affaibli (Coll. de Bourgogne, 58, fol. 42). - Pour d'autres acrostiches de dédicace, v. E. Drol, R. d. M., XXI, p. 48. (2) cr. La mu.ç... sous Charles VI, p. 24. (3) Un motif analogue parait dans l'anonyme Soujiee lo,', povre euer dolereux (Bibl. nat., ms. fr. nouv. acq. G771, fol. 98 va).
  • 30. GUILLAUME DUFAY (1 chantons, dansons» en Ce moys de may, et le commentaire est pro- fond quand les voix achèvent « ce {ait jonesse Il en reprenant un motif vif, mais attristé par le mode et bientÔt alangui par le rythme (Je me complains). Que les instruments aient été utilisés pour exécuter les chansons de Dufay, de nombreux préludes clairement définis le démontrent d'abord. Ces introductions sont parfois très courtes, et ne servent qu'à indiquer la tonalité. Une formule modale descendante suffit avant Dona, i ardenti ray. De même, une variation sur la gamme montante prépare à la plainte de Helas, ma dame par amours. Une mélodie fort simple et bien rythmée annonce L'alla belleza. Dans un de ses premiers essais, cependant, le musicien modèle sa phrase d'exorde avec plus de recherche, et la ter- mine par des triolets (Resveilles vous, pour Carlo Malatesta). Il use aussi de triolets au commencement de Passato e il tempo. Mais, tandis que l'attention est ici excitée par la volubilité du dessus, c'est le secundus qui énonce le motif principal accompagné de dissonances, pour disposer à entendre Je me complains piteusement. Après qu'ils ont averti, les instruments accompagnent le chant des paroles. Il est nssez difficile de déterminer s'ils interviennent dnns la suite de la chanson. Il serait trop simple d'assurer que tout fragment de superius où des syllabes ne son t pas inscriles doit être joué. En cer- lains manuscrits, ces trails semblent libérés Ou lexte; en d'aulres, ils, ont l'apparence de vocalises, développées sur la voyelle d'appui d'une désinence féminine, l'e muet étant rejeté à la fin du mélisme. Par analo- gie, il est permis, après une finale masculine, d'attribuer au chanteur ]a série des notes ordonnées depuis le dernier mot jusqu'à la cadence. n faut observer aussi que des interpolations instrumentales hasardeuses troubleraient l'accomplissement de la modulation dans la phrase chan- tée, qui esl la principale. La répartition de ces éléments divers dépend encore de la forme des pièces. Enfin, l'omission des paroles par les co- pistes a pu dans certains cas être arbitraire. Bien que les ressources de l'exécution fussent variables, une indica- tion du composileur devait du moins être respectée. C'était quand il as- sociait une « teneur Il latine à un déchant en langue vulgaire. Car le rap- prochement de ces deux textes avait alors une signification. Pendant le concile de Dâle, en 1435, le rondel « Ceste venue soit telle Il fut agencé en contl'Cpoint sur le Da pacem liturgique. Comment apercevoir l'allu- sion, si les syllabes des deux textes concurrents n'avaient été arLiculées P
  • 31. 84 HISTOIHE DE LA MUSIQUE El pourtant, Da pacem étail sans doule en la mémoire de nombreux fidèles. Mais Dufay emploie ùes mélodies latines beaucoup IQoins con- nues. Son Je ne puis plus, avec Unde veniet a été déjà cité, ainsi que Vasilissa, ergo gaude, avec Concupivit rex. Dans Tres pileulx, de toul espoir fontaine, la coalition du français el ùu latin n'a d'efficacité que si les deux forces intelligibles se manifes- tent. avec une égale clarté. A la supplication en langue vulgaire corres- pond la plainte empruntée à Jérémie, Omnes amici ejus spreverunt eam. Dans le manuscrit de Florence où elle est anonyme, cette cOIQPosi- tion a pour titre Lamentalio sanclae malris ccclesiae conslantinopoli- tanae (1). Elle fut chantée pendant les fêLes commandées pal' Philippe le Bon, pour le Vœu du Faisan, au commencement de 1454. La capitale de l'empire grec ayant été prise par les musulmans, l'église représentée par une femme vêtue de satin blanc et montée sur tin éléphant vint nire sa désolation. Larnentatio jandae malrÎ:, ecc.esiae con~tantinopoilanae. Très p/éeu!,x, de/out espoir Ion·· tai ... .... ' ne, Père du fils dO/l!JUIJ mere eSfJ/ore' .. l l l drt> me vIens ri ta cour JOU- ve - rai ... ne ""CT. /les ami CI e - jus /Je la puis JiJnce et de nature I l I. l l P/aIl7- :g. Om -€Jo . aln Qui l (1) Le nom de Dufay est fourni dans le ms. 871 de Monlccassino, fol. 150 YO.
  • 32. GUILLAUME DUFAY 85 ont sovffert teIle dvrle vil/ai .... ne Faire . ~ -=g: -Er -e- -6- ~:e:. ~~ est 'lVI con· So le tur e.'" am..Cl.. • ~ --- ~ =EF_ ex 0111 - .a... -l) à mon li/.5 'lVI m'a tant ho - ~ -cr ~'9" ~- =u:-r- . -cr ni .... bwca riS --r:r.e _ _ _ .0.- =n.. On entendit aussi pendant le banquet Je ne vis onques la pureille. Un « jeune fils » à la robe de velOllrs cramoisi en prononça le dessus, et la « teneur » fut assurée par un cerf blanc à la ramure dorée, qui portait l'enfant (1). Il est probable que c'était l'œuvre de Dufay, con- servée en plusieurs manuscrits el publiée en 1904 (2). La parI. accordée à Dufay en ces intermèdes musicaux ful sans doute plus importante. Sans risquer de lui attribuer à torl cl 'autres œuvres décrites par les cluo- niqueurs de ces journées fameuses, on lire de leurs récits cles remarques fort utiles sur la manière d'exécuter une musique analogue à la sienne, même si elle ne fut pas de lui. Sur la lable principale avail élé placé le simulacre d'une église, avec une cloche, el 3 enfanls a vec une t.enem' y formulèrent d'abord une sorle de très plaisant Benedicite. Dans le même décor, il fut jOllé des orgues fort doucement, ct des chantres y exécutèrent un motet. Un énorn:~e pâté avait. élô aussi façonné pour être l'abri de la musique profane. De là, trois douces voix modulèrent La sauvegarde de ma vie. Plus tard, un luth y accompagna deux honnes voix. Le luth encore, et (1) Bibl. naL, ms. fr. 5739, fol. 188. (2) Anon. en D. T. O., XI, p. 102. L'allrihution à Dufay esl dans le ms. 871 de Montecassino, fol. 29 vo.
  • 33. 86 IIISTOIlŒ DE LA MUSIQUE les violes des deux aveugles qui servaient le duc de Bourgogne, soutin- rent le chant de damoiselle Pacquetle qui appartenait à la duchesse. Vingt-huit joueurs d'instruments enfermés en ce pâté se signalèrent tour à Lour, seuls ou par groupes. La muselle d'un berger résonna ( moult nouvellClnent»; Ull cornet d'AllClllagne, « l'l'oult esLrungc- ment »; l'ensemble de quatre nûtes, « moult mélodieusement »; la « baleure » de 3 clairons, « moult hautement ». La concordance d'un luth, d'une « douchaine » el d'un autre instrument. non désigné fut très douce ù ouïr. Il y Cil!. aussi Ulle !.rès joyeuse aubade de 3 tambou- rins, ct pour finir, lne chasse où relenlirent les lrompes (1). En toute celle musique soumise ü des formes bien diverses, Dufay n gardé une singulière unité de st)'le. Il aime à procéder par larges pé- riodes qu'il oppose avec_ un sens délicat de la s)'métrie. Il les déroule, il les achève sur des accords provisoires, el en dirige la suite vers la noie finale du mode où il écrit. Le secret de son développement n'est souvent que de différer, par de captieuses incidentes, l'arrivée à ce terme prévu, ton décisif qui est comme le vcrbum par lequel, selon Gasparino da Bal':t;j:t;,m CI" IlJan, il est IOlahle de conclure la phrase liUérnire. Celle abondance 1'ég'lée, 011 croirnil. volontiers qu'il en connut les ressources en interrogeant les maîtres italicns de la rhétorique renaissanle. Et J'ordonnance mt~me de SOIl discours pourrait n'être qu'une application q la musiquc de la doctrine professée par Barzizza. Là encore, il aurait appris que la mUo numcrorum doit se rapporter aux affections de l'âme, d'après ce (lU 'elles exigell t de hâte ou de gravité (2). Avec Leo- nardo Bruni, il aurait aussi dist.ingué ces COlt CCli Lus 'que le simple lan- gage laisse déjà percevoir, quand la voix d'un lect.eur monte 011 s'abaisse. Par la distribution calculée des périodes, il s'efforce peut-être de sup- pléer à l 'absen~e de mouvemel1l, poétique dans le texte des messes parce que, dans un traité dédié à Batlisla Malat.esla, la parente de Cleofe, Bruni a observé que ce défaut du rythme porte à l'assoupissement (3). Même avec le contrepoint entrecoupé du « hoquet », il essaie d'organiser comme une strophe la série des motifs alternés. Le souci du nombre Re manifeste jusque da,.ns ces passages où, comme pour accélérer la réci- (1) Voy. la Chronique de Mathieu d'Escouchy, n, 1863, pp. 122154, et les Mé- moire.ç d'Ol. ùe la Marche, II, 1884, pp. 348-363. (2) Opera, éd. de 1723 (De composilione, p. 4 el p. 13). (3) De sludiis el litleris, od. de 1642, p. 8 cl p. 26. . ~ 1
  • 34. f. 1 1 t GILLES BINCHOIS talion dans La belle se siet (1), il semble avoir recours à l'élocution sac- cadée des ({ chanteurs en place » ou des canlambanchi diseurs de lé- gendes, qu'il avait entendus en sa province ou pendant ses voyages. Chanoine de Cambrai, Dufay exerça souvent le privilège de l'ab- 8ence. En 1440, cependant, il était dans la ville. Le 27 juillet 1442, il assist~it li l'assemblée capitulaire (Nord, G 7152, fol. 2). Le 23 octobre 1443, il désignait deux mandataires pour recevoir à Bruges les 20 écus transmis pour lui à la han que des Borromei par le marquis de Ferrare (ibid., fol. 122). A l'heure de la 11l0rt, en 1444, sa mère eut la conso- lation de le trouver près d'elle (ibid., fol. 143 va). Pendant l'année 1444- 1445, il fut maître de l'office des petils vicaires (Nord, G 1447). En oc- tobre 1446, il fut chargé d'une mission à la cour de Bourgogne (Cam- brai, ms. 1058, fol. 80). En 1448, il était maHre du cellier capitulaire (ibid., fol. 155). Le 21 avril 1452, il reçut une gratification de 60 écus, proptcr virlulcs cl rncrita, ayanL décoré l'église par ses chants musicaux (ms.. 1059, fol. 21 VO). Après un voyage, il reparaît vers la fin de 1458 (ms. 1060, fol. 29 va). Il reprit la direction des grands et des pelits vi- caires au mois de juin 1459 (ibid., fol. 49 va), office qui lui fut encore confié ell 14GO, avec ccliii du four el la garde des clefs du peLit coffre (ibid., fol. 84 va). JI administra encore les grands et petits vicaires en 14G2-14G:3 (Nord, G .1129), fut préposé ;l l'aumône en 1463, 1464 ct. 1465 (ms. lOGO, fol. J.72 vo, ] 97 et 217) et conserva les clefs du petit coffre en 1466 et 1467. (ibid., fol. 245 et 265 VO). Il mourut à Cambrai le dimanche 27 novembre 1474, n,yant pendant 6 à 7 semaines subi les soins de Jean le Duc, chirurgien et barbier qui le visitait chaque jour 2 fois, « Louchant la maladie qu'il avoit ès gam- bes et ailleurs )) (2). Le père de Gilles Binchois était Jean de Binch, bourgeois de Mons (3). Un personnage de ce nom avait en celte ville assez de c011lpétence en affaires pour être employé par le comte de' Hainaut et par le chapitre de Sainte-Waudru. Il est cité en des actes depuis 1396. En 1410, il était conseiller de Guillaume IV, et il conserva cet office près de sa fille Jac- (1) Stainer, p. 122. - Une bibliographie suffisante des œuvres de Dufay n'a pas encore été publiée. Quelques chansons de Dufay ont été données pnr G. Thibault en. d. M., XI, p. 97). . (2) Nord (Testaments, nO 260). (3) A. Demeuldre, Le chapitre de saint Vincent à Soignies, 1002, p. 111 (cf. E- Closson, Rev. de Mus., VIII, 1924, p. 150).
  • 35. 88 HISTOIRE DE LA MUSIQUE queline en 1417 (1). Fils d'un homme estimé des princes, Gilles de Binch n'aurait appris à chanleI' que par manière de passe-temps, comme Boucicaut, comme le fils de Christine de Pisan. C'est bien près de Mons que Froissart écrivit vers 1383 son Mclyador où l'on « entame », si vo- lontiers « rnptet, chanson ou virelai », d'une voix cla,ire (2). Jean de Binch avait renoncé pour se consacrer aux intérêts de Jacqueline, à servir les seigneurs qui l'avaient consulté jusqu'alors. Mais Gilles avait gardé la liberté de choisir à qui s'attacher. Il avait peut-être 'paru d'abord à la cour, lorsque Jean duc de Touraine était le mari de Jacque- line. Jean (t 1417) avait des pages et 4 ménestrels avec letir trom- pello (3). Gtiillaume payait un « roy des ménestreux », Jehan Partalls, cité de 1410 à 1413. Hanelet qui reçut une pension en 1407, était sans doute Hanelet Tieuskin, vêtu de deuil à la morl d'Albert de Bavière (1404) ainsi que le trompelte Amant el le harpeur Coppemall. Un har- peur est encore signalé ,en 1416 (4) et en 1421 (4 bis). La première mention connue de Gilles Binchois est de l'année 1424. Il était alors à Paris. Dans une chanson où sa mémoire est célébrée, il est dit que « en sa jeunesse fut soudart de honorable mondanité» (5). 11 avait sans doute suivi quelque grand seigneur à la guerre. Oswald von Wolkenstein, son aîné de quelque 20 ans, courut ainsi les aventures, poète, musicien, homme d'armes et serviteur du roi Sigismond. En ces années de détresse, la musique profane avait chez les vaincus perdu de son éclat. Après Azincourt, plus d'une belle refusa d'entendre harpe, orgue, douçaine, luth ou échiquier. Mais Ja pratique des instruments avait été si florissante que les bons artistes étaient encore nombreux. Jusqu'à sa mort (1415), le duc Louis de Guyenne avait négligé ses con- seillers pour ses musiciens. Quand il reçut à sa table Nicolas de Ferrare Je 23 août 14J4, les convives entendirent jouer « excellemment. ) de la . (1) Léopold Devillers, Carlulaire des comics de Hainaut, III, 1886, p. 446 et p. 523; IV, 1889, p. 70, p. 82 et passim; VI, 1896, p. 48 (gratification de Jacqueline à son « cher et féal conseiller »). Cf. A. Lacroix, Particularités curieuses sur Jacque- line de Bavière, 1838, où J. de Binch esl mentionné plusieurs fois jusqu'en 1420 (p. 44). (2) ]~dit. Aug. Longnon, 1895-1899. (3) Carllliaire cité, VI, p. 42 (1417). En 1416, Jean Verdelet était près de lui (p. 153). (4) Ibid. IV, p. 60; V, 1892, p. 374; III, p. 245. (4 bis) A. Pinchnrl, Arch. des arts, etc., l, 3, 1881, pp. 154-155. (5) Dijon, ms. 517, fol. 163 va. - Montecassino, ms. 871, fol. 158 VO (attribué à Ockeghem).
  • 36. GILLES BINCHOIS harpe, de la viole, des llites et de la cithare (1). Perrin de Sens (Pierre Gobert) « souverain harpeur », avait servi le duc. Aurait-il été de ce concert P Il était assez fameux pour que le comte de Savoie m,tl pendant 2 ans un enfant en apprentissage chez lui à Paris (1411 et 1412.-- Isère, B 388f> et 3892 (2). Quand le roi Sigismond traversa Paris (141G), ménestrels et chanteurs parurent à son repas. En 1418, le chevalier du guet se faisait précéder dans les rues par trois ou quatre ménétriers (3). Bientôt, les fanfares anglaises retentirent aussi. Le. roi Henry avait des trompelles et des clairons qui au siège de Melun « sonnoient moult mélodieusement» devant sa tent.e (4). La même année (1420) à son ma- riage avec Catherine de France, de nombreux instruments menèrent grand bruit dans les rues de Troyes. Quand il entra triomphalement à Paris, au mois de décembre, le roi Jacques d'l~cosse, son prisonnier, était avec lui. Ce prince avait belle voix et il passe pour avoir été habile sur les instruments, surtout sur la l~arpe (5). Exemple illustre, qui pou- vait encourager quelques artistes qui n'étaient pas gens de métier. En 1415, Henri de Saxe, bachelier en médecine, avait été reçu organiste de Notre-Darne (Arch. naL, LL 112, fol. 23). Jean de Auslria, docteur en théologie, parait se confondre avec le « théologien allemand » dont le laIent sur la viole était reconnu, cl qui appartenait vers 1416 à celle I( cour amoureuse » où la poésie aecept.ait le secours de la musique. Les confrères se soumeltaient au jugement d'un « prince d'amours» expert en m,alière de chansons et de ballades. Un chanoine de Laon, Jean earilé, est inscrit parmi les associés. Serait-il l'auteur de Jusques à tant (Oxford, fol. 90 VO) P Et Jean de Villeroye, surnommé nriquet, ministre de la même cour, n'aurait-il pas su esquisser la chanson Ma seule amour (Ibid., fol. 96 vO; Stainel', p. 82) P Au milieu de ces amateurs, le jeune Binchois l'aurait emporlé pour sa facililé. Qu'il ait été requis de com- poser le chant d'un rondeau pour distraire le duc de Suffolk retenu i Paris par accident (1424), cela donne à croire qu'il avait déjà quelque (1) L. Mirot, Autour de la paix d'Arras (Bibl. de l'éc. des charles, 1914, p. 307). (2) C'est le musicien qui est nommé (par faule d'impression) Perrin (le Lens, dans La mus. d Paris sous... Charles VI, 1930, p. 26. V. celle élude pour suppléer aux références omises ici. Le « harpeur » attitré de Louis élaiL Colin (Colinct'j Julien. Parmi les ménestrels éLaient Simonnet Fucien et Verdelet (Arch. nal. KIK 228). (3) Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Tueley, 1881, p. 106. (4) Monstrelet, Chronique, III, 1859, p. 412. (5) J. de Fordun, Scotichronicon, éd. W. Goodall, II, 1759, p. 504.
  • 37. ~}() IUSTOIHE DE LA MUSIQUE renom. Suffolk qui épousa la petite-fille du poète Chaucer, el fut l'ami de Charles d'Orléans, a versifié en français et en anglais (1). Il avait pu choisir entre les interprNes parisiens des « dils amoureux ». Bien que les preuves décisives manquen L encore, il esl permis de proposer pour cerlaineR œuvres des aUributions vraisemblahles à des clercs de Paris. L'auteur de Salve, Virgo (Oxford, fol. 114 VO), Billart, pourrait être rap- proché d'Albertus Billardi, clerc de matines à Notre-Darne dès 1392. Les pièces conservées sous le nom d'Adam (lbid.) seraient d'Adam Fabri, clerc à Notre-Dame en 1415, ou d'Adam Maigret, premier chapelain du roi en 1422. L'indication Grossin « ùe Paris » (ibid.) conviendrait à f:tienne Grossin, chapelain de Saint-Merry en 1418, clerc de matines à NoIre-Darne en 1421. Les compositions publiées sous ce nom n'au- raient été accueillies que par un auditoire ind ulgent. Le trait mélodique y est embarrassé par des notes répétées, les cadences y sont trop fré- quentes et le faux bourdon en prépare trop aisément la conclusion (Stai- ner, p. 172. - D. T. O., VII, p.208; XXXI, p. 7 et p. 9) (2). L'intendant même de Suffolk aurai' sans doute essayé ùe transformer en chants les poèmes qu'il étail chargé de lire à son maître, s'il avait été le Guillaume Benoit qui dirigeait les enfants de chœur à Notre-Dame en 1405. Mais cela n'esL pas démontré, et il faut être assez prudent aussi pDur rester dans l'incertitude qllant à la personne du Benoit qui traça, parfois avec un peu de calcul, les lignes gracieuses de la chanson De eue/' joyeux (Oxford, fol. 54). Mais ]e Jacquet Vide que l'intendant Benoit allendaiL à Paris esL probablement ce valet de chambre qui acheta un pelit orgue pour Philippe le Bon en 1428 (3), et qui a lais8~ quelques chansons. Il y est agréable et parfois émouvant à peu de frais. L'omis- sion du conlralenor dans Las, j'ay perdu mon espincel (4), laisse mieux apparaître la faiblesse du procédé harmonique. La symétrie des courtes phrases en sixtes est aussi monotone dans Vit encore ce faux dangier, mais les lignes en sont façonnées avec plus de recherche. En d'autres (1) Henry Noble Mac Cracken, An English friend of Charles of Orléans, 1911. (2) Dans l'Et in terra du dernier recueil (p. 7), la dernière syllabe de volunlalis esl prononcée sur un accord de quarte el sixte. La seule vocalise de la pièce est chantée par le soprano, sur la tenue des deux autres voix (A-men). Les invocations sont prolongées en poinls d'orgue. Dans le Patrem (p. 9), le soprano seul est pourvu de paroles. . (3) Yander Straelen, La musique aux Pays-Ba.q, YII, 1885, p. 59. (4) J. Marix, Les musiciens de la cour de Bourgogne au xY' s., 1937, p. 23. Les compositions citées ici sans référence bibliographique se trouvent dans ce recueil.
  • 38. GILLES BINCHOIS 91 pièces, on remarque une cerlaine diversité rythmique. Tandis que les répétitions de notes sont souvent chez ses contemporains des témoi- gnages d'indigence mélodique, Vide les emploie pour déclamer les pa- roles sur lesquelles il prétend insister : par exemple, dans Puisque je 11 'ay plus de maistresse et dans Espoir m'est venu conforter, il y a comme .des fragments de récitati f. Il se sert aussi avec intention d'accords pro- longés (Il m'est si oricf, 1)osll'C dcpnrl) (l). Binchois ne larda pas à rejoindre Vide à la, cour de Philippe le Bon. La date de son admission parmi les chapelains n'a pas encore été re- trouvée. IVlu.:s on sait qu'il célébra par un motet la naissance d'Antoine, premier fils de Philippe et d'Isabelle, né le 30 septembre 1430 (2). II fut ainsi collègue de Richard de Dellengues et de Pierre Fontaine. La chanson publiée sous le nom de Cardot (Stainer, p. 85) semble attester .que Dellengues entreprit de composer sans avoir beaucoup étudié. Fon- taine a laissé plusieurs chansons écrites sans prétention, mais bien tour- nées et d'un sentiment juste. Il est sombre en Mon euer pleure, mais -des yeulx me faull rire. La mélodie s'épanouit aisément en De bien -arner, où quelques noles répétées reprises à chaque voix marquent la résolution de « ne cesseruy » (J. VoH, Gcschichtc der Mensurai-Nota- tion, III, 1904, p. 83). Le tCHOI' y est fort calme, ainsi qu'en Sans faire -de vous dcpal'tie. L'adresse au « Prince » permet de ranger la très sim- ple Pastourelle en un vergier parmi les chansons destinées à la « cour -amoureuse ». Ji son plaisir volcllticrs serviroye est un engagement de fidélité chanlé par trois voix d'homme. Pour vous tenir en la gracc -amoureuse se rapporte distinctement aux fêtes du rr mai. Un seul chanteur (registre du ténor) y est accompagné de deux instruments. Un même tenor qui s'écoule doucement est ainsi proposé, pour la première -strophe de la chanson et pour la seconde. Le contratenor accentué, dis- tendu, est aussi répété sous la mélodie nouvelle de Mon doulx amy, ,tenes vous tout temps gay. C'est encore pour une voix d'homme que Fontaine a composé J'aym,e bien celui qui s'en va. Le tenor est dépourvu ,de paroles et il est prescrit de jouer le contra sur la trompcLLe. En certaines de ses chansons, Binchois se maintient dans l'aimable (1) De modestes essais d'imitation paraissent dans Qui son cueur met a dame, ·écrit pour trois voix d'homme (D. T. O., XI, p. 94). Dans le ;ms. fr. nouv. acq. 4379 (fol. 84 vO-85), des versets à 3 voix de Nunc dimitti. sont attribués l J. Vuide. (2) J. Marix, ouvr. cité, p. XV.
  • 39. 92 HISTOIRE DE LA MUSIQUE médiocrité que ses collègues chez Philippe le Bon n'ont pas dépassée.. Avec l'application timorée d'un novice, il mulliplie les cadences uni-· formes du soprano chaque fois que le tenor les admet dans Adiell' m'amour et nta maistresse. Le souffle est bien court aussi en Joyeux' penser et souvenir (Oxford, fol. 49 va), ainsi que dans L'ami de ma dame' (D. T. O., VIl, p. 243) et dans Je me recommande humblement (D. '1'. Ü., XI, p. 71) où l'extrême simplicité s'allie à la gentillesse. En Qui veut mesdire, si mesdie, le balancement des phrases est de même' interrompu par de fréquentes conclusions marquées par un essai d'orne- mentation. Binchois observe non seulement la chute des vers en ses mélodies,. mais il consent fréquemment à réciter, sans chanler. Beaucoup de ses- pièces commencent par des notes répétées, et cette déclamation nulj- mentaire apparaît encore clans le développement. En chaque vers· d'Amours ct souvenir, 1es premières syllabes sont prononcées sur le· même t.on. L'admonestalion aux Filles a marier est d'abord comme· parlée. Le même procédé se remarque dans les deux parties de J'ay tant· de deul, dans les passages émouvants d'Anwreux suy (Oxf.), et dans Sc je souspire, plains et pleure. En Deul angoisseux, le vers de Christine de' Pisan « Ctier doIOl'eux, qui vil obscurement» est dit presque sans mo- dulation; le Tl'istre plaisir d'Alain Chartier est d'abord interprété avec la même sobriété (1); ct Charles li 'Orléalls a peut-être approuvé la dis- crétion d'un musicien qui lui emprunta Mon cuer chante joieusemenl' sans brouiller pnr ses vocalises les déclarations essentielles. Mais la ri- gidité de Seule csgarée de tout joyeulx plaisir n'est sans doute qu'un- témoignage de gaucherie juvénile. Il échappe d'ailleurs à la contrainte du chant syllabique, lorsqu'il: éprouve avec force le sentiment suggéré par le texte. Les lignes sont- flexibles ef. largenl,cnf. dessinées dans sa grande plainte Ay, douloureux, disant hélas, où les dissonances ajoutent de l'amertume, et où l'affliction. a de si lourds accenf.s. La première phrase de Plains de plaurs ct gem.issemens (Slainer,. p. 77) est longue élllssi, ainsi que l'imprécation dout l'infidèle est l'objet, en Esclave puisl~il devenir. . Une cerlaine continuité de souffle, la justesse et la liberté d'invention ont animé les œuvres par 1esquelles Binchois a mérité d'être appelé le' (1) E. Droz el G. Thibault, PoèLes eL musiciens du xvO siècle, 1924, p. 27 el p. 29:.
  • 40. GILLES BINCHOIS 93 'H père de joyeuseté ». Trop souvent attentif ù découper ses chanls par menus morceaux pOUl' plaire à sa clienlèle, il s'est quelquefois laissé -e)~porl.er par sa fanlaisie, il y a de l'élan, de la grâce et qüelque am- pleur dans Je loue amours, et de bien jolies périodes sont heureusement développées en De plus en plus se renouvelle, en A dieu, THon joyeux -sou.venir (SLainer, p. 80 eL 74), aillsi que dans Se j'eusse un seul jour d'espérance (D. T. O., VIT, p. '.:245). La dernière de ces chansons a été ·composée pour le mois de mai, peut-être au temps où le müsicien n'était pas encore ~i la cour de Bourgogne, puisque le personnage dont il inter- prète le désir deviendrait s'il élait exaucé le plus heureux « homme de France » (1). Tolites ces œuvres sont d'une faclure très simple. Les imitations qui . s'y trouvent sont facilitées par le calïlcll~l'e des motifs. Le contratenor ·est souvent distendu et sacc,HM, tandis qlle le tcno,. avance d'un mouve- ment égal et mélodieux. « Servant Dieu en humilité », comme l'écrit l'auteur de son éloge funèbre, Binchois n'a cependant pas renoncé à toule « ~onùalliLé » dans sa musique religieuse. Son langage cl 'église esL en général aussi fleuri, aussi découpé, aussi vif que son langage profane. Fréquemment, il ne s'est préoccupé que d'imaginel' d'agréables tirades, et de les clore avec 'coquellerie. Dans trois El in terra pübliés en 1924 (D. T. O., XXXI, pp. 42-4G) le soprano seul est vocal. Des paroles ne sonL indiquées aux deux autres parties que dans une de ces pièces, pour les invocations en lenLs accords avec points d'ol'gue. L'allègre litanie du soliste est d'ail- leurs agréable, élégante, et ne pèche guère que par excès de hâte fami- lière. L'accompagnement du moins esl plus calme que dans les chan- sons. Il y a ~ème beaucoup de force expressive dans la clameur étrange el redoublée où le contratenor passe d'une nole élevée aux notes les plus graves sur deprecationem (p. 45, mes. 73-78). Dans un autre Et in term (Cambrai, ms. 11, fol. 18 vO-ID, anonyme, l'attribution à Binchois est fournie par le ms. 87 de Trente, fol. 150), les lignes flexibles du soprano ornent un tenor d'une majesté liturgique eol un contra soutenu. Les épisodes à deux parties entretiennent la va- riété de la composition, sans dcmner de retard à l'actif dessus, soulevé (1) Dans Je me recommande (ibid., Xl, p_ 71), la femme implorée est dite « la plus douce de France ». Dans Bien viegnallt, ma ires redollblée', est évoquéo llu8si « III plus gracieu~e de Franche» (an.).