1. Pierre QUETTIER, Hakim HACHOUR & Paul LOUBIERE Laboratoire Paragraphe EA 349, Université Paris 8 Contribution ethnométhodologique à l’épistémologie des sciences de l’information-communication
2. Les « multiples réalités » (Schütz) du phénomène info-communicationnel
3.
4. Recherche Action Recherche Zones d’échange différées Zones d’échange différées Observations altérées ou phénomènes non-observables Observation optimale in vivo (recherche-action-recherche)
5.
6. Capter les « faits » de communication : organisation et savoir d’arrière-plan 1 er exemple de notation en analyse des conversations (interaction multimodale en face à face)
7. Capter les « faits » de communication : organisation et savoir d’arrière-plan 2 e exemple de notation en analyse des conversations (interactions synchrones et asynchrones médiatisées par ordinateur)
8. OBSERVER ( pertinence ) COMPRENDRE ( catégorisation ) AGIR ( praxéologisation ) Modéliser représenter une réalité : travail perpétuel de ‘membre’ et d’expert Expliciter des méthodes d’observation Expliciter des modes de compréhension Rendre-compte explicitement des actions
10. Hyper-rationalisme « Que les énoncés scientifiques soient objectifs est une lapalissade. Mais cette évidence dissimule à beaucoup le fait que la notion même d’objectivité n’a rien d’immédiatement évident et que, même en science, ce mot est utilisé en au moins deux sens différents. » Bernard d’Espagnat
L'ethnométhodologie est souvent appréhendée par les chercheurs en SIC comme une manière de « faire » des sciences sociales à moyenne, voire courte, portée. En conséquence, ils s'y réfèrent lorsqu'ils ont besoin de méthodes qualitatives (recherche-action, analyse d'interactions ou conversationnelle, histoires de vie, etc.) pour rendre compte d'un terrain particulier. Si l'ethnométhodologie peut effectivement être mise à contribution en ce sens, il nous semble que les arguments sur lesquels elle repose et son intention visent un projet plus large : définir une épistémologie compréhensive permettant de formuler et d'unifier in fine différentes postures de recherche en sciences sociales. Dès les premières pages des Studies [2007, pp. 55-59], Garfinkel s'appuie sur les travaux du logicien Bar Hillel [1954] à propos des propriétés indexicales (contextuelles) du langage et pousse le raisonnement à son terme radical : la porosité irrémédiable entre sens commun des acteurs et sens commun de l'observateur scientifique. Pour remédier à cette confusion et faire de la sociologie sur de nouvelles bases, Garfinkel propose d'opérer un double mouvement vertical. Vers le bas, les ethnométhodologues mettent en place un ensemble de dispositifs ad hoc d'observation, d'expérimentation, de compte-rendu et d'analyse d'une grande factualité (analyse de conversation, breaching , paires lebenswelt , etc.) et vers le haut, ils définissent une posture qu'ils nomment « in-différence » à partir de laquelle sont contextualisées les catégorisations des membres (les ethno-méthodes) mais également les pratiques d'observation, d'expérimentation, de compte-rendu et de modélisation des savants au niveau intermédiaire. Les approches ainsi définies rendent compte de données de terrain saisies à des degrés de réalité différents, déterminent des qualités d'implication, donc des « regards » ou « postures », différentes, revêtant des statuts épistémologiques différents, et supposent l'usage de méthodes d'observations différentes pour produire des résultats différents. Par différents nous entendons à la fois irréductibles et complémentaires. Par commodité et en première approche, nous fixerons les aspects de focales sociologiques, de postures de recherche et de statuts épistémologiques ainsi déterminés dans un tableau synoptique : Nous ajoutons le tiret pour marquer le sens du mot pour les ethnométhodologues : celui d'un détachement de l'observateur vis-à-vis des jugements de valeur pour se concentrer sur la description des raisonnements pratiques.
Dans cet article, nous développerons ces éléments selon ce qui nous semble une approche chronologique de la recherche : l'approche du terrain comme situation de sens commun constituée in vivo , (Pierre) la mise en place de dispositifs de captation de données factuelles, (Hakim) l'émergence/élaboration de modèles et (Hakim/Paul) la mise à distance. (paul)
L'approche du terrain comme situation de sens commun constituée in vivo : Les ethnométhodologues prônent, à l'instar des chercheurs de l'école de Chicago et des interactionnistes symboliques, une approche immersive du terrain similaire à l’ « observation participante complète » théorisée par Adler et Adler [1987]. En devenant, ou en étant, membre du groupe social le chercheur se rend ainsi invisible (car « prévisible », dit Winkin [2001, p.138]) mais surtout il acquiert la compétence unique ( unique adequacy ) [Garfinkel & Rawls, 2002, pp.6, 124, 176-177] du groupe qui lui permettra de comprendre de l'intérieur le sens qu'ont les pratiques pour les membres et de prendre in situ les décisions adéquates « à-toutes-fins-pratiques » [Garfinkel, 1967, pp.8, 15]. C’est dans cette notion de compétence unique que ce situe véritablement l’apport de l’ethnométhodologie à ce niveau. Issu de la sociologie de l’action parsonienne, Garfinkel pousse en effet l’exigence un cran (définitif) plus loin en se refusant à faire usage de catégories exogènes à l’action en cours et en s’intéressant exclusivement aux catégories générées dans l’action et pour l’action afin de faire sens et de prendre les décisions appropriées aux situations. Cette immersion donne lieu à une variété de circonstances dites d'action-recherche, dans le cas de chercheurs déjà membres de leur terrain [Quettier, Albertini] ou de recherche-action qu'autorisent ou qu'imposent les terrains. Ainsi, dans le « cas Agnès », cette étude célèbre de Garfinkel [2007, pp. 203-292] menée à l'occasion d'une commande d'expertise visant à attester de la « nature féminine » d'un transsexuel masculin, Garfinkel ne met en place aucun dispositif de recherche particulier mais se contente de parler et d'interagir en tant que chercheur et en tant qu'homme. Il y « apprend » ainsi les multiples manières expertes par lesquelles Agnès organise sa communication sociale pour être reconnu(e) comme femme dans diverses circonstances problématiques des interactions quotidiennes. En témoignant, « en observation » et « en participation », de la manière dont un homme biologique se « fait femme », Garfinkel donne à voir et à comprendre les notions et les enjeux liés aux « communications de genre » dans la société américaine des années soixante. De telles approches immersives sont nécessaires et pourront s'avérer suffisantes. Dans d'autres cas, elles constitueront une première étape de la recherche. Elles débouchent alors sur la mise en place de dispositifs de récolte de données et de compte-rendu appropriés au terrain.
Les pratiques des acteurs s’expliquent par et en même temps explicitent les catégories utilisées en situation par ces acteurs pour mener à bien les opérations et atteindre les objectifs visés. C’est le sens réflexif donné par Garfinkel à la notion d’ account : l’homotypie entre action et communication dans le cours de l’action. Les phénomènes d’ordre constatés dans chaque situation similaire (la file d’attente, l’embouteillage, la création musicale, etc…) sont le résultat de raisonnements pratiques conduits interactivement par les acteurs pour prendre des décisions et agir d’instant en instant au mieux de leurs intérêts (immédiats, à moyen ou long termes). Ces ethnométhodes endogènes sont manifestes et disponibles ( accountables ) à la recherche et Garfinkel ne s’intéresse à aucun autre modèle explicatif. Les ethnométhodologues s’intéressent néanmoins à la mise en œuvre de modèles pratiques manifestés sous la formes de règles, de règlements, de manuels d’instructions, de logiciels, bonnes pratiques professionnelles, etc. - mais aussi de théories sociologiques - eux mêmes issus, le plus souvent, d’analyses transcontextuelles des pratiques ( supra ). Ils s’y intéressent en tant que ces modèles cadrent l’action et demandent à leur tour que soient mises en œuvre (et donc manifestées) des ethnométhodes spécifiques permettant de les mener à bien. C’est le sens donné à l’étude des paires lebenswelt (le modèle composant le premier membre de la paire et la pratique le second) dont Garfinkel dit qu’elle constitue le programme majeure de l’ethnométhodologie.